La période de l'histoire dans laquelle nous nous trouvons engagés est indiscutablement une ère de contestation et de recherche fébrile d'une mise en place d'un monde nouveau. Les gens que nous côtoyons mettent en cause assez volontiers des structures sociales qui leur paraissent trop autoritaires, au profit d'un nouveau type de relations entre les hommes. Un peu partout dans le monde, on entend l'expression d'un intense désir de participation; il n'est pas nécessaire, d'ailleurs, d'aller chercher nos exemples en Europe ou en Amérique du Sud: nous venons, ici même, de vivre des heures et des semaines d'une revendication à la participation qui a marqué profondément le monde scolaire et le monde ouvrier. Les hommes d'aujourd'hui exigent pour demain un monde qui se construira sur la base d'une vaste entreprise où chaque personne humaine sera appelée à fournir la pleine mesure d'une participation consciente.

Le mot « idéologie » n'a pas été inventé par Marx. Il était d'usage fréquent au début du XlXème siècle, en France.

C'est ainsi qu'on le trouve dans Stendhal, qui le tenait lui-même de Cabanis, médecin et matérialiste du XVIIIème siècle, continuateur de la tendance matérialiste issue de Descartes dans son ouvrage « Rapport du physique et du moral chez l'homme ». Il s'employait alors dans un sens plutôt élogieux pour désigner les philosophes qui s'efforçaient d'analyser l'origine et la formation des idées chez l'être humain. Ainsi Condillac, dans son « Essai sur l'origine des connaissances humaines », développa la pensée de Locke et démontra que, non seulement l'âme, mais aussi les sens—non seulement l'art de fabriquer les idées, mais aussi l'art de la perception sensible—sont affaire d'expérience et d'habitude. C'est de l'éducation et des circonstances extérieures que dépend tout le développement de l'homme. En d'autres termes, Condillac s'efforçait d'expliquer toutes les idées à partir des sensations de l'individu humain, par les combinaisons de ces sensations et les associations habituelles entre elles; c'était un « sensualiste » et un « idéologue ».

Since philosophers do not write down all they think, there are logical spaces in every text. The commentator's job is to bridge these, relying upon the implications of his author's statements. He usually works on the assumption that his philosopher is a rational and, therefore, a consistent thinker. When he has to contend with statements that are ambiguous, elliptical or apparently inconsistent, or with logical gaps that are unusually wide, he chooses the interpretation that confers the maximum coherence upon the theory under review. There are hard choices to be made, especially when the philosopher has avoided committing himself explicitly on a central point. Where the philosopher has been silent, is the critic allowed to speak? It is presumptuous of him to do so, no doubt, but, I think, warranted if the philosophical theory is thereby strengthened.

Dans un contexte que l'on verra dans un moment, l'hérésiologue Hippolyte attribue à Héraclite les mots suivants: θνατoι θνητo, θνητo θνατoι, ζντεs τòν κεἰνων θνατoν, τòν, δ κεἱνων βoν τεθνετεspour ne rien préjuger de leur sens, il faut les traduire aussi littéralement que possible: « immortels mortels, mortels immortels, vivant la mort de ceux-là, mourant la vie de ceux-là » ; toutefois, on ne prend pas un grand risque en introduisant une copule entre le premier et le deuxième mot, entre le troisième et le quatrième, et en supposant une liaison causale entre les deux parties du fragment; on aurait alors, rejoignant à peu près la traduction proposée par Diels: « les immortels sont mortels, les mortels sont immortels, car la vie des uns est la mort des autres, et la mort des uns est la vie des autres. »

Atribuer la perception à toutes les monades, et pas seulement aux esprits, devait faire aussitôt problème et orienter par la suite l'histoire du leibnizianisme. Le problème se trouvait posé, en premier lieu, par certaines ambiguïtés de Leibniz, quand il fonde les phénomènes psychologiques sur la géométrie projective de l'expressio, transpose les formes d'Aristote dans le contexte d'un siècle cartésianisé, se sert de l'analogie pour conclure; en second lieu, par la difficulté intrinsèque de la question; en troisième lieu, animer toutes les monades ne revenait-il pas à accorder que la matière peut penser? ou bien, ne s'exposaiton pas à verser dans le spinozisme? Il était donc prudent de réserver la perception aux seuls esprits. Wolff trahissait ainsi la monadologie. Mais à peine croyait-on avoir sauvé la distinction des deux substances en réduisant les simples monades aux Atomi Naturae de la Monadologia physica, qu'à partir de la métaphore des points animés on allait faire de l'esprit une production de la nature, avec le matérialisme, ou de la nature une production de l'esprit, avec la Naturphilosophie. On essaiera plus loin de donner une idée de cette histoire du leibnizianisme.

It has often been remarked that the dramatic element of the Platonic writings is unique in philosophy, and there have been many attempts to account for its presence. Recently there has been a greater tendency to see it as more than mere ornamentation or naturalism, as an essential element in understanding the philosophy of the dialogue. The one unquestionably authentic statement by Plato on philosophical writing is in the Phaedrus where Socrates, who wrote no philosophy, is made to criticize treatises because, among other things, a treatise “rolls everywhere, equally to those who understand it and to those for whom it is not fitting, and does not know to whom it should speak and to whom not” (275e). Plato, who did write philosophy, wrote no treatises, and it is reasonable to expect that he regarded the dialogue form which he employed as free from the objections to treatises.

Le terme « cosmologie » a pour nous certaines résonances. Depuis la reformulation de la nomenclature des disciplines philosophiques au dix-huitième siècle par Christian Wolff on identifie assez volontiers la cosmologie à ce que les Médiévaux appelaient philosophia naturalis. Cela ne signifie pas que Wolff ait défini l'objet de la cosmologie à la fa¸on de Thomas d'Aquin comme étant l'être mobile (ens mobile). Pour lui, le monde comme ensemble des êtres finis en liaison réciproque, tel qu'on pourrait le déduire de l'ordre intemporel des substances, est l'objet de la cosmologie. Et pour toute fin pratique ces êtres finis sont des corps. Jusqu'à nos jours les traités de philosophie scolastique ont conservé en gros la nomenclature wolffienne des disciplines tout en leur donnant un contenu plus authentiquement scolastique. Quoi qu'il en soit, je donne ici un autre sens au terme de cosmologie. Plutôt qu'à la philosophia naturalis des Médiévaux ou à la cosmologie wolffienne je songe à la cosmologie de Whitehead, dont l'ouvrage principal Process and Reality porte en sous-titre An Essay in Cosmology.

Une des façons de demander ce qu'est la philosophie est de demander simplement « qu'appelle-t-on penser ». Car en un sens, la philosophie n'est que la pensée prenant pleine conscience d'elle-même. Le fait que deux penseurs hautement originaux, suivant pourtant des chemins indépendants, révèlent de frappantes similitudes dans leur réponse à cette question, peut apparaître comme une confirmation de l'authenticité de leur pensée respective.

The purpose of this paper is to show that we should dispense with the concept of immediate awareness, when it takes for its object the existence and nature of our sensations and images.

The question of whether we are immediately aware of the existence and nature of our sensations and images cannot be answered in a reasonable manner unless we have a firm grip on the concept of immediate awareness. Philosophers who have employed it have usually employed it in such a way that the word “immediate” in the corresponding phrase “immediate awareness” describes both the nature of the awareness and how it came to have that nature. When it describes the nature of the awareness “immediate” means “incorrigible”.

Self-knowledge is a permanent and necessary aim for man. By ‘self-knowledge’ I mean the knowledge of oneself as a human being; the understanding of what it is to be a human being; the grasp of human nature as such. There are many sides to this knowledge: the sciences and social sciences, the arts, history, reflexion on day-to-day experience. Philosophy has traditionally been seen as a road that can lead towards self-knowledge. What I propose here is an essay in the philosophy of self-knowledge. It is a study of one aspect of human nature among others, namely human embodiment.

On rencontre encore cette idée d'une triple révolution: Copernic, Darwin, Freud. La première phase fera l'objet de nos réflexions. Elle a été conçue par Freud comme une blessure au narcissisme humain. « Le narcissisme universel des hommes, leur amour d'eux-mêmes, nous dit Ricœur expliquant Freud, a, jusqu'à présent, subi trois sévères coups de la part de la science: ce fut d'abord la position centrale de la terre qui fut contesée par Copernic, puis … « Freud lui-même nous dit que pour l'homme pré-copernicien » la position centrale de la terre indiquait qu'elle jouait un rôle dominant dans l'univers et concordait avec la tendance qu'il avait à se considérer comme maître du monde «. Et à l'époque de Freud des historiens de la science abondèrent dans le même sens: au « moyen âge », la terre et l'homme étaient au centre de l'univers et cette position était la plus honorable.

The etymologizing which forms the torso of the Cratylus gives way, in the final pages, to an interesting, but brief, discussion of Heraclitean Flux. The transition is made on pages 437–8. Knowledge of reality through names has proved elusive because the names yield contradictory theses (411ff. versus 436–7). This being so, it is argued that the truth is only to be obtained by a direct acquaintance with reality (ta onta, 438E).

Two uses of the word “substance” are relevant in connection with John Locke, although he makes no effort to distinguish them. One use is such that a man, a cherry and (a piece of) lead all necessarily count as kinds of substances. That is, “A man is a substance” and “A cherry is a substance” are necessarily true simply in virtue of how “substance” is used. Given that “a man” is used in an ordinary way, the claim that a man is a substance is no more contentious than the claim that a man is human or that a red substance is a substance.

In a deservedly esteemed paper, Donald Davidson has argued “that rationalization [that is, the explanation of an action in terms of reasons, in the sense in which “the reason explains the action by giving the agent's reason for doing what he did”] is a species of ordinary causal explanation” (685). Davidson himself, of course, in putting his own view forward, knowingly opposes a relatively widespread tendency to deny the thesis. I wish, in turn, to attempt to redeem the doctrine that there is a difference between explanation by causes and explanation by reasons, but I find that it cannot be done, so to speak, by reversing the clock: Davidson's arguments are very telling and the defence of the distinction must, I believe, support a significantly diminished claim. So, for example, I think we must go the distance with Davidson in admitting that “to describe an event in terms of its cause is not to identify the event with its cause, [and that] explanation by redescription … [does not] exclude causal explanation” (685); also, that there is no convincing reason “why on earth … a cause [should] turn an action into a mere happening and a person into a helpless victim” (700).

Writers on jurisprudence often stress that conflict between positive laws and morality does not invalidate the positive laws. A law which requires me to compensate another for an injury caused by a dangerous object kept on my property is not invalidated by the fact that I have not been negligent and have no moral obligation to compensate the injured person. And although I have a moral obligation to keep my promises, positive laws may validly imply that I need not keep promises not made for a consideration or under seal. Thus positive law may permit acts not permitted by morals and may forbid acts permitted by morals. The lesson drawn from these thoughts is that to establish a positive law as valid we need not consider the relationships it bears to the rules of morals. A valid law is simply a law created in accordance with the constitutional conventions or ‘rules of recognition’ of the society in which it is to be applied. It is the manner of its establishment, not its relationship to morals, which makes a law valid.

Parmi les théologiens catholiques du vingtième siécle, Karl Rahner jouit d'une autorité incontestable et d'une popularité qui lui est venue comme par surcroît. Il va sans dire que la popularité non recherchée est celle qui a le meilleur aloi. Ses travaux ont renouvelé pratiquement tous les secteurs de la théologie; ses érits ont été traduits en de multiples langues; le Lexikon für Theologie und Kirche a été réédité sous sa direction et suivant les axes majeurs de sa pensée; d'un mot, il fait école.

Questions about universal and exclusive terms have often arisen in the history of philosophy, and are connected with what, in more recent discussions, has been variously called the principle of “excluded opposites”, “polar opposites” or “non-vacuous contrasts”. This principle has been employed by a number of linguistically-minded philosophers and has in turn been criticized by other philosophers. These critics are, I believe, largely correct, but they have advanced their criticisms in a mainly informal way, making little reference to logic. I want to show that there are various types of universal and exclusive terms which can be classified in a logically rigorous way, and to go on to show that reference to this classification, together with an analysis of relevant examples, enables us to bring out precisely what is wrong with “the principle of excluded opposites”.

There are certain recurring objections to Locke's theory of legitimate government and the conception of natural rights on which it is based. These objections generally take the form of showing that most of Locke's claims in the Second Treatise stand largely as ad hoc assertions, defended—if at all—not by philosophical argumentation but by appeals to theology or intuition. These criticisms might be called external criticisms of Locke's theory because they focus, not upon the coherence of the theory or the perplexities which prompted Locke to adopt it, but rather upon the justifications (or lack of them) for that theory. Important as these criticisms are to an ultimate evaluation of Locke's success, my purpose here is neither to reiterate them nor to defend Locke against them. Rather I want to develop a purely internal criticism of his view. For I shall argue that upon any acceptable interpretation of at least one of Locke's central natural rights claims, this claim will not be able to perform the crucial task envisioned for it by Locke—namely, provide a key premise for the moral justification for passing from a pre-civil society to a civil society that is responsible to its citizens.

Un philosophe ne meurt que dans la mesure où sa pensée ne nous est plus présente, dirait Marcel. Nous croyons donc rendre hommage au Père Racette en continuant dans la philosophie contemporaine la recherche, si bien commencée chez Merleau-Ponty et Michel Henry, du sens du lien au corps.

Dans l'ordre historique, le point de départ servant de donnépivot s'avère le dualisme cartésien. Depuis que Platon a regardé l'homme comme menant deux coursiers tendant sans cesse à diverger de direction, l'un figure de l'âme, l'autre du corps, un dualisme ontologique est né qui a toujours trouvé place en philosophie. Saint Thomas, sous l'influence néo-platonicienne, a vu une pénétration de la lumière de l'esprit dans les sensibiliés supérieures et de là dans les sensibilités inférieures.

Que la tâche de fonder la morale soit particulièrement ardue, nul n'en doute, et la diversité des positions philosophiques en ce domaine nous incline à souscrire à la formule célèbre de Schopenhauer: « Prêcher la morale est chose aisée, la fonder chose difficile.» Tout penseur qui forme le dessein de fonder la morale est done en droit de se demander si un tel problème ne passe pas l'entendement humain et s'il sera jamais possible à l'homme de le résoudre. « Quel est le fondement de la morale ? », voilà une question qui semble s'imposer tout naturellement à notre réflexion, dût-elle par ailleurs demeurer sans réponse. Et pourtant, n'y a-t-il pas lieu de mettre en question la question elle-même et de s'interroger sur sa légitimité? Si une telle interrogation paraît, à première vue, insolite, c'est sans doute parce que, lorsque nous parlons de «fonder la morale», notre pensée s'oriente d'emblée vers la recherche du fondement (Grund), sans que l'on songe à mettre en doute le « bien-fondé » de l'acte même de fonder (Grundlegung). C'est précisément pour souligner notre intention de ne point éluder une question aussi radicale que nous avons formulé le thème de notre réflexion de la manière suivante: « Peut-on et doit-on fonder la morale ? ».