Nous venons de prendre de graves décisions dans l’ordre économique et social de notre pays. L’heure n’est plus d’en discuter l’oppoxtunité mais d’en apprécier les conséquences.

Le taux des rémunérations a été relevé, le principe d’un minimum de salaire a été posé et adopté dans nombre d’industries, la réduction des heures de travail est décidée en certains domaines et s’imposera bientôt à l’ensemble de l’activité industrielle, le régime des commissions paritaires et des conventions collectives sera généralisé, l’assurance-chômage sera rendue obligatoire, le sort des chômeurs sera amélioré, des dispositions vont être prises en vue d’abaisser l’âge de la retraite, lȧ politique des travaux publics sera activement poursuivie en faveur plus particulièrement d’entrepxises de caractère social. Telles sont les grandes lignes du programme social de notre gouvernement.

Nous ne cachons pas que ces décisions et ces projets flattent très agréablement nos sympathies sociales. Mais si, en cette matière, ainsi que l’affirme Auguste Comte, il appartient au cœur de suggérer nos problèmes, il convient cependant de ne pas oublier que c’est à l’intelligence que revient la délicate mission de les résoudre. Y a-t-on suffisamment songé ? A vrai dire, nous n’oserions l’affirmer. Nous sommes inquiets et vraiment, peut-on nous faire un grief de nos appréhensions quand on considère d’une part l’enjeu des décisions prises et d’autre part, les conditions éminemment troublées et instables au milieu desquelles nous avons délibérément choisi de tenter une expérience. S’est-on vraiment engagé dans la voie qui, toutes autres choses demeurant égales, améliorera le bien-être de nos populations, ou s’agit-il d’une aventure dont nul ne prévoit le lendemain ? Ne s’est-on pas forgé, une fois de plus, quelques dangereuses illusions auxquelles nous risquons un jour de sacrifier quelques-uns de nos biens les plus précieux ou encore, n’avons-nous pas imprudemment décidé de suivre des exemples dont les enseignements doivent encore être appréciés ? Les considérations qui suivent n’ont d’autre objet que de jeter quelque lumière sur cette grave question.

A côté des études approfondies publiées dans ce bulletin par A. Wibail (1) sur l'évolution économique de la sidérurgie et des charbonnages beiges depuis 1830, il était indiqué, arm d'avoir une idée claire sur les mouvements de fond de l'économie beige, d'analyser l'évolution de notre industrie agricole, industrie de base et facteur essentiel de l'activité économique de notre pays.

Ce travail paraissait d'autant plus utile que, jusqu'à ces derniers temps, l'on s'est presque toujours inspiré, dans l'étude des prix, de l'indice anglais de Sauerbeck. Or, cet indice est établi d'après les prix de gros des matières premières, des produits finis et demi-finis faits sur le marché de Londres, c'est-à-dire surtout de marchandises du commerce international. L'agriculture cependant donne lieu à une masse énorme de transactions, qui représentent un pourcentage du commerce total d'autant plus grand que l'on remonte plus haut vers les premières années de la période étudiée. Un indice négligeant l'importance des denrées agricoles nationales permet donc difficilement une étude approfondie du mouvement général des prix. Il est évidemment utile d'étudier les prix des produits groupés par catégorie et de les suivre dans leur évolution.

I.— La cause réelle de la dévaluation.

Les causes immédiates de la dévaluation monétaire survenue en Belgique fin mars 1935, furent l’ébranlement du crédit et une nouvelle baisse de la Livre sterling, mais les causes réelles et profondes furent essentiellement d’ordre économique. Ce sont les déséquilibres entre les prix de revient et les prix de vente manifestés par un trop grand écart entre les prix de détail et de gros, qui sont à l’origine de nos difficultés monétaires. La marge bénéficiaire de l’industrie et de l’agriculture avait disparu parce que les indices des prix de gros qui reflètent les prix de vente étaient plus fortement tombés que les indices des prix de détai1, qui correspondent davantage à l’allure des prix de revient.

La théorie de l’équilibre économique, élaborée par Marshall et reprise sans modifications essentielles par ses successeurs, était presque entièrement confinée au cas de la concurrence, le monopole étant considéré comme une exception peu commune et étudié à l’aide d’une technique spécialement réservée à son usage. La partie essentielle, la théorie de la valeur régie par la concurrence, trouvait son expression la plus connue dans le diagramme représentant les courbes de l’offre et de la demande. Ces deux courbes étaient regardées comme une représentation satisfaisante et particulièrement frappante des causes essentielles qui déterminent la valeur des biens économiques, leur intersection indiquant le point où l’équilibre est réalisé. I,’analyse, reposant sur des hypothèses simplificatrices parfois sous-entendues et souvent formulées d’une manière peu précise, est simple et fort théorique et la tendance des successeurs de Marshall était vers une exposition plus simple encore. Le résultat fut de transformer la théorie de la valeur en une conception purement académique, n’ayant que des rapports lointains avec le monde économique réel, destinée à des buts pédagogiques mais n’ayant qu’un champ d’application extrêmement restreint sinon inexistant dans le domaine de l’économie appliquée.

Le chemin de fer, en apparaissant au début du XIXe siècle, a bouleversé complètement la vie économique des peuples. Pendant le premier quart du siècle passé, deux inventions importantes arrivaient à maturité: d’une part les « ornières de fer », c’est-à-dire des rails métalliques de forme plus ou moins perfectionnée sur lesquels roulaient les chariots à traction musculaire, d’autre part la machine à vapeur. L’association de ces deux éléments donna le chemin de fer tel que nous le concevons aujourd’hui.

Dès le début du XIXe siècie la locomotive servit dans l’industrie privée pour le transport de la houille. Le 27 septembre 1825, l’Angleterre inaugura le premier chemin de fer public, destiné au transport des marchandises entre Stockton et Daxlington près de Newcastle. Sur le continent, la Belgique fut la première à suivre cet exemple et se mit, dès 1835, à construire son réseau ferroviaire.

Le but de cette étude est la recherche des points de saturation ou d’inversion de tendance dans l’évolution des chemins de fer helges, considérée sous tous ses aspects.

Après avoir réuni le matériel statistique, nous allons procéder à une étude analytique dans l’ordre suivant :

D’abord nous examinerons la manière dont le réseau des lignes de chemin de fer s’est étendu et rechercherons le moment où les possibilités d’extension ont été épuisées. Alors nous tournerons le regard vers le développement des voies, afin de voir comment le réseau s’est transformé en lui-même, pour s’adapter à l’activité du pays. Cela nous mène tout naturellement à considérer le trafic, qui est l’expression directe de l’activité du railway.

Les méthodes d'analyse qui ont présidé aux développements récents de la théorie de l'équilibre économique et plus particulièrement de la théorie de la valeur ont fait l'objet d'une étude précédemment parue dans ce Bulletin (2). Dans le présent travail, nous nous proposons d'appliquer ces méthodes à un cas bien particulier à savoir celui de biens économiques dont la demande dans un pays est telle que sa satisfaction fait apfiel à la fois à la production nationale et à la production étrangère, tel le charbon consommé en Belgique, qui est partiellement produit par l'industrie charbonnière beige et partiellement importé de l'étranger.

L'importation de marchandises de ce genre donne lieu, depuis les dernières années surtout, à un certain nombre d'interventions gouvernementales dont les plus communes sont la fixation de contingentements d'importation et l'imposition de taxes d'importation. Ces interventions, quelle que soit leur nature, ont sur l'organisme compliqué qu'est l'économie d'un pays, des répercussions tellement nombreuses, qu'il est sans doute vain d'essayer de les prévoir toutes. Mais parmi les réactions très diverses que ces interventions sont susceptibles de provoquer, il en est de particulièrement caractéristiques, qui se prêtent mieux que d'autres à l'analyse économique et qui d'ailleurs constituent en règle générale l'objet immédiat de ces interventions. Nous avons cité les réactions propres à l'industrie nationale qui produit la marchandise en faveur de laquelle des mesures particulières sont prises par les pouvoirs publics.

Le but de ce travail fut de rechercher les facteurs influençant les résultats financiers de l’exploitation, pendant l’année 1934. Les résultats d’études de ce genre permettent de comparer les résultats comptables des exploitations avec les moyennes régionales. Dans ce but, M. Kinget visita en décembre 1934, 34 exploitations et obtint les renseignements relatifs à l’année 1934 en se servant d’uu formulaire approprié. Ces informations furent, pour autant que possible, extraites de comptabilités et documents; lorsque ceux-ci faisaient défaut, les chiffres sont des estimations consciencieuses. Les réponses obtenues étant confidentielles, on n’a reproduit dans ce bulletin que les moyennes relatives aux groupes considérés.

Au cours des années qui SF sont écoulées depuis le début de la crise, nous avons commencé notre exposé en signalant les efforts du gouvernement, efforts chaque année plus accentués, en vue de réduire les charges sociales de l’État, notamment en matière de pensions de vieillesse et de chômage.

Rappelons que certaines lois avaient été votées en 1929 et 1930, à une époque où les finances de l’État étaient prospères, et où on s’était fait illusion sur les possibilités financières de l’avenir.

Les réformes adoptées au cours des années écoulées ont fait disparaître des abus que le législateur n’avait pas prévus; quelle que puisse être dans l’avenir l’amélioration des conditions économiques, il n’est pas question de revenir sur semblables mesures; cette politique doit être poursuivie, et c’est un des buts invoqués par le gouvernement pour justifier la réforme adoptée dans le courant de l’année en matière de chômage.

Le mouvement de grèves qui s’abattit sur le pays au cours du mois de juin et parvint à obtenir pour les populations ouvrières des hausses substantielles de salaires, a affiecté soudainement l’équilibre des forces agissant sur la conjoncture économique. L’avenir seul nous permettra de mesurer exactement les conséquences de ce fait nouveau; il importe cependant que nous cherchions à en apprécier, avant tout examen de la conjoncture économique, les répercussions possibles et probables, à la lumière des enseignements de l’histoire et de la doctrine économique. C’est ce que nous essayerons de faire aussi brièvement que possible.

L’analyse nous oblige à faire une distinction très nette entre les moyens utilisés en l’occurrence et les résultats acquis. Pour apprécier la conjoncture économique immédiate, ces derniers doivent être étudiés en eux-mêmes, sans que cela nous dispense de dire un mot des premiers, qui jettent l’incertitude dans les prévisions industrielles; la facilité des conquêtes peut, en effet, amener les bénéficiaires à nourrir de nouveaux espoirs, jusqu’au moment où les faits auront pu infliger des démentis à des réformes radicales qui ont été acceptées inconsidérément dans certains autres pays.

Il convient, par conséquent, de déplorer hautement que les hausses de salaires aient été accordées à la suite de mouvements de grèves nés en dehors des organisations syndicales, et à l’instar de mouvements de mécontentement social suscités en France par la poursuite de la déflation. En Belgique on eût pu s’attendre à mieux qu’à des cahiers de revendications dressés hâtivement au cours des événements. Même si l’on a pu, cette fois, éviter les promesses les plus graves de conséquences, il reste vrai que de pareils événements ne pourraient se renouveler sans troubler profondément le redressement économique du pays. Ils aboutiraient fatalement à des excès et à des contradictions dans la politique de redressement économique.

Tant du point de vue de son organisation que du point de vue de son évolution, le marché du travail en 1935 témoigne d’événements importants et d’initiatives remarquables. Une politique de rénovation économique devait d’ailleurs s’attacher d’une façon spéciale à résoudre les problèmes qui se posent en ce domaine particulier et c’est la signification et la portée des mesures prises ainsi que des réultats obtenus que nous nous proposons de mettre en lumière et de discuter.

I. — L’organisation du marché du travail.

La création d’un Office National du Placement et du Chômage constitue le fait notable de l’année. Comme la fondation de ce nouvel organisme semble devoir être une étape marquante d’une assez longue et lente évolution, quelques considérations d’ordre historique sur l’organisation de notre marché du travail s’imposent.

Au cours de l'automne et de l'hiver derniers le redressement économique de la Belgique s'était poursuivi à une allure trés rapide. II était manifeste que le rythme d'expansion ne pouvait pas se maintenir à cette cadence et de divers côtés une légère fatigue se manifestait, lorsque la tension internationale résultant de l'occupation militaire de la Rhénanie est venue peser lour dement sur les opérations commeciales. Le contre-coup sur l'activité même des usines semble toutefois encore fort modéré et le redressement saisonnier du marché du travail a pu contrecarrer heureusement les quelques ralentissements d'activité résultant d'autres causes.

D'autre part, les conditions générales des marchés en Belgique et dans la « sterling area » restent saines et favorables à l'expansion. Les tensions monétaires se sont, par contre, accentuées en Europe et la Belgique ne peut éviter de considérer quelles seraient les répercussions d'ébranlements monétaires importants sur son système des prix et sur certains courants commerciaux.

Au cours des derniers mois le redressement économique, qui a débuté en avril et s’était poursuivi à une allure plus lente au cours des mois d’été, a repris un élan nouveau : le mois d’octobre a notamment vu un accroissement très généralisé de l’activité industrielle. Parallèlement il s’est d’ailleurs opéré des adaptations de prix et de rémunérations, qui ont plus attiré l’attention générale que l’amélioration fondamentale dont elles sont le corollaire. A aucun point, ces hausses n’ont d’ailleurs mis l’économie belge en danger, car elles restent dans les limites des réactions secondaires de la dévaluation, qui ont été prises en considération pour fixer la position d’équilibre par rapport à la « sterling area ». Ajoutons que les récentes hausses de prix ont, en partie, un caractère international.

Les statistiques complètes du troisième trimestre de l’année indiquent que depuis le deuxième trimestre il n’y a eu que peu de changement dans le commerce extérieur, mais que quelques discrètes et légères tentatives de progrès ont été enregistrées sur le marché intérieur ainsi que le montrent l’index de la production et les chiffres du chômage. Les relevés de septembre sont pourtant moins favorables que ceux du mois d’août; il est peu vraisemblable que le chômage total diminue pendant les deux mois suivants, au cours desquels une diminution saisonnière dans certaines industries est compensée par une augmentation dans d’autres. Il est assez improbable que l’industrie de l’acier et celles qui en dépendent maintiennent leur rythme d’accroissement des derniers temps; il dépend partiellement de la politique de réarmement.

Cette année, l'augmentation du degré d'emploi a été strictement parallèle à celle de 1934 et de 1935. Abstraction faite d'une augmentation du chômage temporaire dans l'industrie des mines, le progrès enregistré en avril de cette année a été supérieur à celui d'il y a un an. La production d'acier a de nouveau fortement augmenté dépassant le mois dernier la moyenne de 1924 de plus de 50 %. I,es importations de matières premières et de produits demi-finis ont également augmenté. L'arrêt des exportations s'étant maintenu en avril sans aucun indice de changement, il apparaît que l'augmentation de production qui est même plus rapide que celle du degré d'emploi est nécessitée par le marché intérieur. C'est pour ce motif qu'on peut s'attendre à une augmentation de l'occupation dans les industries transformant l'acier. La continua¬tion de l'activité de la construction demeure pourtant en suspens.

L’histoire des finances publiques en 1935 fut très mouvementée. Les trois premiers mois furent sombres. Les recettes étaient moindres qu’un pessimiste Ministre des finances ne l’avait prévu. Les dépenses s’alourdissaient (allocations de chômage pensions) ou étaient incompressibles (service de la dette publique, minimum de traitement garanti par l’Arrêté Royal du 30 janvier 1935). A la fin du trimestre, on pouvait craindre que le déficit annuel ne soit pas éloigné d’un milliard. C’est alors que la rude secousse de la dévaluation remit d’aplomb notre économie. La reprise fut bienfaisante pour les particuliers et pour les finances publiques. Le déficit fut pratiquement résorbé et le Gouvernement put présenter pour 1936 un budget qui comporte quelques dégrèvements, et dont l’équilibre semble cependant assuré. C’est cette étonnante évolution que nous allons retracer avec plus de détails. Commençons toutefois par commenter les résultats des budgets de 1933-1934.

C’est de cette étude sur les finances privées en Belgique que relève à proprement parler l’examen des conditions techniques de la dévaluation du belga, dont le fait apparaît, dans les différents travaux réunis dans ce bulletin, comme le pivot de l’évolution économique du pays, durant l’année 1935.

Sur l’opération monétaire qu’un ensemble de circonstances aurait difficilement permis d’éviter, commence à s’accumuler une littérature assez abondante. Sans entrer dans les détails, qu’il nous soit permis de rappeler :

1o) que les causes lointaines et profondes de la dévaluation ne furent point d’ordre monétaire, mais bien d’ordre économique. Depuis la baisse des monnaies de compte sur les grands marchés mondiaux (livre sterling et dollar) et l’effritement progressif des cotations de matières premières, le problème s’était posé au pays, de plus en plus aigu, de réadapter ses prix intérieurs aux prix internationaux;