Lévolution de la législation sociale pendant l’année 1933 se caractérise spécialement par l’introduction de dispositions nouvelles inspirées par la situation financière.

Le déficit croissant a nécessité, dans le courant de cette année, l’adoption d’une série de mesures importantes : une grande place est occupée, parmi celles-ci, par les réformes rendues nécessaires par les abus constatés dans l’application de certaines lois sociales.

Déjà en 1932, certaines modifications que nous avons signalées l’année dernière (1) avaient été adoptées. Nous annoncions à ce moment qu’il ne s’agissait que d’un début, et que la révision de certains textes législatifs ou réglementaires devrait être poursuivie en 1933. Cette poursuite s’est faite énergiquement, grâce aux pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement par la loi du 17 mai 1933.

Le problème du chômage demeure un des plus préoccupants de l’heure. Il continue à requérir l’attention des économistes et celle des pouvoirs publics. On ne s’étonnera donc pas que nous lui accordions encore une place importante dans le présent annuaire. Ceci bien que, à notre avis, la Belgique n’ait pas été jusqu’ici un pays où la main-d’œuvre soit en excès d’une façon permanente, et bien qu’elle ait souffert du chômage dans une mesure moindre que la plupart des autres nations industrielles.

Rappelons que la Belgique ressentit les premières manifestations de la crise vers juillet 1929, et surtout en novembre, quand le marché diamantaire d’Anvers fut atteint par les conséquences du krach de Wall Street. Le chômage ne fit son apparition qu’au printemps de 1930, et il demeura bénin jusqu’en 1931. Survint alors la chute de la livre sterling, dont les conséquences furent redoutables. Certes, le pays ne fut-il pas touché dans ses œuvres vives, mais le chômage s’aggrava sérieusement durant toute l’année 1932.

La régression du commerce extérieur du Congo Belge qui, pour l’année 1931 s’était déjà révélée importante par rapport à l’année 1930, s’est encore accentuée dans une mesure notable au cours de 1932.

A l’aide de la statistique officielle, il nous sera permis de préciser l’ampleur de ce nouveau recul et de déterminer quels éléments de l’économie coloniale en ont été le plus ou le moins affectés.

Pour faire cette démonstration, nous suivrons la marche adoptée dans les chroniques précédentes. Nous utiliserons d’abord les totaux du commerce spécial, qui serviront de base à donner une vue d’ensemble; ensuite, pour une analyse plus approfondie, nous aurons recours aux totaux des groupes principaux de marchandises représentant environ 97 % de l’ensemble tant à l’exportation qu’à l’importation. Les groupes correspondent aux facteurs essentiels de l’activité industrielle et commerciale de la Colonie. Cette étude se bornera en général à la comparaison entre 1931 et 1932.

Avant de passer en revue la situation de l’industrie sidérurgique belge au cours de l’année 1933, il nous paraît intéressant de revoir certains aspects de son évolution générale depuis la guerre et de rattacher en même temps cette période aux quelque dix années qui l’ont précédée. Un graphique qui résume cette évolution servira de base à notre aperçu; il est divisé en quatre parties, l’une relative à la production, l’autre à la consommation de matières premières et enfin, les deux dernières, à la productivité. Dans la première partie les productions belge et luxembourgeoise de fonte et d’acier sont comparées à la production mondiale; les lignes de pourcentage sont dessinées en dessous.

Au point de vue du mouvement général de la production, nous remarquons qu’il a fallu attendre les années 1923–1924 avant d’atteindre les niveaux d’avant-guerre. Il y a eu, immédiatement après la guerre, une période de reconstitution, ce qui fait que si l’on envisage la période 1920–1933 seule, le rythme de l’évolution semble avoir été rapide et même exagéré; mais comparée à celle d’avant-guerre et compte tenu des années de réorganisation, l’évolution est au contraire relativement lente. On se rappellera en effet que depuis 1886–1890, le rythme général moyen de la production de fonte est passé pour la Belgique de 2,10 % à 4,60 % par an après 1905, et pour le monde de 3,5 % à 6 % vers 1900, pour redescendre à 3,7 % avant la guerre; pendant la période de dépression de longue durée qui précédait, il s’était maintenu d’une part à environ 2,10 %, d’autre part vers 3,75 %. De 1923 à 1928 le rythme réel d’accroissement de la production mondiale de fonte a été de 5 % par an; or ce sont précisément des années d’essor cyclique, la progression moyenne est donc certainement beaucoup plus faible, mais il n’est pas possible de l’apprécier exactement, la période envisagée étant trop courte pour calculer une ligne de tendance ou une ligne de vitesse moyenne. Il en résulterait cependant que nous sommes actuellement en période de « stagnation » ou de dépression de longue durée. Si on considère d’autre part la production d’acier brut, l’évolution semble plus rapide : la production de 1928 représente 186,6 % de celle de 1911 tandis que 1932 nous ramène au niveau de 1906; pour la fonte 1928 est égal à 141,5 % de 1911 et 1932 à 1901, mais cela s’explique. Un calcul analogue à celui fait ci-dessus nous indique que pendant les cinq années d’essor 1923–1928, le progrès moyen réel fut de 7,2 %; mais pendant l’essor de 1909 à 1913 il avait été de 9 %. D’autre part il faut aussi tenir compte du fait que l’acier continue à se substituer de plus en plus au fer dans ses diverses applications; sa production doit donc se développer plus rapidement que celle de la fonte.

En dehors de l’industrie électrique et des industries verrières, la plupart des branches d’activité qui sont passées en revue dans cette chronique sont des industries transformatrices ou appartenant à l’industrie dite « moyenne », où les liens qui unissent, dans les entreprises même, le travail — de direction au moins — et le capital, sont personnels et étroits. En tout cas les quelques exceptions qu’on rencontre à cette règle, datent de la période d’après-guerre ou tout au plus du début du siècle.

Un autre phénomène caractérise ce genre d’industrie; les entreprises y pratiquent l’ancienne forme d’expansion (le réinvestissement partiel des bénéfices) et exceptionnellement seulement l’appel au marché financier pour des capitaux nouveaux.

La sensibilité de ces industries à la conjoncture ne peut être synchronique et uniforme, puisque le groupe comprend toute la gamme depuis des industries de luxe, comme l’industrie diamantaire, et une industrie de base, telle l’industrie électrique, jusqu’aux industries alimentaires dont la résistance à la crise a été maintes fois soulignée par les publicistes.

Après l’effort de redressement budgétaire en décembre 1932, succédant aux tentatives similaires de mars et de septembre, on pouvait espérer que l’équilibre du budget de 1933 était assuré. Malheureusement, les sacrifices considérables demandés en décembre (1.650 millions d’impôts nouveaux et 350 millions d’économies budgétaires) s’avérèrent encore insuffisants. Fin mars 1933, un mois à peine après le dépôt tardif du budget des Voies et Moyens sur le bureau du Parlement, le Ministre des Finances devait déclarer que les recettes ne répondaient pas à l’attente et fléchissaient profondément, alors que les dépenses de chômage et de pensions s’accroissaient démesurément. Le Gouvernement avouait avec loyauté que les mécomptes du côté des recettes s’élevaient à 510 millions et à 390 millions de francs du côté des dépenses.

Pour faire face à cette situation angoissante, le Gouvernement obtint du Parlement une délégation de pouvoirs spéciaux, le 17 mai 1933. Grâce à cette procédure, 65 arrêtés furent pris en l’espace de trois mois, réduisant certaines dépenses, assurant des recettes nouvelles et complétant les opérations de trésorerie. Le déficit réel étant de 959 millions, le redressement budgétaire a porté sur la somme de 987 millions laissant un boni probable de 20 millions au budget ordinaire.

Le marché des valeurs semble s’être installé dans la dépression. L’adaptation ne s’est pas réalisée sans la fermeture de plus d’un bureau de change, sans le licenciement de maint comptable ou délégué qui est venu grossir le nombre des employés chômeurs. Mais dans l’ensemble l’élimination s’est faite d’elle-même sans provoquer l’effondrement d’aucune maison importante. Les affaires se sont contractées, les vides sont devenus plus nombreux parmi les agents qui fréquentent la Bourse, mais sans bruit.

Point n’a été besoin cette année, même au plus fort des difficultés américaines et quand le dollar a commencé à fléchir, de recourir à un syndicat de soutien comme lors de la chute de la livre sterling. Les ventes forcées dont la pression déprimait tant le marché au début de la crise, se sont raréfiées.

En terminant notre chronique de l’an dernier, nous croyions pouvoir envisager l’avenir avec confiance; nous estimons aujourd’hui que malgré les déceptions très réelles que 1933 a apportées surtout dans le domaine de la coordination et de l’harmonie de la vie économique internationale, cette année a justifié la confiance que nous lui faisions. Si son histoire graphique ne présente aucune courbe délibérément ascendante, elle témoigne du moins d’une consolidation de notre résistance aux courants anarchiques de l’activité économique mondiale et d’un raffermissement des positions nouvelles dont nos exportateurs ont pu s’emparer.

La tendance générale à l’autarchie, c’est-à-dire à la diversification des activités économiques de chaque pays de manière à y produire le plus grand nombre possible des marchandises dont il a besoin, a eu pour résultat de renforcer dans les échanges internationaux l’importance relative des produits nécessaires à l’industrie (biens de production) au détriment des produits alimentaires et des objets fabriqués (biens de consommation). Cette tendance oblige la Belgique à donner une place plus importante aux matières brutes dans ses exportations et à renoncer à les transformer elle-même en produits finis dans la même mesure qu’antérieurement. Le tableau suivant permet d’en juger :

Il ne peut évidemment être question dans une étude telle que celle-ci de passer en revue toute l’activité agricole du pays au cours de l’année écoulée, mais plus modestement d’essayer d’en dégager une vue d’ensemble et comme à vol d’oiseau. Ceci permettra de se rendre compte de l’évolution des spéculations animales et végétales par rapport aux années antérieures, de l’allure des principaux marchés, de leur adaptation aux conditions économiques générales et des tendances qui se dessinent pour l’avenir. Pour bien situer l’objet même de cette étude, ses limites et son enchaînement, nous avons cru intéressant de donner ci-dessous l’ordre des divers points rencontrés.

La dépression qui sévit dans l’industrie textile depuis la fin de 1928 et qui s’est accentuée en 1931 au moment de la chute de la livre anglaise et de l’application des droits Runciman, s’est fortement aggravée en 1932.

Au cours de l’année 1933, l’abandon de l’étalon-or par les Etats-Unis au mois de mars, l’instabilité de la livre anglaise, le renforcement de la protection, sous forme de contingentements, dans la plupart des pays, le moratoire des créances privées en Allemagne, le blocage des devises en Argentine et l’âpre concurrence du Japon ont réagi défavorablement sur l’industrie textile, qui n’a pu améliorer sensiblement le niveau particulièrement bas atteint l’année précedente.

L’année 1932 avait été désastreuse pour la Société Nationale des Chemins de fer belges. Le déficit d’exploitation s’était élevé à 168,5 millions. Il avait été couvert, ainsi que la perte provenant des charges financières, par un prélèvement de 287 millions sur le fonds de réserve, ce qui avait réduit celui-ci de 428,5 millions à 141,5 millions. Une telle situation ne pouvait manifestement se prolonger sans plonger la Société dans les plus graves difficultés; son fonds de réserve ne pourrait suffire à combler une deuxième fois la charge d’une perte de cette importance. En outre les travaux de premier établissement, d’entretien ou de renouvellement avaient été fort ralentis, alors que la concurrence des transports routiers, qui s’avère de plus en plus vive, rend de plus en plus nécessaire des améliorations importantes de nos services ferroviaires.

Quatre années de crise, entendue au sens large de ce mot — c’est-à-dire en y comprenant la dépression qui suit la crise proprement dite —, ont maintenant passé sur l’industrie charbonnière belge. L'épreuve semble longue aux optimistes de 1929, et nombreux sont ceux qui, dans le cours de l’année écoulée, ont cru à la ruine définitive des exploitations houillères de nos bassins du Sud, avec une conviction égale à la certitude qu’ils avaient autrefois de leur brillant avenir.

En fait, l’année 1933 a été, pour certaines catégories de combustibles, une période de stabilisation au plus bas; c’était là, comme nous l’écrivions il y a douze mois, le maximum que l’on pût espérer (1). Pour d’autres catégories, une accentuation de la crise s’est même produite; pour toutes, le niveau intérieur des prix sur le marché belge est resté nettement inférieur au niveau mondial. Et l’année écoulée a vu s’accroître de près dé huit cent mille tonnes les stocks de charbon qui encombrent le carreau de nos mines.

Les derniers mois n’ont encore apporté aucun élément de redressement dans le déséquilibre monétaire international et n’ont vu aucune atténuation dans le choc des politiques commerciales à base mercantiliste et autarchique qui s’affrontent. La confusion continue à régner sur toutes les tentatives locales de reprise qui parviennent à se dessiner en Europe.

Le domaine des prix est, sans nul doute, celui où les politiques divergentes maintiennent le plus directement et le plus efficacement un déséquilibre grave. Nous ne soutiendrons point qu’avant 1931 le rapport des prix entre les divers pays européens et les États-Unis était normal; la différence de niveau des stabilisations monétaires, par rapport au degré d’inflation existant au lendemain de la guerre, avait laissé des empreintes profondes et établi des écarts artificiels entre les rémunérations et les prix intérieurs des divers pays. Ces divergences existaient surtout entre les éléments les plus doués d’inertie; aussi n’y avait-il que des adaptations fort lentes et imparfaites.

Les courbes de notre diagramme indiquent en janvier une nouvelle amélioration des conditions économiques. Le cours des actions a haussé considérablement, notre courbe de la spéculation dépassant légèrement le niveau élevé atteint cet été. La fermeté du marché des actions a été accompagnée d’un redressement important des valeurs à revenu fixe. La courbe de l’argent est restée à un niveau bas, et celle des affaires a poursuivi en janvier le mouvement de hausse des mois de novembre et décembre. Les prix des marchandises se sont relevés pendant le mois, à la fois en monnaie actuelle et en valeur or. Bien que certains indices du volume des affaires aient enregistré un recul en janvier, le gain de décembre n’a été entièrement perdu que dans un seul cas important : l’énergie électrique. Les chiffres des deux derniers mois montrent que le recul des affaires, qui avait commencé l’été dernier, a été enrayé, et généralement a des niveaux supérieurs aux minima de l’an dernier. On peut considérer la dévaluation du dollar comme un premier pas pour limiter l’inflation, bien que cette dévaluation ait été importante et ne puisse être tenue pour définitive. Elle a augmenté la confiance, comme le montrent les entrées de capitaux étrangers et la fermeté des obligations.