Les mots de power et de Macht, en anglais et en allemand, de pouvoir ou depuissance, en français, continuent d'être entourés d'une sorte de halo sacré ou, si l'on préfère, d'être chargés de résonances mystérieuses et un peu terrifiantes. Le caractère démoniaque de la puissance (die Dämonie der Macht) est le titre d'un livre, écrit après l'aventure hitlérienne et suggéré par elle. Les spécialistes des relations internationales emploient le terme de power politics, équivalent de la Machtpolitik, non sans quelque équivoque sur le sens de ce concept qui tantôt désigne l'essence des relations entre États et tantôt une doctrine (le plus souvent condamnée) de ces relations. De l'autre côté de la Manche et de l'Atlantique, on ne se lasse pas de citer Lord Acton: «Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument.» Et Montesquieu, avant lui, avait écrit: «C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait? La vertu même a besoin de limites.» Quand C. Wright Mills a voulu dénoncer la minorité dans l'ombre qui règne sur les États-Unis, il a forgé l'expression power elite, reprenant à la tradition machiavélienne un de ces deux termes, elite, et le combinant avec le terme honni par les marxistes et par les radicaux, power. Car le pouvoir (power) est mauvais en soi, il est doublement mauvais si l'on ajoute qu'il est possédé par une élite, car le petit nombre, dans le climat idéologique américain, par définition ne sera pas composé des meilleurs puisque le pouvoir corrompt ceux qui le possèdent.