Peu d'études d'histoire agraire en Belgique jusqu'à ce jour. Dans ce pays de villes, il était fatal que l'attention se portât tout d'abord sur celles-ci. Et ce n'est point un hasard si le grand historien des villes, le grand illustrateur du fait historique et humain de la ville, est aussi le prince des historiens belges de notre temps : Henri Pirenne. Mais voici qu'une importante étude paraît, celle qu'un archiviste aux Archives de l'État à Namur, M. Genicot (devenu, je crois, depuis, professeur à l'Université de Louvain), a consacrée à l'Économie rurale namuroise du basmoyen âge, 1199-1429. Un gros ouvrage. Nous en avons la première partie aujourd'hui. Elle est consacrée à La Seigneurie Foncière.

Un exemple, parmi bien d'autres, d'individualisme agraire nous est fourni par la commune de Séron, enclave des Hautes-Pyrénées, dans les Basses-Pyrénées, d'après le plan cadastral de 1817.

Un bois, communal avant 1789, fut morcelé et partagé, probablement en 1813, au moment de la vente des biens communaux, en plusieurs parcelles à peu près égales (approximativement, une pour chaque habitant). Ces parcelles sont nettement indiquées dans le plan cadastral de la commune de 1817.

Pareillement, des portions rectangulaires de fougères, .servant au pacage et à la litière du bétail et également communales sur la région stérile du plateau, furent attribuées à chaque propriétaire au début du XIX siècle. Ainsi, division de l'ancien bien communal entre les propriétaires. Les manouvriers, journaliers, sont sans doute chassés au début du XIXe siècle de ces communaux au profit de la nouvelle bourgeoisie pay- sanne.

Je ne prétends pas que l'article consacré par Mariano Picón Salas à sa patrie — le Venezuela — soit le plus bel article de ce très riche numéro 4 (juillet-août 1948) des Cuadernos Americanos de Jissûs Silva Herzog, qui vient de nous parvenir. Mais assurément c'est un merveilleux portrait, colorié, dessiné avec art et tendresse, et d'une étonnante vérité humaine… On croit tout comprendre après l'avoir lu.

Notre siècle a vu bâtir deux grandes histoires du Portugal : l'une individuelle — celle de Fortunato de Almeida — l'autre collective — celle de Damiâo Pères. Le XIXe siècle ne nous avait légué, à l'exception du Vieux et illisible Schaeffer, que des oeuvres de proportions réduites ou dont l'horizon n'embrassait qu'une période limitée (c'est le cas des ouvrages diHerculano ou de Rebelo da Silva, ou du très précieux recueil d'Oliveira Martins.

Il semble que la grande Historia de Portugal dirigée par Damiâo Pères n'ait pas encore été signalée dans les revues historiques françaises, quoiqu'elle date déjà de 1929-1935. On ne la trouve couramment citée ni dans les bibliographies générales, ni même à la suite de monographies plus détaillées. Le même sort d'ailleurs avait échu à l'histoire un peu plus ancienne de Fortunato de Almeida. Pourtant on ne peut rien écrire, aujourd'hui encore, sur l'évolution du Portugal sans se reporter à ces deux oeuvres malgré leurs lacunes et leurs indéniables défauts,.

L'histoire des hommes d'affaires italiens du moyen âge tenait, avant 1939, une des vedettes de l'histoire économique. Elle a continué à se développer pendant les sombres années au cours desquelles le monde s'est trouvé fragmenté. D'Italie, des États-Unis, d'éminents spécialistes ont adressé aux Annales des gerbes d'études, publiées pendant ce temps et peu connues encore du public français. Hélas ! la guerre a été fatale, par les inhumaines conditions d'existence qu'elle a créées, à celui qui aurait, mieux que quiconque, su déceler ce qu'elles apportent de nouveau — avec son enthousiasme bourru, son intelligente perspicacité et ses admirables connaissances techniques. A.-E. Sayous, collaborateur des Annalesd'Histoire Économique et Sociale depuis leur fondation, est mort en 1942. C'est en toute modestie et dans le respect de sa mémoire que l'un de ceux qui lui doivent le plus lui dédie ces lignes qu'il aurait tellement mieux écrites.

Le Mexique, un vieux pays. Façonné par une longue histoire, qui ne cesse de peser sur son présent. Semblable en cela aux pays européens, il ne peut se délivrer de son passé. Il s'oppose par là aux pays neufs, les États-Unis, l'Australie, l'Argentine, qui sont libres ou a demi-libres vis-àvis de leur passé… Dans ces conditions, le Mexique, qui veut vivre et s'adapter au temps présent, n'est-il pas obligé, plus qu'un autre, à être révolutionnaire ? La Révolution, c'est la jeunesse du Mexique, peut-être, souvent, le Mexique lui-même.

L'antique malédiction de la Genèse : « Tu mamgeras ton pain à la sueur de ton front » paraît s'arrêter au seuil d'une Polynésie qui n'a jamais connu les hordes de corvéables ou d'esclaves du monde antique ou de notre moyen âge. Rien d'étonnant à ce que le genre de vie de ces îles ait frappé les découvreurs du XVIIIe siècle, plus ou moins frottés d'humanisme, et les philosophes qui, cherchant à découvrir l'homme dans leurs récits, crurent y trouver la peinture d'une eociété soumise aux simples lois de la nature et du bon sens.

Les recherches contemporaines l'ont montré : les choses ne sont pas si simples. Aux voyageurs sympathiques, mais dont le passage rapide, l'insuffisante connaissance des langues et le bagage scientifique sommaire rendaient les observations forcément superficielles, ont succédé les anthropologues et les ethnologues qui s'appliquent à comprendre ce que fut une culture en voie de disparition.

Quand, il y a bien longtemps, je ramassais les documents qui devaient me permettre d'écrire les chapitres d'histoire économique et sociale de Philippe II et la Franche-Comté, — et d'abord mon chapitre sur la Seigneurie, — je butais parfois sur des mentions d'alleux qui me laissaient un peu déconcerté. L'alleu ? on ne m'en avait jamais parlé, ou presque. Sauf pour me raconter, naturellement, l'historiette du Roi d'Yvetot. Mais voilà que je trouvais des « franc-alleux nobles » pour employer la terminologie des juristes comtois : « Terres et seigneuries en haute justice, dont le détenteur n'était tenu à aucun devoir de fief envers un autre seigneur » — sauf, bien entendu (mon juriste, Dunod, est du XVIIIe siècle), « la soumission au roi et à la justice souveraine ». Or, je rencontrais, chemin faisant, des contestations sur telle seigneurie que ses détenteurs prétendaient allodîale, mais leurs contradicteurs féodale ; je tombais, surtout, sur des « chevances allodiales » qui semblaient fort recherchées des acquéreurs.

L'article que Charles Verlinden consacre, dans The Economie History Review de février 1940, à l'expansion commerciale de l'Espagne et du Portugal au moyen âge, est le résumé d'une série de conférences faites à l'Institut des Hautes-Études de Belgique et au Congrès International des Sciences historiques à Zurich ; une simple esquisse, qui annonce un ouvrage plus vaste et qui, en posant en termes clairs des problèmes essentiels, ouvre des voies de recherches d'une singulière portée pour l'histoire générale.

Voici d'abord le problème des sources : c'est pour déplorer que les chercheurs aient si incomplètement dépouillé les traités de commerce et les tarifs de péages et de marchés, qu'ils les aient si mal exploités, et surtout qu'ils aient négligé presque complètement les actes notariés, si éclairants sur les courants commerciaux de l'époque.

Julio Le Riverend nous offre une excellente étude des débuts de l'économie cubaine, de 1510 à 1600. Découverte en 1492, l'île resta pratiquement ignorée des autorités espagnoles jusqu'en 1609-1510. Après quoi, lentement, pauvrement, difficilement, elle se peupla et s'organisa. Le» sept premières « villes » végétèrent longtemps. On ne faisait que passer dans l'île, quand on y passait. Et la seule richesse étant pastorale, on concédait les terres par haciendas de deux à trois lieues do rayon… Mais le type exact de ces concessions ne se discerne guère avant 1550, et encoree: les quelques textes conservés sont assez obscurs. Il y a, sans doute, eu la vaste propriété agricole et pastorale, Yestanc'ia, et à ses côtés la petite exploitation, le conuco. Mais la mise en valeur fut lente et difficile.

Caio Prado Junior nous donne deux livres excellents sur le Brésil, l'un qui constitue la meilleure histoire économique dont nous disposions présentement sur son pays, l'autre qui est le début d'un ouvrage que l'on devine et que l'on souhaite monumental sur le Brésil d'aujourd'hui. Deux livres, deux esquisses et d'allure différente, de portée différente, mais cependant de même accent. Dirons-nous de même accent scientifique ? Au vrai, tous deux s'inspirent de la « dialectique matérialiste » et avec une vigueur singulière mettent, selon les règles d'école, l'accent sur les « processus » d'histoire, ou, si l'on préfère, sur les courants et les fleuves de vie, dont le passé ne cesse de gonfler et do nourrir l'instable et éphémère présent. Certes, toute histoire implique une philosophie, comme le dit justement noire auteur, lequel, afin que nul n'en ignore, éclaire minutieusement sa lanterne dans la préface vigoureuse de son Ilistoria econômica do Brasil.

Une entreprise de Ferdinand Lot n'est jamais une entreprise banale. Quel tempérament de chercheur passionné, quelle belle vie de recherche ininterrompue, jamais satisfaite, toujours ardente à apporter, à proposer du nouveau ! Et quel salutaire non-conformisme chez cet historien qui n'a rien d'un iconoclaste bruyant, ni d'un pourfendeur avantageux de doctrines reçues ! Non ; il va droit son chemin, il suit son idée, il cherche, l'esprit perpétuellement en éveil, et il dit simplement ce qu'il trouve, comme il l'a trouvé…

Voici qu'à tant de grandes entreprises et de belles études qui font honneur à l'érudition comme à l'histoire française son insatiable curiosité ajoute une recherche neuve. Les progrès de la civilisation sont liés intimement, nous dit-il, aux destinées des villes. Et donc, ce qui touche à la ville est essentiel à connaître pour l'historien.

La mort du professeur Lee Hansen, en 1938, a laissé inachevée une suite de recherches, consacrées à la migration de quelque 50 millions de personnes parties d'Europe entre 1815 et 1914, et dont 35 millions sont allées s'installer aux Ëtats-Unis. Ses papiers, certains de ses articles n'ont pas été abandonnés ; grâce à MM. A.-M. Schlesinger et J.-B. Brebner, ils viennent d'être en partie publiés, et renouvellent largement la question, non de l'origine, mais du transfert des immigrants.

Se procurer le beau texte de la conférence de German Arcimegas : « Contradictions et unité de l'Amérique », prononcée au Centre de Politique étrangère, en avril 1947, est chose malaisée — et c'est bien regrettable : le témoignage était de qualité.

L'Amérique, dans son ensemble, est-elle autre chose, se demande le conférencier, qu'une entité géographique, humainement dissonnante, et jusqu'à l'absurde ? En elle tout se heurte, les climats, les reliefs, et donc mille conséquences humaines directes, et donc sans fin et avec violence, les sociétés, les économies, les civilisations divergent et s'opposent. Leur débat est loin d'être apaisé. German Arciniegas, ancien ministre de l'Éducation Nationale en Colombie, écrivain notoire, essayiste, sociologue, historien, a beau jeu à nous montrer les oppositions crépitantes, dans ce Nouveau Monde, de ces deux grandes catégories : l'anglosaxonne et l'ibérique. Vérité pour l'une, erreur pour l'autre.

Dans son étude sur les classes agricoles en Poitou au XVI e siècle, l'érudit poitevin Paul Raveau a été a mémo de constater que la propriété du sol a changé de mains tout au long du siècle et spécialement à sa fin : lie a passe du paysan au marchand, de l'exploitant direct au bourgeois propriétaire de fermes et de métairies. Comme ces transformations coïncident en Poitou avec la multiplication des signes monétaires, Raveau en a conclu qu'elles étaient l'effet d'une prospérité sans précédent.

Malheureusement pour cette thèse, 1ous les témoignages contemporains s'accordent pour nous présenter le Poitou, à la même époque, dans la plus grande détresse : nous sommes au temps des Guerres de Religion, les campagnes sont ravagées, les villes pillées, chacun vit dans la crainte des « troubles ». Il y a donc là contradiction entre les observations de Raveau et l'examen des textes dont nous disposons par ailleurs.

Il y a deux façons de s'acquitter de sa dette, s'agissant d'un livre considérable comme celui que Georges Duveau vient de consacrer à La VieOuvrière en France sous le Second Empire : ou le refaire à sa façon, en s'installant sur ses maîtresses branches comme un parasite ; ou dire d'un mot, simplement : « Voilà un livre fait de main d'ouvrier. Qu'il traite d'un très grand sujet, vous n'avez pas besoin de moi pour le savoir. Mais qu'il soit plein de talent, et de vie, et d'intérêt, je vous le dis en toute assurance. Lisez-le. » On ne m'en voudra pas d'adopter ce second parti.

Je ne voudrais cependant pas qu'on en déduisît, d'avance, que ce très beau livre est un livre facile. Non. C'est un livre profond. Il est assis sur de fortes bases érudites : la bibliographie qui le précède (et qui rendra d'éminents services aux travailleurs) en témoigne.