Dans le premier numéro de ce « Bulletin », nous avons étudié la conjoncture économique de la Belgique de 1897 à 1913, période de travail normal et de développement, pendant laquelle les alternances d’essor et de dépression devaient se suivre sans entraves spéciales. C’était précisément l’existence de facteurs extraordinaires, tels que l’instabilité des changes, qui nous avait amené à considérer l’étude de la période 1919 à 1929 comme insuffisante pour dégager l’allure des cycles économiques en Belgique. Si aujourd’hui nous étudions cependant cette époque troublée à titre de prélude de l’observation courante de la conjoncture économique, il importe d’en indiquer d’abord les raisons et de préciser les conditions dans lesquelles pareil travail peut être effectué.

Ainsi que nous l'avons exposé en décembre 1929, l'analyse statistique a pour but de décomposer les séries statistiques, de manière à faire ressortir la part d'influence qui revient à chacune des forces économiques qui concourent à faire du phénomène économique ce qu'il est; ces forces sont la tendance de longue durée, la variation saisonnière, le cycle économique et les variations résiduelles. Nous examinerons ici le mode de calcul de la première.

La tendance est cette évolution régulière et persistante dans un sens déterminé qui se manifeste, à travers les méandres des hausses et baisses successives, pendant une période assez longue. C'est essentiellement un mouvement de fond; le professeur W. M. Persons l'appelle «the growth element», l'élément de croissance, le Dr. H. Hennig dit «bestimmte Entwicklungstendenz», tendance évolutive déterminée, et «Hauptverlauf», allure principale.

La Belgique est donc entrée, vers juillet 1929, dans une crise économique d'abord latente, et ensuite de plus en plus précise. Les difficultés se sont aggravées au fur et à mesure que l'année 1930 s'avançait.

Plusieurs questions se posent à ce sujet, auxquelles les recherches de l'Institut des Sciences Economiques ont permis de donner une réponse. On doit se demander notamment s'il s'agit là d'une crise d'assainissement monétaire longtemps différée; la Belgique subirait donc encore ainsi les conséquences de la stabilisation opérée en octobre 1926.

L'industrie du pétrole est présentement une des premières du monde et le siècle actuel a été souvent appelé l' «Age du Pétrole». En effet, un capital double de celui de la sidérurgie est actuellement investi dans la production et la transformation des huiles minérales. L'histoire de cette industrie encore jeune (elle est née voici à peine trois quarts de siècle) abonde en problèmes d'ordre économique, politique et législatif.

Quand le premier sondage au pétrole fut effectué par Drake à Oil City (Pennsylvanie) en 1859, la production rapidement croissante qui s'ensuivit détermina la chute des prix de l'huile brute, de vingt dollars à dix cents par baril (1). Cette dépréciation extraordinaire était due à la faible consommation du pétrole et à la situation instable de l'industrie, le produit étant seulement utilisé à cette époque comme huile lampante et lubrifiante.

Les préoccupations relatives à la reconstitution de l’économie nationale dévastée par la guerre, au désarroi des finances publiques et aux soubresauts du change ont, pendant de nombreuses années, détourné notre attention de l’étude de la vie économique envisagée dans son fonctionnement normal. Maintenant que la stabilisation monétaire est chose faite depuis trois ans, c’est la connaissance de cet ordre normal des choses qui devient nécessaire pour la conduite raisonnée des affaires. Or, depuis la guerre, dans des pays tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne et plus récemment en Allemagne, les économistes ont scruté le mécanisme économique au moyen de méthodes nouvelles; le retour à la monnaie saine nous permet aujourd’hui d’appliquer celles-ci avec fruit à l’étude de la vie économique de la Belgique.

Les efforts ont été dirigés spécialement vers l’observation des mouvements de l’organisme économique. On savait sans doute depuis longtemps que l’évolution des phénomènes économiques était ordinairement la résultante de plusieurs forces dont la plus intéressante et la plus mystérieuse était celle qui produisait des oscillations rythmiques, des états de prospérité, de tension, de crise et de dépression; mais leur action respective était peu connue et l’étude statistique des cycles économiques restait un champ d’observation encore peu exploré. L’attention générale avait surtout été attirée par la phase la plus dramatique du cycle, la crise, et cette tendance était encouragée par le sens plutôt théorique des recherches des économistes: sauf quelques exceptions ceux-ci s’appliquaient plus à rechercher les causes des crises qu’à en découvrir le mécanisme: le problème, souvent débattu, de la périodicité des crises avait en lui un attrait tout spécial.

Avant d’examiner comment se présente la situation budgétaire nous devons dire un mot de la comptabilité en vigueur dans notre pays.

La Belgique pratique les comptes par exercice; les écritures ne sont donc pas arrêtées à la fin de l’année financière, comme en Angleterre. L’exercice, dit Stourm, recueille au delà du 31 décembre l’ensemble des droits et des charges qui appartiennent à l’année, afin de les lui rapporter. C’est ainsi que les impôts sur les revenus de 1928 ont pu être encaissés jusqu’au 31 octobre 1929. Il en résulte donc que le total des recettes n’est connu, pratiquement, qu’à la fin de l’année qui suit celle donnant son nom à l’exercice. D’un autre côté il arrive que, dans un but de régularisation, des crédits supplémentaires soient votés plusieurs mois après la fin de l’année.

Les variations saisonnières sont des phénomènes connus dans presque tous les domaines de la vie économique et sociale. Ce sont des changements qui s'opèrent suivant le rythme des saisons et se reproduisent d'année en année. Leur caractère est d'être strictement périodiques, c'est-à-dire de se répéter à intervalles réguliers: étant donné l'identité de cause, qui est le retour des saisons, il est assez naturel qu'au cours des années successives, les variations saisonnières aient aussi un mouvement toujours à peu près égal dans son amplitude. Aussi n'a-t-on pas manqué de chercher à déterminer par le calcul une variation saisonnière typique; l'économiste anglais W. St. Jevons avait déjà entrepris de le faire en 1866, dans sa célèbre étude «sur la fréquente pression automnale sur le marché de l'argent et le rôle de la Banque d' Angleterre».

En terminant, dans le dernier «Bulletin de l'Institut des Sciences Economiques», notre exposé rétrospectif de la conjoncture économique pendant les années 1919 à 1929, nous avions résumé les caractères distinctifs de chacune de ces années; à l'année 1929 nous avions donné l'appellation de période de tension. L'examen des statistiques disponibles à ce jour nous permettra de nous rendre compte si et comment cettetension a dégénéré en crise ou récession et jusqu'à quel point s'est déjà produite la liquidation consécutive à toute période de tension.

Malgré la consommation croissante du pétrole, l'industrie pétrolière rencontre partout des difficultés pour l'écoulement de sa production, laquelle, depuis des années, et dans une proportion sans cesse grandissante, dépasse la consommation.

Nous nous trouvons en présence d'une crise de surproduction mondiale de pétrole qui inquiète plus particulièrement les États-Unis, à la fois le plus grand producteur et le plus grand consommateur. (Voir étude de M. Sylvain Pirson: «Les Problèmes de la surproduction du Pétrole aux États-Unis», parue dans ce bulletin, 1930, n° 3, p. 279.)

Pour l’ensemble du marché belge des valeurs mobilières, 1928 avait été une année relativement favorable. Ce n’est pas, toutefois, que les titres à revenu variable n’aient été agités. Leur mouvement général de hausse jusqu’en mai avait, en effet, été suivi d’une chute de juin à juillet, puis d’une reprise jusqu’en septembre. Les cours s’étaient ensuite stabilsés dans une ambiance de fatigue générale pour terminer l’année sur un indice consolidant, dans l’ensemble, une appréciation de 7% par rapport au point de départ de janvier.

Même résultat pour les valeurs à revenu fixe dont la hausse est de 8 % de janvier à décembre de la même année. Mais ici, cette avance au lieu de marquer, comme pour les actions, la fin d’un grand mouvement, témoigne au contraire d’un commencement, d’une rentrée en faveur des obligations auprès des capitalistes.

Il n’est guère possible, alors que 1930 vient à peine de commencer, de porter un jugement définitif sur la reconstitution du capital en Belgique pendant l’année 1929 ni de s’essayer à commenter dans une étude détaillée l’évolution des banques belges durant la dernière année. Les statistiques que nous avons sous les yeux sont encore incomplètes et quelques banques seulement ont jusqu’ici publié leur bilan; aussi serait-il malaisé d’arrêter maintenant la situation de nos établissements de crédit au 31 décembre 1929.

Cependant il semble bien que dès à présent, nous puissions tenter de dégager les tendances qui se sont manifestées durant ces derniers mois, tant dans le domaine de l’épargne que dans l’activité de nos banques. Et puisque le cadre dans lequel sont apparus ces deux aspects de notre économie est étudié ailleurs dans cette revue, nous aborderons aussitôt notre sujet.

Les résultats des recherches poursuivies par 1’ « Institut des Sciences économiques » éclairent de façon définitive, croyons-nous, l’histoire économique de la Belgique au cours des années qui ont précédé la guerre.

Au cours des trois mois qui se sont écoulés depuis notre dernière chronique, la conjoncture économique de la Belgique a évolué dans le sens d'une régression générale des affaires; celle-ci s'est poursuivie, avec ses caractéristiques propres, dans le cadre d'une évolution identique de la conjoncture économique mondiale. Les événements de ces derniers mois ont confirmé l'impression qui se dégageait déjà de certains éléments d'observation, à savoir que nous vivons aujourd'hui un de ces cycles majeurs, tel qu'il y en eut en 1900 et en 1920 notamment. Le point délicat est de déterminer quelles sont les chances de voir se ralentir le fléchissement marqué de l'activité économique, d'obtenir quelque répit sous forme d'un statu quo momentané, ou même d'espérer qu'une reprise s'esquisse. Avec cet objet en vue, examinons les plus récentes statistiques économiques belges.

Les statistiques de notre commerce extérieur en 1929 ne manquent pas d’être particulièrement intéressantes à plusieurs points de vue.

Les effets de la stabilisation monétaire à un taux relativement bas pour le franc se sont de plus en plus atténués; la prime à l’exportation résultant du décalage des prix est pratiquement absorbée. L’index des prix de gros a eu durant l’année écoulée une tendance à la baisse; il est descendu de 855 en décembre 1928 à 823 en décembre 1929. Les charges fiscales sont restées proportionnellement les mêmes qu’en 1928; par contre, les salaires ont eu dans l’ensemble une tendance plutôt à la hausse.