Depuis le ixe siècle, un nombre grandissant d’investisseurs privés et publics de l’Empire abbasside participent à un mouvement de commercialisation de produits manufacturés auprès d’artisans et de paysans. Le fiqh, système de normes juridiques et éthiques qui, à partir du viiie siècle, se répand dans tout l’empire musulman, réagit à cette intensification de l’échange commercial par une interprétation plus sophistiquée du droit des contrats. Cet article traite de la manière par laquelle, au cours des xie et xiie siècles, les juristes transoxaniens de l’école hanéfite du droit musulman utilisent le salam comme un contrat d’investissement. Les investisseurs, grâce à l’avance d’un capital, acquièrent de leurs partenaires l’obligation personnelle de livrer, à une date ultérieure, déterminée par contrat, une quantité de biens fongibles. Cet échange transforme le partenaire en débiteur et permet à l’investisseur d’utiliser le temps entre le paiement du capital et la livraison des biens comme justification pour baisser les prix en dessous du niveau du marché. Il lie, en même temps, la production standardisée des biens et leur commercialisation au concept d’obligation personnelle en tant qu’objet d’investissement. Les formes du salam discutées par les juristes étaient étroitement liées à la diffusion, dans l’empire, de nouvelles techniques dans la manufacture des biens, et leur raisonnement désignait la connaissance des modèles et méthodes de leur production comme condition sine qua non pour toute description acceptable des biens, objets de l’obligation personnelle.
La construction hanéfite du salam a constitué un pas important vers la rationalisation des contrats synallagmatiques et vers l’élargissement, dans l’espace et le temps, de leur influence sur la production et l’échange des biens. Comme d’autres processus de rationalisation, l’élaboration du salam s’est faite au prix d’une inégalité accrue entre les acteurs, formellement indépendants, mais liés les uns aux autres dans la production et l’échange des biens par le lien de la créance et de la dette.