L'historiographie des origines du christianisme est dominée depuis longtemps par un dogme scientifique dont il faudrait se débarrasser. C'est l'école dite de Tubingue, inspirée par la philosophie de Hegel, qui en est responsable. D'après ce dogme (schème: thèse — antithèse — synthèse), il y aurait au début du christianisme la communauté de Jérusalem, entièrement dominée par la théologie juive et surtout l'espérance juive; plus tard, au contact avec le monde hellénistique, un tout autre christianisme aurait surgi: le paganochristianisme. Le catholicisme représenterait la synthèse. Il est vrai que tous les historiens modernes qui s'occupent du Nouveau Testament ont l'habitude d'abord de se distancer en principe de cette Ecole. Il est presque de bon ton de rejeter tout ce qu'il y a de schématique et d'exagéré dans cette position. Et cependant presque tous les savants modernes qui s'occupent des origines du christianisme conservent quand même la thèse générale de cette Ecole selon laquelle il n'y aurait dans le christianisme primitif que ces deux tendances: le judéo-christianisme de la première heure, localisé en Palestine, et le pagano-christianisme né plus tard et localisé en dehors de la Palestine dans la sphère de l'hellénisme. Tous les grands ouvrages consacrés à l'histoire ou à la pensée des premiers chrétiens sont dominés par ce schème. Il est vrai que W. Bousset et R. Bultmann ont le mérite d'avoir démontré dans leurs ouvrages l'existence d'un mouvement de pensée oriental, hellénistique, qu'ils appellent gnosticisme préchrétien et dont us admettent une influence sur le judaïsme antérieur au christianisme, mais leur manière générale de représenter le développement surtout des idées théologiques du christianisme primitif est restée, malgré tout, dominée entièrement par cette perspective: d'abord christianisme juif en Palestine — ensuite christianisme hellénisé en dehors de la Palestine.