Constatant que l’on a assisté en sciences sociales, ces trente dernières années, au « reflux des épistémologies naturalistes » et à la montée en puissance corrélative d’un « cadre épistémologique néo-wébérien », Jean-Louis Fabiani se demande, une fois refermé mon ouvrage, si entreprendre désormais de sortir de ce cadre n’implique pas un « coût spécifique » et s’il est raisonnable de le payer. Il est vrai que le Devoir et la grâce est un livre qui, sous les auspices d’Émile Durkheim, entend réhabiliter, en sciences sociales, une démarche classificatoire capable de prétendre à la validité universelle. Un tel projet renoue donc indéniablement avec une certaine forme de faillibilisme et pourra être reçu à cet égard comme une régression vers l’épistémologie naturaliste. Ce sera le cas, surtout, si le lecteur n’est pas convaincu par la manière dont, à travers ses formulations, l’ouvrage s’efforce d’anticiper les critiques les plus définitives qui furent adressées au naturalisme en sciences sociales. J.-L. Fabiani semble attentif à ces efforts et avoir pour eux de la sympathie, raison pour laquelle il décrit à mon sens fort bien la voie étroite que l’ouvrage cherche à frayer. Mais il n’en demeure pas moins inquiet face à ce qui lui paraît constituer le risque majeur de l’entreprise: celui de tourner trop vite le dos à la tradition wébérienne et de délaisser, en particulier, deux de ses composantes essentielles. D’une part, se demande-t-il, l’analyse grammaticale de l’action, telle que l’ouvrage la promeut, ne conduit-elle pas à méconnaître la centralité dans la vie sociale des rapports de domination et de la violence physique, que Max Weber, pour sa part, avait parfaitement identifiée? D’autre part, n’oblige-t-elle pas à faire le sacrifice de « l’historicisation générale des énoncés » qui s’avère, dit encore J.-L. Fabiani, « une des propriétés les plus fécondes des sciences sociales »? La réponse que je me propose d’apporter à cette double question rendra peut-être plus claires celles qu’ensuite je tenterai de formuler vis-à-vis des remarques et des objections que m’adressent de leur côté, avec tout autant de pertinence, Christian Jouhaud et Louis Quéré.