L'adage Vox populi, vox Dei flotte au fil des discours, sans jamais couler ni suivre exactement les cours les plus rapides des paroles urgentes. La formule se trouve là, disponible, avec le parfum d'éternité que lui confère sa latinité, pimentée de sa forme anaphorique. Dans les discours contemporains, la formule est employée selon un mode distancié et ironique, dans un registre que la rhétorique de l'âge classique nomme « héroï-comique » et qui consiste à parler de choses ordinaires ou médiocres en termes pompeux : un simple succès commercial, un triomphe illusoire ou vain dans l'opinion, et de peu de portée, sera facilement glosé d'un Vox populi, vox Dei. Ce type d'emploi n'aurait de pertinence que pour une stylistique sociale, si l'adage n'avait une histoire fort longue et variée : le premier emploi connu se trouve dans une lettre d'Alcuin datée de 798. Le retour aux origines de la formule, outre qu'il offre l'occasion rare de saisir le moment de formation d'un lieu du langage qu'on pouvait supposer intemporel, a quelque chance de nous donner des éclairages neufs sur les théories politiques d'une époque où la documentation est bien rare, d'autant que, jusqu'au Moyen Age central, les occurrences de la formule ne semblent pas ironiques. L'adage, qu'il soit adopté ou rejeté, dit quelque chose sur la souveraineté du peuple.