« Je n'ai ni le temps ni la puissance de définir l'état intellectuel de l'Europe en 1914… mais… si je fais abstraction de tout détail… je ne vois rien. » Rien, parce que l'Europe mentale était alors « le désordre à l'état parfait », un désordre né « de la libre coexistence dans tous les esprits cultivés, des idées les plus dissemblables, des principes de vie et de connaissance les plus opposés ». Ainsi parlait à Londres, en avril 1919, Paul Valéry, rendu sur le tard à la loquacité. Si à cette époque certains de ses propos (« nous autres civilisations… ») ont fait bon an mal an le malheur de force candidats au baccalauréat, ce jugement cruel, classique au sens propre du terme, puisqu'il appelle modernes la multitude et la multiplicité, tend plus malaisément le cou au commentaire. La « Rome de Trajan », « l'Alexandrie des Ptolémées », voilà pourtant des références. L'Europe en 1914 se trouvait-elle donc, si profonde y était la crise des valeurs, vouée non seulement à recevoir le choc de la guerre, mais, par incapacité à unifier sa diversité culturelle et à lui imposer quelques règles, à devenir enfin ce que sa nature depuis toujours lui proposait d'être : « un petit cap du continent asiatique » ?