Rompue à l’analyse du travail, de l’emploi, des professions et des organisations, la sociologie qui explore les arts convainc beaucoup moins dans l’étude d’œuvres spécifiques. Traiter l’œuvre comme le résultat d’un processus peut permettre d’aller plus loin, grâce à l’examen des facteurs de variabilité qui lui impriment ses caractéristiques. En aval de la production de l’œuvre, la variabilité tient à sa réception, ses mises en forme éditoriales et ses interprétations. Mais elle est aussi logée au cœur du travail: ses multiples produits intermédiaires – esquisses, brouillons, ajustements de circonstance et révisions définitives – font entrevoir le cours incertain de l’invention. Comment relier les deux versants? Cet article propose un cadre théorique et l’applique à la production lyrique, à partir d’études de cas (opéras de Verdi, Moussorgsky, Puccini, Berg). Il montre que les œuvres du répertoire ne peuvent délivrer un flux indéfini de services esthétiques, de revenus financiers et de connaissances savantes, et se transformer ainsi en biens intermédiaires durables, que si elles demeurent sujettes à d’incessantes interventions.