Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
L'œuvre de Simiand (1873-1935) arrivera-t-elle enfin à être éliminée de nos horizons intellectuels ? Elle semble conserver la vie assez dure, pourtant, malgré la série de coups reçus. A quelque trois décennies d'intervalle, la voici à nouveau globalement contestée. Un sociologue, un économiste, un historien avaient déjà, en 1938-1942, pris leurs distances. En 1970, Maurice Lévy-Leboyer se trouve conduit, au terme d'une brillante étude, à une condamnation sans appel. Ni le projet de Simiand, ni sa méthode, ni ses résultats ne seraient désormais à retenir.
Il serait grand temps de ne plus se référer à un homme qui fit des « erreurs manifestes », accumula « les contradictions », refusa « de se livrer à toute analyse statistique vraie », n'aboutissant qu'à « une œuvre simplement qualitative ». Rudes formules...
Cet article a été rédigé pour les Mélanges E. Labrousse, à paraître en 1973 sous les auspices de l'École Pratique des Hautes Études, VIe Section. C'est avec l'accord de M. Ernest Labrousse que les Annales le publient.
1. Aron, R., Introduction à la philosophie de l'histoire, Paris, 1938, pp. 216–225 Google Scholar. Marjolin, R., Prix, monnaie et production, essai sur les mouvements économiques de longue durée, Paris, 1941, pp. 285–286, 293-300, 324-360.Google Scholar Morazé, Ch., « Les leçons d'un échec, essai sur la méthode de Simiand », dans Mélanges d'histoire sociale, Paris, 1942, 1, pp. 5–24 Google Scholar ; II, pp. 22-44. Des trois études, celle de R. Marjolin restait la plus ouverte et demeure la plus fructueuse. Antérieurement, de longs comptes rendus critiques des ouvrages écrits par Simiand en 1932-1934 avaient paru. Citons les principaux : M. Halbwachs (Revue philosophique, 1932) ; G. Pirou (Revue d'économie politique, 1932) ; M. Bloch (Revue historique, 1934) ; A. Landry (Revue d'économie politique, 1935) ; C. Bouglé (Annales sociologiques, série D, 1936) ; G. Lefebvre (Annales d'histoire économique et sociale, 1937).
2. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand : prix, profit et termes d'échange au xixe siècle », Revue historique, janvier-mars 1970, pp. 77–120.
3. Ibid., p. 103.
4. Ibid., p. 101.
5. Ibid., p. 85.
6. Ibid., p. 82.
7. Ibid., p. 103.
8. « Les excès dus à la guerre de 1914 et les dislocations économiques qui ont suivi expliquent peut-être des erreurs aussi manifestes. Mais la génération suivante n'avait pas de telles excuses pour justifier son adhésion. » (ibid., p. 103). Nous verrons plus loin ce qu'étaient ces « erreurs ». Observons que F. Simiand dans les années 1900 avait déjà établi son programme de recherches, fixé sa méthode et abouti, dans ses ouvrages sur les prix et salaires du secteur charbonnier, à des résultats que ses travaux d'après-guerre allaient, à ses yeux, étendre et confirmer. Le voici alors lui-même dépourvu de toute excuse…
9. Ibid., p. 101.
10. Ibid., p. 103.
11. L. Febvre, « Pour les historiens, un livre de chevet », Annales d'histoire économique et sociale, 1933, p. 163.
12. L. Febvre, « François Simiand », ibid., 1935, p. 391.
13. Ibid.
14. F. Simiand, « Méthode historique et science sociale », Revue de synthèse historique, 1903, p. 154.
15. Ibid., p. 157.
16. Voir Simiand, A., La méthode positive en science économique, Paris, 1912.Google Scholar
17. « A nos lecteurs », par M. Bloch et L. Febvre, Annales d'histoire économique et sociale, 1929, pp. 1–2. Entre les sciences humaines, écrivaient-ils « les murs sont si hauts que, bien souvent, ils bouchent la vue ».
18. Simiand, F., Le salaire, l'évolution sociale et la monnaie, Paris, 1932, II, p. 589.Google Scholar
19. Voir son intéressant rapport au Congrès international de l'enseignement des sciences sociales : De l'enseignement des sciences sociales à l'école primaire en France, Paris, Alcan, 1900.
20. Landry, A., « François Simiand », Annuaire de l'E.P.H.E., 1935-1936, Paris, p. 6.Google Scholar
21. F. Simiand, La méthode positive…, op. cit., p. 180.
22. M. Halbwachs, « Une théorie expérimentale du salaire », Revue philosophique, décembre 1932, p. 334.
23. G. Lefebvre, « Le mouvement des prix et les origines de la Révolution française », Annales d'histoire éconondque et sociale, 1937, p. 147.
24. F. Simiand, « Méthode historique… », art. cité, p. 17.
25. On retrouve ces mots en particulier dans l'une de ses dernières études : F. Simiand, « La monnaie, réalité sociale », Annales sociologiques, série D, 1934.
26. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., II, p. 573.Google Scholar
27. Ibid., p. 572.
28. F. Simiand, « Méthode historique », art. cité, p. 17.
29. A. Piatier, « La méthode de Simiand et l'étude des mouvements de longue durée », dans L'observation économique, Paris, Les cours de droit, 1947-1948, Institut d'Études politiques, fasc. II, p. 286.
30. Selon Simiand le jeu des tendances des groupes sociaux (patrons et ouvriers) est « un ensemble d'actions et réactions fondé en raison ». Dans Le salaire…, op. cit., II, p. 527.
31. F. Simiand, « La monnaie… », art. cité, p. 84.
32. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., II, p. 527.Google Scholar
33. M. évy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 101.
34. Ibid., p. 101.
35. F. Simiand, « La monnaie… », art. cité, p. 54.
36. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., II, p. 470.Google Scholar
37. Ibid., Avant-propos, I, p. xx.
38. Voir A. Simiand, Le salaire…, op. cit., II, longue note p. 470.
39. Par exemple dans son Cours d'économie politique, 1929-1930, ronéographié, p. 406. Cet « intervalle, dit-il, montre que la liaison ne s'établit pas toute seule » (id., p. 652).
40. « Les prix […] rebondissent dans l'année où de nouvelles mines d'or ont été découvertes » (M. Lévy-Leboyer, art. cité p. 78). Jamais Simiand n'a soutenu un tel point de vue. D'autre part, Maurice Lévy-Leboyer utilise sans bonheur comme argument contre Simiand le fait que le démarrage des prix à partir de 1896-1897 se produit « avec dix ans de retard sur la reprise souvent notée de l'accroissement du stock d'or monétaire » (p. 89). C'est précisément ce que Simiand lui-même avait souligné : « La variation monétaire, écrit-il, se dessine à partir de 1892-1894 à certains égards, alors que le mouvement des prix part de 1897 et le salaire plus tard encore. » (Le salaire…, op. cit., II, p. 441).
41. F. Simiand, Cours d'économie…, op. cit., pp. 369–373.
42. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 91.
43. Nombreuses études sur ce thème, mais toutes partielles, soit dans le temps, soit dans le champ monétaire. Il existe, pour le xxe siècle, des estimations de l'I.N.S.E.E. dans les Annuaires rétrospectifs. Pour le xixe, voir Cameron, R. E., Banking in the early stages of industrialization, New York, 1967, p. 116.Google Scholar
44. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 79 : « Le cycle entraînant le prix des marchandises et celui du travail serait provoqué par les seules variations de la masse des moyens de paiement métalliques. »
45. Je laisse de côté cette question sur laquelle Simiand s'est expliqué, tant dans son grand ouvrage de 1932 que dans son livre, serré et ramassé : Les fluctuations économiques à longue période et la crise mondiale, Paris, Alcan, 1932 : en particulier pp. 56-58. On trouvera des réflexions complémentaires et très pertinentes à ce sujet dans le cours de Sorbonne de Pierre Vilar, L'or, II, ronéographié, G.E.F., U.N.E.F., 1966-1967.
46. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 82.
47. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., II, p. 447.Google Scholar
48. Sur ce point fort important et que nous retrouverons, voir F. Simiand, Recherches sur le mouvement général des prix du XVIe au XIXe siècle, Cours E.P.H.E., 1930-1932, ronéographié, p. 276.
49. F. Simiand, Cours d'économie…, op. cit., pp. 639–640.
50. Ibid.
51. F. Simiand, Les fluctuations économiques…, op. cit., p. 34.
52. Ibid.
53. M. Bloch, « Le salaire et les fluctuations économiques à longue période », Revue historique, janvier-juin 1934, p. 20.
54. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 93. Ici, tout le paragraphe numéroté 1 est en porte à faux par rapport à l'analyse de Simiand, que l'auteur n'a pas exactement saisie. Jamais Simiand n'a écrit qu'en A dominait « la trêve ou la concorde sociale » et en B « la lutte de classe ». Tant en 1907 (Le salaire des ouvriers des mines de charbon en France) qu'en 1932 dans son grand ouvrage, c'est-à-dire tant dans l'étude des cycles courts que dans celle des phases longues, Simiand a démontré qu'au cours des diverses phases la pression ouvrière était l'immédiate condition nécessaire de la progression, ou du maintien du revenu ouvrier. Voir en particulier, Simiand, F., Le salaire…, op. cit., II, pp. 207–209.Google Scholar
55. En particulier, M. Lévy-Leboyer, « La croissance économique en France au xixe siècle », Annales, juillet-août 1968. Et : « La décélération de l'économie française dans la seconde moitié du xixe siècle », Revue d'histoire économique et sociale, 1971, 4.
56. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, pp. 101 et 103.
57. Ibid., p. 101.
58. F. Simiand, Cours d'économie…, op. cit., p. 719.
59. C. Bouglé, « La méthodologie de F. Simiand et la sociologie », Annales sociologiques, série A, 1936, p. 11.
60. Ibid., p. 12.
61. F. Simiand, « L'histoire du travail au Collège de France », leçon inaugurale, séance du 3 décembre 1932, p. 37.
62. F. Simiand, Les fluctuations économiques…, op. cit., p. 134.
63. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, pp. 101 et 103.
64. C'est moi qui souligne.
65. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., I, p. xiv.Google Scholar
66. Ibid., p. xv.
67. Lévy-Leboyer, M., « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 101.Google Scholar
68. Ibid.
69. F. Simiand, Le salaire des ouvriers…, op. cit.
70. Fourastié, J., La productivité, Paris, Que sais-je ?, 1962, p. 32.Google Scholar
71. Ibid.
72. Ibid.
73. Simiand n'a pas seulement analysé le rôle des phases interdécennales dans la croissance. Il faisait jouer un même rôle, et avec des mécanismes de même nature, aux cycles courts. On s'en est rarement aperçu. Voir son Cours d'économie politique, op. cit., de 1929-1930 et le texte de l'une de ses dernières leçons au Collège de France en 1934-1935 : « La psychologie sociale des crises et les fluctuations de courte durée », Annales sociologiques, série D, 1937.
74. Lévy-Leboyer, M., « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 103.Google Scholar
75. Ibid., p. 91.
76. Voir n. 73.
77. Lefebvre, G., « Le mouvement des prix… », art. cité, p. 154.Google Scholar
78. Imbert, G., Des mouvements de longue durée Kondratieff, Aix-en-Provence, 1956 Google Scholar, Ire éd. ronéographiée, 2 vols. Dupriez, L., Des mouvements économiques généraux, Louvain, 1947, 2 vols.Google Scholar Du côté des historiens, l'analyse des trois rythmes a été le fait d'Ernest Labrousse pour le xviiie siècle français.
79. Fourastié, J., L'évolution des prix à long terme, Paris, P.U.F., 1969.Google Scholar
80. Voir ce qu'en disent soit Pierre Vilar dans son cours sur L'or, op. cit., soit G. Imbert dans ses recensions minutieuses (op. cit.).
81. Exemple de critique dans : Deane, P. et Cole, W. A., British economic growth, 1688-1959, Cambridge U.P., 1964, pp. 15–18.Google Scholar
82. Lévy-Leboyer, M., « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 85.Google Scholar
83. Simiand, F., Recherches sur le mouvement…, op. cit., p. 276.Google Scholar
84. Ibid.
85. Ibid.
86. Ibid.
87. Simiand, F., Statistique et expérience, Paris, 1922, p. 31.Google Scholar
88. Simiand, F., Les fluctuations économiques…, op. cit., p. 48.Google Scholar
89. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., III, pp. 90–92.Google Scholar
90. Ibid., tableau p. 92.
91. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 85.
92. Ibid, p. 89.
93. Ibid.
94. Ibid., p. 90.
95. Ce tableau aurait exigé des explications : pourquoi des dates diverses pour certains minima et maxima ? Pourquoi des indices en italique et d'autres en romain ? Le sens de ces disparités échappe totalement.
96. Ibid., p. 102, et tableau V, colonne 11, pp. 108-111.
97. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 89.
98. F. Simiand, Cours d'économie…, op. cit., pp. 639–640. Expression employée pour la période 1850-1875.
99. M. Lévy-Leboyer, « L'héritage de Simiand… », art. cité, p. 81. Affirmation reprise p. 92 : « Le point central du système reste l'inégale répartition des revenus entre le capital et le travail. »
100. Ibid.
101. Ibid.
102. Ibid.
103. Ibid., p. 92.
104. Ibid., p. 95.
105. Ibid., p. 96.
106. Ibid., pp. 93-96.
107. Bouvier, J., Furet, F., Gillet, M., Le mouvement du profit en France au XIXe siècle : matériaux et études, Paris-La Haye, Mouton, 1965, 466 p.Google Scholar
108. Il s'est exprimé là-dessus plus que clairement. Voir en particulier : Le salaire des ouvriers…, op. cit., p. 371.
109. F. Simiand, Cours d'économie…, op. cit., p. 106.
110. Ibid.
111. Ibid.
112. Op. cit., III, p. 539.
113. F. Simiand, Les fluctuations économiques…, op. cit., p. 27.
114. F. Simiand, Le salaire…, op. cit., p. 387.
115. Ibid.
116. F. Simiand, Cours d'économie…, op. cit., p. 610.
117. Ibid., p. 655. Mais on pourrait aussi trouver des passages (exemple dans le grand ouvrage de 1932, II, pp. 485-486) où Simiand conclut sur la communauté de sort salaires-profits en phase B.
118. Simiand, F., Le salaire…, op. cit., II, p. 523.Google Scholar
119. Simiand, F., La formation et les fluctuations des prix du charbon en France pendant 25 ans, 1887-1912, Paris, 1925, p. 29.Google Scholar « Il est possible que divers facteurs… aient exercé dans cette phase une pression vers le perfectionnement technique qui, auparavant, n'avait été exercée que par des facteurs de phase de baisse. » L'ouvrage, paru après guerre, avait été écrit en 1913.
120. P. Vilar, L'or, op. cit., p. 197. Il est difficile « de refuser toute importance » aux flux monétaires. « Le facteur monétaire est historiquement important. »
121. Dupriez, L., Des mouvements économiques…, op. cit., II, p. 5.Google Scholar Une lecture conjointe de Simiand et de Dupriez serait fort intéressante. Le second était loin de répéter le premier. La comparaison des méthodes, des observations statistiques, des articulations de raisonnement, et des conclusions des deux grands économistes révélerait comment on peut féconder une recherche « ancienne » par une recherche plus « moderne » en s'appuyant sur l'acquis du passé sans se sentir tenu de faire table rase. Aux pages 245-248 du tome II Dupriez s'est rallié à une « interprétation large » de la « conception de Simiand » qui lui apparaissait « séduisante ». « Nul n'a plus que lui, disait-il, mis en relief la profondeur des réactions des mouvements longs sur la structure économique et sociale. » On trouvera aux pages 273-276 les conclusions propres à L. Dupriez sur les mouvements longs : Simiand n'en est pas absent.