I I semblerait que la littérature ne se soit intéressée aux devins que dans la mesure où leur influence sur révolution des relations sociales ait été perceptible. Une telle tendance a permis d'ignorer le fait que dans de nombreuses sociétés africaines leur présence sociale est relativement invisible. Toutefois, la multitude de petits guéris-seurs très humbles, à l'autre extrémité de l'échelle sociale de cette profession, peut être une source d'informations sur l'avènement des prophètes et des guérisseurs charismatiques. Dans ce contexte cet article explore le rôle des devins dans la société des Gisu d'Ouganda.
Le caractère confidentiel des consultations, la recherche de devins éloignés, le fait que leurs services ne sont requis qu'en temps de crise et comme perpétrateurs d'une contre-attaque ou d'une vengeance, sont autant d'éléments qui tendent à expliquer le manque de reconnaissance publique des devins. Les échecs de la divination comme le manque de credibilité de tel ou tel devin, l'absence d'unanim-ité entre devins et la multiplicité des causes invoquees sont autant d'éléments qui viennent paradoxalement assurer sa persistance et son succès et constituent pour nous une source de difficultés supplémentaires.
Un argument veut que dans un tel système le scepticisme soit endémique voire une caractéristique inhérente. Nous ne poserons pas ici la question de la cohabitation de la foi et du scepticisme, comme le fit Evans-Pritchard, mais celle des caractéristiques d'une foi qui encourage le scepticisme. II n'est pas utile d'examiner cette question en la rationalisant ou en fonction de la tangibilité du système de croyances. Si nous cherchons à établir des comparaisons avec les attitudes mod-ernes, l'organisation et la différentiation des connaissances et leur relation avec la notion de pouvoir est ici beaucoup plus significative. L'article suggère ici que les systèmes de diagnostics utilisés dans de telles sociétés encouragent une attitude agnostique et se différence en cela des pratiques occidentales.
La dernière partie de l'article réévalue le rôle social des devins et ses fonctions positives sont remises en question. La divination Gisu a évolué vers un créneau d'activités spécifiques déterminés d'une part par les limites des croyances et d'autre part par un système de vengeances interpersonnelles. Nous pouvons affirmer que les attributions sociales des devins exclusivement préoccupés par les aspects négat-ifs des relations sociales favorisent une véritable marginalisation sociale. Au mieux, ils sont les agents de la réconciliation entre l'individu et la rigueur de son destin et ses influences ancestrales. Au pire, ils sont les agents de la vengeance et des luttes individuelles. Dans cette perspective, il est difficile de voir comment ils peuvent çtre acceptés pour formuler une vision positive et futuriste au nom de leur communauté. Meme si une telle chose n'est pas impossible, il existe un écart considérable entre ces humbles vaticinateurs interprétant le présent à la lecture du passé, courtier des vengeances individuelles, et les prophètes capables d'exprimer une vision sociale positive, véritable outil de progrès, pour le bénéfice d'une communauté sociale au sens large.