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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  26 October 2021

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

Thomas Glesener

Gouverner la langue arabe

Miguel Casiri et les arabisants du roi d’Espagne au siècle des Lumières

Originaire de Tripoli (mont Liban), Miguel Casiri (1708-1791) a exercé une influence importante sur les études arabes en Espagne durant la seconde moitié du xviii e siècle. Son empreinte a été traditionnellement appréciée à l’aune d’une histoire intellectuelle focalisée sur son œuvre, qui négligeait largement son activité en tant qu’agent de la Monarchie hispanique. Or, Casiri a collaboré à la consolidation d’un pôle d’expertise en langue arabe à Madrid à une époque où la couronne entendait réfuter rationnellement certains privilèges urbains appuyés sur des textes et des inscriptions en langue arabe. En exhumant la part prise par Casiri dans ces réformes, cet article analyse les modalités conflictuelles de formation d’un champ linguistique spécialisé adossé à la juridiction royale et met en évidence deux lignes de fracture majeures. L’une porte sur la sélection du personnel employé dans l’expertise linguistique, et en particulier sur la manière de réguler les réseaux de la diaspora maronite – qui ont été d’importants fournisseurs de main-d’œuvre. L’autre concerne la définition de l’expertise en langue arabe, opposant les défenseurs d’un savoir spécialisé contrôlé par une communauté de savants et les tenants d’un savoir pratique soumis aux besoins des commanditaires. À rebours d’une histoire intellectuelle de la langue, cet article propose une histoire politique des arabisants, qui replace la connaissance de l’arabe au cœur de la constitution des savoirs d’État.

Governing the Arabic Language: Miguel Casiri and the Spanish King’s Arabists during the Enlightenment

Born in Tripoli (Mount Lebanon), Miguel Casiri (1708-1791) had a significant influence on Arabic studies in Spain during the second half of the eighteenth century. His legacy has traditionally been evaluated in light of an intellectual history focused on his writings, largely ignoring his activity as an agent of the Spanish Monarchy. Yet Casiri helped consolidate a pole of expertise in Arabic in Madrid just when the Crown intended to rationally refute certain urban privileges based on Arabic texts and inscriptions. By exhuming Casiri’s contribution to these reforms, this article traces the conflicting modalities of the formation of a specialized linguistic field attached to the royal jurisdiction. In doing so, it highlights two major dividing lines. The first concerns the selection of personnel employed as linguistic experts, and in particular the regulation of the Maronite diaspora’s networks—which were major suppliers of these workers. The second concerns the definition of expertise in Arabic, opposing the defenders of a specialized knowledge controlled by a community of scholars and those who advocated a practical knowledge subjected to the needs of the commissioners. Moving away from an intellectual history of the language, this article offers a political history of Arabists that reestablishes knowledge of Arabic as central to the constitution of state expertise.

Daniel Hershenzon

Objets captifs

Les artefacts catholiques en Méditerranée au début de l’époque moderne

Les objets de dévotion catholique – images et effigies du Christ, de la Vierge et des saints, missels, rosaires, crucifix et objets liturgiques – ont circulé par milliers dans la Méditerranée occidentale à l’époque moderne. Pour une large part, cette mobilité a été une conséquence indirecte de la piraterie et de la traite d’êtres humains qui interconnectaient les territoires méditerranéens de l’Espagne, du Maroc et de la régence ottomane d’Alger. Le moment de rupture que constitue la captivité a conféré à ces objets aux caractéristiques très différentes une trajectoire commune, rendant ainsi pertinent leur regroupement sous une même catégorie. L’article soutient que les artefacts catholiques ont joué un rôle prépondérant dans l’expérience des captifs catholiques, des renégats et de leurs maîtres musulmans tout autant que dans l’économie de la rançon qui a permis le rachat des captifs. À contre-pied des intentions de leurs concepteurs initiaux, ces objets ont fourni aux captifs, aux convertis et aux maîtres des ressources inattendues participant à brouiller la frontière religieuse et ont créé de nouveaux enchevêtrements entre les membres de ces trois groupes et la matérialité catholique. L’argument est développé en trois étapes. Tout d’abord, l’article affirme que l’augmentation du nombre de captifs après la trêve hispano-ottomane de 1581 a entraîné une augmentation du nombre d’objets de dévotion envoyés depuis l’Espagne aux catholiques retenus en captivité au Maghreb. Il affirme ensuite que certains de ces objets ont fini par bénéficier aux convertis à l’islam, tandis que les dirigeants algériens et marocains en ont pillé d’autres. Enfin, l’article souligne que le pillage et la réutilisation de ces objets ont conféré aux captifs la capacité de racheter un emblème de leur dieu, ont offert aux Trinitaires et aux Mercédaires l’opportunité de parfaire leur réputation en rançonnant des objets sacrés et ont permis aux dirigeants maghrébins de garantir les privilèges religieux de leurs propres sujets asservis en Espagne. L’accent mis sur la mobilité de ces objets montre à quel point les objets de dévotion catholique ont continué à articuler les relations sociales, politiques et économiques en Méditerranée occidentale au cours du long xvii e siècle.

Captive Objects: Catholic Artifacts across the Early Modern Western Mediterranean

Catholic artifacts—images and sculptures of Christ, the Virgin, and various saints, as well as rosaries, crucifixes, and liturgical objects—circulated in their thousands throughout the early modern western Mediterranean. This mobility was largely an indirect byproduct of privateering and human trafficking, which intertwined Spain’s Mediterranean territories, Morocco, and Ottoman Algiers. The disruptive moment of captivity set these otherwise disparate objects on common trajectories, making it interesting to study them as a category. The article argues that Catholic artifacts played surprising roles in the experience of Catholic captives, renegades, and their Muslim masters as well as in the economy of ransom that facilitated the rescue of captives. Against the design of their initial distributors, such objects provided captives, converts, and masters with unexpected affordances, and in so doing helped blur the religious boundary and created new entanglements between members of these groups and Catholic materiality. The argument is developed in three stages. First, the article claims that the surge in captivity following the Spanish-Ottoman truce of 1581 meant that more devotional objects were sent from Spain to Catholics held captive in the Maghrib. Second, it asserts that some of these artifacts ended up serving converts to Islam, while others were plundered by Algerian and Moroccan rulers. Third, the article contends that plunder and repurposing afforded captives the power to redeem an emblem of their God, provided Trinitarians and Mercedarians with opportunities to ransom objects and gain fame back home, and served Maghrebi rulers to secure religious privileges for their subjects enslaved in Spain. Focusing on their mobility demonstrates the degree to which Catholic objects continued to articulate and mediate social, political, and economic relations in the western Mediterranean over the long seventeenth century.

Bernard Heyberger

Le christianisme oriental à l’époque ottomane : du postcolonial au global (1960-2020)

Du fait de la place qui leur a été assignée dans l’idéologie coloniale, puis dans la lutte anticoloniale, les chrétiens du Proche-Orient, en tant qu’objet d’étude, sont longtemps restés à la marge de l’historiographie académique. La situation a néanmoins changé depuis une vingtaine d’années, et la prise en compte des minorités, chrétiennes et autres, s’avère à présent riche d’un point de vue épistémologique pour l’étude des sociétés du Proche-Orient et de la Méditerranée. Cet article retrace l’historiographie du sujet depuis les années 1960, pour montrer comment il a été progressivement investi par les historiens de la période moderne. L’histoire économique et sociale n’a pas voulu faire des minorités un objet d’études spécifique. À partir des années 1990, au contraire, dans une approche d’histoire des mentalités, l’étude des chrétiens est entrée dans le champ de recherche de la « religion populaire » et des « religions partagées », montrant ainsi les similitudes et les interactions entre chrétiens et musulmans. Les chrétiens, formant de petits groupes diasporiques, reliés par des individus mobiles constitués en réseaux, se prêtent désormais bien à des études microhistoriques, qui livrent d’utiles éléments de compréhension pour une histoire globale incluant la Méditerranée. Enfin, leur prise en compte en tant qu’acteurs permet une approche relationnelle de la construction des savoirs sur l’Orient, qui remet en cause une vision unidimensionnelle, axée sur les centres européens du savoir au service de l’impérialisme.

Eastern Christianity in the Ottoman Era: From Postcolonial History to Global History (1960-2020)

As a result of the place assigned to them in colonial and then postcolonial ideologies, the Christians of the Middle East were long relegated to the margins of historiography. Nevertheless, much has changed in the last two decades, and considering minorities, whether Christian or other, is currently an epistemologically rewarding way to approach Middle Eastern and Mediterranean societies. This article reviews the historiography on the subject since the 1960s, showing its progressive investment by historians of the early modern era. What was termed “economic and social history” avoided treating minorities as a specific issue. On the contrary, with the emergence of the history of mentalités in the 1990s, the study of Eastern Christians became integral to research into “popular religion” and “shared religion,” making it possible to highlight similarities and interactions between Christianity and Islam. Today, the diasporic structure of most Eastern Christian societies, with small groups linked by networks of mobile individuals, offers an interesting canvas for microhistorical studies that contribute to a global history which includes the Mediterranean. Finally, considering Eastern Christians as actors in the construction of knowledge about the Orient foregrounds a relational approach that challenges a one-dimensional focus on the European centers of knowledge production supporting imperialist aims.

Miruna Achim et Stefanie Gänger

Pas encore classiques

La fabrique des antiquités américaines au xixe siècle

Les antiquités précolombiennes sont devenues une catégorie esthétique, scientifique, commerciale et juridique reconnaissable au cours du xix e siècle. Cet article présente les acteurs, les sites et les configurations matérielles et idéologiques qui jouèrent un rôle dans sa construction et son développement. La première section examine la tradition antiquaire ibérique qui, vers le milieu du xvii e siècle, a mis en circulation les artefacts d’avant la conquête en tant qu’objets épistémiques, dans le contexte de la pertinence croissante des vestiges matériels comme objets d’investigation. L’article se penche ensuite sur les scènes de collecte dans les pays d’Amérique hispanique nouvellement indépendants, où les élites créoles, les musées locaux et les étrangers, mus par leurs propres intérêts, se sont disputé les antiquités. La troisième section explore la manière dont, au milieu du xix e siècle, les « technologies du papier » ont fonctionné comme des outils heuristiques pour connaître, organiser et interpréter les antiquités, conférant une densité ontologique à des objets et groupes d’objets spécifiques et conduisant à la construction de régimes de savoirs et d’expertises dédiés. Enfin, la quatrième section reconstruit les processus nationaux et internationaux d’institutionnalisation du passé d’avant la conquête à la fin des années 1800 et au début des années 1900 – à travers la consolidation des musées nationaux et la constitution de l’archéologie et de l’ethnographie comme disciplines scientifiques – afin d’examiner comment ceux-ci ont renforcé l’importance et la signification des antiquités.

Pas encore classiques: The Making of American Antiquities in the Nineteenth Century

Prehispanic antiquities from the Americas became a recognizable aesthetic, scientific, commercial, and legal category over the nineteenth century. This article maps out the actors, sites, and material and ideological configurations involved in its creation and development. The first section examines the Iberian antiquarian tradition that placed preconquest artefacts into circulation as epistemic objects by the mid-1700s, against the backdrop of the increasing relevance of material vestiges as objects of investigation. The article then turns to the collecting scenes in the newly independent Spanish American countries, where creole elites, local museums, and foreigners competed for antiquities, driven by their own diverse interests. The third section explores the ways in which, by the mid-1800s, “paper technologies” functioned as heuristic tools for knowing, organizing, and interpreting antiquities, affording ontological density to specific objects and groups of objects and leading to the construction of regimes of knowledge and expertise devoted specifically to them. Finally, the fourth section reconstructs the national and international processes of institutionalization of the preconquest past in the late 1800s and early 1900s—through the consolidation of national museums and the establishment of archaeology and ethnography as scientific disciplines—to consider how these processes entrenched these antiquities’ significance and meaning.