1. Le Scotland Act Reference et le référendum sur l’indépendance: le contexte politique
Si l’option de l’indépendance prônée par le Scottish National Party (SNP) a été rejetée par le peuple écossais lors du référendum du 18 septembre 2014 organisé en application de l’Agreement between the United Kingdom Government and the Scottish Government on a Referendum on Independence for Scotland,Footnote 1 les velléités d’indépendance de la nation des Îles britanniques sont réapparues à la suite de l’élection d’une majorité parlementaire favorable à l’indépendance lors de l’élection législative écossaise du 5 mai 2016.Footnote 2 Mais cette poussée indépendantiste s’est accrue en raison du vote favorable au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), les Écossais et Écossaises manifestant à plus de 62 pour cent leur opposition à ce retrait lors du référendum du 23 juin 2016.Footnote 3
Invoquant le “material change of circumstances” que constituait ce retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et qui pouvait ainsi justifier, comme elle l’avait indiqué avant la tenue de l’élection législative écossaise de 2016, la Première ministre Nicola Sturgeon plaidait pour la tenue d’un deuxième référendum d’indépendance.Footnote 4 Elle obtenait d’ailleurs l’approbation du Parlement écossais pour demander l’adoption d’un décret en vertu de l’article 30 du Scotland Act de façon à pouvoir organiser un deuxième référendum d’indépendance lorsque la forme de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne deviendra claire.Footnote 5 Cette première demande recevait une fin de non-recevoir de la part de la Première ministre Theresa May.Footnote 6 Cette demande avait été précédée de la publication par le gouvernement de Nicola Sturgeon d’un livre blanc intitulé Scotland’s Right to Choose: Putting Scotland’s Future in Scotland’s Hands. Footnote 7 Présentant un plan détaillé pour la tenue d’un deuxième référendum sur l’indépendance, ce livre blanc appelait notamment le gouvernement britannique à “entamer des discussions sur le mandat du gouvernement écossais pour donner un choix au peuple écossais, et à convenir d’une législation avec le gouvernement écossais qui mettrait hors de doute le droit du Parlement écossais à légiférer pour un référendum sur l’indépendance.”Footnote 8
Après l’élection générale britannique du 12 décembre 2019 qui reportait au pouvoir le Parti conservateur dirigé dorénavant par Boris Johnson, mais à l’occasion de laquelle le SNP obtenait quarante-sept des cinquante-neuf sièges écossais à la Chambre des communes, le gouvernement de Nicola Sturgeon faisait savoir qu’il formulerait une nouvelle demande d’adoption d’un décret en application de l’article 30 pour lui permettre d’organiser un deuxième référendum sur l’indépendance. Les Écossais et Écossaises se révéleront de plus en plus favorables à l’accession de l’Écosse à l’indépendance selon les sondages effectués dans les mois suivant la conclusion de l’Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique .Footnote 9 En octobre 2020, la proportion de la population souhaitant l’indépendance atteindra 58 pour cent, selon un sondage de l’IPSOS Scottish Political Monitor/STV News.Footnote 10 Dans ce même sondage, près de deux tiers (64 pour cent) des Écossais et Écossaises estimeront que le gouvernement du Royaume-Uni devrait autoriser la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance dans les cinq prochaines années si le SNP remportait une majorité de sièges lors des élections législatives écossaises de 2021.
Suite à l’élection législative du 6 mai 2021 et s’appuyant sur une majorité parlementaire composée de soixante-quatre élus et élues du SNP et de huit députés et députées des Scottish Greens dans un Parlement écossais comptant 129 sièges, la Première ministre Nicola Sturgeon concluait le 20 août 2021 un accord de partage de pouvoir (“power-sharing agreement”) avec les Scottish Greens. Connu comme le Bute House Agreement,Footnote 11 cet accord contenait en outre un engagement à tenir un deuxième référendum sur l’indépendance écossaise avant 2026, et si possible avant la fin de 2023. Elle dévoilait le 14 juin 2022 un premier livre blanc présentant une analyse détaillée des performances du Royaume-Uni au regard d’une série d’indicateurs économiques et sociaux par rapport à celles de dix pays européens.Footnote 12
La première ministre écossaise annonçait le 28 juin 2022 son intention de tenir un deuxième référendum sur l’indépendance écossaise le 19 octobre 2023.Footnote 13 Elle rendait public, le même jour, le texte du Scottish Independence Referendum Bill Footnote 14 et faisait parvenir une nouvelle “Section 30 letter” au Premier ministre Boris Johnson. Celui-ci refusait à son tour la demande de Nicola Sturgeon et, dans sa réponse du 8 juillet 2022, affirmait: “J’ai examiné attentivement les arguments que vous avez présentés en faveur d’un transfert de pouvoir du Parlement britannique au Parlement écossais pour organiser un nouveau référendum sur l’indépendance. Alors que notre pays est confronté à des changements sans precedent, […] je ne peux pas accepter que le moment soit venu de revenir sur une question à laquelle le peuple écossais a clairement répondu en 2014.”Footnote 15
Devant le refus du premier ministre britannique, la Première ministre Sturgeon déclarait le 29 juin 2022 que son gouvernement devait s’efforcer “d’accélérer le processus jusqu’à ce qu’il dispose d’une clarté juridique, d’un fait juridique […] [e]t surtout, ce faisant, établir et sauvegarder la capacité de ce Parlement à organiser un référendum à la date propose.”Footnote 16 Elle insistait de même sur le fait que l’Écosse était déterminée à suivre la voie de la légalité sur le chemin de l’indépendance. Dès lors, et en application de l’article 34 de la sixième Annexe du Scotland Act qui permet de référer à la Cour suprême du Royaume-Uni toute matière relative à la dévolution (“any devolution issue”), la Lord Advocate d’Écosse, Dorothy Bain, transmettait à cette cour une demande de renvoi invitant celle-ci à statuer sur le droit du Parlement écossais de légiférer pour organiser un référendum sur l’indépendance.
Cinq mois plus tard, le 22 novembre 2022, la Cour suprême du Royaume-Uni statuait, à l’unanimité, que le Parlement écossais ne détenait pas la compétence de légiférer pour organiser un tel référendum sur l’indépendance.Footnote 17 Si, comme nous le verrons, le jugement est fondé essentiellement sur le droit interne britannique et les dispositions du Scotland Act, le tribunal consacrera une partie de son analyse au droit international et, en particulier, à l’avis de la Cour suprême du Canada dans son Renvoi relatif à la sécession du Québec. Footnote 18
2. Le Scotland Act Reference et l’autodétermination des peuples: le droit international
Le jugement du 22 novembre 2022 de la Cour suprême du Royaume Uni traita d’abord deux questions préliminaires. La première était de savoir si la Lord Advocate d’Écosse disposait du pouvoir de poser à la cour la question de savoir si une législation référendaire visant à permettre une consultation sur l’indépendance de l’Écosse et invitant les Écossais et Écossaises à voter en faveur ou contre la question formulée à l’article 2 du projet de loi: “L’Écosse doit-elle être un pays indépendant? (“Should Scotland be an independent Country ?”). La deuxième était de savoir s’il y avait des raisons de ne pas formuler de réponse même si le droit de poser une telle question était reconnue.
Après avoir répondu favorablement à deux questions préliminaires, la Cour suprême du Royaume-Uni procédait à répondre à la question de fond, à savoir si la législation sur le futur référendum écossais sur l’indépendance portait sur des “questions réservées” au sens de l’article 1 de l’annexe 5 du Scotland Act et plus précisément sur ses alinéas (b) et (c) relatifs à l’“Union des Royaumes d’Écosse et d’Angleterre” et au “Parlement du Royaume-Uni.” Sur ces deux matières réservées et après avoir affirmé que “la question de savoir si l’Écosse doit devenir un pays indépendant […] englobe évidemment la question de savoir si l’Union entre l’Écosse et l’Angleterre doit prendre fin et si l’Écosse doit cesser d’être soumise à la souveraineté du Parlement du Royaume-Uni,”Footnote 19 la Cour conclut de la façon suivante:
S’agissant de la question de savoir si le projet de loi est lié à l’Union, et en déterminant cette question par référence à l’objet du projet de loi, compte tenu de son effet dans toutes les circonstances, nous n’avons aucun doute quant à la réponse. Il est évident qu’un projet de loi qui prévoit un référendum sur l’indépendance — sur la fin de l’Union — a plus qu’un lien ténu ou indirect avec l’Union de l’Écosse et de l’Angleterre. Cette conclusion est renforcée par l’effet d’un tel référendum. Comme nous l’avons expliqué au point 74 ci-dessus, ce ne sont pas seulement les effets juridiques qui sont pertinents dans le contexte de l’article 29 (3). Un référendum tenu légalement serait un événement politique avec des conséquences politiques. Il est tout aussi évident qu’un projet de loi qui prévoit un référendum sur l’indépendance — sur la fin de la souveraineté du Parlement du Royaume-Uni sur l’Écosse — a plus qu’un lien ténu ou indirect avec la souveraineté de ce Parlement.Footnote 20
Ce n’est qu’après avoir tranché cette question de fond que la Cour s’intéresse aux arguments de droit international présentés par le SNP dans le cadre d’une intervention du parti indépendantiste écossais autorisée par la Cour suprême du Royaume-Uni. Dans ses Written Submissions,Footnote 21 le SNP s’emploie à convaincre le tribunal de faire appel aux normes du droit international, en particulier celles reconnaissant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, pour interpréter le Scotland Act conformément — et non contrairement — à ce droit.
Le SNP cite à cet effet la Charte des Nations Unies, la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux contenue dans la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies et les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, omettant toutefois de faire mention de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies (Déclaration sur les relations amicales).Footnote 22 Il met aussi de l’avant les opinions individuelles de deux magistrats de la Cour internationale de Justice, soit celle du juge Patrick Robinson dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 Footnote 23 et celle du juge Antonio Cançado Trindade dans l’avis consultatif sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo. Footnote 24 Le SNP rappelle aussi que dans les observations formulées par le gouvernement du Royaume-Uni dans le cadre de ce dernier avis consultatif, ce dernier avait concédé que le droit international “n’interdit pas, […] en général, la sécession ou la séparation, ni ne garantit l’unité des États prédécesseurs contre les mouvements internes conduisant à la séparation ou à l’indépendance avec l’appui des peuples concernés.”Footnote 25
S’efforçant de définir la notion de peuple et tentant de démontrer que les Écossais et Écossais forment un peuple, le SNP conclut son argumentation fondée sur le droit international ainsi:
8.1.1 Le peuple écossais est “un peuple” au sens du droit à l’autodétermination;
8.1.2. Le peuple écossais a donc droit à la protection de son droit à déterminer librement “son statut politique et à poursuivre librement son développement économique, social et culturel;
8.1.3. Ce droit est inaliénable et ne peut être retiré au peuple écossais; et
8.1.4. Lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’interprétation du Scotland Act 1998, il y a une forte présomption qu’il faut donner à cette loi une interprétation qui n’empêche pas le peuple écossais d’exercer son droit et qui ne lui rend pas la tâche excessivement difficile, par exemple en subordonnant son droit à l’autodétermination à l’approbation d’un autre “peuple” […];
8.2 En plus d’être conforme aux normes juridiques internationales, l’interprétation étroite de l’expression “se rapporte à” est conforme à l’exercice d’interprétation législative requis par l’article 101 de la loi de 1998 et elle est conforme à l’objectif primordial de la législation sur la dévolution. L’interprétation plus large de l’expression “se rapporte à” ne satisfait à aucune de ces exigences.
8.3. En réponse aux questions posées par le Lord Advocate, l’intervenant soutient donc que la Cour devrait juger que le Parlement écossais peut légiférer sur un référendum non-éxécutoire sur l’indépendance de l’Écosse et que, par conséquent, le projet de loi sur le référendum sur l’indépendance de l’Écosse ne concerne pas (i) l’Union des royaumes d’Écosse et d’Angleterre, ou (ii) le Parlement du Royaume-Uni aux fins du Scotland Act 1998.
Réfutée par Her Majesty’s Advocate General for Scotland,Footnote 26 l’argumentation du SNP fondée sur le droit international ne sera pas non plus retenue par les juges de la cour suprême britannique, statuant d’ailleurs à l’unanimité.Footnote 27 Après avoir rappelé qu’est bien établie “[l]a forte présomption en faveur d’une interprétation de son droit interne qui ne place pas le Royaume-Uni en situation de violation de ses obligations en matière de droit international”Footnote 28 et qu’ “[e]n cas d’ambiguïté dans une disposition légale opérant dans un domaine où le Royaume-Uni est lié par une obligation conventionnelle, la présomption de conformité avec le droit international s’appliquera à l’interprétation de cette disposition légale,”Footnote 29 le tribunal ajoute que “[c]ette présomption de compatibilité s’étend aux obligations découlant des traités internationaux, qu’elles aient ou non été transposées en droit interne au Royaume-Uni,”Footnote 30 mais qu’elle “elle ne constitue une aide à l’interprétation admissible que si la disposition légale n’est pas claire à première vue.”Footnote 31
C’est après avoir souligné l’existence et les limites d’une telle règle de présomption de conformité que la Cour suprême du Royaume-Uni s’intéresse à l’argument fondé du droit à l’autodétermination et affirme que celui-ci “se heurte à des obstacles insurmontables, […] [le principe d’autodétermination n’[étant] tout simplement pas en jeu ici.”Footnote 32 Pour appuyer cette affirmation, la cour britannique cite d’ailleurs les vues exprimées sur ce droit par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec:
88. […] La portée de ce principe a été examinée par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 RCS 217. Dans cette affaire, le gouverneur en conseil a soumis une série de questions à la Cour suprême, notamment celle de savoir s’il existe un droit à l’autodétermination en vertu du droit international qui donnerait au Québec le droit de faire sécession unilatéralement. Dans son arrêt, la Cour suprême a expliqué (aux paras 136–37) que le Canada était un État souverain et indépendant se conformant au principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples et disposant donc d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction. Elle a estimé que les dispositions constitutionnelles en vigueur au Canada ne plaçaient pas les Québécois dans une situation désavantageuse au regard de la règle de droit international. Elle poursuit: “En résumé, le droit international à l’autodétermination ne génère, au mieux, un droit à l’autodétermination externe que dans les situations d’anciennes colonies, lorsqu’un peuple est opprimé, par exemple sous occupation militaire étrangère, ou lorsqu’un groupe définissable se voit refuser un accès significatif au gouvernement pour poursuivre son développement politique, économique, social et culturel. Dans ces trois situations, le peuple en question bénéficie d’un droit à l’autodétermination externe parce qu’il a été privé de la possibilité d’exercer son droit à l’autodétermination interne. De telles circonstances exceptionnelles sont manifestement inapplicables au Québec dans les conditions actuelles.” (au para 138) Elle poursuit en disant que dans d’autres circonstances, les peuples sont censés parvenir à l’autodétermination dans le cadre de l’État existant: “Un État dont le gouvernement représente l’ensemble du peuple ou des peuples résidant sur son territoire, sur une base d’égalité et sans discrimination, et qui respecte les principes de l’autodétermination dans ses arrangements internes, a le droit de maintenir son intégrité territoriale en vertu du droit international et de faire reconnaître cette intégrité territoriale par d’autres États. Le Québec ne répond pas aux critères d’un peuple colonial ou d’un peuple opprimé, et on ne peut pas non plus suggérer que les Québécois ont été privés d’un accès significatif au gouvernement pour poursuivre leur développement politique, économique, culturel et social. Dans ces circonstances, l’Assemblée nationale, la législature ou le gouvernement du Québec ne jouissent pas, en droit international, du droit de procéder unilatéralement à la sécession du Québec du Canada” (au para 154).Footnote 33
La référence aux “observations” de la Cour suprême du Canada semble être destinée essentiellement à nier le “droit de sécession” à l’Écosse, la Cour reconnaissant par ailleurs que, comme l’avait mentionné le SNP dans son argumentation, le droit international n’interdit pas, en général, la sécession.Footnote 34 La cour est par ailleurs d’avis que, s’agissant du point pertinent en ce qui concerne la demande de l’intervenant fondée sur un droit à l’autodétermination en vertu du droit international, ce droit n’est pas reconnu en dehors des contextes décrits par la Cour suprême du Canada, dont aucun ne s’applique à l’Écosse.Footnote 35
Ce n’est qu’après avoir procédé à une telle négation du droit à l’autodétermination sécessionniste de l’Écosse que le tribunal répond à l’argument suivant lequel l’application de la présomption de conformité au droit international devrait conduire les juges à interpréter le Scotland Act comme n’empêchant pas la possibilité pour l’Écosse de légiférer aux fins de la tenue d’un référendum sur l’indépendance. La réfutation de l’argument est formulée ainsi par la cour:
[L]’intervenant invoque le principe de l’autodétermination en droit international comme outil d’interprétation à l’appui d’une interprétation restrictive des termes “se rapporte à” à l’article 29, paragraphe 2, sous b), de manière à donner une portée plus limitée à la limitation de la compétence législative relative aux matières réservées. Toutefois, aucune interprétation de cette sous-section, qu’elle soit large ou étroite, ne peut entraîner une violation du principe d’autodétermination en droit international. Le Scotland Act répartit les compétences entre le Royaume-Uni et l’Écosse dans le cadre d’un règlement constitutionnel. Elle établit un schéma soigneusement calibré de pouvoirs de dévolution. Rien dans la répartition des pouvoirs, quelle qu’en soit l’interprétation large ou étroite, ne porte atteinte à un quelconque principe d’autodétermination. Au contraire, la législation établit et promeut un système de décentralisation fondé sur les principes de subsidiarité. Il est désormais bien établi que la législation sur la décentralisation telle que le Scotland Act doit être interprétée comme toute autre loi, sous réserve des règles d’interprétation fixées par la loi elle-même (voir, par exemple, l’article 29(3) et (4)). Il serait inapproprié d’appliquer une présomption d’interprétation dans le but d’obtenir une dévolution plus ou moins importante des pouvoirs.Footnote 36
Cette réponse laisse perplexe. La Cour statue ici sur l’existence d’une violation du principe d’autodétermination en droit international, alors que la question à laquelle elle était invitée à répondre ne porte aucunement sur une telle violation. La question porte sur l’existence — ou non — d’une compétence de légiférer pour permettre la tenue d’un référendum sur l’indépendance. La cour aurait dû d’abord se demander si le droit du peuple écossais à disposer de lui-même, et en particulier celui de déterminer librement son statut politique reconnu notamment par l’article 1er commun aux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, comprend le droit d’organiser un référendum. Si la cour avait procédé ainsi, il aurait été difficile d’apporter une réponse négative à cette question, le droit d’organiser un référendum étant inhérent à celui du droit de déterminer librement son statut politique. Elle aurait dû ensuite se demander si le droit d’organiser un référendum comportait celui de faire porter un tel référendum sur l’indépendance. La réponse à cette dernière question aurait pu être positive si la cour avait retenu une interprétation large et libérale de l’article 1er commun des Pactes internationaux ainsi que d’autres instruments garantissant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
On peut penser que la cour n’a pas favorisé une telle interprétation dans la mesure où elle a retenu, en la citant, l’interprétation restrictive de la Cour suprême du Canada voulant que le droit international ne reconnait pas le droit à l’indépendance d’un peuple qui fait partie d’un État, pour reprendre les termes de la Déclaration sur les relations amicales, “dont le gouvernement représente l’ensemble du peuple ou des peuples résidant sur son territoire, sur une base d’égalité et sans discrimination, et respecte les principes de l’autodétermination dans ses arrangements internes, [ayant] le droit au maintien de son intégrité territoriale en vertu du droit international et à faire reconnaître cette intégrité territoriale par les autres États.”Footnote 37 Mais, le tribunal britannique n’aurait-il pas pu constater que le Royaume-Uni n’avait pas respecté, à l’égard de l’Écosse, le principe d’autodétermination dans ses arrangement internes, en se retirant de l’Union européenne sans le consentement de l’Écosse dont 62 pour cent des électeurs et électrices avaient exprimé leur refus lors du référendum sur le “Brexit” du 23 juin 2016?
Qui plus est, la cour n’aurait-elle pas dû prendre acte du fait que l’argument du maintien de l’intégrité territoriale pour contrecarrer le droit à l’indépendance n’était plus opposable à l’Écosse à la lumière de l’Avis sur le Kosovo formulé par la Cour internationale de Justice, cette cour ayant en effet rappelé que “[l]a portée du principe de l’intégrité territoriale est donc limitée à la sphère des relations interétatiques.”Footnote 38 Si tel avait été le cas, elle aurait pu conclure que le droit international reconnaissait un droit à l’indépendance du peuple écossais et, par conséquent, le droit d’organiser un référendum sur cet mode d’exercice de son droit à l’autodétermination. C’est avec cette détermination qu’aurait alors pu être appliquée la présomption de conformité du droit interne au droit international. Une telle présomption aurait permis de justifier une interprétation “étroite” du Scotland Act, comme le SNP en avait exprimé le souhait, reconnaissant la compétence du Parlement écossais de légiférer pour prévoir la tenue d’un référendum sur l’indépendance, ce pouvoir législatif n’étant pas une matière réservée au Parlement du Royaume-Uni, même si cette compétence avait une incidence sur l’”Union des Royaumes d’Écosse et d’Angleterre” et sur le “Parlement du Royaume-Uni.”
En application de la présomption de conformité et pour arriver à une telle interprétation du Scotland Act, la cour n’aurait-elle pas pu, de même, s’appuyer sur le paragraphe 3 de l’article 1er commun aux Pactes internationaux selon lequel les États parties sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. D’autant plus que le Comité des droits de l’homme, l’organe de contrôle du Pacte international sur les droits civils et politiques, a affirmé que devait s’ensuivre de ce paragraphe “que tous les États parties doivent prendre des mesures positives pour faciliter la réalisation et le respect du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, [c]es mesures positives d[evant] être conformes aux obligations qui incombent aux États en vertu de la Charte des Nations Unies et du droit international.”Footnote 39 Une telle facilitation et un tel respect aurait dû passer par la reconnaissance, à titre de mesure positive, du droit d’organiser un référendum sur l’indépendance.
La Cour suprême du Royaume-Uni a raté l’occasion de contribuer à faire émerger un droit à l’indépendance fondé sur le droit international et à privilégier une interprétation qui ne priverait pas, pour reprendre le libellé de plusieurs instruments internationaux, “tous le peuples” d’exercer leur droit à l’autodétermination et d’opter pour “[l]a création d’un État souverain et indépendant,” pour citer la Déclaration sur les relations amicales.
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Si la Cour suprême du Royaume-Uni s’est montrée disposée à traiter des arguments fondés sur le droit international et en particulier sur les vues formulées par la Cour suprême du Canada dans son Renvoi relatif à la sécession du Québec, l’on ne peut s’empêcher de remarquer que la Cour suprême du Royaume-Uni n’a manifestement pas tenu compte de l’autre partie du jugement, comme l’a d’ailleurs fait un éminent universitaire écossais.Footnote 40 Cette partie de l’avis de la Cour suprême du Canada est celle dans laquelle celle-ci affirme que “[l]e principe du fédéralisme, joint au principe démocratique, exige que la répudiation claire de l’ordre constitutionnel existant et l’expression claire par la population d’une province du désir de réaliser la sécession donnent naissance à une obligation réciproque pour toutes les parties formant la Confédération de négocier des modifications constitutionnelles en vue de répondre au désir exprimé.”Footnote 41
Cette omission a d’ailleurs poussé un internationaliste britannique à reprocher, à juste titre, à la Cour suprême du Royaume-Uni de s’intéresser, comme l’avait fait le tribunal de dernier ressort au Canada, à la notion d’autodétermination constitutionnelle telle qu’elle devrait appliquée dans le cas de l’Écosse.Footnote 42 Mais, il s’agit là d’une question qui mérite une analyse approfondie en droit constitutionnel, et en droit constitutionnel comparé, qu’il nous appartiendra de faire après avoir tenté dans le présent article de traité des aspects de droit international du Scotland Act Reference.