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La pensée religieuse des Mozarabes face à l'Islam

Published online by Cambridge University Press:  29 July 2016

Dominique Urvoy*
Affiliation:
Université de Dakar

Extract

Le terme ‘mozarabe’ (musta'rib = arabisé) n'apparaît qu'au xie siècle, dans le Léon. Il désigne un phénomène limité d'influence culturelle — notamment en art — par suite de l'émigration vers le Nord de Chrétiens ayant d'abord vécu dans le Sud de la Péninsule ibérique, sous le pouvoir musulman. C'est improprement que l'on a étendu ce terme à tous les Chrétiens d'Espagne durant la période qui précède les premiers succès décisifs de ce qu'il est convenu de nommer la reconquista. Non seulement ceux des royaumes du Nord, qui n'ont assimilé que quelques thèmes décoratifs, quelques éléments musicaux et quelques symboles culturels arabes, mais une partie de ceux qui sont restés dans les régions islamisées et qui se sont cramponnés durant un certain temps à leur culture latine, n'ont pas à être qualifiés de la sorte.

Type
Miscellany
Copyright
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References

1 Rassemblés par Gil, J., Corpus Scriptorum Muzarabicorum (Madrid 1973).Google Scholar

2 On trouvera un tableau de la littérature arabe chrétienne d'Espagne dans l'édition, par M. Th. Urvoy, de la version poétique des Psaumes par Ḥafṣ ibn Albar al-Qütī (en arabe, à paraǐtre à Beyrouth).Google Scholar

3 Bibliothèque de la mosquée de Sidi ‘Uqba, Kairouan, MS 120/829. Ce texte, ainsi qu'une version arabe des évangiles conservée à la Bibliothèque de Munich (Monacensis ar. 238) posent la question de la survivance de communautés mozarabes au Maghreb après l'islamisation absolue d'Al-Andalus réalisée par les Almoravides et surtout les Almohades. Le manuscrit de Munich a été copié en šawwāl 796 H. / aoǔt 1394 par un scribe maghrébin qui a pris pour modèle un Evangile copié à Fès en mars 1195 par le diacre Abü'Umar b. Juan. Il s'agit sans doute d'un membre de la communauté mozarabe andalouse déportée au début du xiie siècle par les Almoravides, à la demande du cadi Ibn Rušd (grand-père d'Averroès), pour empêcher les Chrétiens du Nord d'avoir des alliés parmi les sujets du pouvoir musulman. Il a lui-měme utilisé la traduction faite à partir du latin par le Cordouan Isḥāq b. Balašk (Velazquez) en 946 (cf. K. Vollers et E. von Dobschütz, ‘Ein spanisch-arabisches Evangelien-fragment,’ Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft [1902] 633–648). De ce mouvement doit dater également l'arrivée au Maghreb de l'Évangile arabe du ixe-Xe s. qui est conservé à la Bibliothèque de la mosquée Qaraouine de Fès (cf. E. Tisserand, ‘Sur un manuscrit mozarabe de Fès,’ Miscellanea Biblica B. Ubach [Montserrat 1953] 15–26).Google Scholar

4 Cf. Pérez de Urbel, J., ‘El Antifonario de León y el culto de Santiago el Mayor en la liturgia mozarabe, Revista de la Universidad de Madrid III 9 (1954) 524. Quand la liturgie mozarabe est abolie en 1082 on garde les deux dates en leur donnant des significations différentes: celles du voyage du corps de l'Apǒtre en Galice pour la date espagnole, celle de sa naissance pour la date européenne.Google Scholar

5 Cf. Liber Pontificalis (éd. Duchesne, L.; Paris 1886) I 348: ‘Hic repperit in urbe Roma, in monasterio qui appellatur Boetiana, nestorianitas monachos Syros, quos per diversa monasteria divisit, in quo praedicto monachos Romanos instituit.’Google Scholar

6 Cf. Ibn Ǧulǧul, Ṭabaqāt al-aṭibbā’ wa-l-ḥukamā ’ (éd. Fūad Sayyid; le Caire 1955) 8283, n. 31 et 96 n. 38; repris par Ibn Abī Uṣaybi'a.Google Scholar

7 Ed. Tien, A., Risālat ‘Abdallāh b. Ismā'il al-Hāšimī ilā ‘Abd al-Masīḥ b. Isḥāq al-Kindī wa risālat al-Kindī ilā-l-Hāšimī (Londres 1880; rééd. 1885 et 1912; autre éd. le Caire 1895 et 1912). Trad. W. Muir, The Apology of al-Kindi written at the Court of al-Mamūn in Defence of Christianity against Islam (Londres 1882).Google Scholar

8 Ed. d'après un ms. unique par Muñoz Sendino, J., ‘Al-Kindi, Apologia del Cristianismo, Miscelanea Comillas 11–12 (1949) 337460. Recension par W. Caskel dans Oriens 4 (1951) 153–59.Google Scholar

9 Cf. Lohr, Ch. H., ‘Ramon Lull, Liber Alquindi and Liber Telif, Estudios Lulianos 12 (1968) 145–60.Google Scholar

10 Sur cet ouvrage cf. Segesvary, V., L'Islam et la Réforme (Lausanne 1978).Google Scholar

11 Résumé de la question dans l'article ‘al-Kindī, ‘Abd al-Masīḥ,’ par G. Troupeau, dans l'Encyclopédie de l'Islam (nouv. éd.) 5 (1979) 123–24.Google Scholar

12 Cf. supra note 3. G. Levi della Vida, ‘Un texte mozarabe d'histoire universelle,’ Études d'orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi-Provençal (Paris 1962) I 175–83, et ‘I Mozarabi tra Occidente e Islam,’ in: L'Occidente e l'Islam nell'alto Medioevo (Settimane di Studio del Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo 12; Spoleto 1965) II 667–95.Google Scholar

13 Cf. Caspar, R., ‘Les versions arabes du dialogue entre le Catholicos Timothée I et le Calife al-Mahdi (iie/viiie siècle): “Mohammed a suivi la voie des Prophètes”,’ Islamochristiana 3 (1977) 107–75; étude des filières, éd. et trad. de la plus ancienne version. H. Putman, L’Église et l'Islam sous Timothée I (780–823) (Beyrouth 1975), réédite avec corrections une version récente publiée dans les années 20 par le P. Cheikho; cf. compte-rendu critique par R. Caspar dans Islamochristiana 5 (1979) 281–84.Google Scholar

14 Ceux-ci ont été relevés par Strothmann, R., Theologische Literaturzeitung 9 (1928) 202–6.Google Scholar

15 Ibn Ḥazm, Kitāb al-Fiṣal fī-l-Milal (le Caire 1321 H./1903) V 119–24. Trad. abrégée par M. Asin Palacios, Abenházam de Córdoba y su historia crítica de la ideas religiosas V (Madrid 1932) 329–36.Google Scholar

16 Ed. Muḥammad Rāġib al-Ṭabbāḥ al-Ḥalabī (Alep 1346 H./1928). Sous le titre K. al'ibar wa-l-i'tibar, un ms. du British Library (Rieu, Suppl. 684) donne une autre version de ce texte ainsi qu'une introduction inédite où l'auteur cite ses sources.Google Scholar

17 Baneth, D. H., ‘The Common Teleological Source of Bahye ibn Paqoda and Ghazzali, Magnes Anniversary Book (Jérusalem 1938) hébreu 23–30, sommaire anglais iv–v.Google Scholar

18 Cf. Garcia, E. Gomez in Al-Andalus 19 (1954) 482.Google Scholar

19 Cf. le résumé de la question dans van Ess, J., Die Gedankenwelt des Ḥāriṭ al-Muḥāsibī (Bonn 1961) 170–73.Google Scholar

20 PG 83.555–774.Google Scholar

21 van Ess, J., Frühe Mu'tazilitische Häresiographie (Beyrouth 1971) 119 n. 2.Google Scholar

22 MS Ayasofya 4836, fol. 160r–187v.Google Scholar

23 Cf. Kessler, K., Mani: Forschungen über die Manichäische Religion (Berlin 1889) I 321sq.Google Scholar

24 Epistula Albari Speraindeo abbati directa (Gil, Corpus I 201–202 § 2).Google Scholar

25 Texte publié par Morata, N. en appendice à G. Antoliú, ‘Codices visigóticos de la Biblioteca del Escorial,’ Boletín de La Real Academia de la Historia 86 (1925) 605–55, sous le titre ‘Las notas arabes del Cod. & 1–14,’ p. 635–39.Google Scholar

26 PL 98.335–36.Google Scholar

27 Gf. Gil, Corpus I 135–41 § 4.Google Scholar

28 Connu surtout par la réfutation d'Elipand; cf. de celui-ci, Epistola Migetio eretico directa (Gil, Corpus I 68–78).Google Scholar

29 d'Abadal, R., La batalla del adopcionismo et la desintegración de la Iglesia visigoda (Barcelone 1949), voit měme dans l'entreprise de Migetius et Egila la première tentative de mainmise à la fois de la Papauté et de Charlemagne sur l'Espagne, et dans le concile de Séville qui l'a condamnée une réaction ‘nationale.’ Cf. aussi M. Ríu, ‘Revisión del problema adopcionista en la diócesis de Urgel,’ Anuario de Estudios Medievales 1 (1964) 77–96.Google Scholar

30 Gil, Corpus I 136 § 2.Google Scholar

31 Epistola Migetio (op. cit. § 6, 1–5).Google Scholar

32 Cf. Rivera, J. F., Elipando de Toledo : Nueva aportación a los estudios mozárabes (Tolède 1940), et ‘Elipand,’ DHGE 15 (1963) 204–14. Il s'appuie, au sujet de la formation d'Elipand, sur les adversaires de celui-ci, Beatus et Eterius d'Osma.Google Scholar

33 Epistola Migetio (op. cit. § 7).Google Scholar

34 Cet argument d'Ibn Isḥāq sera encore repris textuellement dans une polémique rédigée au xiie siècle par un Musulman de Cordoue prisonnier à Tolède, et à la demande de ses coréligionnaires de cette ville; cf. al-Ḥazraḡī, Maqāmi ‘al-ṣulbān (éd. “al-S̄arfī, A. M.; Tunis 1975) 127. § 99. Voir les remarques de S. Khalil dans Islamochristiana 6 (1980) 249–50. Toute une question des Dialogues de Timothée est consacrée à réfuter cette assimilation (cf. éd. Caspar, 14e question).Google Scholar

35 C'est le cas notamment d'Anselm Turmeda au xive siècle et d'Alfonso de Mella au xve siècle. A ce moment-là l'Islam vaincu est avant tout témoin de la soumission à Dieu, et le Christianisme vainqueur se fait remarquer surtout par son intolérance et sa soif de puissance. Cf. notre analyse dans Penser l'Islam: Les présupposés islamiques de l' ‘Art’ de Lull (Paris 1980) 131–34.Google Scholar

36 Cf. La batalla del adopcionismo.Google Scholar

37 Opinion Vernet, de F., ‘Elipand de Tolède, DThC 4 (1924) 2333–40.Google Scholar

38 Cette hypothèse est formulée dès le ixe siècle par l'auteur saxon Einhard, qui s'appuie sur Eginhard (cf. PL 104.441).Google Scholar

39 Au témoignage d'Elipand lui-měme dans sa lettre à Félix (Gil, Corpus I 110 § 3), repris par Alcuin (PL 101.234).Google Scholar

40 Elipand annonce à Félix qu'il a envoyé sa lettre aux Frères de Cordoue ‘qui de Deo recta sentiunt et mihi multa scripserunt.’ Le temps de ce dernier verbe laisse penser qu'il ne s'agit pas seulement de réactions à la lettre de Félix mais d’échanges antérieurs. On ne sait toutefois jusqu'où remonter dans le temps: ont-ils seulement soutenu la condamnation de Migetius ou l'ont-ils provoquée?Google Scholar

41 Cf. notamment Gams, P. B., Die Kirchengeschichte von Spanien (rééd. Graz 1956) II 261–73 et 345sq. Ses arguments sont les suivants: (1) Elipand est le premier en Espagne à citer Saint Ephrem. Ce n'est qu'après lui qu'Alvaro le citera aussi ainsi que d'autres pères grecs jusqu'alors inconnus dans la Péninsule. (2) Il y a deux moines orientaux parmi les ‘martyrs de Cordoue’ (849–859), et il y a des signes de présence d'autres religieux d'Orient à d'autres époques. (3) L'auteur de la Chronique rimée, continuation de celle d'Isidore de Séville, semble ětre un Nestorien. Discussion des hypothèses de Gams dans E. Colbert, The Martyrs of Córdoba (850–859): A Study of the Sources (Washington 1962) 33–34: réfutation de l'attribution à un oriental de la Chronique rimée, 57 et 84–85. Cf. aussi J. Solano, s.j., ‘El Concilio de Calcedonia y la controversia adopcionista del siglo viii en España,’ in: Das Konzil von Chalkedon II (Edd. A. Grillmeier – H. Bacht; Würzburg 1979) 841–71.Google Scholar

42 Pour les Romains l'adoption suppose deux personnes distinctes; le vrai Fils et le fils adoptif. ‘Si donc, comme le prétendaient les Adoptiens, celui qui s'est fait homme, le premier né de Marie, est simplement fils adoptif de Dieu, il n'est donc pas le vrai fils de Dieu et par conséquent il n'est pas vraiment Dieu; et, de vrai, la secte ne se génait pas pour l'appeler Deus nuncupativus. Dès lors la Vierge Marie n'est pas vraiment mère de Dieu, et le Christ n'est pas měme le fils adoptif de Dieu le Père mais le fils adoptif de la sainte Trinité toute entière. (…) Si encore l'homme Jésus-Christ n'est que fils adoptif, il n'est pas le vrai fils de Dieu; et en conséquence, il faut admettre logiquement et inéluctablement, de měme que deux natures, deux personnes distinctes aussi dans le Christ (…). Or c'est là du pur nestorianisme’ (H. Quilliet, ‘Adoptianisme,’ DThC I 411).Google Scholar

43 Lettre du Pape Adrien (PL 98.373); Lettre des évěques de Germanie, de Gaule et d'Aquitaine (PL 101.1331); etc.Google Scholar

44 Simbolus fidei elipandiane (Gil, Corpus I 78–80).Google Scholar

45 PL 101.127–230.Google Scholar

46 Cf. Hefele, Ch. J., Histoire des Conciles (trad. fr. Dom H. Leclercq, Paris 1910) III 2 p. 1016–1019.Google Scholar

47 Gil, Corpus I 70 § 2 ll. 41–45. Relevé par Gams.Google Scholar

48 Colbert, E., The Martyrs of Córdoba 57.Google Scholar

49 Cf. le jugement du disciple d'Ibn Ḥazm, Ṣā‘id de Tolède: ‘Aux premiers temps, l'Espagne était dépourvue de science. Aucun de ses habitants ne s'est rendu célèbre à ce titre. On se souvient seulement qu'il y avait, dans quelques endroits, des anciens talismans, érigés par les rois de Rome (…). Et il en fut ainsi, faute d’études philosophiques, jusqu’à ce que les Musulmans ne s'y établissent’ (Ṭabaqāt al-umam; éd. Al-Machriq [oct. 1911] 666).Google Scholar

50 On a plusieurs témoins de ce processus. D'une part les fragments disciplinaires des archives de Lisbonne (indiqués au début de la présente étude, inédits) témoignent d'une progressive dés-arabisation: certains canons ont été vocalisés à une époque tardive, ce qui témoigne: (1) du désintérět pour les autres canons, qui devaient concerner des questions propres à l'Église wisigothique, que dédaignera l'Église romaine; (2) de la perte de la connaissance de l'arabe, car pour un texte de ce genre qui ne prěte pas à l'ambiguïté la vocalisation n'est nécessaire que pour qui ne pratique pas couramment cette langue. D'autre part on possède des monuments de la ‘latinisation’ des Mozarabes: (1) un glossaire latin-arabe conservé à l'Université de Leyde (éd. Ch. F. Seybold, Glossarium latino-arabicum [Semitische Studien, Ergänzungshefte zur Zeitschrift für Assyriologie 15–17; 1900]), dont P. Sj. van Koningsveld a montré qu'il s'agissait d'une traduction faite dans la deuxième moitié du xiie siècle ou la première moitié du xiiie siècle d'un lexique latin–latin, dont les explications sont traduites en arabe, en ajoutant d'autres explications empruntées à des versions arabes de certains livres scripturaires (Ancien Testament, Evangiles, Epǐtres de Saint Paul) et à un manuscrit latino-arabe du Liber Etymologiarum d'Isidore de Séville (The Latin-Arab Glossary of the Leiden University Library: A Contribution to the Study of Mozarabic Manuscripts and Literature [Leyde 1977]); (2) un manuscrit arabe et latin de l'Épǐtre aux Galates (fragment), dont le vocabulaire est apparenté à celui du dictionnaire de Leyde bien que l'ouvrage semble beaucoup plus ancien. Le texte arabe a été copié le premier et le texte latin ne le traduit pas exactement, mais relève d'une tradition différente (cf. D. de Bruyne, o.s.b. et E. Tisserant, ‘Une feuille arabo-latine de l'Épǐtre aux Galates,’ Revue Biblique n.s. 7 [1910] 322–43).Google Scholar

51 C'est le seul manuscrit qui nous transmette ces textes. Cf. Gil, Corpus I 67.Google Scholar