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XVII.—Influence Des Récits De Voyages Sur La Philosophie De J. J. Rousseau

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

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Contrairement à bien des écrivains et à bien des philosophes, Jean Jacques Rousseau semble avoir trouvé, dès le début de sa carrière, l'idée directrice qui devait le guider dans toute son œuvre. Contenue, déjà presque entière, dans le Discours sur les Sciences et les Arts, la théorie sur la bonté originelle de l'homme est formulée avec netteté et développée dans le Discours sur l'Inégalité; on la retrouve dans tous les ouvrages de Rousseau, c'est l'essential même de sa doctrine, le principe admis par lui comme absolu et incontestable, dont il ne se départira pas et qu'il défendra obstinément. Il est assez étonnant, au premier abord, de voir Rousseau prendre cette attitude dans la lutte philosophique à un moment où les idées de progrès out gagné tellement de terrain, dans un des siècles les plus civilisés et les plus heureux de son raffinement que l'on ait connu. Ajoutons que Rousseau, en sa double qualité de Génevois et de protestant foncier, qu'il est toujours resté, aurait dû croire plus que tout autre à ce que Calvin appelle la “malice humain.” Suffitil de dire que Rousseau “étant éminemment individualiste, toute sa doctrine sort de la constitution particulière de son moi,” comme M. Lanson le déclare? Il ne semble pas, et cette solution ne nous satisfait guère; il y a pourtant là un problème psychologique autant que littéraire qui vaut d'être examiné.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1911

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References

page 476 note 1 Voir Gaberel, Calvin et Rousseau, Genève, 1878.

page 477 note 1 Confession, IIe part., Livre viii.—Dans le même livre Rousseau raconte un peu plus loin comment il composa son second Discours dans des conditions analogues au cours de ses promenades à travers la forêt de Saint Germain. Dans les deux récits nous trouvons la même affirmation d'originalité et d'invention personelle.

page 478 note 1 Dès 1720 de l'Isle avait fait jouer sur la scène de la Comédie Italienne un Arlequin Sauvage, où l'on voyait un Indien se moquer de notre civilisation; la pièce eut du succès mais n'est qu'un aimable badinage. Quant à Montesquieu, son Usbeck est loin d'être “l'homme naturel” tel que l'a conçu Rousseau. L'auteur des Lettres Persanes connaissait parfaitement le Voyage en Perse de Chardin; il n'est pas tombé dans l'erreur grossière de faire de son héros un barbare ou un sauvage, comme on disait alors. Usbeck est le représentant d'une civilization moins avancée que la nôtre, il n'en est pas moins un civilisé. Ce n'est donc point là qu'il faut rechercher les origines précises du Discours sur l'Inégalité; et en tout cas Montesquieu n'a voulu faire que le procès de quelques abus et de quelques travers et non point diriger une attaque systématique contre la civilisation.

page 479 note 1 Discours sur l'Inégalité (note j.)

page 480 note 1 Discours sur l'Inégalité (notes f, g, j.)—Le tome xii de la compilation de Prévost, qui traite spécialement de l'Amérique, a paru en 1754, trop tard pour que Rousseau ait pu utilement le consulter; mais le tome xi, qui contient déjà les voyages de Magellan, a pu lui-fournir quelques renseignements.

page 480 note 2 Cette expédition a été racontée par André Thévet dans ses Singularitéz de la France Antarctique, Paris, 1556. Thévet, qui est loin d‘être un philosophe, n'a vu dans les sauvages que des cannibales ou des pauvres êtres deshérités par la nature et condamnés à vivre de façon précaire sous un ciel affreux: voir surtout le chapitre “Comment ces pauvres gens se défendent du froid”; nous sommes bien loin de l‘âge d'or. Il est à noter que Rabelais, qui lui aussi s'est occupé de l'Amérique, comme l'a a montré Lefranc (Les Navigations de Pantagruel, Paris, 1905), a partagé l'opinion de Thévet sur ce point (Pantagruel, iv, 9). On s'est en effet tout d'abord demandé si les sauvages américains avaient une âme; le zèle des convertisseurs ne s'est éveillé qu'assez longtemps après la découverte.

page 481 note 1 Essais. Liv. i, Chap. xxx. On avait vu assez souvent de ces sauvages en France, et, en particulier, à Rouen. En 1551 une véritable colonie d'Indiens venus du Brésil campa sur les rives de la Seine et le roi Henri II prit grand intérêt à ce spectacle, “duquel son œil fut joyeusement content.” (Déduction du somptueux ordre, plaisantz spectacles et magnifiques spectacles. … donnés par les citoiens de Rouen à la Sacrée Majesté du très christien Roy de France Henry second, Rouen, 1551. Réimprimé à Paris chez Techener, 1850). Ces Indiens et les objets exotiques qu'ils avaient apportés avec eux inspirèrent même des artistes; cf. un article du Dr. Hamy sur l'Album des habitants du Nouveau monde d'Antoine Jacquard qui contient un passage sur les sculptures de l'Hôtel du Brésil à Rouen (Journal de la Société des Américanistes, Nouvelle série, tome iv, no. 2, 1908).

page 482 note 1 M. Edme Champion dans son livre si judicieux sur J. J. Rousseau et la Révolution Française, Paris, 1909, ne signale pas ce rapprochement, que je crois cependant décisif. Si le mot de Mde. de Stael: 'Rousseau n'a rien inventé, mais il a tout enflammé,“ nous paraît exact, il n'est peut-être pas inutile de le corroborer par des faits et des textes.—Mr. Paul Stapfer dans son volume sur Montaigne, Paris, 1895, ne fait qu'indiquer en passant la dette de Rousseau.

page 483 note 1 Montaigne n'est pas le seul au XVIe siècle à avoir établi ce rapprochement; Jodelle dans une ode dédiée a Thévet et publiée en tête de la Relation de la France antarctique, avait déjà dit:

Ces Barbares marchent tous nuds,
Et nous nous marchons incogneus
Fardez, masquez. Ce peuple estrange
A la pieté ne se range,
Nous la notre nous mesprisons. …

M. Laumonier a récemment signalé une curieuse ressemblance entre Ronsard et Rousseau (Ronsard poète lyrique, Paris, 1910, page 554). Mais personne autre au XVIe siècle ne nous paraît avoir eu la hardiesse de Montaigne.

page 483 note 2 Histoire de la Nouvelle France … par Marc Lescarbot, témoin oculaire des choses ici récitées, Paris, 1609, chap. II, page 2.

page 483 note 3 Histoire de la Nouvelle France, page 779.

page 484 note 1 Histoire de la Nouvelle France, page 804.

page 484 note 2 Discours sur l'Inégalité, lère partie.

Sans vouloir y insister autrement, je signalerai encore une coïncidence assez curieuse. Lescarbot décrivant les Tabagies ou festins des sauvages avait dit: “Je veux encore dire en passant que Lacédaemoniens avaient une certaine maniere de bal ou danse dont ils usaient en toutes leurs festes ou solemnités, laquelle représentait les trois temps, scavoir: le passé par les vieillards qui disaient en chantant ce refrain, Nous fûmes jadis valeureux; le présent par les jeunes gens en fleur d‘âge disant, Nous le sommes presentement; l'avenir par les enfants qui disaient, Nous le serons à notre tour.” (Hist. de la N. F., p. 771). Quand 150 ans plus tard Rousseau voudra dépeindre une fête civique telle qu'il souhaiterait d'en voir établir à Genève, c’ est le même passage de Plutarque qui se présentera à lui, il le citera presque dans les mêmes termes et conclura de façon triomphante: “Voilà, Monsieur, les divertissements qui conviennent à une république” (Lettre à d'Alembert sur les spectacles, in fine). Il est du reste probable qu'Amyot est ici la source commune de Lescarbot et de Rousseau.

page 485 note 1 Strabon, iii, 4, 155. Il est du reste impossible de trouver quelque chose de plus froid que cette description de Strabon indiquée habituellement comme la source du tableau de Fénelon.

page 487 note 1 Mémoires de l'Amérique Septentrionale, ou la suite des Voyages de M. le baron de la Hontan, La Haye, MDCCIII.

page 488 note 1 Voyages de Lahontan, tome iii.

page 488 note 2 Voyages de Lahontan.

page 489 note 1 La Hontan.

page 489 note 2 Voyages curieux et nouveaux de MM. Hennepin et de La Borde. …, Amsterdam, MDCCXI.

page 489 note 3 Hennepin, pp. 503–04.

page 490 note 1 Des Mœurs des sauvages amériquains comparées aux mœurs des anciens temps.

page 490 note 2 Lafitau, p. 107.

page 490 note 3 Lafitau, p. 106.

page 491 note 1 Lafitau, p. 105.

page 491 note 2 Lafitau, p. 484.

page 491 note 3 Tacite, Germanie.“…. Beatius arbitrantur quam ingemere agris illaborare domus, suas alienasque fortunas spe metuque versare. Securi adversus homines, securi adversus Deos, rem difficillimam assecuti sunt, ut illis ne voto quidem opus esset.”

page 492 note 1 Voltaire ne s'y est pas trompé quand dans l'Essai sur les mœurs, il consacre tout un chapitre a se moquer du pauvre Lafitau et de ses rapprochements. C'est en réalité Rousseau qu'il vise. Pour réfuter victorieusement Rousseau, il lu faut d'abord détruire l'illusion classique que Lafitau avait voulu confirmer et démontrer systématiquement.

page 492 note 2 Nous indiquerons pour mémoire que le P. Buffier avait dès 1732 écrit un discours où il faisait le procès de notre civilisation et traçait un tableau charmant des plaisirs goûtés par les sauvages dans leurs libres forêts (Cours de Science sur des principes nouveaux pour former le langage et le cœur dans l'usage ordinaire de la vie, Paris, 1732.) Les rapports de Rousseau et du Père Buffier ne se bornent pas là et méritent une étude à part. On trouverait aisément des points communs entre le Traité de la société civile du Jésuite et le Contrat Social.

page 493 note 1 Mandement de Mr. L'archevêque de Paris portant condamnation d'un livre qui a pour titre l'Emile ou de l'Education par J. J. Rousseau, citoyen de Genève, 3e paragraphe.

page 493 note 2 Le seul livre qu'il admet dans la bibliothèque d'Emile est un récit de voyage, et le plus célèbre de tous: Les Aventures de Robinson Crusoé.—Cf. Emile, Livre iii.

page 495 note 1 Tout le monde du reste ne s'y est pas trompé: du vivant même de Rousseau, un livre intitulé, Les Plagiais de Mr. J. J. R. de Genève sur l'Education, par D. J. C. B. A la Haye, MDCCLXVI, montrait que Jean Jacques s'était largement inspiré de ses devanciers, en particulier de Montaigne et de La Bruyère. Un des disciples les plus respectueux de Rousseau, Sébastian Mercier, dans son livre, De J. J. Rousseau considéré comme l'un des auteurs de la Révolution, Paris, 1791, ne peut s'empêcher d'avouer que il faut reconnaître qu'il doit beaucoup à Montaigne et à Sénèque; le charmant écrivain que ce Montaigne! et Rousseau l'avait bien lu dans sa jeunesse, il l'a souvent mis à profit sans trop le citer (tome i, p. 259).