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L'Espace et Le Temps dans l'Évangile de Jean*

Published online by Cambridge University Press:  05 February 2009

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La critique historique au XIXe s., surtout en Allemagne, perdit progressivement tout respect pour les données géographiques et chronologiques de l'évangile selon saint Jean. D. F. Strauss dans son fameux livre ‘Das Leben Jesu’ de 1835–36 pouvait considérer cet évangile comme un développement du mythe déjà présent chez les synoptiques, et cela dans un but apologétique et dogmatique. B. Bauer voyait en 1840 en l'auteur de notre évangile essentiellement un artiste, libre de créer de toutes pièces. F. C. Bauer, l'influent hégélien qui donna naissance à ce que l'on appelle ‘l'école de Tubingue’, fixa en 1847 une date tardive pour l'évangile de Jean, dans la seconde moitié du IIe s., et le voyait entièrement dominé par une idée centrale sur Jésus, le combat entre la lumière et les ténèbres. La critique de Jean sous cette forme extrême perdit tout crédit le jour où l'on découvrit un fragment datant selon l'expertise d'environ l'an 130. Mais déjà E. Renan en 1863 dans ‘La Vie de Jésus’, sensibilisé par ses voyages en Palestine, se montrait moins sceptique que Strauss à l'égard d'au moins certaines données géographiques et chronologiques de Jean. Les oeuvres récentes (s'il est permis de s'en tenir à un rappel aussi schématique et de sauter de nombreux intermédiaries) sont, comme celles du début du XIXe s. ou celles de certains adversaires de Strauss, plus attentives aux informations concrètes que nous fournit cet évangile spirituel. Même si l'on ne défend plus avec la même netteté qu'autrefois son origine apostolique, on y trouve bien des traits caractéristiques d'une information sérieuse, souvent indépendante des synoptiques, qui semble remonter très haut. Comme arrièrefond on envisage aujourd’hui moins souvent un milieu exclusivement hellénistique qu'un enracinement juif et même nettement palestinien, du moins pour certaines couches des matériaux rassemblés. Quelle que soit l'histoire concrète d'une évolution à l'intérieur de ce qu'on nomme ‘communauté johannique’ ou ‘école johannique’, on admet volontiers que pour bien des indications géographiques et chronologiques cet écrit, qui reflète différents conflits difficiles à saisir, est plus crédible que les synoptiques.

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Articles
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Copyright © Cambridge University Press 1985

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References

Notes

[1] La première édition Strauss, de D. F., Leben Jesu, parut à Tubingue en 1835–36. Dans la troisième édition (1838–1839)Google Scholar Strauss modifia, sous l'influence de W. M. L. de Wette et de A. W. Neander, sa position absolument sceptique à l'égard du quatrième évangile. Mais dans la quatrième édition il revint au texte de la première édition. Sur toute cette question, voir en particulier Schweitzer, A., Geschichte der Leben-Jesu-Forschung (Tübingen2 1921) 73 et 79.Google Scholar

[2] Bauer, B., Kritik der Evangelischen Geschichte des Johannes (Bremen 1840).Google Scholar

[3] Baur, F. C., Kritische Untersuchungen über die kanonischen Evangelien (Tübingen 1847).Google Scholar

[4] Il s'agit de p52, Papyrus Ryland Gr. 457, qui contient d'un côté Jn 18. 31–33 et de l'autre Jn 18. 37–38. Ce fragment a été publié et commenté dans Roberts, C. H., An Unpublished Fragment of the Fourth Gospel in the John Rylands Library (Manchester 1935).Google Scholar

[5] Renan, E., Vie de Jésus (Paris 1863)Google Scholar, surtout ‘Introduction’.

[6] Nous pensons p.ex. aux commentaires bien connus de C. K. Barrett, R. E. Brown, R. Schnackenburg et B. Lindars, mais aussi à de nombreuses monographies qui traitent différentes indications concrètes dans le quatrième évangile.

[7] Nommons parmi d'autres A. Tholuck, A. W. Neander, W. M. L. de Wette et C. F. von Ammon.

[8] Voir à ce propos les résultats convergents de travaux aussi divers que ceux de Böcher, O., Der johanneische Dualismus im Zusammenhang des nachbiblischen Judentums (Gütersloh 1965)Google Scholar; Olsson, B., Structure and Meaning in the Fourth Gospel. A Text-Linguistic Analysis of John 2. 1–11 and 4. 1–42 (Lund 1974)Google Scholar; Cullmann, O., Der johanneische Kreis. Sein Platz im Spätjudentum, in der Jüngerschaft Jesu und im Urchristentum. Zum Ursprung des Johannesevangeliums (Tübingen 1975)Google Scholar; de la Potterie, I., La vérité dans Saint Jean (Rome 1977, 2 tomes).Google Scholar Voir aussi la présentation synthétique chez Schnackenburg, R., Das Johannesevangelium, Teil 1 (Freiburg-Basel-Wien4 1979) 101–34.Google Scholar

[9] Voir p.ex. Meeks, W. A., ‘The Man from Heaven in Johannine Sectarianism’, dans: JBL 91 (1972) 4472Google Scholar; Smith, D. M., ‘Johannine Christianity: Some Reflections on its Character and Delineation’, dans: NTS 21 (1974–1975), 222–48CrossRefGoogle Scholar; O. Cullmann, op. cit.; Brown, R. E., The Community of the Beloved Disciple (London 1979).Google Scholar

[10] Sur la géographic et la topographie johannique, voir surtout: Kundsin, K., Topologische Überlieferungsstoffe im Johannes-Evangelium (Göttingen 1925Google Scholar) et Schwank, B., ‘Ortskenntnisse im Vierten Evangelium? Bericht über ein Seminar in Jerusalem’, dans Erbe und Auftrag 57 (1981) 427–42.Google Scholar Voir aussi les ouvrages généraux: Dalman, G., Orte und Wege Jesu (Gütersloh 1919; 41967)Google Scholar; Abel, F.-M., Géographie de la Palestine (Paris 19331938)Google Scholar; Kopp, C., Die heiligen Stätten der Evangelien (Regensburg 2 1964)Google Scholar; Kroll, G., Auf den Spuren Jesu (Leipzig 1964).Google Scholar

[11] Une exception: l'évocation de la Diaspora des Grecs en 7. 35 comme lieu hypothétique où Jésus pourrait se rendre. Il pourrait s'agir de Juifs hellénisés qui vivent parmi les Gentils. Plus probablement l'auteur pense cependant aux Gentils eux-mêmes, peut-être même à ceux qui vivent dans la Décapole. L'intérêt pour les Grecs réapparaît dans une scène où ils interviennent, 12. 20 ss. L'évangéliste sail que l'évangile de Jésus finira par atteindre les Gentils (cf. 10. 16; 11. 52; 17. 20 ss.). Il s'agit donc d'une espèce de prophétie non consciente; voir Schnackenburg, R., Das Johannesevangelium, Teil 2, 208 s.Google Scholar

[12] C'est ainsi que nous interprétons l'indication vague ‘de l'autre côté’, qui s'oppose à Capharnaüm mentionné en 6. 17, 24, 59. D'après 6. 23 des barques viennent de Tibériade et il demeure peu clair si elles arrivent près de l'endroit où la grande foule avail mangé le pain, ou bien si la ville de Tibériade elle-même se trouve près de cet endroit. La mention du lac de Tibériade en 6.1 pourrait éventuellement être invoquée en faveur de l'intérêt de l'évangéliste pour un lieu proche de la ville de Tibériade. Nous pensons cependant que l'accent principal du récit porte vaguement sur ‘l'autre côté’, tout comme on mentionee l'activité de Jean Baptiste et de Jésus de ‘l'autre côté’ du Jourdain en 1. 28; 3. 26; 10. 40. ‘L'autre côté’ se distingue de la Galilée et de la Judée, qui jouent un rôle si important dans la présentation géographique de Jean. En 6. 1, ‘l'autre côté de la mer de Galilée, dite encore de Tibériade’, indique en conséquence un territoire différent de la Galilée des Juifs, c'est-à-dire sans précision un territoire contaminé par les païens, peut-être la Décapole.

[13] La tradition d'Eusèbe situe Aïnôn à huit milles au sud de Scythopolis (voir Onomasticon dans GCS 111, 40, 1–4 et 153, 6 s.). Cette tradition est favorisée par l'existence d'un lieu nommé Salim, tout près de là, à l'époque d'Eusèbe. La région abonde en sources. Vouloir avec Albright, W. F., HTR 17 (1924) 193 s.CrossRefGoogle Scholar, situer Aïnôn en Samarie, non loin d'une autre Salim, fausserait le plan géographique de Jean, où la Samarie apparaît au quatrième chapitre comme lieu de transition entre la Judée et la Galilée. Sur la localisation d'Aïnôn, voir les remarques toujours valables de Lagrange, M.-J., Évangile selon Saint Jean (Paris6 1936) 92 s.Google Scholar

[14] Il faut comprendre 4. 44 dans la perspective johannique et non à partir des parallèles synoptiques. Or pour l'évangile de Jean l'endroit qui résiste à Jésus est Jérusalem ou en général la Judée. C'est à Jérusalem et en Judée que Jésus n'est pas reconnu par les siens (voir 1. 11). Même l'allusion à Bethléem en 7. 42 se comprend bien dans cette perspective, puisque d'après certaines traditions, que Jean semble connaître, Jésus est né à Bethléem en Judée. En ce sens Jérusalem et la Judée sont globalement la patrie de Jésus, même s'il provient également de Nazareth selon 1. 45 s, et de la Galilée selon 7. 41, 52. Voir à ce propos Lindars, B., The Gospel of John (London 1972) 200Google Scholar s et Barrett, C. K., The Gospel According to St John (London2 1978) 246Google Scholar et 330 s. Nous ne sommes pas d'accord avec les raisonnement de Schnackenburg, R., op. cit. Teil 1, 494 sGoogle Scholar, qui ne tiennent pas suffisamment compte du caractère tout à fait spécial des indications géographiques chez Jean.

[15] Nous devons cette observation à Gyllenberg, R., ‘Cykliska element i Johannesevangeliets uppbyggnad’, dans Teologisk Tidskrift (Helsinki) 65 (1960) 309–15Google Scholar; voir également RPI:s Studiebibel, Nya testamentet, del 1 (Stockholm 1980) 177–9.Google Scholar R. Gyllenberg nomme dans son article cinq cycles (1. 19–3. 21; 3. 22–5. 47; 6. 1–10. 39; 10. 40–14. 31; 18. 1–20. 31) qu'il réduit à quatre dans son introduction de 1980 (1. 19–3. 21; 3. 22–5. 47; 6. 1–10. 39; 10. 40–21. 24). Cette division nous paraît mieux établie et nous la développons ici à l'aide de points de vues personnels. Elle rejoint en partie celle de Rissi, M., ‘Der Aufbau des Vierten Evangeliums’, dans NTS 29 (1983) 4854CrossRefGoogle Scholar, qui propose les divisions suivantes: 1. 19–3. 36; 4. 1–5. 47; 6. 1–10. 39; 10. 40–12. 41. Mais Rissi, n'ayant pas aperçu l'importance des épisodes ‘au-delà’ (grec πέραν), commence de façon peu satisfaisante la deuxième partie avec le voyage en Samarie, qui de fait en l'évangile de Jean est une région de passage. Notre point de vue diffère de celui de Rissi aussi en ce sens que nous ne pensons pas pouvoir proposer une division stricte de l'évangile à partir des seules indications géographiques. Le mot ‘cycle’ de Gyllenberg évite cet inconvénient.

L'indication de régions ‘au-delà’ provient probablement de la tradition synoptique, en particulier de Marc. Mais Jean seul leur confère une importance dans la disposition des traditions qu'il rapporte.

[16] Nous ne pouvons ici développer les arguments en faveur de cette datation si précise. Nous renvoyons à Blinzler, J., Der Prozess Jesu (Regensburg4 1969), Exkurs 1, 101–8.Google Scholar

[17] Si la leçon avec l'article (ή έορτή) était originale, il pourrait s'agir de la Pâque ou de la Fête des Tentes. Mais l'omission de l'article est fortement établie par des traditions textuelles aussi diverses que P66, p75, A, B, D, W, 28, syrc, p. Il est d'ailleurs plus probable qu'on ait eu tendance à ajouter l'article qu'à le retrancher. L'intérêt de la rédaction johannique porte dans le contexte sur le motif de la montée de Jésus à Jérusalem et non sur une fâte précise. Dans la suite du texte il s'agit simplement d'un sabbat. Voir aussi Barrett, C. K., op. cit., 250 s.Google Scholar

[18] Pour être complet, indiquons également quelques données chronologiques qui animent les récits et ont souvent une signification symbolique dont la valeur exacte doit être appréciée dans chaque cas: ‘le matin’ ou ‘de bon matin’ (1. 41(?); 18. 28; 20. 1; 21. 4); ‘environ la dixième heure’ (1. 39); ‘peu de jours’ (2. 12); ‘en trois jours’ (2. 19); ‘de nuit’ (3. 2); ‘Jean n'avait pas encore été jeté en prison’ (3. 24); ‘environ la sixième heure’ (4. 6); ‘encore quatre mois et viendra la moisson’ (4. 35); ‘deux jours’, ‘deux jours plus tard’ (4. 40, 43); ‘depuis trente-huit ans’ (5. 5); ‘le soir venu’ (6. 16); ‘le lendemain’ (6. 22); ‘tu n'as pas même cinquante ans’ (8. 57); ‘c'était l'hiver’ (10. 22); ‘deux jours encore’ (11. 6); ‘depuis quatre jours déjà’ (11. 17); ‘il faisait nuit’ (13. 30); ‘vers la sixième heure’ (19. 14); ‘cette nuit-là’ (21. 3).

[19] Köster, Voir H., article τόπος, dans Theol. Wörterb. 8, 202 ss.Google Scholar

[20] Dans notre exposé sur l'espace johannique nous rejoignons en partie certaines intutitions développées par Mollat, D., ‘Remarques sur le vocabulaire spatial du quatrième évangile’ dans Studia Evangelica (Congress volume ‘The Four Gospels’, Oxford 1957 = Texte und Untersuchungen 73, Berlin 1959), 321–8.Google Scholar Mais nous ne sommes pas convaincu de l'utilité de l'introduction d'un ‘espace mystique’ en plus de l'‘espace théologique’.

[21] Le sujet ne me semble pas a voir été traité de façon systématique. On peut trouver certaines amorces dans Prete, B., ‘La particella πόθεν e il problema del “quaerere Deum” nel quarto vangelo’, dans Quaerere Deum (Atti della XXV settimana biblica, Brescia 1980) 419–35Google Scholar; Dewailly, L.-M., ‘Varifrån är du? (Joh 19:9)’, Svensk Exegetisk Årsbok 49 (1984) 126–35.Google Scholar

[22] Zorell, Voir F., Lexicon Graecum Novi Testamenti (Parisiis2 1931), col. 923.Google Scholar

[23] En 1. 28 et 10. 40 il s'agit du lieu où Jean baptise; en 3. 8du vent/esprit;en 4. 20 de Jérusalem; en 6. 23 de l'endroit où on avait mangé le pain; en 7. 42 de Bethléem où habitait David; en 12. 1 de Béthanie où se trouvait Lazare; en 18. 1 du torrent du Cédron où il y avait un jardin; en 18. 20 du Temple où les Juifs se rassemblent; en 20. 19 de l'endroit où les disciples se trouvent après la mort de Jésus; en 21. 18 du chemin de Pierre.

[24] Nous sommes ici pleinement d'accord avec ce qu'écrit Barrett, C. K., op. cit., 330 s.Google Scholar Voir aussi plus haut nos remarques sur la patrie de Jésus.

[25] Nous faisons ici nôtres les observations de Kjärgaard, M. S., ‘Metaforen: Form og Funktion’, dans Dansk Teol. Tidsskrift 45 (1982) 225–42.Google Scholar

[26] Voir Genuyt, F., ‘Croire, demander, garder les commandements. Analyse du chapitre 14 de l'Évangile de Jean’, dans Sémiotique et Bible N. 28 (déc. 83) 2560Google Scholar (surtout p. 32).

[27] A dessein nous nous sommes tenu dans cet article au niveau de la rédaction finale. Vraisemblablement les indications spatiales et temporelles ont été introduces à différents moments de l'élaboration de l'évangile de Jean. Mais très tôt dans cette rédaction il a dû y avoir un intérêt tout particulier pour ces dimensions, puisque certains textes ne sont pas compréhensibles sans cette orientation fondamentale. Mais il est probable que cet intérêt a été renforcé par des ajoutes rédactionelles comme celle de 16. 5. Comme il est présentement impossible d'arriver à un consensus sur les étapes différentes de la rédaction johannique, nous nous sommes abstenu ici d'hypothèses sur les différentes couches. Nous renvoyons le lecteur intéressé à Scobie, C. H. H., ‘Johannine geography’, dans Stud.Rel./Sciences Rel. 11 (1982) 7784.Google Scholar

[28] Nous avons forgé cette expression dans l'article ‘La christologie de superiorité dans les Évangiles synoptiques’, ETR 4 (1979) 579–91.Google Scholar

[29] Nous pensons ici en particulier à l'oeuvre de jeunesse de G. W. F. Hegel, Leben Jesu, dans laquelle le futur philosophe de la raison s'annonce par son exégèse de Jean et de l'Esprit johannique.