L'enseignement du français académique à l'école primaire est fondé sur un préjugé injustifié: l'élève de CP arriverait à l'école avec une forme précaire de parler qui n'est identifiable que par référence à son écart vis-à-vis de la forme académique écrite qui est l'objectif à atteindre. Autrement dit, on n'accorde pas au dispositif langagier qu'il a acquis naturellement le statut de ‘grammaire’ et on confond les traits émanant du processus naturel d'apprentissage, encore incomplet, avec les traits propres au français spontanée et qui persistent chez les adultes qui ont, par ailleurs, été la source de stimuli pour l'enfant. À ceci s'ajoute une deuxième confusion: l'apprentissage de la seule ‘vraie’ grammaire et l'apprentissage de l'écrit n'en font qu'un, puisque l'oral n'est qu'un reflet appauvri de l'écrit. Ainsi, par exemple, l'enfant devra ‘juste’ apprendre à écrire l'accord en genre, sans pour autant avoir reçu assez de stimuli pour intégrer dans sa grammaire naturelle le fonctionnement de l'accord.
Dans cet article est proposé un programme qui, partant de l'hypothèse diglossique, cherche à établir une autre approche de l'apprentissage. La clé de cette approche est la bonne compréhension de la grammaire ‘de départ’ de l'enfant en tant qu'objet cohérent, de façon à faire la différence entre: a) les ‘anomalies’ qui vont évoluer spontanément dans le processus d'acquisition de la grammaire adulte indépendamment de l'apprentissage de la grammaire académique (par exemple, les formes analogiques comme le gent ou ouvri) ; b) les ‘anomalies’ par rapport à la grammaire académique qui vont persister dans la grammaire adulte (par exemple, les interrogatives comme c'est quoi ton problème ?) et qui ne doivent pas d'être stigmatisées mais placées dans un contexte d'interaction spécifique bien expliqué ; c) les traits de la grammaire académique qui ne pourront pas être intégrés dans la grammaire adulte de façon naturelle ou par simple pénalisation mais moyennant l'explicitation de règles et dont l'ignorance empêche l'accès actif à la grammaire académique (par exemple, l'accord en genre et nombre ou le sujet lexical sans dédoublement pronominal ; d) les traits de la grammaire académique soutenue qui ne peuvent pas être acquis sans un entraînement à un niveau supérieur et qui ne sont pas décisifs pour avoir un accès actif à cette grammaire (par exemple, le passé simple, la plupart des interrogatives à inversion et, surtout, l'imparfait de subjonctif).
Seulement une bonne conscience de l'existence de ces classes permettra de bâtir des programmes ciblant les aspects sur lesquels l'enseignant doit intervenir normativement ainsi que les stratégies pour le faire. C'est ainsi que le français académique sera perçu (et apprécie) comme une deuxième grammaire essentielle pour l'insertion sociale et non pas comme le vrai français.