Le 21 mars 1992, la majorité des électeurs de la république du Tatarstan s'exprime en faveur de la constitution d'un État souverain, « sujet de droit international réglant ses relations avec la Russie et les autres républiques sur des traités fondés sur le principe de l'égalité entre les parties ». Le Tatarstan vient-il subitement de devenir un État digne de reconnaissance internationale ? D'une superficie de 68.000 km2, campée entre la Volga, voie de communication commerciale nord-sud de la Russie et le massif de l'Oural, frontière imaginée de l'Europe, la république du Tatarstan, territoire historique des Tatars dits « de la Volga », constitue, de manière paradoxale, le cœur géographique de la Russie. Au xixe siècle, Alexandre Dumas disait déjà de sa capitale, Kazan, qu'elle « est une de ces villes que l'on voit à travers le mirage de l'histoire. Ses souvenirs tatars sont encore si frais que l'on ne pent s'habituer à voir en elle une ville russe, bien qu'elle en partage le désordre ». Le Tatarstan doit-il être considéré comme une région russe ou bien comme une nation distincte ? Si le résultat du référendum nous incite à entrevoir l'émergence politique d'une nation, l'analyse de la structure de la société du Tatarstan, ainsi que l'examen des événements et des stratégies politiques dans la république et dans les relations de celles-ci avec le pouvoir central soviétique puis russe conduit à relativiser la portée de cette volonté d' « indépendance » et à s'interroger sur les objectifs réels de celle-ci.