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Territoire et ethnicité au Tatarstan: une ancienne république autonome soviétique en quête d'une identité
Published online by Cambridge University Press: 28 July 2009
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Le 21 mars 1992, la majorité des électeurs de la république du Tatarstan s'exprime en faveur de la constitution d'un État souverain, « sujet de droit international réglant ses relations avec la Russie et les autres républiques sur des traités fondés sur le principe de l'égalité entre les parties ». Le Tatarstan vient-il subitement de devenir un État digne de reconnaissance internationale ? D'une superficie de 68.000 km2, campée entre la Volga, voie de communication commerciale nord-sud de la Russie et le massif de l'Oural, frontière imaginée de l'Europe, la république du Tatarstan, territoire historique des Tatars dits « de la Volga », constitue, de manière paradoxale, le cœur géographique de la Russie. Au xixe siècle, Alexandre Dumas disait déjà de sa capitale, Kazan, qu'elle « est une de ces villes que l'on voit à travers le mirage de l'histoire. Ses souvenirs tatars sont encore si frais que l'on ne pent s'habituer à voir en elle une ville russe, bien qu'elle en partage le désordre ». Le Tatarstan doit-il être considéré comme une région russe ou bien comme une nation distincte ? Si le résultat du référendum nous incite à entrevoir l'émergence politique d'une nation, l'analyse de la structure de la société du Tatarstan, ainsi que l'examen des événements et des stratégies politiques dans la république et dans les relations de celles-ci avec le pouvoir central soviétique puis russe conduit à relativiser la portée de cette volonté d' « indépendance » et à s'interroger sur les objectifs réels de celle-ci.
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- Research Article
- Information
- European Journal of Sociology / Archives Européennes de Sociologie , Volume 34 , Issue 2 , November 1993 , pp. 169 - 195
- Copyright
- Copyright © Archives Européenes de Sociology 1993
References
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(13) Compte tenu de leur similitude tenant à la composition ethnique et de la parenté ethnique et religieuse des « nationalités » nominales de ces deux républiques, nous sommes amenés à comparer leurs indicateurs.
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(20) Entretien de l'auteur avec Aleksej Kolesnik, président de la commission chargée de l'environnement et de la protection des ressources naturelles près le Soviet suprême du Tatarstan, février 1992.
(21) Entretien de l'auteur avec Olga Kulikova, député écologiste de la circonscription de Nijnekamsk (ville industrielle située au nordest de la république) lore de la session du Soviet suprême du Tatarstan, février 1992.
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(25) La capitale historique du royaume des Bolgars, Bolgar, se trouve à 100 km au nordest de cette ville.
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(30) Ce qui constitue un taux relativement élevé. À titre de comparaison, seul 0, 9% des Russes du Kazakhstan déclarent connaître le kazakh.
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(33) En octobre 1991, le recteur de l'université de Kazan décida de la création d'un cours portant sur la pensée sociale et politique tatare (tatarskaja obshchestvennaja mysl'). Il semble que cette nouveauté ait entraîne un vaste éclat de rire de tous les professeurs et étudiants! Entretien de l'auteur avec des étudiants de la faculté de journalisme de l'université de Kazan, février 1992.
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(42) Cette élection au suffrage universel intervient le même jour que celle de Boris Eltsine à la tête de la RSFSR. Mintimer Chaïmiev ést elu avec 69, 9 % des suffrages exprimés. Voir Vechernjaja Kazan', 10.06.1991.
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(44) Que nous citerons ensuite sous son nom russe, TOTs : Tatarskij Obshchestvennyj Tsentr.
(45) Pour un exposé complet de la naissance du TOTs, voir : Uli Schamiloglu, The Tatar Public Center and Tatar public concerns, RFE/RL no 51, 1989.
(46) Sur la naissance d'lttifaq et l'action politique de Fauzïa Baïramova, voir : Azade-Ayse Rohrlich, The role of Tatar women in the restoration of Islamic values, RFE/RL no 11, 1989.
(47) Dès 1909, Ittifaq (Union des Musulmans de Russie), fondée par le Tatar Abdourachid Ibraguimov, proclame le droit à l'autodétermination de tous les Musulmans de Russie le fondement de la souveraineté extra-territoriale. L'Ittifaq d'aujourd'hui se contente de réclaimer l'exercice de ce droit par les seuls Tatars de la Volga.
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(51) Entretien de l'auteur avec V.K. (désire garder l'anonymat), à Kazan, février 1992. Par « hystérique et ratée », il désignait implicitement Fauzïa Baïramova, leader de l'Ittifaq, qui a refusé une entrevue à l'auteur, à moins qu'il ne lui verse 100 dollars…
(52) Le président, le premier ministre et le président du Soviet suprême sont de nationalité tatare.
(53) Entretien de l'auteur avec Mourat Roustamov à Kazan, février 1992.
(54) Anniversaire de la révolution de 1917 et fête « nationale » de l'URSS.
(55) En février 1992, le Soviet suprême du Tatarstan comptait 250 sièges, dont 93 détenus par le groupe « Tatarstan », regroupant les représentants du TOTs et de l'Ittifaq, et 106 détenus par le groupe « Soglasie », rassemblant tous les adversaires, en majorité russophones, de la souveraineté de la république.
(56) Voir Ideologicheskij otdel Tatarskogo obkoma KPSS, « Partija i partorganizatsija Tatarii v zerkale obshchestvennogo mnenija i sotsiologicheskikh issledovanij » (Kazan, 1990), 37 p.
(57) Voir Pasport respubliki Tatarstan, ibid.
(58) Voir Postanovlenie Verkhovnogo Soveta Tatarstana, 07.01.1992, Izvestija Tatarstana, 09.01.1992.
(59) L'idée de l'institution présidentielle est soutenue par 34, 5% des habitants du Tatarstan (38, 9% des Tatars réels et 30, 1 % des Slaves). Pour 33, 9%, elle permettra une résolution plus efficace des problèmes économiques (soit 41, 5 % des Tatars et 25, 6 % des Slaves). Voir Tsentr sotsiologicheskikh issledovanij pri Verkhovnom Sovete Tatarskoj SSR, « O gosudarstvennoj vlasti v TSSR » (Kazan, juillet 1991), 10 p.
(60) Postanovlenie Verkhovnogo Soveta TSSR 12.05.1991, Izvestija Tatarstana, 14.05.1991.
(61) Proekt Konstitutsii respubliki Tatarstan, février 1992, non publié. Ce projet a été adopté le 3 novembre 1992. Nous n'avons pas eu connaissance de la version définitive.
(62) voir Izvestija, 23.10.1990, p. 1.
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(64) En décembre 1991, le territoire de Krasnoïarsk (Krasnojarskij kraj) proclame sa souveraineté, et les oblast' de Tcheliabinsk, Ekaterinbourg, Perm et Tioumen annoncent leur intention de se regrouper en une « communauté ouralienne » afin d'établir ensemble les plans de réforme économique. Voir Andrej Tarassov, Sibirskaja nezavisimost, Izvestija, 17.12.1991.
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(67) Nous pensons que les négociations sur les recettes fiscales provenant du CMI constituent l'autre volet d'arguments en faveur de la souveraineté avancé par l'équipe Chaïmiev. Il est difficile, voire impossible, d'obtenir la moindre information objective sur la question.
(68) Les Konzerny désignent les regroupements sectoriels, intersectoriels ou territoriaux auxquels ont precédé, à partir de 1988, un certain nombre de grosses entreprises soviétiques, sortant ainsi, dans la majorité des cas, de la tutelle de leur ministère de branche.
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