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L'être-avec chez Heidegger
Published online by Cambridge University Press: 13 April 2010
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Le problème de l'être-avec et de la socialité chez Heidegger a déjà une longue tradition de commentateurs. Ceux-ci se distinguent par la pluralité de leurs approches: se situant parfois à l'opposé de la méthode d'Être et temps, ils se portent alors à la défense d'autrui, insistent sur l'aspect dialogique et sur l'importance de la rationalité du discours dans le monde de la vie (Lebenswelt). D'autres encore, sans nécessairement remettre en question la méthodologie heideggérienne, défendent ou réinterprètent autrement sa phénoménologie de l'existence d'autrui: parmi eux, certains s'en tiennent uniquement à l'analytique existentiale, tandis que d'autres élargissent l'horizon de leurs critiques en tenant compte du projet global de la pensée de Heidegger. Il y a enfin les commentateurs pour lesquels cette question n'est abordée que dans le contexte politique de sa pensée.
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- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 32 , Issue 2 , Spring 1993 , pp. 259 - 270
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- Copyright © Canadian Philosophical Association 1993
References
1 Entres autres: K. Löwith, Das Individuum in der Rolle des Mitmenschen (1928), dans Karl Löwith, Sämtliche Schriften I: Mensch und Menschenwelt: Beiträge zur Anthropologie, éd. par K. Stichweh, Stuttgart, J. B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung et Carl Ernst Poeschel Verlag, 1981; John Cullberg, Das Du und die Wirklichkeit, Uppsala, Uppsala Universitets, 1933; L. Binswanger, Grundformen und Erkenntnis menschlichen Daseins, Zürich, Max Niehans, 1942; E. Lévinas, Totalité et infini, La Haye, Martinus Nijhoff, 1961; M. Theunissen, Der Andere, Berlin, de Gruyter, 1965; J. Habermas, Der philosophische Diskurs der Moderne, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1985; K.-O. Apel, Transformation der Philosophic, Vol. I: Sprachanalytik, Semiotik, Hermeneutik, Vol. II: Das Apriori der Kommunikationsgemeinschaft, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1973.
2 Entres autres: Lehmann, G., «Das Subjekt der Alltäglichkeit. Soziologisches in Heideggers Fundamentalontologie», Archiv für angewandte Soziologie, vol. 5 (1932–1933), p. 15–39Google Scholar; Sartre, J.-P., L'être et le néant, Paris, Gallimard, 1943Google Scholar; von Uslar, D., «Das Wesen der Begegnung im Hinblick auf die Unterscheidung von Selbstsein und Sein selbst bei Heidegger», Zeitschrift für philosophische Forschung, vol. 13 (1959), p. 85–101Google Scholar; Paluch, S., «Sociological Aspects of Heidegger's Being and Time», Inquiry, vol. 6 (1963), p. 300–307CrossRefGoogle Scholar; Wiplinger, F., «Dialogischer Logos. Gedanken zur Struktur des Gegenüber», Philosophisches Jahrbuch, vol. 70 (1962), p. 169–190Google Scholar; Fahrenbach, H., Existenzphilosophie und Ethik (Philosophische Abhandlungen, vol. 30), Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 1970Google Scholar; Elliston, F., «Heidegger's Phenomenology of Social Science», dans Heidegger's Existential Analytik, sous la dir. de F. Elliston, La Haye, Paris, New York, Mouton Publishers, 1978, p. 61–67Google Scholar; McCumber, J. A., «Language and Appropriation: The Nature of Heideggerian Dialogue», The Personalist, vol. 60 (1979), p. 384–396Google Scholar; Guzzoni, U., «Anspruch und Entsprechung und die Frage der Intersubjektivität», dans Nachdenken über Heidegger, sous la dir. d'Ute Guzzoni, Hildesheim, Gerstenberg Verlag, 1980, p. 117–135Google Scholar; Dallmayr, F. R., «Heidegger on Intersubjectivity», Human Studies, vol. 3 (1980), p. 221–246CrossRefGoogle Scholar; Mazis, G. A., «Co-Being [Mitsein] and Meaningful Interpersonal Relationship in Being and Time», The Journal of British Society of Phenomenology, vol. 16 (1985), p. 294–300CrossRefGoogle Scholar; Livet, P., «Mitsein et intersubjectivité», dans Être et temps de Martin Heidegger. Questions de méthode et voies de recherche, sous la dir. de J.-P. Cometti et D. Janicaud, Marseille, Sud, 1989, p. 151–165Google Scholar.
3 Entre autres: Löwith, K., «Les implications politiques de la philosophie de l'existence chez Heidegger», Les temps modernes vol. 2 (1946–1947), p. 343–360Google Scholar; Schwann, A., Politische Philosophie im Denken Heideggers(Ordo Politicus, vol. 2), Cologne, Westdeutscher Verlag, 1965Google Scholar. Et en ce qui concerne la politique de façon plus générale: Schneeberger, G., achlese zu Heidegger, Berne, Mit zwei Bildtafeln, 1962Google Scholar; V. Farias, Heidegger et le nazisme, traduit de l'espagnol et de l'allemand par Myriam Benarroch et J.-B. Grasset, Lagrasse, Verdier, 1987.
4 Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs (1925), dans les Œuvres complètes, vol. 20, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1979, p. 328 (trad, de R. B.).
5 La pagination entre parenthèses correspond à celle de l'original allemand de Être et temps. Elle se retrouve en marge de la traduction française de François Vezin (Paris, Gallimard [Bibliothèque de philosophie], 1986), utilisée ici. Les modifications que j'apporte à la traduction seront à chaque fois signalées. – En traduisant vielmehr par «plutôt» («Il [l'énoncé] ne prétend pas constater ontiquement que factivement je ne suis pas seul là-devant mais plutôt qu'il s'en rencontre encore bien d'autres de ma sorte»), Vezin suggère qu'il s'agit par là de la véritable réponse de Heidegger alors que ce n'est point le cas, ce qui est clair d'après la phrase qui suit immédiatement: «Si c'était cela que voulait dire la phrase [ … ], alors l'être-avec ne serait pas une détermination existentiale revenant au Dasein de lui-même, de par son genre d'être, ce ne serait, au contraire, qu'une qualite dont l'apparition éventuelle n'aurait lieu qu'à condition que d'autres viennent à se présenter» (ibid.). Au lieu de «factivement» (faktisch), j'ai préféré ici «en fait».
6 Gleichursprünglichkeit sera rendu ici par cooriginarité, expression employée également par Emmanuel Martineau pour sa traduction de Sein und Zeit (Paris, Authentica, 1985). Vezin traduit par cooriginalité. Rudolf Boehm et Alfonse de Waehlens traduisaient par contemporanéité originelle.
7 Phänomenologische lnterpretationen zu Aristoteles. Einführung in die phänomenologische Forschung (1921–1922), dans les Œuvres complètes, vol. 61, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1985, p. 94–95. Cf. aussi: Ontologie (Hermeneutik der Faktizität), dans les Œuvres complètes, vol. 63), Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1988, p. 102. Heidegger rejettera la terminologie du «monde du soi» (Selbstwelt) et du «monde commun» (Mitwelt) dans son cours de 1925, Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs, dans les Œuvres complètes, vol. 20, 1979, p. 33. II continuera, néanmoins, d'utiliser l'expression de Mitwelt dans Être et temps.
8 Logik. Die Frage nach der Wahrheit (1925–1926), dans les Œuvres complètes, vol. 21, Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1976, p. 236 (trad, de R. B.).
9 Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, trad, par Jean-François Courtine, Paris, Gallimard, 1985, p. 334.
10 Ibid, p. 334–335.
11 Questions I, Paris, Gallimard, 1968, p. 141. J'ai modifié la traduction de Corbin qui rend gleichursprünglich par dès l'origine et simultanément.
12 Au lieu de ouvertude, j'ai écrit ouverture.
13 Également symptomatique pour le refoulement de l'être-avec dans Étre et temps est le fait qu'il ne fasse l'objet d'aucune analyse temporelle, bien entendu si on entend par temporel autre chose que historique. Dans le cours du semestre d'hiver 1925–1926, Logique. La question de la vérité, Heidegger prenait au moins le temps de nous avertir que son analyse de la temporalité du souci s'engageait «dans une direction unilatérale» et que «les phénomènes du souci mutuel et de l'être-avec ne se laissent pas maîtriser à travers un simple élargissement et une modification de ce qui a été constaté à propos de la préoccupation» (Logik. Die Frage nach der Wahrheit, p. 235–236 [trad, de R. B.]).
14 Il faut rappeler ici avec insistance que cette analyse se situe au niveau de la quotidienneté et que toute relation personnalisée du type Je-Tu, parents-enfants, amis, etc., en est exclue. Par ailleurs, la Theorie critique, surtout en la personne d'Adorno, reprochera à Heidegger d'élever au niveau existential des structures qui mériteraient d'être analysées davantage d'un point de vue socio-historique. En s'en tenant à la description de l'être, l'ontologie fondamentale laisse à l'arrière-plan les considérations de devoir-être. Ceci a pour effet indirect une neutralisation des causes sociales d'aliénation.
15 K. Löwith, Das Individuum in der Rolle des Mitmenschen. Signalons au passage que, sur l'insistance de Heidegger, le travail parut sous le titre de Contributions à la fondation anthropologique des problèmes éthiques et non pas sous le titre de Fondation phénoménologique des problèmes éthiques comme Löwith avait prévu. Les éditeurs de Löwith remarquent (p. 469–470) que Heidegger voulait ainsi faciliter l'obtention pour son élève d'un poste en philosophie sociale à Marburg, poste qu'il a effectivement obtenu plus tard. Mais en dehors de ces raisons fort louables, on ne peut s'empêcher de penser que dans ce changement de titre se dépeint également le jugement du maître sur la philosophie de son élève: faire des relations humaines un thème central de la philosophie, c'est, aux yeux de Heidegger, vouloir élever l'anthropologie au rang de philosophie première, laquelle ne pouvait être, selon lui à cette époque, que l'ontologie fondamentale.
16 K. Löwith, Das Individuum…, p. 46–47.
17 Löwith rejette implicitement la thèse de la cooriginarité du monde ambiant et de l'être-avec. Selon lui – la même thèse sera défendue plus tard par le psychiatre Binswanger – le monde signifie avant tout «être-avec» (ibid., p. 12). Le «se-connaître» réflexif ne s'effectue pas à partir d'objets, mais seulement à partir d'autres sujets, c'est-à-dire de ses semblables (p. 16). Le souci pour l'autre est plus originel que la préoccupation du monde ambiant (p. 72). Dans sa critique de Karl Löwith, Michael Theunissen remarque que, dans son accentuation unilatérale de l'être-avec, Löwith use toujours d'un troisième terme, le «monde», qui inclut à la fois les hommes et les choses. Contre son gré, il refait ainsi de l'être-avec un moment du tout «monde». Cf. Theunissen, Michael, Der Andere. Studien zur Ontologie der Gegenwart (1964), Berlin, de Gruyter, 1977, p. 413–420Google Scholar.
18 On ne pourra accepter la traduction de Vezin lorsqu'il rend eigentliches Selbstsein (être-soi authentique) par oser à fond être soi-même.
19 À ce propos, Sartre développe la conséquence historique suivante: «S'il y a un mode d'être commun qui est l'inauthenticité, alors toute l'Histoire est inauthentique et l'action dans l'Histoire entraîne à l'inauthenticité; l'authenticité retourne à l'individualisme. Réciproquement, si la nature de l'homme est au bout de l'Histoire, l'inauthenticité doit être voulue pour elle-même comme la condition même de la lutte historique. Toute doctrine de la conversion risque fort d'être un a-historisme» (Sartre, J.-P., Vérité et existence, Paris, Gallimard, 1989, p. 11Google Scholar).
20 Hegel, G. W. F., La phénoménologie de l'esprit (1807), trad. J. Hyppolite, Paris, Aubier-Montaigne, 1941, p. 153.Google Scholar
21 Le problème de l'historicité, dans lequel on retrouve les notions de communauté et de peuple, semble faire exception. Mais tout se passe comme si la communauté et le peuple s'individualisaient sous forme de destin commun et qu'une reconnaissance solidaire de l'autre communauté, qui ne soit plus exclusive, soit impossible. C'est également avec cette logique du repli sur soi, l'auto-détermination, que Heidegger appuyait, dans un de ses discours politiques de 1933, le retrait de l'Allemagne de la Société des Nations. Cf. Schneeberger, Guido, Nachlese zu Heidegger, Berne, 1962, p. 144–146Google Scholar; français: Le débat, vol. 48 (1988), p. 183–184. Son article de 1937 sur les relations franco-allemandes, Chemins d'explication, sera plus tempéré. Écrit à une époque où l'entente internationale allait de mal en pis, Heidegger ajoute tout de même à sa thèse d'auto-détermination du peuple une autre condition de possibilité de l'entente: «la volonté persévérante de s'écouter l'un l'autre», Nachlese zu Heidegger, 1962, p. 262; français : Martin Heidegger, L'Herne, Paris, Éditions de l'Herne, 1983, p. 62.