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Principe de discussion et éthique de la responsabilité chez Karl-Otto Apel

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Stéphane Courtois
Affiliation:
Cégep François-Xavier-Garneau

Extract

Les recherches poursuivies par les membres de l'école de Francfort depuis la seconde moitié des années quatre-vingt se signalent primordialement par l'intérêt porté au problème général des conditions d'application de l'éthique de la discussion (Diskursethik) au domaine du droit et de la politique. En témoignent les recueils publiés récemment par Karl-Otto Apel, en particulier Diskurs und Verantwortung (1988) et Zur Anwendung der Diskursethik in Politik, Recht und Wissenschaft (1992), ainsi que l'ouvrage volumineux de J. Habermas consacré à la théorie du droit, Faktizität und Geltung (1992). Bien que non définitive, cette orientation de recherche n'en est pas moins suffisamment élaborée à l'heure actuelle pour permettre une évaluation. Le but du présent article sera plus spécialement de soumettre à un examen critique la voie de solution propre apportée par Apel à ce problème. Une thèse centrale sera défendue: celle suivant laquelle les difficultés que présente l'application de l'éthique communicationnelle au monde du droit et de la politique ne peuvent être entièrement solutionnées dans le cadre restreint de la théorie morale, mais exigent la transition à une théorie du droit et de la démocratie.

Type
Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1995

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References

Notes

1 Apel, Karl-Otto, Diskurs und Verantwortung, Francfort, Suhrkamp, 1988 (référence abrégée: DV).Google Scholar

2 Karl-Otto Apel et Matthias Kettner, dir., Zur Anwendung der Diskursethik in Politik, Recht und Wissenschaft, Francfort, Suhrkamp, 1992 (référence abrégée: ADE). L'etude d'Apel auquel nous nous référerons dans la suite de notre article est: «Diskursethik vor der Problematik von Recht und Politik: Können die Rationälitats differenzen zwischen Moralität, Recht und Politik selbst noch durch die Diskursethik normativ-rational gerechtfertigt werden?», p. 29–61.

3 Jürgen Habermas, Faktizität und Geltung —Beiträge zur Diskurstheorie des Rechts und des demokratischen Rechtsstaats, Francfort, Suhrkamp, 1992 (référence abrégée: FG).

4 Karl-Otto Apel, «Das Apriori der Kommunikationsgemeinschaft und die Grundlagen der Ethik» (référence abrégée: «Das Apriori»), dans Apel, Karl-Otto, Transformation der Philosophie, 4e éd., t. 2, Francfort, Suhrkamp, 1988, p. 426–é427 (notre traduction).Google Scholar

5 Pour la différentiation entre ces deux formes de fondation, cf. «Das Apriori», p. 405 sq.

6 Â propos du «dechiffrement» pragmatique-transcendantal du «fait de la Raison », cf. (entre autres): «Das Apriori», p. 415 sq.; DV, p. 49, 99, 173–174, 201, 253–254, 271–272, 354–355 et 442 sq.; ADE, p. 54–55.

7 «Das Apriori», p. 429–430 (notre traduction).

8 Ibid.*, p. 431 (notre traduction).

9 Pour cette distinction, cf. DV, p. 142, 259, 300 et 465; ADE, p. 34 sq. Mentionnons que cette distinction ne doit pas être confondue avec la carécterisation faite par Apel de l'éthique de la discussion comme une conception «à deux niveaux» de l'éthique (cf. note 10). Les «deux niveaux» (zwei Stufen) de l'ethique de la discussion référent àdeux contextes differents At fondation des normes, alors que les «parties» (Teile) «A» et «B» de l'éthique de la discussion réfèrent quant à elles à deux étapes différentes, mais complémentaires, dans l'élaboration de l'éthique de la discussion: l'étape (épistémologique) consacree au probleme general de la fondation et de I'éxplicitation de la conception «a deux niveaux» de l'éthique de la discussion mentionnee à l'instant, et l'étape (pratique et politique) consacrée au problème plus particulier des conditions historiques et sociopolitiques de son application / realisation.

10 On sait que l'éthique de la discussion ne formule elle-même aucune norme concrete, ni même un principe général à partir duquel il deviendrait possible de déduire a priori certaines normes particulières, mais uniquement une procédure argumentative—le principe d'universalisation, que Habermas, dans Moralbewuβitsein und kommunikatives Handeln, qualifie également de «principe moral»—chargee d'assurer une issue impartiale aux discussions morales. Apel parle pour sa part de la conception «a deux niveaux» (Zwei-Stufen- Konzeption) caractérisant l'ethique de la discussion: (1) le niveau de la fondation «ultime», réflexive-transcendantale, du principe de la discussion argumentee en général, qui se présente dans les argumentations morales sous forme d'un principe deontologique et formel-procedural d'universalisation proprement dit; (2) le niveau de la fondation «communicationnelle-consensuelle», par nature faillible et révisable, de toutes les normes particulières et historiquement déterminées, pouvant étre effectuée dans le cadre des discussions pratiques et dans les conditions posées par le principe procédural d'universalisation. Pour I'explicitation de cette conception «a deux niveaux», cf.: K.-O. Apel, «Ist die philosophische Letzbegründung moralischer Normen auf die reale Praxis anwendbar?», dans K.-O. Apel, D. Bohler and G. Kadelbach, dir., Funkkolleg Praktische Philosophic I Ethik: Dialoge, t. 2, Francfort, Fischer, 1984, p. 123- 146; DV, en particulier p. 120 sq., 210 sq., 219 sq. et 271 sq.

11 Apel a critiqué à plusieurs reprises cette orientation de l'éthique qu'il juge non seulement abstraite, c'est-à-dire impuissante à montrer suffisamment comment les préceptes moraux qu'elle commande peuvent être appliqués à la situation réelle, mais également irréaliste et naive, puisqu'une application inconditionnelle de tels préceptes presuppose la croyance en l'utopie d'unnouveau commencement rationnel, en la possibilite d'un saut abrupt, par-delà les conditions sociales et politiques actuelles, dans un état idéal des relations humaines. Sur léirréalisme et léutopisme des éthiques de la conviction, cf. DV, p. 127–128, 214–215, 258 sq., 265 sq., 298, 357–358 et 453–454.

12 Cf. DV, P-299 et 359.

13 Apel pense surtout ici au néo-aristotélisme, très influent en Allemagne, lequel rejoint d'ailleurs les positions du néo-pragmatisme américain, mais il vise aussi une certaine orthodoxie kantienne. Sur la critique de ces courants, cf. DV, p. 132 sq., 359 sq., 417–422 et 455 sq.

14 Dans ce contexte, Apel reprochera également à Habermas (le Habermas de Moralbewu²tsein und kommunikatives Handeln, et done avant l'intérêt qu'il portera, à compter du milieu des années quatre-vingt, à la philosophie du droit) de ramener le problème de l'application de l'éthique de la discussion à un probleme d'application «normale» des normes dans une situation, en d'autres mots, de confondre le probleme de la prise en considération, au niveau des discussions pratiques, des suites et des effets secondaires prévisibles de l'obeissance à une norme (prévue dans le principe procedural de l'ethique de la discussion) et le probleme de la prise en considération des suites et des effets secondaires de l'application du principe de discussion lui-même ê réalité historique, laquelle ne peut etre assumee selon lui que par une ethique de la responsabilité. Pour cette critique, cf. DV, p. 137 sq.

15 Sur la transposition complementaire du principe d'universalisation en «principe d'action», et l'analyse de ses conséquences, cf. DV, p. 123 sq.

16 Sur le «principe complémentaire», cf. DV, p. 142, 145é150, 199 sq. et 465é469.

17 Sur les rapports entre «ethique de la responsabilité» et «politique réaliste», cf DV, p. 261 sq.

18 Cf. DV, p. 268; ADE, p. 36.

19 Cf. DV, p. 134.

20 Apel identifie trois types de destinataires de l'éthique de la responsabilité: (1) l'humanité en general au sens de l'éthique de la discussion pure; (2) les personnes juridiques au sens du droit positif, léquel fixe légalement les droits et les devoirs et donne un sens juridique à la responsabilité; (3) enfin, les sujets de l'action et de la négotiation stratégiques, que l'on rencontre dans les domaines de l'économie et de la politique et qui sont pour Apel les plus importants destinataires d'une éthique de la responsabilité. Cf. DV, p. 206–208.

21 FG, p. 106 (notre traduction). Cf. également p. 137 et 146.

22 Ibid., p. 147 (notre traduction).

23 Ibid., p. 148 (notre traduction).

24 Ibid., p. 149 (notre traduction).

25 ADE, p. 58 (notre traduction).

26 Ibid., p. 58–59 (notre traduction).

27 Cf. Ibid. p. 60–61.

28 Ibid., p. 58. Cf. également p. 61.

29 FG, p. 396. Pour l'appréciation portée sur le modèle de la socialisation communicationnelle pure et l'explicitation de son sens selon Habermas, cf. p. 391 sq.

30 Pour l'analyse des différences entre normes morales et normes du droit. cf FG, en particulier p. 190 sq.

31 FG, p. 154. Â propos des distinctions entre «principe moral» et «principe de democratie» et des spécifications correspondantes du «principe de discussion», cf. FG, p. 138 sq. et 196.

32 Sur l'énumération exhaustive des règles de la procédure démocratique, cf. FG, p. 370 sq.

33 Habermas a regroupé ces formes argumentatives en un «modele processuel» (Prozeβmodell) de la formation de la volonté politique rationnelle, au moyen duquel il entend reconstruire dans l'optique de sa théorie discursive les différents moments—;exécutif, législatif et judiciaire—qui déterminent le cycle de la législation politique. Pour l'analyse détaillée de ces formes argumentatives, cf. FG, p. 195 sq.

34 Pour l'analyse détaillée des différentes conditions argumentatives que la procédure démocratique doit prendre en considération, cf. FG, p. 221 sq.

35 Sur les rapports entre orientations déontologique et téléologique de l'éthique de la discussion, cf. DV, p. 13, 146–147, 299 et 468; ADE, p. 36–37.

36 Jürgen Habermas, Erläuterungen zur Diskursethik, Francfort, Suhrkamp, 1991, p. 196 (notre traduction).

37 Notons que le vocable «éthique de la discussion» est une expression usuelle qui incommode Habermas, pour autant qu'elle indique maladroitement qu'il s'agit d'abord et en premier lieu, non pas d'une éthique téléologique — n'en deplaise a Apel—mais bien strictement d'une «theorie discursive» de la morale (Diskurstheorie der Moral). Cf. J. Habermas, Erlêuterungen zur Diskursethik, p. 7.