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La Grammaire générale classique en tant que programme de recherche scientifique*

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

André Leclerc
Affiliation:
Université du Québec à Trois-Rivières

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La Grammaire (1660) et la Logique (1662) de Port-Royal ouvrirent une ère nouvelle dans l'histoire des sciences du langage. On a beau insister sur la dette des Messieurs de Port-Royal (Arnauld, Nicole, Lancelot) envers Descartes, Augustin, Sanctius, ou meme Aristote, l'originalité de leur œuvre logico-grammaticale ne fait malgré tout aucun doute. Quant à l'influence de cette oeuvre sur les grammairiens philosophes des générations suivantes, elle est d'une remarquable persistance et demeure sensible pendant un bon siecle et demi, en dépit des critiques, corrections et innovations qu'elle a pu inspirer, et de la diversité des orientations philosophiques ou gnoséologiques des plus illustres grammairiens des Lumières. L'œuvre des Messieurs propose une vision unifiée des phénomènes langagiers et «l'appareil mis en place à Port-Royal continue à fonctionner pour l'essentiel» (cf. Dominicy, La naissance. …, p. 14), aussi bien chez les grammairiens philosophes de l'Encyclop'dic (Du Marsais, Beauzée), que chez Condillac et ses successeurs idéologues (en particulier Destutt de Tracy).

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Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1993

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References

Notes

1 C. C. Du Marsais, Œuvres de Du Marsais, Paris, Imprimerie Pougin, 1797, t. III, article «Inversion», p. 365.

2 Nous utilisons les éditions suivantes: Arnauld, et Lancelot, , Grammaire générate et raisonnée (GGR), éd. critique de Brekle, H., impression en fac-similé de la troisième édition de 1676, Stuttgart-Bad Cannstatt, Friedrich Frommann, 1966Google Scholar; et Arnauld, et Nicole, , La logique ou l'art de penser (LAP), éd. critique par Clair, P. et Girbal, F., Paris, PUF, 1965.Google Scholar

3 Sur l'influence de Descartes sur Arnauld, voir par exemple M. Dominicy, La naissance de la grammaire moderne, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1984: « [ … ] Arnauld ne reniera jamais sa dette philosophique. À plusieurs reprises, il dèfendra le cartèsianisme contre les condamnations qui le menacent» (p. 19). Robinet, A., dans Le langage à l'âge classique (Paris, Klincksieck, 1978)Google Scholar, a souligné avec insistance làinfluence dàAugustin sur làŒuvre logico-grammaticale des Messieurs. Sur celle de Sanctius, voir par exemple Lakoff, R., «La grammaire gènérate et raisonnèe», dans H. Parret, dir., History of Linguistic Thought and Contemporary Linguistics, Berlin et New York, de Gruyter, 1976Google Scholar. Aristote, Sur, Stéfanini, voir J., «De la grammaire aristotélicienne», dans A. Joly et J. Stéfanini, dir., La grammaire générate des Modistes awe Idéologues, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1977, p. 97106.Google Scholar

4 Sur l'originalité de l'œuvre logico-grammaticale des Messieurs vis-à-vis des traditions antèrieures, voir M. Dominicy, La naissance…, 1984: « [ … ] la nouveaute profonde de la GGR et de la LAP a été confirmée, de manière quelque peu inattendue, par des recherches récentes qui s'inspiraient, au départ, de Lakoff (1976) [cf. ci-dessus n. 3] et Padley (1976) [cf. ci-dessous n. 8]» (p. 14).

5 Certains historiens de la Grammaire générale divise le mouvement de la grammaire philosophique classique en deux courants: il y aurait, d'une part, les grammairiens philosophes rationalistes, et d'autre part, les grammairiens sensualistes, un courant de «linguistique cartésienne» et un autre de «linguistique condillacienne». Voir, par exemple, Harnois, G., Les théories du langage en France, de 1660 à 1828, Paris, Les Belles Lettres, 1929Google Scholar; Aarsleff, H., From Locke to Saussure, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1982Google Scholar; A. Joly, «La linguistique cartésienne: une erreur mémorable», dans A. Joly et J. Stéfanini, La grammaire générale…, 1977, p. 165–199; et U. Ricken, Grammaire et philosophic au siècle des Lumieres, Villeneuve-d'Ascq, Université de Lille III, 1978. Notre approche va à l'encontre de celle de ces historiens; l'acceptation ou le rejet des idées innees n'a, à notre avis, que peu d'effets sur les discussions grammaticales de làépoque classique.

6 Lakatos, Voir I., «Falsification and the Methodology of Scientific Research Programmes», dans Philosophical Papers, éd. Worrall, J. et Currie, G., Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 8101.Google Scholar

7 Buffier, C., Grammaire françoise sur un plan nouveau, Paris, N. Le Clerc, 1709Google Scholar. Buffier, un jésuite, est considéré comme un précurseur des philosophes du sens commun.

8 Cf. Chomsky, N., La linguistique cartésienne, Paris, Seuil, 1969 (1966 pour l'original anglais)Google Scholar; et Padley, G. A., Grammatical Theories in Western Europe 1500–1700, Cambridge, Cambridge University Press, 1976.Google Scholar

9 Beauzée, N., Grammaire générale, ou Exposition raisonnée des éléments nécessaires du Langage pour servir de fondement à l'étude de toutes les langues, 2 vol., Paris, Bardou, 1767.Google Scholar

10 J'utilise le terme au sens de Searle, John (Speech Acts, Cambridge, Cambridge University Press, 1969)CrossRefGoogle Scholar et Rawls, de JohnTwo Concepts of Rules», Philosophical Review, vol. 64 [1955], p. 332).CrossRefGoogle Scholar

11 Foucault, M.La grammaire générale de Port-Royal», dans Langages, vol. 7 [1967], p. 715)CrossRefGoogle Scholar avait clairèment perçu le caractere constitutif des principes de la Grammaire générale (p. 7). Voir aussi, à ce sujet, Auroux, S., La sémiotique des Encyclopédists, Paris, Payot, 1979, p. 231, note 171Google Scholar. Du Marsais disait de la logique et de la grammaire qu'elles «prescrivent à l'orateur certaines règies dont il ne peut se dispenser, et qui sont communes à tous ceux qui veulent faire usage de leur raison et de la parole», voir ses Œuvres, 1797, p. 364.

12 Pour une interprétation divergente, voir Auroux, S., «Le rationalisme et l'analyse linguistique», dans Dialogue, vol. 28, no2 (1989), p. 203233.CrossRefGoogle Scholar D'après M. Auroux, pour les sensualistes, en particulier Condillac, il n'y a pas de parties du discourse «nécessaires»; elles in. sont toutes que des moyens «suffisants» pour l'expression des pcnsées, et il en va ainsi parce qu'elles ont une genèse, elles ont été «trouvées». Dans notrc interprétation, la nécessité de certaines parties du discours (comme le nom et le verbc) s'entend relativement aux langues «policées».

13 Sur la matérialité du langage, la syntaxe et la sémantique, voir S. Auroux, La sémiotique…, 1979; également pour la sémantique, et sur la pragmatique dans l'analyse du langage à Port-Royal, M. Dominicy, La naissance…, 1984.

14 Dans son opuscule de 1748 (qu'on trouve dans Varia linguistica de C. Porset, Bordeaux, Ducros, 1970), Maupertuis affirme : « [ … ] on trouve des Langues, surtout chez les peuples fort éloignés, qui semblent avoir été formées sur des plans d'idées si différents des nôtres, qu'on ne peut presque pas traduire dans nos Langues ce qui a été une fois exprimé dans cellcs-là» (p. 27). L'hypothèse de tels plans d'idées différents des nôtres est pcut-être la première formulation du principe de «relativité linguistique». On trouve également dans Varia linguistica de Porset les réactions de Turgot aux plans d'idées différents de Maupertuis; voir aussi la lettre de Condillac à Maupertuis datée du 25 juin 1752, dans les Œuvres philosophiques de Condillac, t. II: Correspondance, Paris, PUF, 1948; et Sur l'origine du langage, éd. R. Grimsley, Genève, Droz, 1971, pour les reactions de Maine de Biran.

15 Je reprends l'expression de W. Alston, Philosophy of Language, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1964, p. 11 el passim. Le principe des théories idéationnelles du langage est clairement formulé dans la Grammaire générale et raisonnee de Port-Royal, cd. Critique de H. Brekle, impression en fac-similé de la troisième édition de 1676, Stuttgart-Bad Cannstatt, Friedrich Frommann, 1966, p. 26: «La connaissance de ce qui se passe dans notre esprit est nécessaire pour comprendre les fondements de la Grammaire».

16 Voir, par cxemple, Diderot, , Lettre sur les sourds et muets à l'usage de ceux qui entendenl et qui parlent, Paris, Garnier-Frères, 1875Google Scholar (réimpr. dans les Œuvres complètes de Diderot, éd. Assézat, J., Liechtenstein, Krauss Ltée, Nendeln, 1966, p. 363)Google Scholar, oú il parle du «bon sens, qui ne permet pas à la même expression de rendre des idées différentes». Le «bon sens» ou la raison exige un certain degré d'univocité et de stabilité dans les significations pour assurer l'efficacité de la communication.

17 La capacité de former des énoncés nouveaux et de les adapter à l'infinie variété des contextes d'énonciation constitue pour Descartes la pierre de touche permettant de distinguer les hommes pourvus d'une âme rationnelle des animaux ou des machines. Voir, Discours de la méthode, cinquième partie, Paris, Vrin, 1966, p. 120Google Scholarsq.

18 Voir Arnauld et Nicole, Perpétuite de la foi de l'Église catholique sur l'Éucharistie, publiée par M. l'Abbé M***, Paris, Imprimerie de Migne, chez l'éditeur rue d'Amboise, Hors la barrière d'Enfcr, 1841, t. 1, livrc IV, chap. VII, p. 538.

19 Sur la rationalité imparfaite chez Pascal, et Descartes, , Elster, voir J., Ulysses and the Sirens, Cambridge, Cambridge University Press, 1979Google Scholar; pour la théorie contemporaine de la rationalité minimale, Cherniak, voir C., Minimal Rationality (Bradford Books), Cambridge, MA, MIT Press, 1986Google Scholar. Arnauld et Nicole reconnaissaient déjè un critèrc de «cohérence minimale» et un critère de «rationalité dèductive minimale» appliqué à l'interprétation des textes.

20 C. C. Du Marsais, Traite des Tropes [1730], Paris, Éd. du Nouveau Commerce, 1977, p. 246.

21 Arnauld et Lancelot, Grammaire générale et raisonnee, 1979, p. 154.

22 Voir S. Auroux, La sémiotique…, 1979.

23 D. Diderot, article «Encyclopédie» [1751], dans Diderot et d'Alembert, dir., Encyclopedie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers; édition conforme à celle de Pellet in quarto, Berne et Lausanne, Sociétés typographiques, 1780.

24 Voir M. Dominicy, La naissance…, 1984, p. 14.

25 Diderot, Lettre sur les sourds et muets.…, p. 360: «Quand le sujet d'une proposition oratoire ou gesticulée n'est pas annoncé, l'application des autres signes reste suspendue. C'est ce qui arrive à tout moment dans les phrases grecques ou latines; et jamais dans les phrases gesticulées, lorsqu'elles sont bien construites».