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A. G. Baumgarten et la naissance du discours esthètique

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Daniel Dumouchel
Affiliation:
Université de Montréal

Extract

L'Æsthetica de Baumgarten est restée depuis plus de deux cents ans dans l'ombre de la «révolution» au moins nominale qu'elle a représentée pour l'histoire de la philosophic moderne. Et de fait, Baumgarten doit moins son importance historique à l'évaluation rigoureuse qu'on a pu faire des concepts qu'il a contribué à développer, qu'à l'ouverture d'un champ théorique et philosophique particulier. Car quelles que soient les limites et les lacunes historiques de son projet théorique, il n'en reste pas moins qu'une grande partie de la tradition philosophique de l'esthétique, en particulier dans le contexte de la philosophie allemande, y a trouvé la possibilité d'une unification et comme la marque d'une «origine». C'est Baumgarten qui, le premier en Allemagne, a réuni les conditions nécessaires pour assurer à la théorie de l'art et du beau une cohérence systématique qui lui avait été auparavant refusée et, par voie de conséquence, pour lui permettre de former un champ théorique et philosophique distinct. On a souvent fait remarquer que Baumgarten avait «inventé» très peu de thèmes nouveaux en esthétique; et il est indéniable qu'il s'est contenté la plupart du temps de réorganiser, dans ses observations, un matériau à la fois ancien et restreint, qu'il tire presque exclusivement de la rhétorique et de la poétique traditionnelles. Mais la pertinence historique de sa pensée tient plutôt au fait qu'il crée une nouvelle perspective unifiée, un nouveau centre de gravité qui permet d'organiser de façon neuve un ensemble de phénomènes qui avaient été traités avant lui de façon indépendante.

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Articles
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References

Notes

1 Æsthetica, Francfort; Oder, 1750/1758. Reprod. Hildesheim, 1961. Nous nous référerons dans la mesure du possible à la traduction partielle de l'Esthétique et des principaux textes esthétiques de Baumgarten par Jean-Yves Pranchère, Paris, L'Herne, 1988. L'édition comprend une traduction complète de la dissertation Méditations philosophiques sur quelques objets se rapportant à l'essence du poème (1735), des passages de la Métaphysique (1739), dans l'édition de 1779, consacrés a la «psychologie empirique», ainsi qu'un choix de textes tirés de l'Esthétique théorique (1750/1758), dont Baumgarten n'avait achevé que la première des trois sections qu'elle devait contenir, et qu'il prévoyait encore augmenter d'une «esthétique pratique». On y trouvera en outre des extraits des «Lettres philosophiques d'Aletheophilus» (1741) — qui constituaient une publication à finalité exotérique dans le style de la Popularphilosophie naissante, et que Baumgarten destinait tout particulièrement à l'audience féminine qui n'avait pas accès à l'Université –, de la Philosophie générate de 1742, publiée en 1770 par J. C. Forster, et du «Cours sur l'esthétique» tenu en 1750, qui suit de très près la rédaction finale de l'Æsthetica, et qui a fait l'objet d'une publication indéipendante par Poppe, B., A. G. Baumgarten, Seine Stellung und Bedeutung in der Leibniz-Wolffischen Philosophie und seine Beziehungen zu Kant, Leipzig, 1907Google Scholar. Le lecteur francophone peut ainsi avoir accès à la plupart des textes esthétiques importants de Baumgarten. II est toutefois à regretter que nous n'obtenions qu'une traduction partielle de l'Esthétique, qui, en dépit de la redondance de certaines de ses parties, aurait à tout le moins mérité une sélection plus large. Les textes sont précédés d'une intelligente présentation du traducteur.

2 Les théories soutenues dans l'Æsthetica connurent un certain succès, surtout par le biais de l'exposé qu'en avait fourni, dès 1748, l'élève de Baumgarten, G. F. Meier, dans ses Anfangsgründe aller schönen Wissenschaften, t. I-III, Halle, 1748/1750; en tout cas, l'usage du terme d'«esthétique» pour désigner en général la théorie de l'art et du beau, se répandit rapidement. L'importance de la pensée de Baumgarten a done été reconnue par ses contemporains, même si sa réception, comme on le verra, a été placée à l'enseigne de certains malentendus typiques, qui sont d'ailleurs le fait aussi bien de ses défenseurs que de ses contempteurs. Mais à partir des années 1780, en partie en raison du diktat kantien, qui visait a saper les fondements «scientifiques» de l'entreprise esthétique (Kritik der reinen Vernunft, B 35, t. III, p. 50–51), l'intérêt pour lÆsthetica a rapidement décrû. À titre d'exemple, Schelling ne fera référence au projet de Baumgarten, dans sa Philosophie der Kunst, que pour prévenir une éventuelle confusion de la «philosophie de l'art» avec l'«esthétique» (éd. Cotta t. V, p. 361); et Hegel dénonce le caractère inadéquat du terme «esthétique» pour rendre compte de la nouvelle science philosophique de l'art, et mentionne qu'il a été créé dans l'«école wolffienne», à une époque où l'on «considérait l'œuvre d'art par rapport aux sensations» (Æsthetik, t. I, p. 13). De la même façon, K. W. F. Solger, dans ses Vorlesungen über Æsthetik, 1819, réduit l'esthétique de Baumgarten à une perspective nettement wolffienne. II a fallu attendre la seconde moitié du xixe siècle pour que des études rigoureuses, parallélement au développement de l'esthétique philosophique universitaire, soulignent l'intérêt de la pensée de Baumgarten. Nous nous contentons de mentionner ici, parmi une abondante littérature, les études de Th. Danzel, de K. H. von Stein, de Fr. Braitmaier, de M. Dessoir, de R. Sommer et de E. Bergmann. Nous aurons souvent l'occasion de revenir sur l'héritier le plus tardif et sans doute le plus pertinent de cette génération de commentateurs, A. Bäumler, et sur son fameux texte Das Irrationalitätsproblem in der Æsthetik und Logik des 18. Jahrhunderts bis zur Kritik der Urteilskraft, 1923 (reprod. Darmstadt, 1967). Depuis, ceux qui, dans la tradition allemande essentiellement, réfléchissent sur les origines et la fonction historiques de l'esthétique comme «science philosophique», ou du moins comme champ théorique légitime de la philosophie, font de la pensée de Baumgarten un détour théorique obligé et lui reconnaissent une portée «fondatrice».

3 Horace, Virgile, Cicéron, Ovide, Tacite, etc., sont les noms qui reviennent le plus souvent sous sa plume, tandis que les références aux contemporains sont rarissimes. Le «Cours sur l'esthétique» est un peu moins avare de noms modernes, mais les références explicites à la poésie ou à l'art plastique de l'époque restent presque inexistantes.

4 «Sensibilité» doit être entendu ici au sens d'une faculté de connaître inférieure autonomisée. Le disciple de Baumgarten, G. F. Meier, utilise en allemand Sinnlichkeit pour désigner en général cette faculté définie par Baumgarten; cf. ses Anfangsgründe, t. I. Baumgarten lui-même utilise couramment cet équivalent dans son «Cours sur l'esthétique».

5 Dans son excellente étude Kunst als Erkenntnis. Die Rolle der Sinnlichkeit in der Æsthetik des A. G. Baumgarten, Studia leibnitiana, Supplément 9 (1972), U. Franke remarque par exemple que la plupart des interprétations de Baumgarten, jusqu'à une date assez récente, sont grevées par l'acceptation non réfléchie de la liaison entre l'an et le beau. L'erreur consisterait ici à présupposer comme «évidente», sans doute à la faveur de la reprise idéaliste et romantique de l'esthétique du XVIIIe siècle, une liaison historiquement instituée, et dont l'institution, au sens où nous la connaissons, se confond précisément avec la genése de l'esthétique «moderne» dont Baumgarten est l'un des principaux représentants. Nous partageons ce point de vue et nous pensons qu'il devrait être élargi à d'autres concepts de l'esthétique moderne et contemporaine, comme la notion d'œuvre, l'autonomie de l'art et de l'expérience esthétique, etc. La réflexion sur la constitution de ces «noyaux d'évidences» conceptuelles est la base d'une compréhension non naïve de l'esthétique comme champ théorique spécifique. Nous revenons brièvement sur cette question en conclusion.

6 Baumgarten devait connaître ces auteurs, qu'il cite dans ses cours. L'importance de J. Addison pour l'esprit esthétique du XVIIIe siècle est énorme. Baumgarten a pu le connaître par le biais des poéticiens suisses J. Bodmer et J. Breitinger, qui tenaient sa «théorie des plaisirs de l'imagination» (cf. The Spectator, nos 411–421) en très haute considération. L'abbé Du Bos (Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, 1719) n'avait pas encore atteint en Allemagne, à l'époque de lÆsthetica (1750), le sommet de son influence. II faudra attendre pour cela les écrits de J. G. Sulzer et M. Mendelssohn des années 50.

7 Baumgarten, Æsthetica (citée désormais: Æsth), §1.

8 Ibid., §17.

9 Nombreux furent ceux, parmi les meilleurs, qui mésinterprétèrent la notion baumgartenienne de connaissance sensible. On voit à lœuvre une méprise de ce genre dans une recension de l'époque des Anfangsgründe de Meier, qui se proposait de populariser l'enseignement de Baumgarten; l'auteur de la recension y exprime son scepticisme à l'endroit d'une discipline qui se veut à la fois «connaissance indistincte» et «science», soulignant que, de deux choses l'une, ou bien la beauté était ramenée à la science, et dés lors elle n'était plus «beauté», ou bien la sphère de la beauté était préservée dans son intégralité et l'esthétique devait perdre le titre de «science» (cité par Guillermit, L., L'élucidation critique du jugement de goût selon Kant, Paris, 1986, p. 18)Google Scholar. Dans une recension de lÆsthetica, le poéticien suisse J. Bodmer s'indigne de ce que le goût ne doive être qu'un «jugement inférieur» qui ne nous permet de connaître que l'«obscur et le confus» (cf. von Stein, K. H., Die Entstehung der neueren Æsthetik, Stuttgart, 1886, p. 281)Google Scholar. Cf. aussi à ce sujet E. Cassirer, Freiheit und Form, 3e éd., Darmstadt, 1961, p. 79: «Denn indem Baumgarten und Meier dabei verharren, die sinnliche Sphäre gegenüber der logischen als das Gebiet der niederen Erkenntniskraft zu bezeichnen, geben sie von Anfang an der Kritik und der Missdeutung der Gegner gewonnenes Spiel. Gottsched und Bodmer vereinen sich hier; denn wie jener das Wort “ästhetisch” alsbald als gleichbedeutend mit der Empfehlung einer verworrenen und schwülstigen Schreibart ansieht, so erwachen auch in diesem die gleichen rationalistischen Bedenken. Wenn die Meinung uberhand nehme — so schreibt er [Bodmer] an Hagedorn —, dass der Geschmack eine untere Beurteilungskraft sei, wodurch wir nur verworren und dunkel erkennen: so werde es nach dieser Bedeutung kein so grosses Lob sein, einen solchen Geschmack zu besitzen und es sei kaum der Mühe wert, danach zu streben.» Ces réactions témoignent des difficultés qu'éprouvaient les lecteurs de lÆsthetica devant la détermination nouvelle que Baumgarten entendait donner de la faculté sensible de l'âme pensée non plus comme simple pars inferior de l'âme humaine, mais comme analogon de la raison, possédant ses critères, son mode de connaissance et sa perfection propres.

10 Æsth., §§7–9, 12. Cf. infra., notre §3.

11 Baumgarten, Méditations (citées désormais: Médit.), §§4, 115, 116.

12 Baumgarten y développe rapidement la plupart des thèmes qu'il approfondira dans lÆsthetica. L'œuvre répond à une structure empruntée à la rhétorique antique (tout comme d'ailleurs lÆsthetica, du moins dans son plan initial): elle se divise, sans le préciser, en heuristique, méthodologie et sémiotique.

13 Médit., §§2–5.

14 Ibid., §§7, 9.

15 Ibid., §8. Leibniz, Von der Glückseligkeit, dans Philosophische Schriften, t. I, Darmstadt, 1985; cf. Belaval, Y., «L'harmonie», dans Études leibniziennes, Paris, 1976, p. 103sqq.Google Scholar

16 Leibniz, Meditationes de cognitione, veritate et ideis, 1684. Trad, franç. dans Opuscules métaphysiques choisis, Paris, 1978, p. 9 sqq.

17 Médit., §§12–15.

18 Baumgarten, Métaphysique (citée désormais: Mét.), §517. Sur 1'interprétation baumgartenienne de Leibniz, cf. U. Franke, «Von der Metaphysik zur Æsthetik. Der Schritt von Leibniz zu Baumgarten», Studia leibnitiana, Supplément 14 (1975), p. 231–232.

19 Médit., §§16 et 18.

20 Æsth., §1.

21 It faut toutefois préciser que les termes donnés entre parenthéses ne sont pas des «sous-définitions» rigoureuses de l'esthétique, mais plutöt des synonymes partiels regroupés par Baumgarten à seule fin d'orienter le lecteur de l'époque et de l'aider a circonscrire le champ de la science qu'il veut promouvoir. Les «synonymes partiels» visent moins à une précision scientifique du concept d'esthétique, qu'à en fournir pour ainsi dire une «illustration extensive» capable de susciter l'attention du lecteur ou de l'auditeur. La «définition» de l'esthétique à proprement parler demeure: «science de la connaissance sensible». Les définitions de l'ésthetique ont d'ailleurs varié Les Méditations annoncent une «science qui dirige la faculté de connaissance inférieure, ou encore une science du mode sensible de la connaissance d'un objet» (§115); la poétique générale (ou philosophique) sera «la science du mode d'exposition parfait des representations sensibles en général» (§117). La Métaphysique, dans l'édition de 1739, en donne la définition suivante: «La science du mode de connaissance et d'exposition sensible est l'esthétique; si elle a pour but la moindre perfection de la pensée et du discours sensible, elle est la rhétorique; si elle a pour but leur plus grande perfection, elle est la poétique». La «deuxième lettre philosophique d'AletheophiIus» (1741) réserve à l'esthétique «les lois de la connaissance sensible et vivante» (trad. p. 237). Le §147 de la Philosophie générate de 1742 divise l'esthétique en deux parties: elle sera d'une part la science qui «porte à sa perfection la connaissance sensible elle-même», et d'autre part elle sera, «en tant qu'art de la désignation et de la connaissance par signes, l'ESTHÉTIQUE DE LA DÉSIGNATION (œsthetica characteristica: sémiotique, sémiologie, symbolique)» (trad. p. 241–243). Dans son Cours sur l'esthétique, Baumgarten s'explique sur cette transformation de la définition de l'esthétique: la definition finale «contient toutes les déterminations requises pour une différentiation suffisante»; selon Baumgarten, il devient dès lors superfétatoire de préciser que l'esthétique s'occupe de la perfection de la connaissance sensible, ou qu'elle est une science de l'expression par signes; et la notion d'exposition de la connaissance sensible devient, elle, trop restrictive pour la connaissance sensible en générale, puisqu'elle est issue des règies de l'éloquence (§1, p. 248 de la trad.).

22 Æsth., §5.

23 Médit., §115.

24 Mét., §§504 sqq.: «Psychologie empirique»; cf.Æsth., §10.

25 Mét., particulièrement les §§557–640.

26 Mét., §§640–641.

27 Ibid., §§624–639.

28 Ibid., §§640–641.

29 Cf. U. Franke, Kunst als Erkenntnis, p. 51–61, qui analyse en détail la composition de la sensibilité comme analogon de la raison.

30 Mét., §557.

31 Æsth., §14.

32 Ibid., §§18–20.

33 Ibid., §18: «[O]n doit la distinguer [c.-à-d. la beauté des choses et des pensées] de la beauté de la connaissance, dont elle est la première et principale partie, et de la beauté des objets et de la matière, avec laquelle elle est souvent à tort confondue, bien que la signification du mot “chose” soit généralement reçue. Des objets peuvent, en tant que tels, être pensés de belle façon, et inversement des objets qui sont beaux peuvent être pensés d'une manière laide.»

34 C'est une semblable dissociation de l'objectif et du subjectif dans la représentation qui sera utilisée par M. Mendelssohn pour résoudre les problèmes posés par le plaisir pris à la tragédie, par le sentiment du sublime et, en général, par toutes les «sensations mêlées». Cf. les Briefe über die Empfindungen, 1755, Lettre 8, et tout particulièrement le début de Rhapsodie, oder Zusätze zu den Briefen über die Empfindungen, 1761, ainsi que Ueber das Erhabene und Naive in den schönen Wissenschaften, 1757.

35 C'est en ce sens que A. Bäumler a vu dans la définition du poème (Médit., §9: «Le poème est un discours sensible parfait») le manifeste de l'esthétique allemande à venir; cf. Das Irrationalitätsproblem […], p. 213.

36 Ch. Wolff, Vernünftige Gedanken von Gott, der Welt und der Seek der Menschen, auch alien Dingen überhaupt, ou: «Deutsche Metaphysik», 1720 (reprod. Gesammelte Werke, I, 2, Hildesheim, 1983; citée désormais: Von Gott), § 152.

37 Ibid., §156.

38 Ibid., §§164–168.

39 Ibid., §404.

40 À titre d'exemple, la peinture suscite du plaisir en proportion de sa ressemblance avec son modèle, puisque la «perfection» d'une toile consiste dans la concordance de tous ses éléments par rapport à ce qui est perçu dans la chose elle-même; et le plaisir suscité par la contemplation d'un édifice croît en fonction de son adéquation aux règies générates ou particulières de l'architecture.

42 Ibid., §411.

43 Cf. Psychologia empirica, 1732 (reprod. Gesammelte Werke, II, 5, Hildesheim, 1967), §§511–518 et 543–548.

44 Mais Baumgarten fournit lui-méme parfois des formulations ambiguës de la beauté, comme par exemple la définition donnée au §662 de sa Métaphysique, qui apparaît comme une concession à Wolff: «La beauté est la perfection phénoménale (perfectio phcenomenon) observable par le goût au sens large.» D'autant plus que le plan de la Métaphysique ne remet ici nullement en question la structure wolffienne du passage de la connaissance au désir. Par ailleurs, toutes les formules désignant la faculté de juger empirique dans la psychologie empirique de Baumgarten sont grevées de cette meme ambiguïté: le jugement est faculté d'évaluer de façon sensible la perfection, mais la notion de perfection, dans ce contexte, semble prise en un sens général. Les commentateurs sont divisés sur la valeur à accorder à ces passages de la Métaphysique. U. Franke, par exemple, ne semble pas voir une différence essentielle de perspective entre la Métaphysique et l'Æsthetica («Der Schritt von Leibniz zu Baumgarten», p. 233 et 235). En revanche, certains voient une différence tranchée entre la définition «rationnelle-objective» du beau en Mét., §662 et la définition «rationnelle-subjective» en Æsth., §14; c'est le cas chez Riemann, Die Æsthetik Baumgartens unter besonderer Berücksichtigung der «Meditationes», 1928, p. 37, et chez A. Nivelle, Les théories esthétiques en Allemagne de Baumgarten à Kant, Paris, 1955, p. 34. Bäumler voit dans la Métaphysique une définition métaphysico-objective de la beauté, alors que l'essentiel de l'enseignement esthétique de Baumgarten, dans l'Æsthetica, consisterait plutôt à dissoudre, dans la notion de «perfection de la connaissance sensible», l'opposition stricte entre l'objet et le sujet du discours; l'«objet» artistico-esthétique qui est le point de départ et d'arrivée de l'activité esthétique, permet de réunir l' individualité (de la sphère subjective) et la légalité d'un type de connaissance qui se pose de droit comme universellement valide (p. 228–231). De façon analogue, H. R. Schweizer montre que le phænomenon dont parle la Métaphysique est repris dans l'Æsthetica d'une manière qui rend impossible de distinguer principiellement entre intuition et expression: «Ce n'est plus l'harmonie préétablie du connu et du connaissant qui est en cause, mais l'unité de la connaissance et du processus de figuration [Gestaltung] [ … ]. La connaissance se constituant une forme dans l'activité esthétique est elle-méme le phénomène [phænomenon], et non sa simple impression subjective» (Æsthetik als Philosophie der sinnlichen Erkenntnis, Bâle; Stuttgart, 1973, p. 84–85).

45 G. F. Meier, qui fut pourtant proche de Baumgarten, rechute aussitôt dans une conception wolffienne de la perfection. Ses Anfangsgründe définissent la beauté comme «une perfection, dans la mesure où elle est connue d'une façon indistincte ou sensible» (§23). En tant que telle, la beauté exige quatre choses: d'abord une multiplicité d'éléments; ensuite un «foyer» (Brennpunkt), une cause déterminante qui puisse servir de «fin» pour l'objet esthétique; troisièmement, que les différents éléments mis en jeu dans l'objet beau contiennent la raison suffisante de cette fin; et finalement, que ces trois premiers éléments soient saisis de façon indistincte et par une vue d'ensemble simultanée (§ 24). La formulation est malheureuse, elle renvoie l'esthétique à une conception prébaumgartenienne de la perfection esthétique. Baumgarten n'a pas eu besoin de cette notion de «foyer» (Brennpunkt) ou de «fin» pour penser la perfection de la représentation. Cette référence à une fin objective qui serait connue confisément rapproche par trop la perfection en jeu dans la représentation artistique du concept de la chose, c'est-à-dire de ce qu'elle «doit être».

46 M. Mendelssohn, Briefe über die Empfindungen, Lettre 5.

47 Ibid., Rhapsodie über die Empfindungen: «Toute représentation comporte une double relation: d'abord une relation à la chose, en tant qu'objet de ce dont elle est une image ou une copie: et ensuite à l'âme ou au sujet pensant, dont elle constitue une détermination. Certaine représentation peut avoir quelque chose d'agréable, bien qu'elle soit, en tant qu'image d'un objet, accompagnée de désapprobation ou d'aversion. On doit done se garder soigneusement de confondre ces deux modes de relations, l'objectif et le subjectif. [ … ] Nous éprouvons du plaisir ou du déplaisir à la disposition et à la constitution de la chose, suivant que nous percevons en celle-ci des réalités ou des manques. En revanche, dans la relation au sujet pensant, à l'âme, la perception et la connaissance des marques (Merkmale), ainsi que le plaisir et le déplaisir qui s'y rattachent, sont quelque chose de réel (sachlich), qui est posé dans l'ême, une détermination affirmative qui revient à celle-ci; pour cette raison, toute représentation, au moins en relation au sujet, i.e. en tant que prédicat affirmatif de l'être pensant, doit posséder quelque chose d'agréable. [ … ] Selon cette remarque, l'imparfait, le tnauvais et ce qui témoigne d'un manque doit susciter dans tous les cas une sensation mixte (vermischte Empfindung), qui est composée d'un déplaisir à l'objet et d'une satisfaction à sa représentation. Considérée de façon générale, une telle représentation sera agréable ou désagréable suivant que la relation prépondérante sera la relation à l'objet ou la relation au sujet [ … ]. Lorsque l'objet nous concerne de trop près, lorsque nous le considérons comme une partie de nous-mémes, voire comme identique à nous-mêmes, l'agrément de la représentation disparaît aussitôt» (p. 101–103).

48 Cf. en général l'excellente interprétation de Meier, Jean-Paul, L'esthétique de M. Mendelssohn (1729–1786), Lille; Paris, 1978, t. I, p. 217Google Scholarsqq. Mendelssohn serait graduellement passé d'une théorie de la réceptivité esthétique à une théorie de l'activité spirituelle qui serait l'héritage de la spontanéité monadique leibnizienne.

49 C'est l'interprétation, entre autres, de A. Bäumler, Das Irrationalitätsproblem [ … ], p. 230–231; voir la discussion de cette question chez Schweizer, Æsthetik [ … ], p. 82–85, et notre note 44.

50 Allgemeine Theorie der schönen Künsle (1771–1774), article «Mannichfaltigkeit».

51 Cf. la «Préface» à l' Allgemeine Theorie, et Ies articles «Geschmack» et «Schön».

52 Kant, Kritik der Urteilskraft, Berlin (désormais: AK), V, p. 227. Trad. franç, dans Œuvres philosophiques, Paris, t. II, p. 988.

53 Cf. R. 204 (vers 1769), AK XV (1); Dissertation de 1770, Section II, §7; Premiére introduction à la Critique de la faculté de juger, AK XX, p. 226–227, note (trad, franç., t. II, p. 882); et encore, Sur une découverte [ … ], AK VIII, p. 217, note (trad, franç., t. II, p. 1346).

54 AK V, p. 227 (t. II, p. 988): «[E]n effet, comme il est fait abstraction de cette unité comme fin (ce que la chose doit être), il ne reste rien que la finalité subjective des représentations dans l'esprit du sujet intuitionnant, laquelle indique bien une certaine finalité de l'état représentatif dans le sujet et, en cet état, un certain bien-être du sujet à appréhender une forme donnée dans l'imagination, mais non pas la perfection d'un quelconque objet, et il n'y a là aucun objet pensé par le concept d'une fin.»

55 Si Kant avait saisi la spécificité de la pensée esthétique de Baumgarten, il aurait peut-être été moins prompt à diagnostiquer dans la prétention du rationalisme une simple contradiction terminologique, et il aurait peut-être mieux compris les affinités de sa propre pensée esthétique des années 1769–1772 avec les conceptions de l'Æsthetica. En effet, dans le contexte de la Dissertation de 1770, Kant avait voulu fonder une théorie esthétique du goût sur l'universalité des lois cognitives de la sensibilité (c'est-à-dire des lois universelles de la coordination des phénomènes dans l'espace et le temps), et trouver ainsi un critère de différentiation du beau (dont la valeur est universelle) et de l'agréable (qui n'a qu'une valeur privée). La Logique en garde la trace; cf. AK IX, p. 36–37 (trad. Guillermit, Paris, 1970, p. 39). Cf. surtout AK XV (1), les Reflexionen, nos 643–746, et AK XVI, Reflexionen, nos 1789–1820.

56 Æsth., §27. Cette «caractéristique» comprend, outre une esthétique naturelle, l'exercice esthétique, la doctrine esthétique, l'enthousiasme esthétique, l'étude de la correction esthétique et celle des règies du style naturel. Nous ne tenons compte ici que de l'«esthétique naturelle» et de l'«enthousiasme esthe'tique».

57 Mét., §590: «La faculté d'inventer obéit à la règle suivante: les parties de différentes imaginations sont perçues comme formant un seul tout. Les perceptions qui voient ainsile jour sont des inventions (fictiones) ou des créations; les fausses inventions se nomment des chimères, ou de vaines imaginations.»

58 Æsth., §34: «En dépit toutefois de son importance, la disposition poétique, pour conspirer de façon adéquate avec l'ensemble des autres facultés, doit voir son champ d'action délimité de façon à ce qu'elle ne puisse soustraire le monde qu'elle a pour ainsi dire créé au polissage qu'opérent les autres facultés, par exemple l'esprit de finesse.»

59 Ibid., §35. Cette idée que la disposition poétique (ou le «génie») doit être surveillée par le «jugement» est pour ainsi dire un «lieu commun» de la psychologie esthétique rationaliste; on la retrouve chez Sulzer (cf. Entwicklung des Begriffs vom Genie, 1757, Vermischte philosophische Schriften, t. I, p. 307 sqq., où la «thätige Kraft» d'où est issu le Génie est placéé sous la surveillance d'une certaine «Gegenwart des Geistes [contenance]», qui est en mesure de tempérer l'imagination), et bien sûr encore chez Kant (cf. le fameux §50 de la Critique de la faculté de juger, où le goût et la facultê de juger sont définis comme «la discipline [ou le dressage] du génie»).

60 Mét., §589.

61 Ibid., §573.

62 Ibid., §662.

63 Ibid., §607.

64 Ibid., §608.

65 Æsth., §35.

66 Pour l'analyse de la contradiction de la notion de «jugement sensible», cf. Kant, Première introduction à la critique de la faculté de juger, XX, p. 226–227.

67 Cours sur l'esthétique, dans B. Poppe, A. G. Baumgarten, Seine Stellung [ … ], §78. L'idée d'un etat de l'enthousiasme créateur, qui correspond à l'intensification de l'activité interne du sujet et à sa préséance sur la sensation externe est tout à fait dans l'esprit de la description qu'en donnera plus tard Sulzer; cf. Particle «Begeisterung» de l' Allgemeine Theorie.

68 Ibid., §80.

69 Cf. Æsth., §§423–565. Nous traiterons en détail de cette question de la vérité esthétique, qui constitue le chapitre central et sans doute le plus original de l'Æsthetica, dans un article futur: «La vérité esthétique et la question de l'individualité sensible chez A. G. Baumgarten.»

70 Médit., §65: «Le lien qui est entre les représentations poétiques doit contribuer à la connaissance sensible, donc il doit être poétique.» Et, de façon générale, §2: «Le discours permet de connaître les représentations liées ensemble», §9: «Le discours sensible parfait est le poéme».

71 Mét., §640.

72 A. Baümler, Das Irrationalitätsproblem [ … ], p. 208–209.

73 Grappin, P., La théorie du génie dans le préclassicisme allemand, Paris, 1952Google Scholar, développe cette interprétation, cf. p. 103; dans son article «Æsthetik, ästhetisch», dans Historisches Wörterbuch der Philosophie, t. I, Bâle; Stuttgart, 1971, J. Ritter insiste sur cette tâche ouverte pour l'esthétique philosophique, â partir de Baumgarten, dans laquelle il voit l'annonce des «esthétiques de la réconciiiation» du protoromantisme et du préidéalisme allemands.

74 Mét., §§589–590.

75 AElig;sth., §426. E. Cassirer, Die Philosophic der Aufklärung, Tübingen, 1932, trad, franç. P. Quillet, La philosophic des Lumières, Paris, 1966, se trompe manifestement lorsqu'il voit dans la connaissance sensible le lieu d'un savoir qui n'est pas soumis au principe de raison suffisante: «Maintenant s'ouvre a nous un domaine sur lequel le «principe de raison», principe et condition de toute connaissance «distincte», est sans pouvoir. Ce principe est le fil d'Arianc qui nous est mis en main pour nous conduire hors du labyrinthe de la réalité apparente pour nous élever à l'“intelligible”, au règne du “noumene“. Mais l'art n'accomplit nullement une telle transcendance, dont il serait du reste incapable. Son but n'est pas de s'envoler au-delà des phénomènes mais au contraire de séjourner parmi eux, non de remonter jusqu'à leurs causes, mais de les saisir comme données immédiates et de produire sous nos yeux leur etre et leur mode ê'etre«. Cassirer réduit ici la validité du principe de raison à la sphère de la connaissance logique au sens strict, ce que Baumgarten ne fait pas. Dans ce passage, Cassirer part d'une conception psychophénoménologique de l'intuition esthétique qui n'a été introduite en Allemagne que sous l'influence de la psychologie esthétique anglaise. Cassirer cite à cet effet un poème de Gœthe censé illustrer la démarche spécifique de 1'analogon de la raison; le poème met en scène une opposition entre la structure globale de l'impression esthétique et l'analyse qui dissout le plaisir esthétique, laquelle opposition rappelle davantage l'Euphranor des Lettres sur les sensations de Mendelssohn que les exemples de lÆsthetica. À vrai dire, Cassirer, anticipant l'esthétique kantienne et la Klassik gœthéenne, focalise surtout l'attention sur la portée anthropologique nouvelle de la facultas sensitiva, et non sur le contexte «métaphysique» qui en constitue le fond historique et l'horizon véritable.

76 Médit., §52.

77 Æsth., §§431 et 437.

78 On s'en convaincra en considérant les questions que Baumgarten adresse aux nouvelles inventions poétiques, §§590 et suivants. Par exemple, §592: «[C]e nouveau monde, en lequel le poète – qu'il soit un écrivain en prose ou un auteur de vers, un peintre ou un sculpteur, etc. – veut nous introduire, est-il, d'après les projets que le poète doit réaliser avec beauté, le meilleur des mondes possibles après le nôtre? Ou bien ce nouveau monde, qui est comme un rêve agréable fait par des gens éveillés, permet-il de donner d'un thème une présentation vraiment plus parfaite et plus belle que celle que permettait notre monde?»

79 Médit., §§108–110: «Lorsqu'on dit d'une personne qu'elle IMITE, cela signifie que la personne qui imite une chose produit une chose semblable à celle-ci. On peut done nommer IMITATION l'effet qui est semblable à un autre effet [ … ]. Si l'on dit que le poème est l'imitation de la nature ou de ses actions, c'est que l'on present que l'effet soit semblable aux produits de la nature [ … ] Les représentations qui sont produites de façon immédiate par la nature – i.e.: par le principe interne des changements qui ont lieu dans le monde – et par les actions qui en dépendent ne sont jamais distinctes et intellectuelles, mais sensibles; elles sont toutefois très claires au point de vue extensif, §§24, 16, et comme telles poétiques, §§9, 27; done la nature (s'il est permis de parler d'un phénomène substantivé, et des actions qui en dépendent, comme s'il s'agissait d'une substance) et le poète produisent des choses semblables, §26. De sorte que le poème est l'imitation de la nature et des actions qui en dépendent, §108.»

80 Ibid., §68: «Il y a longtemps qu'on a observé que le poète est une sorte de démiurge ou créateur; le poéme doit done être pour ainsi dire un monde. Il faut done d'après l'analogie, tenir à son sujet pour vrai ce que les philosophes tiennent pour évident au sujet du monde.»

81 A. Bäumler (Das Irrationalitätsproblem [ … ], p. 207 sqq.) voit déjà à l'œuvre dans les Méditations de 1735 l'opposition de deux «méthodes» logiques, à savoir d'une méthode «descendante» et individualisante qui ferait pour ainsi dire concurrence à la méthode «ascendante» et abstractive qui correspond à la méthode wolffienne de formation des concepts distincts; d'où, à cette époque, l'intérêt fortement appuyé de la faculté poétique pour les exemples, les noms propres, les descriptions, les cas singuliers, etc., qui procurent aux représentations leur détermination concrète la plus grande et contribuent à accroître leur clarté extensive. Baumgarten en tire en effet une sorte d'équation: plus une représentation est déterminée extensivement, plus son objet est individualisé, plus elle est poétique. Ce «conflit» entre la clarté intensive (logique) et extensive (poètique) est réactivé et exacerbé dans lÆsthetica sous la forme d'une tension entre la perfection matérielle et la perfection formelle de la vérité esthéticologique. À cette différence près, que cette fois Baumgarten rapproche essentiellement la véritè esthétique (en tant que perfection matérielle de la vérité esthéticologique) de la vérité métaphysique (dite aussi: objective, matérielle ou transcendantale), au détriment de la vérité logique au sens strict (en tant que perfection formelle de la connaissance). Or, comme la vérité métaphysique croît en fonction de l'individualité qui y est comprise, la vérité esthétique, qui, en favorisant la perfection matérielle de la connaissance, tend vers la belle individualité déterminée, se gagne une affinité avec la vérité métaphysique, qui lui confère un privilège certain sur la vérité logique au sens strict (Æsth., §§555–565). C'est sur cette base que doivent etre comprises nos remarques sur l'esthétisation de la théodicée dans la survalorisation de l'expérience de l'art.

82 Cette lacune chez Baumgarten s'explique dans une certaine mesure. Baumgarten concevait l'esthétique comme une science instrumentale (c'est-à-dire comme la science d'un certain type de connaissance) au même titre que la logique. La tâche la plus urgente était pour lui d'en définir les principes et de lui procurer une forme systématique, ce qui, d'aprés lui, n'avait jamais été fait auparavant. La classification des modes d'expression de 1'analogon rationis ne fait pas partie des principes les plus généraux de cette science, mais plutôt de leur application, dans l'esthétique pratique. C'est sans doute la raison pour laquelle les remarques de Baumgarten sur le système des arts «libéraux» et sur leur éventuelle classification sont rares. On retiendra toutefois qu'il compte parmi les «arts libéraux» dont l'ésthetique doit être la science, la poésie, l'éloquence, la peinture, la sculpture et la musique (Cours sur l'esthétique, Poppe, §1). Æsth., §83, mentionne la danse. Sur la fixation de la notion de «beaux-arts» et sur la formation du «système des beaux-arts» au XVIIIe siècle, on consultera avec profit 1'excellent article de Paul Oskar Kristeller, «The Modern System of the Arts», Journal of the History of Ideas, vol. 12 (1951) et vol. 13 (1952). Kristeller souligne l'importance décisive, à ce sujet, du traité de l'abbé Batteux, Les beaux-arts réduits à un même principe, Paris, 1746. L'auteur souligne encore l'aspect non déterminant de l'esthétique de Baumgarten et de son élève Meier sur cette question en Allemagne, et insiste avec raison sur l'importance des écrits de Mendelssohn, de Sulzer et de Kant.

83 À notre connaissance, on ne trouve chez Baumgarten aucune discussion du concept d'art lui-même et de sa liaison à la beauté. Cette dernière liaison est plutôt posée comme un fait, et à vrai dire surtout à partir du «fait» du concept de poésie et de poème, «qui est depuis longtemps gravé en l'âme» (Médit., Préface). Baumgarten, dans lÆsthetica, même après avoir élargi au moins théoriquement son objet, utilise le concept traditionnel d'«art libéral» sans le définir davantage.

84 Médit., §§39–40. Cf. E. Cassirer, Philosophie des Lumières, trad. franç. p. 435.

85 M. Mendelssohn formule à ce sujet une critique des limites de l'esthétique de Baumgarten à l'occasion d'une recension de l'Auszug aus den Anfangsgründen aller schönen Künste und Wissenschaften (1758) de Meier: «Allein uns dünkt, dass der Erfinder dieser Wissenschaft der Welt nicht alles geliefert habe, was seine Erklärung des Wortes Æsthetik verspricht. Die Æsthetik soll eigentlich die Wissenschaft der schönen Erkenntnis überhaupt, die Theorie aller schönen Wissenschaften und Künste enthalten; alle Erklärungen und Lehrsätze müssen daher so allgemein sein, dass sie ohne Zwang auf jede schöne Kunst insbesondere angewendet werden können. [ … ] Eine Æsthetik aber, deren Grundsätze bloss entweder a priori geschlossen, oder bloss von der Pœsie und Beredsamkeit abstrahiert worden sind, muss in Ansehung dessen, was sie hätte werden können, ziemlich eingeschränkt und unfruchtbar sein. Dass aber die Baumgarten' sche Æsthetik wirklich diess eingeschränkten Grenzen hat, ist gar nicht zu leugnen» (Gesammelte Schriften, Stuttgart, 1977, p. 196201).Google Scholar

86 Cf. la discussion du système de Batteux, qui conserve l'influence de la psychologie anglaise en intégrant des éléments baumgarteniens, dans Ueber die Hauptgrundsätze der schönen Künste und Wissenschaften (première version 1757).

87 Herder, Viertes kritisches Wäldchen; Ueber Riedels Theorie der schönen Künste (1769), Sämmtliche Werke, Berlin, t. IV, p. 25: «“Ist z. E. die Æsthetik unter der Würde, unter dem Gesichtskreise des Philosophen?” Keineswegs! sie ist ja selbst die strengste Philosophic über einen würdigen und sehr schweren Inbegriff der menschlichen Seele und der Nachahmungen der Natur: sie ist ja selbst ein Teil, ein schwerer Teil der Anthropologie, der Menschenkenntnis.» Herder entend faire subir une extension à l'«esthetique» en tant que connaissance de la sensibilité humaine: «Man setze die Kräfte unserer Seele, das Schöne zu Empfinden, und die Produkte der Schönheit, die sie hervor gebracht, als Gegenstand der Untersuchung: siehe da eine grosse Philosophie, eine Theorie des Gefühls der Sinne, eine Logik der Einbildungskraft und Dichtung, eine Erforscherin des Witzes und Scharfsinns, des sinnlichen Urteils und des Gedächtnisses; eine Zergliederin des Schönen, wo es sich findet, in Kunst und Wissenschaft, in Körpern und Seelen, das ist Æsthetik [ … ].«

88 A. Bäumler, Das Irrationalitätsproblem [ … ], p. 108–122; et particulièrement p. 112–113: «Die Trennung von Lusttheorie und Schönheitslehre [ … ] ist für die Entwicklung der deutschen Æsthetik von entscheidender Bedeutung gewesen. Die Begründung der Schönheit auf die Ordnung, die metaphysische Schönheit, löste die Æsthetik nicht nur von einer gefährlichen, weil subjektivierenden Psychologie, sondern machte überhaupt erst die Verselbständigung der Æsthetik möglich. Wäre die Verbindung von Lusttheorie und Schönheitslehre aufrecht geblieben, so hätte die Schönheit in Abhängigkeit vom Willen geraten müssen [ … ] Unter diesen Umständen hätte es, wenn es bei der Verbindung von Schönheit und Gefallen geblieben wäre, lange dauern können, bis sich die Æsthetik aus dem Vermögensdualismus der Wolffischen Psychologie losgelöst hätte. Die Einführung des metaphysischen Vollkommenheitsbegriffs zeigte einen neuen Weg. Es ist Baumgartens Verdienst, diesen Weg erkannt und beschritten zu haben.»

89 On voit à l'œuvre ce changement de paradigme dans la compréhension de l'art chez Gœthe, Schelling et chez les premiers romantiques, à la faveur d'un recouvrement théorique de l'esthétique et de ia téléologie kantiennes, et partant, d'une analogie nouvelle entre l'œuvre d'art et l'organisme naturel. Nous laissons de côté cette question qui exigerait que l'on examine, d'une part, le passage historique à l'épistémologie romantique, et d'autre part, les raisons philosophiques qui ont mené, dans ce contexte, à la survalorisation théorique de l'art, dont Baumgarten nous avait cependant fourni une préfiguration historique.