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L’Afrique et le jus cogens: chronique d’une relation ambivalente

Published online by Cambridge University Press:  21 November 2023

Patient Mpunga Biayi*
Affiliation:
Doctorant en droit et Chargé de cours, Université Laval, Québec, QC, Canada; Assistant de recherche, École nationale d’administration publique du Québec; Lauréat de la Bourse d’études supérieures du Canada Vanier et des Bourses Citoyens du monde
Marcel Badinga Citala
Affiliation:
Doctorant en droit, Université de Yaoundé II, Cameroun; Chef des travaux, Université de Mbuji-Mayi, République démocratique du Congo
*
Auteur à contacter: Patient Mpunga Biayi; Email: [email protected]

Résumé

Cet article analyse l’apport de l’Afrique à la matérialisation et à l’évolution du jus cogens, cet étalon normatif codifié en 1969 dans la Convention de Vienne sur le droit des traités. La notion de jus cogens avait trouvé une audience auprès des pays africains dès son apparition, leur permettant ainsi de dénoncer les travers de la colonisation, ainsi que le droit international y relatif. Par la suite et en raison de ses implications répressives, elle a reçu une application contrastée de la part même des États qui avaient pesé en faveur de son adoption. Cette fragile harmonie pousse à conclure que l’Afrique entretient des rapports contradictoires avec le jus cogens, ce dernier étant perçu comme attentatoire à sa souveraineté.

Abstract

Abstract

This article analyzes the contribution of Africa to the materialization and evolution of jus cogens, the normative standard codified in 1969 in the Vienna Convention on the Law of Treaties. The notion of jus cogens found an audience with African countries as soon as it appeared, thus allowing them to denounce the shortcomings of colonization as well as the international law relating thereto. Subsequently, and because of its repressive implications, it received contrasting application even from the states that had weighed in favour of its adoption. This fragile harmony has led to the conclusion that Africa maintains conflicted relations with jus cogens, which is perceived as undermining its sovereignty.

Type
Articles
Creative Commons
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This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted re-use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Copyright
© The Canadian Yearbook of International Law/Annuaire canadien de droit international 2023

1. Introduction

Le jus cogens est longtemps resté une notion marginale et controversée en droit internationalFootnote 1 avant de s’imposer avec l’adoption de la Convention de Vienne sur le droit des traités (Convention de Vienne) le 23 mai 1969.Footnote 2 Cette dernière a, certes, le mérite de préciser la fonction du jus cogens, laquelle consiste en la nullité de tout traité en conflit avec l’une de ses normes. Cependant, elle passe sous silence le contenu des normes de jus cogens. À ce sujet, l’article 53 de la Convention de Vienne se borne à définir le jus cogens comme: une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère.

Au cœur de cette démarche, il s’agit d’affirmer l’existence d’une communauté internationale fondée sur des valeurs essentielles devant l’emporter sur les souverainetés. D’une part, le contenu des normes de jus cogens reflète les valeurs fondamentales de la communauté internationale et, d’autre part, ces normes ont émergé pour protéger ces valeurs.Footnote 3 Il en découle que la caractéristique unique et distinctive des normes de jus cogens réside dans les liens étroits qu’elles entretiennent avec les valeurs fondamentales de la communauté internationale. Cette caractéristique justifie aussi leur importance fondamentale et leur indérogeabilité.Footnote 4 Ces préoccupations morales ont déterminé le large vote des représentants des États, notamment africains, lors de l’adoption de la Convention de Vienne. Le jus cogens a ainsi été présenté par les pays africains comme l’humanisation des rapports internationaux ou, mieux, “la reconnaissance, par la conscience internationale, de la nécessité inéluctable d’introduire l’élément de morale dans les relations interétatiques.”Footnote 5 L’enthousiasme suscité par la notion de jus cogens était tellement impressionnant que les représentants des États africains aux travaux de la Convention de Vienne avaient conclu à un signal lumineux et salvateur pour le continent. Ils étaient convaincus que la notion de jus cogens, “une fois installée et reconnue comme telle, aura[it] une importance croissante dans le droit et dans la vie de la communauté internationale.”Footnote 6

La consécration de la notion de jus cogens par la Convention de Vienne a coïncidé avec le moment où la majorité des États africains accédaient à leur indépendance et qu’ils faisaient, en tant que tel, irruption sur la scène internationale. Trente-et-un pays africains avaient participé aux travaux portant adoption de ce texte juridique. Ceci a fait de ce continent le deuxième groupe régional majoritairement représenté aux travaux de la Convention de Vienne, après l’Europe.Footnote 7 Avec ce poids numérique, l’Afrique a constitué un des groupes ayant pesé dans les innombrables séances consultatives sur le sujet en discussion pendant les seize semaines de travail à Vienne. M. Taslim Olawale Elias, le président de la Commission plénière fut d’ailleurs un Nigérian qui, après les divergences autour de l’article 53 relatif au jus cogens, décida de renvoyer le sujet au Comité de rédaction, qui devrait intégrer les modifications proposées et examiner à nouveau cet article pour le rendre plus clair.Footnote 8 D’autres divergences sont apparues au sujet de l’article 66 de la Convention de Vienne qui prévoit la possibilité de saisine unilatérale de la Cour internationale de justice (CIJ) en cas de différend portant sur le jus cogens. Footnote 9 C’est ainsi qu’Elias, jouera de son influence auprès des États du Tiers-Monde, notamment africains, pour faire adopter par compromis, et en dernière minute, cette disposition. Il convainquît ainsi les États africains de voter en faveur de l’article 66 de la Convention de Vienne. C’était une manière pour eux, dont personne ne niait les bonnes intentions, d’éviter un échec qui aurait réduit à néant les résultats de travaux aussi longs qu’ardus.

On peut alors se demander l’intérêt ayant motivé l’activisme des États africains dans l’adoption de la notion de jus cogens. Bien plus, l’on pourrait également questionner l’usage que les mêmes États ont fait de ladite notion, plus de cinq décennies après son adoption. En ont-ils été de bons ou de mauvais usagers, pourrait-on s’interroger. S’il est établi que le jus cogens évolue en fonction de la situation socio-historique de la société internationale et des modifications intervenues dans les conceptions politiques, éthiques, idéologiques qui s’y rapportent,Footnote 10 il convient de faire le bilan de son application par ceux qui, au lendemain de leurs indépendances, ont pesé en faveur de son adoption. D’où la justification de la problématique suivante: quel est l’apport de l’Afrique à la matérialisation et à l’évolution de la notion de jus cogens? Autrement dit, quelle est la nature des rapports que les États africains entretiennent avec la notion de jus cogens?

La relation entre les États africains et la notion de jus cogens est contrastée en ce sens que d’une part, les États africains ont participé à l’identification et à l’évolution de ses normes en raison de leurs agendas politiques; d’autre part, paradoxalement, ces mêmes États rejettent la notion de jus cogens dès lors qu’ils sont accusés d’être impliqués dans la commission de manquements qui en relèvent. Il s’agit d’une prise en compte mesurée du droit impératif en raison de ses implications répressives.

2. Une apparente ouverture au jus cogens justifiée par l’agenda politique des États africains

Au moment de leurs indépendances, les États africains ont eu une lecture suspicieuse du droit international positif, à tel point qu’ils lui ont témoigné une méfiance extrême. Ils l’ont contesté à plusieurs égards. D’une part, ils ont pretexté que ce droit ne leur a été d’aucun secours pendant leur lutte contre la colonisation.Footnote 11 D’autre part, l’attitude critique des États africains à l’egard du droit international classique se justifiait par le fait que la majorité d’entre eux, qui étaient pour la plupart encore sous domination coloniale en 1945, n’ont pas pu participer à la Conférence de San Francisco qui a donné naissance à l’Organisation des Nations Unies (ONU). Il se dégageait ainsi au lendemain des indépendances, une tendance des États africains à définir un régime juridique nouveau. Les travaux relatifs à l’adoption de la Convention de Vienne constituaient donc un forum important pour faire entendre leur voix au sein de la communauté internationale. Plus spécifiquement, la notion de jus cogens est apparue comme une occasion en or pour adapter le droit international à la lutte pour une effective autodétermination des peuples africains. Victime de son propre succès, la référence à la communauté internationale dans la définition du jus cogens sonnait le glas de l’insensibilité au déni des obligations réputées impératives pour tous les États, notamment africains. Aussi, ces derniers se sont illustrés devant le prétoire aux fins de faire condamner les violations des normes relevant du jus cogens. Ces expériences africaines ont fait évoluer la notion de jus cogens.

A. L’usage du jus cogens comme levier d’adaptation du droit international à la lutte pour l’autodétermination

L’activisme accru des pays africains lors des travaux d’adoption de la notion de jus cogens au sein de la Convention de Vienne était motivé par la volonté d’adapter le droit international aux nouvelles dimensions et aux nouvelles exigences d’une société internationale redessinée. Le jus cogens était considéré par les États africains comme un bouclier contre les traités injustes conçus comme des instruments d’oppressions et d’exploitations coloniales.Footnote 12 C’est en ce sens qu’on peut comprendre les termes utilisés par le professeur Roberto Ago lors de son discours inaugural aux travaux de la Convention de Vienne:

La communauté internationale s’est élargie de façon remarquable au cours des deux dernières décennies; de nouveaux membres de cette communauté, dont les conceptions philosophiques, religieuses, juridiques, sociales et économiques sont souvent fort différentes de celles qui prévalaient auparavant dans le monde, y jouent aujourd’hui un rôle actif. Cela rend essentielle l’adaptation du droit international aux nouvelles dimensions et aux nouvelles exigences de la société des États.Footnote 13

À y regarder de près, cette présence de l’Afrique est à situer dans un contexte particulier consécutif à la brouille diplomatique qui a caractérisé les relations entre ce continent et la CIJ à la suite d’une affaire importante relative au mécanisme de la tutelle internationale. Il s’agit de l’affaire du Sud-Ouest africain Footnote 14 par laquelle le Libéria et l’Éthiopie, agissant en qualité d’anciens membres de la Société des Nations (SDN), ont introduit une instance contre l’Afrique du Sud dans une affaire concernant le maintien du mandat de la SDN pour le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie) et les devoirs de l’Afrique du Sud en tant que mandataire. La cour était invitée à dire que le Sud-Ouest africain demeurait un territoire sous mandat, que l’Afrique du Sud avait violé les obligations imposées par le mandat (à travers la pratique de la politique d’apartheid sur les populations) et que ce mandat et, par suite, l’autorité mandataire étaient assujettis à la surveillance des Nations Unies. Malheureusement, la cour a fait preuve d’incohérences incompréhensibles. En effet, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en 1962, la CIJ a admis la qualité et l’intérêt à agir dans le chef des demandeurs.Footnote 15 Cet arrêt avait incité l’opinion publique à penser que la cour, après avoir établi sa compétence, allait instruire l’affaire et statuer quant au fond. Paradoxalement et quatre ans plus tard, la cour est revenue sur des questions procédurales déjà résolues précédemment, dans son arrêt sur le fond. Par la voix prépondérante de son président, les voix étant également partagées (sept contre sept), la CIJ a estimé irrecevable l’action des demandeurs, l’Ethiopie et le Liberia, au motif que le lien juridique dont ils alléguaient la violation, à savoir le mandat sur le Sud-Ouest africain, n’avait pas été établi à leur profit, mais seulement dans les relations entre la SDN et l’Afrique du Sud.Footnote 16 En préservant ici l’intégrité de son statut, la cour s’est attiré toutes les critiques africaines, ce qui, probablement, l’a conduite à changer sa position par la suite.

L’arrêt de la CIJ dans l’affaire du Sud-Ouest africain fut largement critiqué et suscita un tollé de réactions étatiques condamnant l’attitude conservatrice de la cour. Le Nigéria l’a qualifié d“une amère déception à ceux […] qui croient fermement à la primauté du droit dans les relations internationals,”Footnote 17 tandis que l’Éthiopie a ouvertement reconnu que cet arrêt a ébranlé la foi des pays africains dans le droit international.Footnote 18 Pour sa part, le Libéria a estimé que la CIJ a commis un “déni de justice” et “sept hommes se sont livrés à une parodie de jugement, jetant sur la Cour internationale le pire opprobre de son histoire.”Footnote 19 Cet insuccès judicaire, décrit comme le reflet de “la crise de l’ONU, […] du système colonial et de l’impérialisme,”Footnote 20 a accentué le ressentiment des jeunes États africains à l’égard du droit international à telle enseigne qu’ils ont demandé à l’ONU de mettre en place “une notion du droit international qui réponde aux conditions nouvelles du monde actuel.”Footnote 21 Il s’en est suivi une adhésion massive des États africains à l’idée d’une moralisation du droit international qu’incarnaient les travaux de la Convention de Vienne. À cet effet, la Sierra Léone apparait assez représentative lorsqu’elle évoque “le choc profond” ressenti par la communauté internationale devant le jugement de la CIJ dans l’affaire du Sud-Ouest africain, avant de présenter le jus cogens comme “une occasion magnifique de condamner l’impérialisme, l’esclavage, le travail forcé et toutes les pratiques qui violent le principe de l’égalité de tous les êtres humains et celui de la souveraine égalité des États.”Footnote 22 Un point de vue identique a été exprimé par la République centrafricaineFootnote 23 et le GhanaFootnote 24 qui ont évoqué les mauvais souvenirs laissés par l’arrêt du Sud-Ouest africain. Le jus cogens était donc apparu comme un levier important dans cette dynamique d’humanisation du droit international. Pour les États africains, les négociations sur l’adoption de la Convention de Vienne ont été une occasion pour adapter le droit aux conditions changeantes de la vie internationale et à leurs aspirations variées, notamment la décolonisation et l’autodétermination des peuples. C’est à bon droit que l’on peut comprendre l’invocation des principes de l’autodétermination, de l’interdiction de l’agression et de l’interdiction de la discrimination raciale comme faisant partie des normes impératives lors des discussions portant sur les articles 53 et 64 de la Convention de Vienne. Footnote 25

Pour parvenir à une victoire diplomatique, les États africains ont fait preuve d’une grande solidarité en adoptant une double démarche lors des travaux de la Convention de Vienne. Dans un premier temps, la stratégie des États africains a consisté à déployer “une action positive de soutien, et surtout de constance dans la position adoptée sur le jus cogens.Footnote 26 Les représentants des pays africains qui se sont exprimé sur le jus cogens ont parlé d’une même voix. Ils ont mis en évidence les fondements moraux et éthiques de la notion de jus cogens, lesquels impliquent que des intérêts supérieurs l’emportent sur des intérêts individuels.Footnote 27 La convergence de leurs propos témoigne de l’acceptation commune de la notion de jus cogens. Dans un second temps, les interventions des États africains en faveur du jus cogens s’analysent en une résistance aux oppositions à ladite notion. Alors que la majorité des pays occidentaux contestaient la notion de jus cogens, les États africains ont maintenu une position ferme là-dessus. Ils ont par ailleurs résisté aux critiques et aux contestations de la notion de jus cogens. Footnote 28

Comme on pouvait s’en douter, la notion de jus cogens s’est montrée apte à servir les vives revendications africaines sur la naissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Tout d’abord, la notion leur a permis de contester des situations juridiques qui ne la respectaient pas, à l’instar de la colonisation, de l’apartheid et de l’esclavagisme. À cet effet, les États africains ont développé le droit des peuples à l’autodétermination en contraignant les États occidentaux de s’y soumettre: au lieu d’insister sur le devoir des puissances coloniales de renoncer à une domination surannée, ils ont préféré exalter l’impérativité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.Footnote 29 Ensuite, la consécration de la notion de jus cogens dans le droit des traités a permis aux États africains d’ancrer leurs revendications relatives à la souveraineté territoriale dans le principe naissant du droit à l’autodétermination des peuples et son corollaire, l’interdiction de tout acte d’agression. En effet, la lutte pour l’autodétermination a constitué un terrain de prédilection pour bien expérimenter la nouvelle institution du jus cogens, contribuant en conséquence à la construction d’un droit international de plus en plus objectiviste. Si, traditionnellement, la Charte des Nations Unies offre une plate-forme relativement étroite sur la question de l’autodétermination,Footnote 30 la notion de jus cogens révèle qu’”un ordre juridique mondial […] affecté de profondes injustices ne peut naturellement survivre face aux intérêts suprêmes de la communauté internationale, exprimés à travers les normes impératives qui s’imposent à la conscience juridique de l’humanité.”Footnote 31 La décolonisation et ses maux (notamment la discrimination raciale) ont été combattus à travers la notion de jus cogens, ce qui a conduit à conférer la légitimité internationale au droit à l’autodétermination. Celui-ci était désormais reconnu par la communauté internationale des États dans son ensemble comme un droit fondamental; il ne restait plus qu’à affirmer son caractère indérogeable. Sur ce point, il faut convenir que le plaidoyer africain n’a pas pu faire reconnaître l’appartenance de ces normes au jus cogens. Néanmoins, il a permis à la CIJ de constater l’extension matérielle de ces principes dits “intransgressibles,” en les situant dans le contexte de la décolonisation.

Le principe de l’autodétermination en lui-même recèle une dynamique propre permettant une récupération et une utilisation extensive et inattendue. Cet aspect fut exploité par les États africains pour aboutir à l’extension de ce principe aux territoires sous régime colonial.Footnote 32 Leur démarche a consisté dans l’impression d’une autre philosophie politique au droit consacré par l’ONU relativement aux territoires non autonomes. Le moyen utilisé fut alors l’accentuation des débats sur la décolonisation aux Nations Unies. À cet effet, des fronts politique et judiciaire ont été activés, pourvu que le but soit atteint.Footnote 33 Par ailleurs et sous la bannière de l’Organisation de l’Unité africaine, les États africains ont sollicité une nouvelle lecture du droit international en se servant de la notion de jus cogens. Ainsi, le soutien actif à la lutte armée contre les puissances coloniales a par exemple été “considéré comme relevant de la morale et du bon droit” et selon certains, “le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’est pas subordonné à l’interdiction du recours à la force, il l’implique.”Footnote 34 Cete consideration témoigne que les États africains ont accordé autant de valeur au principe de l’autodétermination des peuples qu’au principe de l’interdiction du recours à la force. Les nouveaux États ont également obtenu l’élargissement de la notion de conflit armé international pour y inclure “les luttes des peuples contre la domination coloniale, l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.”Footnote 35 Dans le but de légitimer a posteriori les guerres de libération nationale, les États africains ont en outre réussi à faire admettre en ce qui concerne le statut des combattants et des prisonniers de guerre, une dérogation au principe fondamental du droit de la guerre sur la distinction entre les combattants et les civils tenant compte du fait qu’ “il y’a des situations dans les conflits armés où en raison de la nature des hostilités, un combattant armé ne peut se distinguer de la population civile.”Footnote 36 Ainsi donc, le jus cogens a permis aux États africains de parvenir à influencer le système international pour le rendre plus juste et participatif, en “refus[ant] d’admettre l’intangibilité d’un monde ‘organisé’ hors d’eux et [en] demand[ant] à inscrire les rapports internationaux dans un cadre juridique en devenir, subissant ses actions mais lui imprimant aussi leurs propres reactions.”Footnote 37

Cet activisme des États africains relativement au jus cogens n’a pas manqué d’infléchir la position de la CIJ adoptée dans l’affaire du Sud-Ouest africain en 1966. En effet, quatre ans plus tard, la Cour revint partiellementFootnote 38 sur ses positions relatives aux conditions d’existence d’un intérêt juridique pour agir en justice. Par un célèbre obiter dictum de “rachat,” l’organe judiciaire onusien sollicitait les bonnes grâces de la communauté des États toute entière. Il fit une différence entre, d’une part, les obligations bilatérales et, d’autre part, les obligations des États envers la communauté internationale. Dans ce dernier cas, il s’agit d’obligations erga omes. Au regard de l’importance des droits en cause, tous les États ont un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés.Footnote 39La consécration des obligations erga omnes, lesquelles entretiennent une connexité étroite avec le jus cogens, a eu des retombées positives pour le continent africain et plus spécifiquement sur la portée de l’affaire du Sud-ouest africain. Revenant sur sa décision antérieure par laquelle elle avait refusé de statuer sur la compatibilité de la politique d’apartheid avec la “mission sacrée de civilisation” confiée à l’Afrique du Sud, la CIJ, dans son Avis sur la Namibie de 1971 (Sud-Ouest africain),Footnote 40 a étendu le droit à l’autodétermination aux territoires sous régime colonial. Cette nouvelle position de la CIJ a été accueillie avec satisfaction par les pays africains, ainsi que l’a exprimé M. Moktar Ould Daddah, parlant au nom de l’Organisation de l’Unité africaine devant le Conseil de sécurité en septembre 1971.Footnote 41 En réalité, la cour s’est montrée à l’écoute d’une société internationale qui avait besoin d’un droit international nouveau, adapté aux exigences de l’histoire, notamment à l’achèvement du processus historique de décolonisation et l’affirmation indérogeable du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sur la base du précédent constitué par l’affaire Ouest-africain, le droit à l’autodétermination a été qualifié d’un “des principes essentiels” du droit international contemporain, opposable erga omnes, dans les affaires du Timor oriental,Footnote 42 du Mur Footnote 43 et de Chagos. Footnote 44 Pourtant, la cour n’ose pas revêtir ce droit de l’impérativité. Cette peur de qualification est d’ailleurs générale, la CIJ étant réticente à se prononcer sur le contenu du jus cogens. Les rares cas où la CIJ a clairement pris position sur la question des normes impératives ont été constitués par des expériences africaines. De façon générale, les États africains ont contribué à la mise ne œuvre progressive d’une véritable dynamique juridictionnelle autour de la notion de jus cogens.

B. L’évolution prétorienne du jus cogens à partir des expériences africaines

La jurisprudence internationale confirme l’apport des États africains à l’évolution de la notion et du régime juridique du jus cogens. En effet, la première définition jurisprudentielle du jus cogens nous vient du tribunal arbitral, saisi par deux États africains, en l’occurrence la Guinée Bissau et le Sénégal, en vue de la délimitation de leurs frontières maritimes. Pour le tribunal arbitral, “le jus cogens est simplement la caractéristique propre à certaines normes juridiques de ne pas être susceptibles de dérogation par voie conventionnelle.”Footnote 45 Par ailleurs et sans détours, le tribunal arbitral proclame expressément l’appartenance au jus cogens du droit des peuples à l’autodétermination, rompant de ce fait avec la peur de qualification qui caractérise constamment la CIJ. Le tribunal arbitral limite toutefois les effets impératifs du droit des peuples à l’autodétermination. Il pose le principe général d’après lequel une règle liée à une norme impérative par une relation logique n’est pas elle-même impérative si elle n’en est pas le corolaire nécessaire. De ce constat, le tribunal arbitral tire la conclusion que la règle selon laquelle un État né d’un processus de libération nationale a le droit d’accepter ou de refuser les traités qu’aurait conclus l’État colonisateur après le déclenchement du processus ne relève pas du jus cogens alors même qu’elle est logiquement liée au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui présente un caractère impératif.Footnote 46

Dans le prolongement du tribunal arbitral, la CIJ a identifié le contenu des normes relevant du jus cogens à partir des expériences africaines. Cette dynamique s’inscrit dans la volonté de la Convention de Vienne de mettre la CIJ au cœur du mécanisme de reconnaissance des normes impératives et d’annulation des traités.Footnote 47 Ainsi, le mérite revient à l’Afrique d’avoir permis à la CIJ d’identifier les normes qui relèvent du jus cogens. En effet, la première identification jurisprudentielle du contenu du jus cogens par la CIJ a eu lieu avec l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo. Footnote 48 Dans cette cause, la République démocratique du Congo (Rd Congo) avait déposé une requête contre le Rwanda en raison de violations massives et graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire découlant des actes d’agression armée qui avaient été perpétrés par le Rwanda sur son territoire. La demanderesse et le défendeur soulignaient unanimement le caractère impératif de la prohibition du génocide. D’une part, la Rd Congo relevait “la reconnaissance du caractère de jus cogens à l’interdiction du génocide par la doctrine et la jurisprudence récentes”; d’autre part, le Rwanda admettait que “les normes codifiées par […] la Convention sur le génocide [o]nt le statut de jus cogens et créent des droits et obligations erga omnes.Footnote 49 Ce consensus de deux États africains quant à la reconnaissance de la prohibition du génocide comme norme impérative, a été entériné par la CIJ, cette dernière ayant, sans risque de contestation, fait sienne cette qualification sans aucune démonstration supplémentaire.Footnote 50

Outre l’interdiction du génocide, l’interdiction de la torture a été la deuxième norme qualifiée d’impérative par la CIJ et ce, à la suite d’un procès intenté par la Belgique contre le Sénégal.Footnote 51 Pour la cour, en ne poursuivant pas Hissène Habré et en ne l’extradant pas vers la Belgique en dépit de la demande d’extradition dûment formulée par les autorités belges, le Sénégal a violé ses obligations découlant de la Convention contre la torture. Footnote 52 Le fondement de ce raisonnement réside dans le fait que “l’interdiction de la torture relève du droit international coutumier et elle a acquis le caractère de norme impérative (jus cogens).”Footnote 53 La CIJ a précisé que la demanderesse n’avait pas à prouver la défense d’un intérêt propre aux fins de la saisine, car la préservation des fins supérieures constitue l’enjeu prééminent protégé par la Convention contre la torture. La considération de ces fins est le fondement et la mesure de toutes les dispositions renfermées dans ladite convention.

Si, dans le précédent arrêt, la qualité pour agir en défense du jus cogens est contestée par un État africain, c’est tout à fait l’inverse dans l’affaire Gambie c Myanmar. Footnote 54 Ici, c’est la Gambie, un État africain, qui se trouve demanderesse au nom de la communauté des États parties à la Convention sur le génocide. Footnote 55 Sa qualité à agir est soulevée par le défendeur comme moyen d’irrecevabilité pour absence d’un intérêt particulier. Cette exception est rejetée par la Cour qui en profite pour conforter sa position rendue à ce sujet dans l’affaire Belgique c Sénégal précitée.Footnote 56 Elle réaffirme, en effet, que chaque État partie, et non pas seulement un État spécialement affecté, peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie en vue de faire constater le manquement allégué de celui-ci à ses obligations erga omnes partes et de mettre fin à ce manquement. Ceci justifiait, de l’avis de la cour, que la Gambie pouvait utiliser la clause juridictionnelle contenue dans la Convention sur le génocide pour défendre les “finalités supérieures” qui y sont protégées.Footnote 57

Au niveau régional, la notion de jus cogens a trouvé un double appui dans la pratique des organes africains de protection des droits de l’homme. D’une part, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a admis le caractère de jus cogens au principe d’égalité devant la loi, de l’égale protection de la loi et de la non-discrimination parce que l’ensemble de la structure juridique de l’ordre public national et international repose sur ce principe qui transcende toute norme.Footnote 58 La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a, pour sa part, fait preuve d’audace en proclamant l’appartenance au jus cogens du droit à l’autodétermination des peoples.Footnote 59 Du caractère impératif de ce droit, la Cour d’Arusha déduit une série des conséquences inédites. Premièrement, elle admet sa justiciabilité et ce, contrairement au Comité des droits de l’hommeFootnote 60 qui a toujours refusé d’examiner une requête individuelle fondée sur le droit à l’autodétermination. Ce faisant, la juridiction panafricaine confère au droit à l’autodétermination des peuples un visage juridique qui était jusqu’alors méconnu du droit international.Footnote 61 Deuxièmement, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples estime que le caractère impératif du droit des peuples à l’autodétermination confère à l’ensemble des citoyens africains un intérêt direct pour la saisir. Ce faisant, la Cour d’Arusha admet la possibilité pour tous les individus de faire valoir en justice la défense du droit des peuples à l’autodétermination sans être tenu de justifier d’un intérêt personnel. Cette innovation est d’autant plus forte que la requête était introduite, en l’espèce, par un citoyen ghanéen agissant en faveur de la décolonisation du Sahara occidental (dont une partie du territoire est occupée par le Maroc). Troisièmement, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples effectue une relecture solidariste du droit des peuples à l’autodétermination. Elle estime que l’impérativité de ce droit fait peser sur l’ensemble des États africains des obligations positives et négatives en vue de l’assistance d’un État (en l’espèce le Sahara occidental) qui veut se libérer de la domination coloniale (marocaine dans le cas d’espèce).

Les juridictions pénales internationales et internationalisées qui ont vu le jour sur le sol africainFootnote 62 ont largement contribué à l’ancrage de la notion de jus cogens en droit international. En effet, le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) fut le premier à reconnaître sans détours la nature impérative de la prohibition du genocide.Footnote 63 Pour sa part, le Tribunal spécial pour la Sierra Léone (TSSL) a confirmé, à la suite du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie,Footnote 64 que le crime d’esclavage sexuel constitue un crime international et une violation d’une norme de jus cogens de la même manière que l’esclavage.Footnote 65 De leurs côtés, les Chambres africaines extraordinaires de la Cour d’appel de Dakar ont révélé que la définition de la torture et les éléments constitutifs de celle-ci étaient déclaratoires du droit international coutumier. De plus, ont-elles ajouté, le principe de non-rétroactivité des lois pénales ne pouvait être invoqué pour empêcher toute répression de la torture dont l’interdiction fait partie du jus cogens. Footnote 66

La dynamique africaine des juridictions pénales internationales et internationalisées a accéléré le processus de création d’une juridiction pénale internationale permanente chargée de réprimer les graves violations des normes de jus cogens. Cela est d’autant plus vrai qu’en février 1998, le Conseil des ministres de l’Organisation de l’Unité africaine, ancêtre de l’Union africaine (UA), exhorta ses membres à prendre massivement part aux travaux d’adoption du Statut de Rome. Footnote 67 L’Afrique fut alors le groupe régional le plus représenté aux négociations portant création de la Cour pénale internationale (CPI) et aujourd’hui encore, à l’Assemblée des États parties de cette organisation judiciaire. Il faut d’ailleurs noter que le premier instrument de ratification du Statut de Rome fut déposé par un pays africain, le Sénégal; de même, le soixantième instrument de ratification pour permettre à la CPI de voir le jour l’a également été par un État africain, la Rd Congo. Ceci prouve que les États africains avaient la ferme conviction que la CPI, en tant que mécanisme spécifique et indépendant dans la lutte contre l’impunité des crimes de masse, conjurerait le sort et préviendrait les conflits sur le continent. Ces attentes sont attestées tant par la ratification massive du Statut de Rome que par l’arrimage de leurs législations nationales au droit pénal international naissant. Cette double attitude suffit à témoigner d’un engagement des États africains à défendre les normes impératives sanctionnant la commission des crimes internationaux.

Certes, les États africains ont tenu leur promesse de coopération avec la CPI, tout au moins au cours de ses premières années de fonctionnement. Ils y ont transféré bon nombre d’individus s’étant illustré dans la commission des crimes dont l’interdiction relève du jus cogens. C’est à des gouvernements africains que revient le mérite d’avoir ravitaillé la CPI des trois premières affaires (la Rd Congo et l’Ouganda en 2004 ainsi que la République centrafricaine en 2005), contribuant ainsi à sa légitimité judiciaire. Cependant, le temps a apporté une méfiance accrue entre la juridiction pénale internationale et les États africains, tant et si bien que le soutien apporté à la notion de jus cogens se trouve esquinté à des moments par les mêmes États dès lors qu’ils ne sont pas en mesure de faire pleinement face à ses implications répressives.

3. Un rejet mesuré du jus cogens en raison de ses implications répressives

Alors que l’Afrique avait trouvé dans la naissance du jus cogens une légitimité impérative tant pour la quête de l’autodétermination des États naissants que pour celle de la “décolonisation” du droit international, elle a fait volte-face lorsque la même notion lui a imposé des implications juridiques contraires à sa volonté. Ce faisant, une forte inimitié a fini par teinter les relations qu’entretiennent les États de la région avec la justice pénale internationale, dont la mission est la répression de graves violations des normes de jus cogens. Par ailleurs, et en dépit de l’affirmation de sa ferme volonté de protéger les populations civiles contre les atrocités de masse dont la prohibition relève du jus cogens,Footnote 68 l’UA a purement et simplement rejeté le nouvel ordre pénal international qu’incarne le Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale.

A. La coopération contrastée des États africains avec les juridictions pénales internationales dans la répression de graves violations des normes du jus cogens

Au fil du temps, le développement de la communauté internationale a permis de sanctionner pénalement les violations graves des intérêts fondamentaux de la société internationale. Il en est ainsi notamment des actes de génocide, de torture, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, dont il est généralement admis que la prohibition relève du jus cogens. La nécessité de répression pénale qu’impose la violation des telles normes vise à protéger l’ordre public international. Plus concrètement, la sanction des violations graves de jus cogens est légitime au nom de la défense du genre humain. De la même manière que l’État possède naturellement le pouvoir d’établir la responsabilité et d’appliquer des peines à ceux de ses citoyens qui sont criminels, le monde le possède aussi à l’égard de ceux qui sont nuisibles et malfaisants envers le genre humain, étant donné que l’univers entier représente en quelque manière une seule communauté politique.Footnote 69 Par conséquent, et dans la mesure où le jus cogens protège les valeurs les plus fondamentales de la communauté humaine, sa violation en un seul endroit du monde oblige tous les États, quelle que soit leur localisation, à réagir et à rétablir l’ordre public ainsi perturbé. C’est cette nécessité de la défense de l’humanité qui a donné naissance au mécanisme de la justice pénale internationale.

Devant la violation grave d’une norme de jus cogens, à l’instar de la prohibition de la torture ou du génocide, les États ont l’obligation de poursuivre, de réprimer ou d’extrader. S’agissant des pays africains, ces derniers manquent souvent un système judiciaire indépendant pour juger les auteurs des telles atrocités à la sortie d’un conflit armé, d’où le transfert de tels prévenus devant la justice pénale internationale. Or, l’effectivité de cette dernière est étroitement dépendante de la coopération des États. Paradoxalement, la coopération judiciaire semble la chose la moins partagée par les États africains.Footnote 70 Ceci s’observe lorsqu’une juridiction pénale internationale sollicite l’arrestation d’un individu impliqué dans la commission des crimes graves auprès d’un État sur le territoire duquel l’incriminé se trouverait. La collaboration de l’État requis avec les juges susmentionnés n’est pas toujours automatique. Les juridictions pénales internationales rencontrent différents obstacles liés soit à l’opposabilité des immunités dont jouissent généralement les suspects devant les juges étrangers, soit à l’absence de volonté politique de la part de l’État concerné.

Ainsi, la jurisprudence fourmille d’affaires où certains États africains ont brillé par un non possumus dans la répression des crimes dont l’interdiction relève du jus cogens, soit devant le juge interne étranger, soit devant le juge international. Devant les juges internes étrangers, les exemples sont légion, mais l’on mettra l’accent sur trois cas, les plus emblématiques. Premièrement, l’affaire Lockerbie. Ici, la Libye, coupable de terrorisme d’État, a mis en œuvre plusieurs moyens dilatoires pour protéger ses deux agents des services de renseignements, auteurs d’un attentat meurtrier. Pour justifier son refus d’extrader ses deux ressortissants, la Libye a fait valoir le principe de non intervention dans ses affaires intérieures, alors même qu’on était en présence de la violation des normes de jus cogens. Il a fallu l’intervention du Conseil de sécurité, agissant sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, pour persuader la Libye d’extrader ses deux ressortissants en vue de leur jugement par la haute Cour Ecossaise siégeant aux Pays-Bas.Footnote 71 Deuxièmement, dans l’affaire Abdoulaye Yerodia Ndombasi , Footnote 72 la Belgique s’est vue opposer par la Rd Congo la règle de l’immunité des représentants étatiques pour obstruer les poursuites engagées pour génocide et crime contre l’humanité contre son ministre des Affaires étrangères. Saisie de la question, la CIJ est demeurée très prudente, prenant le soin de distinguer les règles substantielles de jus cogens des règles procédurales de l’immunité. Elle a estimé qu’il n’existe pas, pour le moment d’exceptions à la règle générale de l’immunité issues de la violation des normes de jus cogens. Footnote 73 Au final, la cour a jugé que le mandat d’arrêt lancé par la Belgique contre M. Yerodia n’a pas respecté l’immunité et l’inviolabilité dont jouissent les ministres des affaires étrangères en exercice. Pour des raisons inconnues, la cour mondiale a abordé la question des immunités dans une perspective très étroite (en se limitant à l’immunité des ministres des affaires étrangères en exercice) et a délibérément décidé de ne pas prendre en compte le caractère impératif de l’interdiction de commettre des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide. La CIJ n’a pas expliqué pourquoi les règles coutumières accordant les immunités aux représentants d’un État devraient primer sur les règles impératives interdisant la commission des crimes de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ce faisant, la cour a, à tort, dérogé à la règle coutumière de l’impertinence de la qualité officielle en matière de répression des crimes dont l’interdiction relève du jus cogens. Footnote 74 Troisièmement, l’affaire Hissène Habré Footnote 75 a mis en évidence la réticence des États africains à coopérer aux fins de répression des crimes dont l’interdiction relève de jus cogens. Après avoir trouvé refuge au Sénégal, l’ancien président tchadien a échappé aux mailles de la justice pendant plusieurs années, au motif qu’il jouissait de l’immunité pour tous les actes commis pendant sa période de son mandat présidentiel. Alors qu’un juge belge livre un mandat d’arrêt contre Hissène Habré, la Belgique demande formellement l’extradition de l’ex-chef d’État. La Cour d’appel de Dakar s’est déclarée incompétente pour étudier cette demande d’extradition en prétextant des immunités dont jouissaient Hissène Habré. Étrangement, au lendemain de la réception de la demande d´extradition, Hissène Habré a été placé sous les ordres du président de l’UA, dans une démarche éminemment politique qui a du mal à se justifier juridiquement puisque l’article 7.1 de la Convention contre la torture établit l’obligation de juger ou d’extrader l’acteur présumé d’un tel acte par l’État partie sur le territoire duquel réside le responsable du crime, justement dans ce cas le Sénégal. Après un long feuilleton judiciaire et diplomatique, l’UA a pris la décision de mandater “la République du Sénégal de poursuivre et de faire juger, au nom de l’Afrique Hissène Habré par une juridiction sénégalaise.”Footnote 76

Pas plus que devant les juridictions étrangères, la coopération des pays africains avec les juridictions pénales internationales et internationalisées n’est pas facile. Ces dernières ne bénéficient que d’un faible soutien politique de la part des États africains. Du TPIR à la CPI, en passant par le TSSL et les Chambres extraordinaires sénégalaises, la dynamique de contestation demeure une constante.Footnote 77 En effet, plusieurs États africains, notamment le Rwanda, le Kenya, la Rd Congo et le Congo-Brazzaville, ont été réticents à répondre aux demandes du TPIR, qu’il s’agisse de l’arrestation et du transfert des accusés, de la facilitation de la comparution des témoins ou même de l’exécution des peines des personnes condamnées par le tribunal. Les États africains et les organisations interafricaines ont tout simplement ignoré l’existence du TPIR.Footnote 78 Pour sa part, le TSSL a fait face à un scepticisme africain grandissant. Ses actes d’accusation n’ont pas pleinement bénéficié du soutien africain. Une illustration spectaculaire du défaut de coopération des États africains avec le TSSL se reflète dans le défaut, du Ghana puis du Nigeria, de livrer Charles Taylor, inculpé notamment de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ce denier a même bénéficié d’un asile de la part du Nigéria. Il a fallu d’énormes pressions internationales pour que le Nigéria accepte de le livrer.Footnote 79

A l’instar des juridictions pénales internationales, la CPI n’a pas non plus bénéficié d’une bonne coopération de la part des États africains. Si les débuts étaient heureux, la suite s’est avérée malheureuse. De l’avis même de la Cour, la coopération avec les États africains était bonne jusqu’à l’année 2009, période au cours de laquelle des turbulences ont commencé à la suite des affaires ne résultant pas d’un auto-renvoi.Footnote 80 En effet, les États africains ont ouvertement désapprouvé la politique de la CPI consistant à poursuivre des chefs d’État en exercice. Leur démarche tend à neutraliser la règle coutumière d’après laquelle les immunités personnelles des chefs d’État en fonction ne s’appliquent pas dans le cas de l’exercice de la compétence pénale par une juridiction pénale internationale. Ainsi, pour contrecarrer la CPI, les États africains ont catégoriquement refusé d’arrêter et de livrer le président en exercice du Soudan, Omar Al Bashir, lequel faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Pour le Djibouti, le Malawi, le Tchadet l’Afrique du Sud (qui ont refusé d’arrêter Bashir alors même qu’il se trouvait sur leurs territoires), la quête de la justice ne doit pas mettre en péril la priorité du Soudan, à savoir les pourparlers pour une paix durable. Cette opposition est d’autant plus surprenante que la saisine de la CPI avait été opérée par le Conseil de sécurité agissant sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et ce, à la demande de plusieurs États africains. La même attitude de défiance de la CPI est observable dans le cadre de l’affaire Bosco Taganda où la RD Congo a refusé de le livrer à la CPI, au même titre que la Libye a refusé de transférer à la CPI Saif al-Islam, et ce, malgré l’appel du Conseil de sécurité à coopérer avec la CPI sur ce dossier.

L’affaire kenyane a sans doute été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, quand bien même la Cour a, par la suite, abandonné les poursuites. En effet, la CPI a mis en accusation messieurs Uhuru Kenyatta et William Ruto, respectivement président et vice-président du Kenya, pour crimes contre l’humanité commis à la suite des violences post-électorales. Après avoir comparu aux premières audiences, les deux plus hautes autorités politiques du Kenya ont demandé l’abandon du dossier par la CPI et son transfert à la justice kenyane. Le Kenya a de ce fait exigé de la CPI le respect inconditionnel de la souveraineté nationale et des prérogatives d’un État indépendant.Footnote 81 Cette démarche, quand bien même appuyée par plusieurs chefs d’État africains, n’a pas influencé l’attitude de la CPI. Les États africains, jugeant cette situation insatisfaisante, ont déclenché un mouvement général de retrait du Statut de Rome. Dépeinte de tous les maux, la CPI a subi une offensive inédite de la part des États africains. Si le Burundi s’est effectivement retiré du Statut de Rome le 27 octobre 2017,Footnote 82 d’autres États, entre autres la GambieFootnote 83 et la République Sud-africaine,Footnote 84 ne sont pas arrivés au terme du processus. Cette relation en dents de scie entre les États africains et la CPI, a été prise à bras-le-corps dans le cadre de l’UA.

B. L’Union africaine et le rejet de l’ordre pénal international: un affront au jus cogens

L’UA et la CPI partagent textuellement les mêmes objectifs de promotion et de protection des droits de l’homme. Ceci implique notamment la lutte contre l’impunité des crimes graves dont l’interdiction relève du jus cogens. Dès la genèse de la CPI, l’UA avait encouragé ses membres à adhérer au Statut de Rome. Progressivement, les deux institutions ont divergé dans leur démarche de poursuites contre les personnes revêtues de la qualité officielle. En effet, si la CPI s’est illustrée comme attentionnée aux souffrances des victimes africaines,Footnote 85 l’UA, de son côté, s’est peu à peu constituée en bouclier des dirigeants en exercice, considérant que les mandats d’arrêts émis contre eux peuvent compromettre la paix régionale. Plus spécifiquement, l’organisation panafricaine considère que les poursuites pénales contre les représentants officiels des États fragilisent la réconciliation nationale, la stabilité, le retour à la paix et à la sécurité continentale.Footnote 86 Pour l’UA, les poursuites de la CPI engagées en Afrique sont politiquement motivées et représentatives de l’acharnement de la communauté internationale sur les dirigeants africains.Footnote 87 Aussi souligne-t-elle la nécessité, pour la justice pénale internationale, d’être conduite de manière juste afin d’éviter des situations de deux poids deux mesures.Footnote 88

L’UA a juridiquement exprimé ses ressentiments politiques sous la forme d’argumentaires légaux fondés sur le Statut de Rome lui-même. Le but inavoué consiste à entraver l’exercice des compétences de la CPI. À cet effet, l’organisation régionale africaine a usé d’une double stratégie. Elle a d’abord utilisé l’article 16 du Statut de Rome Footnote 89 afin d’obtenir la suspension des poursuites par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité. En appui à cette demande, l’UA a particulièrement fait valoir que les poursuites contre Omar Al Bashir étaient susceptibles d’affecter les efforts en cours visant à faciliter le règlement rapide du conflit au Darfour et à promouvoir la paix durable et la réconciliation sur l’ensemble du Soudan.Footnote 90 La même demande et les mêmes arguments ont été reformulés en faveur du KenyaFootnote 91 et de la Libye.Footnote 92 Plus généralement, l’Union voyait dans les poursuites contre des chefs d’État africains une menace aux efforts visant à promouvoir l’État de droit et la stabilité, ainsi qu’à bâtir des institutions nationales fortes en Afrique.Footnote 93 Le Conseil de sécurité n’ayant pas demandé la suspension des poursuites de la CPI contre les dirigeants africains, ces derniers ont vainement tenté, lors de la Conférence de révision du Statut de Rome organisée à Kampala (Ouganda) du 31 mai au 11 juin 2010, d’obtenir un amendement afin d’élargir la compétence du Conseil de sécurité de suspendre les poursuites de la CPI, à l’Assemblée générale des Nations Unies. Par ailleurs, l’UA a demandé aux États africains membres de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée du 20 au 28 novembre 2013 l’amendement de l’article 27 de ce Statut de Rome relatif au défaut de pertinence de la qualité officielle.Footnote 94 Cette proposition d’amendement n’avait pas été retenue.

Ensuite, la stratégie de l’UA a vainement consisté à remettre en cause la compétence de la CPI au regard des immunités dont jouissent les chefs d’État en exercice. Pour l’Union, si l’article 27 du Statut de Rome Footnote 95 lève explicitement les immunités des chefs d’État devant la cour, l’article 98 du même texteFootnote 96 les maintient tout aussi explicitement pour les chefs d’État non parties. Dans son interprétation du Statut de Rome, l’Union utilise la seconde disposition pour limiter la portée et l’application de la première. Cet argument n’est pas convaincant dans la mesure où l’article 27 porte sur une question d’exercice par la cour de sa compétence tandis que l’article 98 instaure une exception à l’obligation de coopération. Par conséquent, l’article 27 assure l’inopposabilité de l’immunité des officiels d’État devant la CPI, alors que l’article 98 ne fait que témoigner du maintien de cette même immunité au niveau national pour l’exécution des mandats d’arrêt.Footnote 97 En outre et ainsi que l’a judicieusement soutenu l’Italie devant la CIJ, les normes de jus cogens prévalent toujours sur toute règle contraire du droit international, qu’elle soit d’origine conventionnelle ou coutumière. Autrement dit, la valeur impérative de la prohibition de crimes graves engendre le refus de l’immunité de l’État.Footnote 98 En conséquence, la règle en vertu de laquelle les représentants d’un État jouissent des immunités n’ayant qu’un statut coutumier, devrait être écartée au profit de la norme impérative de l’interdiction de commettre un crime contre l’humanité, un génocide ou un crime de guerre. Ainsi donc et au regard de l’échec de ses argumentaires, l’UA a purement et simplement appelé ses États membres à ne plus coopérer à l’arrestation et la livraison des personnalités africaines inculpées par la CPI.Footnote 99 L’organisation régionale africaine est allée plus loin en adoptant, le 31 janvier 2016, une résolution qui prévoit, in fine, le retrait de tous les pays africains du Statut de Rome. Footnote 100

Si, officiellement, cette bataille diplomatique est une réplique à l’afrocentrisme reproché à la CPI, officieusement, il s’agit de la crainte d’éventuelles poursuites contre les dirigeants en exercice, réputés dans les violations graves des normes de jus cogens. Loin d’être le fruit des peuples africains, la propagande engagée contre la CPI est l’œuvre d’une fronde orchestrée par leurs dirigeants. L’indignation exprimée par les chefs d’État africains à l’encontre de la CPI, à travers le porte-voix de l’UA, n’est guère sincère. Relevant d’une crainte commune, celle d’être les prochains sur la liste, la fronde de l’UA contre la CPI participe d’un réflexe syndical de chefs d’État qui n’ont pas la conscience tranquille. Plus concrètement, la démarche consiste, pour les dirigeants africains, à se mettre ensemble pour sauver un des leurs au détriment des victimes qui demandent réparation et qu’on a tendance à oublier.Footnote 101 Toutes les raisons sécuritaires soulevées par l’UA et ses États membres ne sont pas nouvelles en ce genre de situation. Elles ont été exprimées, entre autres, pour freiner le travail du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.Footnote 102 On peut y lire un affrontement entre l’éthique de la responsabilité, portée par l’UA et l’éthique de la conviction, portée par la CPI et les défenseurs du jus cogens. En effet, l’idée soutenue par ces derniers est que la justice n’est pas un obstacle à la paix, mais plutôt sa condition. En ce sens, le discours porté par Addis-Abeba n’est que pure instrumentalisation, la vérité étant qu’il ne peut y avoir de paix sans justice.Footnote 103 Ainsi, sur le fond, l’argument sécuritaire est un lieu commun de la résistance politique à la justice pénale internationale depuis sa naissance, mais il ne trouve aucune justification empirique. Il s’agit ni plus ni moins qu’une quête de garantie de l’impunité et un mépris pour les victimes.Footnote 104

Le rejet de l’ordre pénal international qu’incarne la CPI atteint son paroxysme avec l’immixtion de l’UA dans le processus de la répression des crimes graves dont l’interdiction relève du jus cogens. L’UA a procédé par un montage juridique pour contrecarrer la CPI, en créant une nouvelle juridiction permanente dotée d’une section de droit international pénal. Il s’agit de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH),Footnote 105 à qui il a été conféré une compétence répressive concurrente à celle de la CPI. Cette réforme s’inscrit dans la quête de la préservation des immunités juridictionnelles des hauts représentants de l’État, question devenue cruciale avec les poursuites engagées par la CPI contre les présidents en exercice Omar Al Bashir et Uhuru Kenyatta. Pour preuve, l’article 46 bis du Protocole de Malabo Footnote 106 dispose qu’“[a]ucune procédure pénale n’est engagée ni poursuivie contre un chef d’État ou de gouvernement de l’UA en fonction, ou toute personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout autre haut Responsable public en raison de ses fonctions.”

Cette disposition empêchera la conduite d’enquêtes et de poursuites à l’égard des chefs d’État et de gouvernement en exercice, qui peuvent utiliser leur fonction et leur pouvoir pour ordonner, planifier, financer ou orchestrer des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou des actes de génocide. Cette conception rompt frontalement avec l’obligation de répression des violations des normes de jus cogens, laquelle n’admet pas de dérogation en raison de l’immunité de l’auteur. Non seulement le principe du défaut de pertinence de la qualité officielle est d’ordre coutumier, mais il est également la raison d’être de la justice pénale internationale. Sa suppression équivaut à l’anéantissement de la fonction de la justice pénale internationale dans la mesure où les crimes dont elle s’occupe (contre l’humanité, de guerre et génocide) sont, en raison de leur dimension, souvent commis par des représentants de l’État et, dans une large mesure, sur injonction du chef de l’État lui-même.Footnote 107 L’article 46 bis du Protocole de Malabo contribue ainsi à une fragmentation du droit international relativement à la notion des immunités couvrant souvent les auteurs des crimes graves en Afrique. Il est susceptible d’avoir un effet d’entrainement: les chefs d’État en exercice accusés d’avoir commis des crimes de guerre, de génocide ou contre l’humanité, auront une raison supplémentaire de s’accrocher au pouvoir. En remettant en cause les règles internationales visant à assurer la défense des normes de jus cogens, l’UA se fait le complice du diable dans la mesure où les normes impératives transcendent les différences culturelles et les degrés de civilisation. Par conséquent, on peut aisément déduire que le Protocole de Malabo est un véritable “traité de protestation” adopté par les États africains en réponse à ce qu’ils ont considéré comme une iniquité de la part de la CPI,Footnote 108 dans la répression des crimes internationaux commis sur le continent. C’est un traité alimenté par une passion momentanée plutôt que par une appréciation approfondie et un véritable désir de legislation.Footnote 109 L’institution de la CAJDH s’apparente davantage à un mouvement de protection des dirigeants africains qu’à une véritable recherche d’efficacité du nouvel organe judiciaire principal de l’UA.Footnote 110 Ce constat prouve à suffisance que l’UA mène l’entreprise de mise en place de la juridiction continentale “au gré des conjonctures politiques et internationales, de manière bricolée, par à-coups, de manière opportuniste et relativement éclatée.”Footnote 111

Pire encore, le Protocole de Malabo n’organise nullement les rapports entre la CAJDH et la CPI, alors qu’il est évident que le champ de compétence des deux juridictions est quasiment identique. Le fait pour le protocole de ne prévoir une complémentarité qu’entre la CAJDH et les cours nationales ainsi que les cours des communautés économiques régionales est une illustration de la volonté de défier, voire de contrecarrer la CPI, devant laquelle l’Afrique croit ne plus trouver son compte. Ne serait-ce pas là un galvaudage des efforts de la communauté internationale atterrée par les indicibles souffrances infligées à l’humanité à la suite de deux guerres mondiales? Le “plus jamais ça” répété au sortir de deux affrontements sanglants du 20e siècle s’en trouve malmené par cette stratégie politique d’évitement de la CPI. De quoi dire que la restriction de la compétence personnelle de la CAJDH apparaît comme un obstacle à l’œuvre de la justice pour les victimes de crimes internationaux orchestrés par les dirigeants au pouvoir en Afrique.Footnote 112 Ainsi, l’impérieux besoin de lutte contre l’impunité des crimes graves en Afrique, tel que souhaité par l’article 4 de l’Acte constitutif de l’UA, demeure un discours textuel soumis à rude épreuve.

4. Conclusion: tout ça pour si peu!

Initialement, les États africains étaient très favorables à l’entrée de la notion de jus cogens — et son régime supposé — dans le droit positif. Ils ont largement contribué à cet avènement et s’en sont saisis pour dénoncer les travers de la colonisation et le droit international y relatif. Ainsi, le jus cogens a été utilisé comme un instrument de l’intégration de la communauté des États et des peuples d’Afrique à la société internationale. Par la suite, les États africains ont rabattu de leur adhésion initiale au jus cogens quand ils ont vu qu’eux-mêmes avaient plus à perdre qu’à gagner dans sa prise en compte effective devant des organismes, juridictionnels ou autres. Rarement satisfaits dans leurs demandes, ils ont constaté que, pendant longtemps, ce sont eux qui s’en sont vu opposer la teneur, beaucoup plus que les États d’établissement ancien, lesquels ont usé des moyens de se soustraire aux mécanismes de contrôle de la légalité des conduites (notamment l’immunité des États en cause dans les contentieux relatifs à eux-mêmes ou à leurs ressortissants). Ils ont donc considérablement mitigé l’enthousiasme manifesté avant, pendant et après la Convention de Vienne. Cela est d’autant plus évident que l’UA et ses États membres sont devenus réticents aux poursuites judiciaires des violations des normes impératives sur le continent. L’offensive de l’UA contre la CPI est une illustration remarquable dans la mesure où l’Union s’obstine à entraver l’exercice des fonctions de la cour. Cette fragile harmonie pousse à conclure que l’Afrique entretient des rapports contradictoires avec la notion de normes impératives du droit international, ces dernières étant perçues comme attentatoires à sa souveraineté.

References

1 Sur les différentes théories sur le jus cogens, lire Robert Kolb, Théorie du ius cogens international: Essai de relecture du concept, Paris, PUF, 2001 à la p 339; Robert Kolb, Peremptory International Law — Jus cogens: A General Inventory, Oxford, Hart Publishing, 2015 à la p 148; Tams, Christian J, Enforcing Obligations Erga Omnes in International Law, New York, Cambridge University Press, 2005 Google Scholar à la p 359.

2 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1980 RTNU 1155 (entrée en vigueur: 27 janvier 1980) [Convention de Vienne].

3 Détermination et conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), Rapport de la Commission du droit international, Doc off AG NU, 77ème session, Doc A/77/10, supplément n°10 (2022) aux pp 19–28. Sur la relation entre le jus cogens et les valeurs de la communauté internationale, voir Noémie Gagnon-Bergeron, “Breaking the Cycle of Deferment: Jus Cogens in the Practice of International Law” (2019) 15:1 Utrecht L Rev 50 à la p 64; Alain Pellet, “Comments in Response to Christine Chinkin and in Defense of Jus Cogens as the Best Bastion against the Excesses of Fragmentation” (2006) 17 Finnish YB Intl L 83 à la p 87; Alfred Verdross “Jus Dispositivum and Jus Cogens in International Law” (1966) 60 Am J Intl L 55 à la p 58; M Den Heijer et H van der Wilt, “Jus cogens and the Humanization and Fragmentation of International Law” (2015) 46 Netherlands YB Intl L 3 à la p 15.

4 Patrícia Galvão Teles, “Peremptory Norms of General International Law (Jus Cogens) and the Fundamental Values of the International Community” dans Dire Tladi, dir, Peremptory Norms of General International Law (Jus Cogens), Leiden, Brill / Nijhoff, 2021, 44, à la p 46; Christian Tomuschat, “The Security Council and Jus Cogens” dans Enzo Cannizzaro, dir, The Present and Future of Jus Cogens, Rome, Sapienza Università Editrice, 2015, 7 à la p 8.

5 Déclaration de M. Lucien Yapobi, représentant de la Côte d’Ivoire aux séances de la Commission plénière, Conférence des Nations Unies sur le droit des traités. Documents officiels: Comptes rendus analytiques des séances plénières et des séances de la Commission plénière, Doc off AG NU, 1ère session, Doc NU A/CONF.39/11 (1969) à la p 348 [CNDT].

6 Déclaration de M. Jux Ratsimbazafy, représentant de la Sierra Leone aux séances de la Commission plénière. Ibid à la p 327.

7 L’Europe avait été représentée par trente-trois pays, à côté de l’Amérique qui était représentée par vingt-trois pays, l’Asie avec vingt-six pays et deux pays pour l’Océanie.

8 Les divergences portaient essentiellement sur les conditions nécessaires à l’apparition du jus cogens et sur le contenu de cette notion. Voir à ce sujet Michel Virally, “Réflexion sur le jus cogens” (1966) 12 AFDI 5 à la p 6 et s; Nahlik Stanislaw, “La Conférence de Vienne sur le droit des traités. Une vue d’ensemble” (1969) 15:1 AFDI 24 aux pp 29–30.

9 L’article 66 a de la Convention de Vienne dispose que “[t]oute partie à un différend concernant l’application ou l’interprétation des articles 64 peut, par une requête, le soumettre à la décision de la Cour internationale de Justice, à moins que les parties ne décident d’un commun accord de soumettre le différend à l’arbitrage.” De toutes les dispositions de la Convention de Vienne, l’article 66 est celui qui a suscité le plus grand nombre des réserves, ces dernières ayant à leur tour fait le plus grand nombre d’objections et de contre-réserves. À ce sujet, voir Hélène Ruiz Fabri, “Article 66” dans Olivier Corten et Pierre Klein, dir, Les Conventions de Vienne sur le droit des traités: Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, 2391 aux pp 2421–26. La Cour internationale de justice (CIJ), dont la compétence demeure fondée sur l’indispensable consentement des États, a rappelé la validité de telles réserves dans l’affaire Activités armées sur le territoire du Congo. Elle a rejeté l’argumentation de la République démocratique du Congo d’après laquelle la réserve faite par le Rwanda à l’article 66 de la Convention de Vienne est nulle dans la mesure où elle est en contradiction directe avec des normes impératives et, à tout le moins, vise à empêcher la mise en œuvre de telles normes. Pour la CIJ, le mécanisme de l’article 66 de la Convention de Vienne n’est pas d’ordre coutumier et ne déroge pas au fondement consensuel de la justice internationale. Plus concrètement, la cour mondiale a jugé valide la réserve rwandaise, affirmant que le seul fait que des droits et obligations erga omnes ou de jus cogens soient en cause dans un différend ne constitue pas en soi une exception au principe selon lequel sa compétence repose toujours sur le consentement des parties. Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c Rwanda), [2006] CIJ Rec 6 au para 125 [Activités armées sur le territoire du Congo]. Cette position de la CIJ est constante. Elle avait également jugé valides les réserves émises par plusieurs États membres de l’organisation du Traité de l’Atlantique Nord à l’article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, 78 RTNU 277 (entrée en vigueur: 12 janvier 1951) [Convention sur le génocide], pour échapper à une saisine unilatérale, ce qui l’avait conduite à rejeter la requête de la Yougoslavie. Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c États-Unis d’Amérique), [1999] CIJ Rec 916; Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c Espagne), [1999] CIJ Rec 761. Voir aussi Réserves à la Convention sur le Génocide, Avis consultatif, [1951] CIJ Rec 15. En sens inverse, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies estime que la nature des normes impératives interdit aux États de formuler des réserves à leur égard. Par conséquent, il a considéré que certaines normes de protection des droits de l’homme, à l’instar de l’interdiction du génocide, de l’esclavage, de la torture et de la privation arbitraire de la vie, interdisent aux États de formuler des réserves à leur égard. Comité des droits de l’homme, Question touchant les réserves formulées au moment de la ratification du Pacte [international relatif aux droits civils et politiques] ou des protocoles facultatifs y relatifs ou de l’adhésion à ces instruments, ou en rapport avec les déclarations formulées au titre de l’article 41 du Pacte, Observation générale n° 24 (52), Doc CCPR/C/2/Rev.1/Add.6 (1994) au para 8.

10 Virally, supra note 8 aux pp 15–16.

11 D’après ces États, le droit international a constamment joué contre eux, en accumulant les obstacles à l’établissement de rapports nouveaux avec les anciennes métropoles. Il eut donc été nécessaire d’inverser la tendance. La théorie du droit international devrait dorénavant tenir compte de cette transformation moderne de la société mondiale. À ce sujet, voir Michel Virally, “Le droit international en question” (1963) 8 Archives de philosophie du droit 145.

12 Kirsten Schmalenbach, “Article 53: Treaties Conflicting with a Peremptory Norm of General International Law (“jus cogens”) dans Oliver Dörr et Kirsten Schmalenbach, dir, Vienna Convention on the Law of Treaties: A Commentary, 2ème ed, Springer, 2018, 955 aux pp 971–72.

13 CNDT, supra note 5 à la p 6.

14 Sud-Ouest africain (Ethiopie c Afrique du Sud; Liberia c Afrique du Sud), [1966] CIJ Rec 6. Pour un commentaire de cet arrêt, voir Georges Fisher, “Les réactions devant l’arrêt de la Cour internationale de Justice concernant le Sud-Ouest africain” (1966) 12:1 AFDI aux pp 144–54; Louis Favoreu, “L’arrêt de la Cour internationale de justice dans les affaires du Sud-Ouest africain” (1966) 12:1 AFDI aux pp 123–43; JC Gautron, “L’affaire du Sud-ouest africain” (1967) 19 Le mois en Afrique: revue française d’études politiques africaines 63; Joseph Nisot, “La question du Sud-Ouest africain devant la Cour internationale de justice” (1967) 3 Rev b dr Intern 24; Rosalyn Higgins, “The International Court and South West Africa” 1966 International Affairs 573.

15 Sud-Ouest africain (Ethiopie c Afrique du Sud; Liberia c Afrique du Sud-Exceptions préliminaires), [1962] CIJ Rec 319. Pour un commentaire de cet arrêt, voir Focsaneanu Lazar, “L’arrêt de la Cour internationale de Justice dans les affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c Afrique du Sud, Liberia c Afrique du Sud-Exceptions préliminaires)” (1962) 8 AFDI 277.

16 La CIJ a rejeté l’argument de la nécessité développé pour justifier l’intérêt des demandeurs à l’action en justice. Cet argument consistait à considérer que la dissolution de la Société des Nations (SDN) pouvait justifier le transfert ou la cession de ses droits aux États membres, notamment pour la gestion du système des mandats relatifs à la tutelle. Ce qui tendait à faire admettre la possibilité d’une actio popularis ou d’un droit pour chaque membre de la communauté mondiale d’intenter une action pour la défense d’un intérêt public. Dans le cas d’espèce, l’intérêt public n’était rien d’autre que la gestion du mandat exercé par l’Afrique du Sud pour le bien-être et le développement des peuples du Sud-Ouest africain. Ces objectifs formaient donc la “mission sacrée de civilisation” qui était un idéal moral ou humanitaire. La cour mondiale a jugé que ces considérations d’humanité n’étaient guère suffisantes pour fonder l’exercice d’une action en justice de la part des demandeurs, en l’absence d’une habilitation textuelle précise. La cour estima qu’il ne s’agissait que d’une morale humaniste inapte à engendrer des obligations juridiques. Cette position de la cour allait à rebours de sa jurisprudence consultative antérieure consacrée à l’examen du mandat et à la mission sacrée de civilisation qui avait déjà précisé que l’institution juridique, qu’était le mandat de la SDN, donnait une force juridique suffisante à la règle morale précitée. Statut international du Sud-Ouest africain, [1950] CIJ Rec 128. Pour un commentaire de cet avis consultatif, voir Laurent Jully, “La question du Sud-Ouest africain devant la Cour internationale de Justice” (1951) 50 Die Friedens-Warte 207; Procédure de vote applicable aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au territoire du Sud-Ouest africain, [1955] CIJ Rec 67; Admissibilité de l’audition de pétitionnaires par le Comité du Sud-Ouest africain, [1956] CIJ Rec 23. À ce sujet, voir Marie-Pierre Dupuy, “Les considérations élémentaires d’humanité dans la jurisprudence de la CIJ” dans Droit et justice, Mélanges en l’honneur de Nicolas Valtikos, Paris, Pedone, 1999 à la p 129.

17 Déclaration de M Adebo, représentant du Nigéria aux Nations Unies, Doc off AG NU, 21ème session, Doc NU A/PV.1429 (1966) au para 11.

18 Déclaration de M Yifru, représentant de l’Éthiopie aux Nations Unies, Doc off AG NU, 21ème session, Doc NU A/PV.1414 (1966) aux paras 21–24.

19 Déclaration de M Grimes, représentant du Liberia aux Nations Unies, Doc off AG NU, 21ème session, Doc NU A/PV.1414 (1966) au para 67.

20 Déclaration de M Ousman Ba, Représentant du Mali aux Nations Unies, Doc off AG NU, 21ème session, Doc NU A/PV.1433 (1966) au para 57.

21 Ministre des affaires étrangères de l’Algérie, AFP Bulletin d’Afrique (21 juillet 1966).

22 Déclaration de M Justice Cole, représentant de la Sierra Léone aux séances de la Commission plénière, dans CNDT, supra note 5 à la p 326.

23 Déclaration de M François Gon, représentant de la République centrafricaine aux séances de la Commission plénière, dans ibid à la p 446.

24 Déclaration de M Ek Dadzie, représentant du Ghana aux séances de la Commission plénière, dans ibid aux pp 478–79.

25 Ces revendications ont également été réitérées lors des discussions portant sur le Projet de conclusions de la Commission de droit international (CDI) sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général, lequel a été présenté le 25 octobre 2022 à la sixième Commission des Nations unies. Au nom du groupe des États d’Afrique, la représentante du Nigéria a souligné la nécessité, pour la CDI, de prendre en compte toutes les traditions juridiques, y compris le droit coutumier africain. Elle a insisté sur l’importance de préserver une bonne représentation géographique au sein des différents groupes de travail, en déplorant qu’un seul membre africain ait été nommé rapporteur spécial. Communiqué de presse de la soixante-quatorzième session de la Sixième Commission des Nations unies, intitulé “les délégations débattent de la liste des normes impératives du droit international dressé par la CDI dans son rapport,” 25ème séance, Doc AG/J/3607 (30 octobre 2022).

26 Abraham Gadji, “La doctrine africaine et le jus cogens: retour sur une notion livrée aux tourments” dans Fabrice Hourquebie, dir, La doctrine dans l’espace africain francophone, Bruxelles, Bruylant, 2014, 113 à la p 122.

27 Le jus cogens a ainsi été présenté par le Ghana comme “un des composants essentiels et un élément foncièrement dynamique du droit international.” Déclaration de M. Ek Dadzie, représentant du Ghana aux séances de la Commission plénière, dans CNDT, supra note 5 à la p 327. Pour l’Éthiopie, la structure fondamentale de la Convention de Vienne repose principalement sur la notion de jus cogens. Voir Déclaration de M Getachew Kebreth, représentant de l’Éthiopie aux séances de la Commission plénière, dans ibid à la p 341. Selon le représentant du Mali, “[l]a notion de jus cogens reflète fidèlement les changements politiques et sociologiques qui se sont produits dans la société internationale” et “les normes de jus cogens […] sont indispensables à la stabilité des relations internationales et constituent l’un des instruments les plus efficaces de coexistence pacifique entre les États à systèmes économiques et sociaux différents.” Parlant de l’importance du jus cogens dans l’édification d’un droit international fondé sur le respect mutuel de la personnalité des États, le représentant du Mali argue que cette notion protège les petits États contre la force plus grande de leurs partenaires éventuels, autrement dit contre les inégalités dans le pouvoir de négociation. Déclaration de M Djibrilla Maiga, représentant du Mali aux séances de la Commission plénière, dans ibid aux pp 355–56. Pour la Tanzanie, la notion de jus cogens “traduit en termes simples et clairs le fait que l’homme est capable d’éprouver pour ses semblables de l’amour, de la compassion et du respect.” Déclaration de M Dmk Bishota, représentant de la Tanzanie aux séances de la Commission plénière, dans ibid à la p 349. Pour sa part, la Zambie a souligné “la nécessité de reconnaitre des normes impératives, en vue de sauvegarder les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble.” Déclaration de M Lavu Mulimba, représentant de la Zambie aux séances de la Commission plénière, dans ibid à la p 350.

28 Gadji, supra note 26 à la p 124. Cette résistance à la contestation de la notion de jus cogens a également été manifestée lors de la procédure consultative devant la CIJ dans l’affaire sur le Chagos. L’Union africaine et plusieurs États africains (L’Afrique du Sud, le Nigéria, les Seychelles, le Djibouti, le Kenya, l’Ile Maurice, la Namibie et la Zambie) y sont volontairement intervenus (par des exposés écrits et oraux) pour appuyer l’appartenance, au jus cogens, du droit des peuples à l’autodétermination. Pour eux, aucun État ne peut valablement prétendre y être un objecteur presistant et l’ensemble des États et des organisations internationales doivent concourir à la garantie de ce droit. Malheureusement, la CIJ n’a pas suivi cette argumentation. Elle s’est non seulement abstenue de proclamer le caractère impératif du droit à l’autodétermination, mais elle a également choisi de limiter l’analyse du droit à l’autodétermination au contexte de la décolonisation, excluant donc les questions relatives à ce droit en tant que droit de l’homme. Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, [2019] CIJ Rec 95 au para 144 [Affaire des Chagos].

29 Jean Charpentier, “Autodétermination et décolonisation” dans Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes: méthodes d’analyse du droit international, Mélanges offerts à Charles Chaumont, Paris, A Pedone, 1984, 117 à la p 119.

30 Quand bien même la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, RT Can 1945 no 7 (entrée en vigueur: 24 octobre 1945) (article 1er au para 2), fait de l’autodétermination des peuples un second but onusien, il est bien moins sûr que ses rédacteurs aient désiré la libération des peuples coloniaux. Leur souci a été en effet de viser l’autodétermination des peuples déjà constitués en grands ou petits États, autrement dit l’égalité des peuples. Cette interprétation est confirmée par l’examen des autres dispositions de la charte, qui ne démantelaient pas les empires coloniaux mais prévoyaient seulement, d’une part, le régime international de la tutelle (Chapitres XII et XIII) et, d’autre part, une série d’obligations assez floues pour les États chargés de gérer les “territoires non autonomes.” L’interprétation dynamique que les États africains ont donnée au droit à l’autodétermination des peuples sur le fondement du jus cogens lui a conféré une portée nouvelle, voire révolutionnaire. Pour eux, l’autodétermination signifie la libération des peuples soumis à une domination coloniale ou raciste et, à cet effet, constitue un préalable à l’exercice des droits de l’homme. Jean-François Dobelle, “Article 1, paragraphe 2” dans Jean-Pierre Cot et al, La Charte des Nations unies, commentaire article par article, tome 1, 3ème éd, Paris, Economica, 2005, 337 aux pp 339–440.

31 Antonio Gómez Robledo, “Le ius cogens international: sa genèse, sa nature, ses fonctions” (1981) 172 Rec des Cours 9 aux pp 132–33.

32 La CIJ a reconnu que “l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires.” Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Avis consultative, [1971] CIJ Rec 16 au para 52 [Avis sur la Namibie]. Allant plus loin, la cour a ultérieurement décidé que le droit à l’autodétermination s’exerce sur l’ensemble des territoires non autonomes, privilégiant, ainsi, une conception territoriale de la définition du peuple. En outre, elle précise que la conclusion d’un accord entre la puissance coloniale et les représentants de la colonie ne constitue pas un moyen d’expression du libre consentement du people. Affaire des Chagos, supra note 28 aux paras 157–60. Pour un commentaire sur cet arrêt, voir Sarah Jamal, “L’analyse de la décolonisation de Maurice sous l’angle du droit à l’autodétermination: entre apports et insuffisances (Cour internationale de Justice, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, 25 février 2019)” (2019) 65 AFDI 137 aux pp 151–55; Jean Louis Iten, “L’avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 25 février 2019 sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965” (2019) 123:2 RGDIP 391.

33 Tous les organes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont été des enceintes utilisées pour exprimer les mouvements de fond du système international ainsi que leurs contradictions. À ce sujet, voir Philippe Moreau Defarges, “L’Organisation des Nations Unies et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” (1993) 3 Politique étrangère 659.

34 Romain Yakemtchouk, L’Afrique en droit international, Paris, LGDJ, 1971 à la p 13.

35 Voir Protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes des conflits armés internationaux, 1125 RTNU 3, art 1 au para 4.

36 Ibid, art 3.

37 Mohammed Bedjaoui, “Non-alignement et droit international” (1976) 151 Rec des Cours 337 aux pp 385–86.

38 L’élection du juge Nigérian Elias à la tête de la CIJ en 1982, participe également de cette volonté de réconciliation entre la Cour et ses clients d’Afrique, souligne le Professeur Alain Pellet. Voir Alain Pellet, “Remarques cursives sur les contentieux africains devant la CIJ” dans Maurice Kamga et Makane Moise Mbengue, dir, Liber Amicorum en l’honneur de Raymond Ranjeva, L’Afrique et le droit international: variations sur l’organisation internationale, Paris, Pedone, 2013 à la p 282.

39 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c Espagne) (Nouvelle requête:1962), [1970] CIJ Rec 3 à la p 33.

40 Avis sur la Namibie, supra note 32. À ce sujet, voir Brigitte Bollecker, “L’avis consultatif en date du 21 juin 1971 de la Cour internationale de Justice dans l’affaire relative aux conséquences juridiques pour les États membres de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain)” (1971) 17 AFDI 281.

41 Chronique mensuelle de l’ONU (octobre 1971) à la p 31.

42 Affaire relative au Timor oriental (Portugal c Australie), [1995] CIJ Rec 90 au para 29. Pour un commentaire sur cet arrêt, voir Jean-Marc Thouvenin, “L’arrêt de la CIJ du 30 juin 1995 rendu dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c Australie)” (1995) 41 AFDI 328; Lurdes Marques Silva, “Timor oriental, la difficile bataille du droit” (1997) Lusotropicalisme: idéologies coloniales et identités nationales dans les mondes lusophones 35.

43 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, [2004] CIJ Rec 136 au para 155. Pour un commentaire sur cet avis, voir Rosemary Abi-Saab, “‘Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé’: quelques réflexions préliminaires sur l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice” (2004) 855:86 Intl Rev Red Cross 633; Raphaëlle Rivier, “Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. Cour internationale de justice: Avis consultatif du 9 juillet 2004” (2004) 50 AFDI 292; Philippe Vincent, “‘D’un mur à l’autre,’ note sous l’avis de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004 sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé” (2005) 1 Revue de la Faculté de Droit de l’Université de Liège 1.

44 Affaire des Chagos, supra note 29. Voir à ce sujet Rafaâ Ben Achour, “Le droit à l’autodétermination en tant que droit fondamental de l’homme et des peuples à la lumière de l’avis de la Cour internationale de Justice sur l’archipel des Chagos” (2019) 3 Annuaire africain des droits de l’homme 344; Stephen Allen, “Legal Consequences of the Separation of the Chagos Archipelago from Mauritius in 1965 (ICJ)” (2019) 58 ILM 445.

45 “Sentence arbitrale du 31 juillet 1989” (1990) RGDIP 204 aux pp 234–35 [“Sentence arbitrale”]. Pour un commentaire de cette sentence arbitrale, voir Habib Gherari, “La Sentence Arbitrale du 31 Juillet 1989 entre la Guinée-Bissau et le Sénégal” (1911) 3 African J Intl & Comparative L 41. Sur la contestation de cette sentence arbitrale devant la CIJ, voir Jean-Pierre Queneudec, “L’affaire de la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 devant la CIJ (Sénégal c Guinée Bissau)” (1991) 37 AFDI 419.

46 “Sentence arbitrale,” supra note 45 à la p 235.

47 L’article 66 a de la Convention de Vienne dispose que “[t]oute partie à un différend concernant l’application ou l’interprétation des articles 64 peut, par une requête, le soumettre à la décision de la Cour internationale de Justice, à moins que les parties ne décident d’un commun accord de soumettre le différend à l’arbitrage.” Cette démarche fut justifiée par le souci des participants à la Conférence de Vienne de mettre une matière aussi délicate que le jus cogens à l’abri de prises des positions unilatérales et arbitraires. Par conséquent, la Convention de Vienne accorde à l’organe judiciaire principal des Nations Unies le soin de développer le contenu du jus cogens. Cette option s’avère être la meilleure puisque “la reconnaissance d’une notion aussi hardiment novatrice que le jus cogens […] ne peut se concevoir sans un organe juridictionnel à vocation universelle qui soit compétent à la fois pour constater objectivement qu’une règle est impérative, mais aussi, pour en tirer les conséquences dans un cas concret.” Catherine Maia, “Le juge international au cœur du dévoilement du droit impératif: entre nécessité et prudence” (2005) 83:1 Revue de droit international, de sciences diplomatiques et politiques 1 à la p 2; Pierre Marie Dupuy, “Le juge et la règle générale” (1989) 93: 2 RGDIP 569 à la p 594.

48 Activités armées sur le territoire du Congo, supra note 9. Cette reconnaissance explicite de l’interdiction du génocide comme norme de jus cogens a servi de fondement à deux autres décisions ultérieures de la cour: Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c Serbie‑et‑Monténégro), [2007] CIJ Rec 43 au para 161; Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c Serbie), [2015] CIJ Rec 3 au para 87.

49 Activités armées sur le territoire du Congo, supra note 9 aux paras 58, 60.

50 Catherine Maia, “Consécration du jus cogens: un dialogue à raviver entre Cours internationale et régionales dans l’œuvre de reconnaissance de droits humains impératifs” (2020) 45:2 Civitas Europa 297 à la p 302.

51 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c Sénégal), [2012] CIJ Rec 422 [Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader]. Pour un commentaire de cet arrêt, voir Guillaume Le Floch, “Questions concernant l’obligation de poursuivre ou extrader (Belgique contre Sénégal)-Arrêt du 20 juillet 2012; Note sous Cour internationale de justice, 20 juillet 2012, Belgique contre Sénégal, rôle général numéro 144” (2013) Journal du droit international 1348; Joe Verhoeven, “Belgique contre Sénégal ou quel intérêt pour se plaindre d’autrui? Cour internationale de Justice, 20 juillet 2012, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader” (2013) 59 AFDI 3; Raphael Van Steenberghe, “L’ arrêt de la Cour Internationale de Justice dans l’Affaire Belgique contre Sénégal ou du Principe Aut Dedere Aut iudicare” (2012) 45:2 RBDI 663.

52 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465 RTNU 122 (entrée en vigueur: 26 juin 1987) [Convention contre la torture].

53 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, supra note 51 au para 99.

54 Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c Myanmar), [2020] CIJ Rec 3 [Gambie c Myanmar]. Pour un commentaire sur cet arrêt, voir Abdul Ghafur Hamid, “The Rohingya Genocide Case (The Gambia v Myanmar): Breach of Obligations Erga Omnes Partes and the Issue of Standing” (2021) 29: 1 IIUM LJ 29; Hukuk Hacettepe, “An Important Stage in the Gambia v Myanmar Case: The International Court of Justice’s Order on Provisional Measures” (2020) 10:1 Fakultesi Dergisi 268; Christina M Cerna, “Provisional Measures: How International Human Rights Law Is Changing International Law (Inspired by Gambia v Myanmar)” (2021) 11:1 Notre Dame J Intl Comp L 34; Martin Mennecke, “The International Court of Justice and the Responsibility to Protect: Learning from the Case of the Gambia v Myanmar” (2021) 13: 2–3 Global Responsibility to Protect 324; MD Rizwanul Islam et Naimul Muquim, “The Gambia v Myanmar at the ICJ: Good Samaritans Testing State Responsibility for Atrocities on the Rohingya” (2020) 51 Cal W Intl LJ 77.

55 Convention sur le génocide, supra note 9.

56 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, supra note 51.

57 Gambie c Myanmar, supra note 54 au para 41.

58 Commission africaine des droits de l’homme et des peoples, Open Society Justice Initiative c Côte d’Ivoire, Communication n° 318/06 (27 mai 2016) aux paras 154–55. Toutefois, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a manqué d’audace pour affirmer le caractère impératif de l’interdiction de la torture et ce, en dépit de l’existence d’une abondante jurisprudence internationale bien assise. Commission africaine des droits de l’homme et des peoples, Egyptian Initiative for Personal Rights and Interights c Égypte, Communication n° 334/06 (1er mars 2011) au para 110.

59 Bernard Anbataayela Mornah c République du Bénin et Csrts, Communication n° 028/2018 (22 septembre 2022) au para 298 (Cour africaine des droits de l’homme et des peoples). Pour un commentaire général de cet arrêt, voir Patient Mpunga Biayi, “Le droit des peuples à l’autodétermination vu d’Arusha. Quelques observations à propos de l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples relatif au droit du peuple sahraoui à disposer de lui-même (affaire Bernard Anbataayela Mornah c. République du Bénin et Csrts du 22 septembre 2022),” La Revue des droits de l’homme: Actualités Droits-Libertés (20 novembre 2022) at 1, en ligne: <https://doi.org/10.4000/revdh.15969>; Laurence Burgorgue-Larsen et Muriel Sognigbe-Sangbana, “Chronique de jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2022)” (2023) 136:4 Revue trimestrielle des droits de l’homme 999 aux pp 1059–65; Claire Portier, “Quand ‘le (bon) juge condamne le crime sans condamner le criminel’: l’affaire du Sahara occidental devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples […]” (2023) 2 Journal du droit international 505.

60 Déniant la justiciabilité au droit à l’autodétermination, le Comité des droits de l’homme constate que les particuliers ne peuvent se prétendre victimes d’une violation du droit à l’autodétermination, lequel confère des droits aux peuples en tant que tells. Affaire Chef Ominayak et la Bande du lac Lubicon c Canada, Communication n° 167/1984 (10 mai 1990) (Comité des droits de l’homme); Affaire RL et al c Canada, Communication n° 358/1989 (5 novembre 1991) (Comité des droits de l’homme); Affaire Kitok c Suède, Communication n° 197/1985 (27 juillet 1988) (Comité des droits de l’homme); Affaire Gillot et consorts c. France, Communication n° 932/2000 (27 juillet 2002) (Comité des droits de l’homme); Affaire John Wilson c Australie, Communication n° 1239/2004 (2004) (Comité des droits de l’homme); Affaire Feu JGA Diergaardt (Captain de la Communauté des Basters de Réhoboth) et consorts c Namibie, Communication n° 760/1997 (2000) (Comité des droits de l’homme); Fongum Gorji-Dinka c Cameroun, Communication n° 1134/2002 (2005) aux paras 2.1–2.10 (Comité des droits de l’homme). Toutefois, le Comité estime que bien qu’il ne soit pas compétent pour examiner une communication alléguant une violation du droit à l’autodétermination protégé par l’article 1er du Pacte, il est libre d’interpréter cette disposition, lorsque ceci est pertinent, afin de déterminer si les droits protégés par le pacte ont été violés. Marie-Hélène Gillot et autres c France, Communication n° 932/2000 (2002) au para 13.4 (Comité des droits de l’homme). Voir également Jean-Bernard Marie, “Article premier” dans Emmanuel Decaux, dir, Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques: Commentaire article par article, Paris, Economica, 2011, 91 aux pp 101–02.

61 La doctrine note à cet effet que “le droit à l’autodétermination est un droit reconnu à chaque peuple, mais il s’exerce de telle sorte que chaque personne en use personnellement. Dans une quête soutenue de pacification d’un continent meurtri par les affres belliqueuses, il est logique que chaque citoyen dispose du droit, voire du devoir de faire reconnaître et appliquer le droit à l’autodétermination de chaque peuple africain. En ce sens, la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un facteur majeur de la paix et de la sécurité internationales. En revanche, son non-respect sur le continent africain nuit aux relations amicales entre États, provoque des troubles et empêche le respect des droits de l’homme.” Mpunga Biayi, supra note 59 à la p 5.

62 À l’échelle internationale, l’Afrique est le continent qui a le plus participé au mouvement général de propagation des juridictions pénales internationales, quand bien même elle n’y a pas pleinement coopéré par la suite. Les annales de la justice pénale internationale portent largement les empreintes africaines du fait des conséquences des affres belliqueuses s’étant déroulées sur ce continent. Cela se traduit par le fait que la répression des crimes commis pendant ces conflits a été l’occasion d’expérimenter diverses typologies des juridictions pénales internationales, en sus de la mobilisation des mécanismes de justice transitionnelle. Par ces mécanismes, les États africains ont la certitude de conjurer le sort et prévenir les conflits. Voir à ce sujet Blaise Tchikaya, “La juridictionnalisation du règlement des conflits internationaux en Afrique” (2006) 2 Revue du Droit Public 459 à la p 464; Pacifique Manirakiza, “L’Afrique et le système de justice pénale internationale” (2009) 3: 1 African Journal of Legal Studies 21 à la p 30.

63 Le Procureur c Kayishema et Ruzindana, 21 mai 1999, ICTR-95-1-T, Jugement d’Appel, au para 88; Le Procureur c Rutaganda, 6 décembre 1999, ICTR-96-3, Jugement de première instance, au para 46; Le Procureur c Musema, 27 janvier 2000, ICTR-96-13-T, Jugement et sentence, au para 15.

64 Le Procureur c Dragoljub Kunarać, et consorts, 12 juin 2002, IT-96-23 et IT-96-23/1-A, au para 124.

65 Le Procureur c Alex Tamba Brima et consorts, 20 juin 2007, SCSL-04-16-T, Ch. II, Jugement, au para 705; Le Procureur c Issa Hassan Sesay, et consorts, SCSL-04-15-T, 2 mars 2009, Ch. I, jugement, aux paras 156–57. Á ce sujet, voir Antonio Blanc Altemir, “The Special Court for Sierra Leone: An Instrument against Impunity for Serious Violations of International Humanitarian Law” (2003) 19 Anuario de Derecho Internacional 101.

66 Affaire Le procureur général c Hissène Habré (30 mai 2016) (Chambres africaines extraordinaires). Á ce sujet, voir Julien Seroussi, “L’internationalisation de la justice transitionnelle: l’affaire Hissène Habré” (2006) 30: 1 Critique internationale 83; Alioune Sall, L’affaire Hissène Habré: aspects judiciaires nationaux et internationaux, Paris, L’harmattan, 2019 à la p 96; Marcel Maccard Badinga Citala, “La place des victimes et la compétence des chambres extraordinaires Sénégalaises dans le procès Hissène Habré” (2017) 5–6 Revue Approche 251.

67 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 RTNU 3 (entrée en vigueur: 1er juillet 2002) [Statut de Rome]. Voir Décision CM/Déc.399(LXVIII), adoptée à la soixante septième session ordinaire du Conseil des ministres tenue à Addis Abeba (Éthiopie) du 25–28 février 1998.

68 L’Acte constitutif de l’Union africaine (UA) accorde une importance toute particulière aux normes de jus cogens, notamment l’interdiction des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont l’effectivité est un outil de garantie de la paix et la sécurité sur le continent. Les États africains admettent la conception responsable de la souveraineté: selon l’article 4 de l’Acte constitutif de l’UA, cette dernière a le pouvoir d’intervenir militairement dans un État membre pour mettre fin à des atrocités de masse susvisées. L’article 4 de l’Acte constitutif de l’UA constitue à cet effet une ambitieuse architecture continentale de la responsabilité de protéger; Voir à ce sujet Dan Kuwali et Frans Viljoen, dir, Africa and the Responsibility to Protect: Article 4(h) of the African Union Constitutive Act, New York, Routledge, 2014.

69 Jean Graven, “Les crimes contre l’humanité” (1950) 76 Rec des Cours 439; Michale Jacquart, “Notion de crime contre l’humanité en droit international contemporain et en droit canadien” (1990) 21:4 RGD 607 aux pp 611–13.

70 Alain Didier Olinga, “L’affaire Abdoulaye Yerodia Ndombasi devant la CIJ: Droits de l’État ou lutte contre l’impunité?” (2003) 14 Enjeux 38 aux pp 42–48.

71 À ce sujet, voir Michael Plachta, “The Lockerbie Case: The Role of the Security Council in Enforcing the Principle aut dedere aut judicare” (2001) 12:1 Eur J Intl L 125; Jean Chappez, “Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahirya arabe libyenne contre États-Unis et Jamahirya arabe libyenne contre Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992” (1992) 38 AFDI 468 aux pp 469–70; Michel Cosnard, “Observations à propos de l’arrêt rendu par la haute Cour de justice écossaise dans l’affaire de Lockerbie” (2000) 46:1 AFDI aux pp 643–53; Christopher C Joyner et Wayne P Rothbaum, “Libya and the Aerial Incident at Lockerbie: What Lessons for International Extradition Law?” (1993) 14:2 Mich J Intl L 222 aux pp 240–52.

72 Affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (Rd Congo c Belgique), [2000] CIJ Rec 2002 at 3 [Affaire du Mandat d’arrêt]. Pour un commentaire général de cet arrêt, voir Brigitte Stern, “Les dits et les non-dits de la Cour internationale de justice dans l’affaire RDC contre Belgique” (2002) 4:3 Intl LFD Intl 104; Alberto-Luis Zuppi, “Immunity v. Universal Jurisdiction: The Yerodia Ndombasi Decision of the International Court of Justice” (2003) 63:2 Louisiana L Rev 309; Jean Salmon, “Libres Propos sur l’arrêt de la C.I.J. du 14 Février 2002 dans l’Affaire Relative au Mandat d’arrêt du 11 Avril 2000 (R.D.C. C. Belgique)” (2002) 35:1–2 RBDI 512; Joe Verhoeven, “Quelques Reflexions sur l’Affaire Relative au Mandat d’arrêt du 11 Avril 2000” (2002) 35:1–2 RBDI 531; Malcolm N Shaw, “The Yerodia Case: Remedies and Judicial Function” (2002) 35:1–2 RBDI 554; David S Koller, “Immunities of Foreign Ministers: Paragraph 61 of the Yerodia Judgement as It Pertains to the Security Council and the International Criminal Court” (2004) 20:1 Am U Intl L Rev 7.

73 Affaire du Mandat d’arrêt, supra note 72 au para 58.

74 Micaela Frulli, “The ICJ Judgement on the Belgium v Congo Case (14 February 2002): A Cautious Stand on Immunity from Prosecution for International Crimes” (2002) 3:3 German LJ 1; Alberto Luis Zuppi, “Immunity v. Universal Jurisdiction: The Yerodia Ndombasi Decision of the International Court of Justice” (2003) 63:2 La L Rev 309 aux pp 314–23. À ce sujet, Maurice Kamto écrit: “[S]auf à considérer que le principe de l’immunité du ministre des affaires étrangères est également une norme du jus cogens — ce dont on peut douter sérieusement — l’interdiction de la torture […] [en tant que] norme de jus cogens en matière de droits de l’homme, doit prévaloir sur la règle de l’immunité.” Maurice Kamto, “Une troublante ‘immunité totale’ du ministre des affaires étrangères: Sur un aspect de l’arrêt du 14 février 2002 dans l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000” (2002) 35:1–2 RBDI 518 aux pp 528–29.

75 UA, Décision sur le procès d’Hissène Habré, Doc. Assembly/AU/9 (XVI) (31 janvier 2011).

76 Conférence de l’UA, 17ème session ordinaire, Décision sur le procès d’Hissène Habré et l’Union Africaine, Doc Assembly/AU/3 (vii) (1–2 juillet 2006) (Banjul-Gambie). Voir à ce sujet Ilich Felipe Corredor Carvajal, “Analyse de la compétence juridictionnelle à partir de la première décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples: l’affaire Hissène Habré” (2012) 5 ACDI 59; Reed Brody, “Bringing a Dictator to Justice: The Case of Hissène Habré” (2015) 13 J Intl Criminal Justice 209; Raymond Ouigou Savadogo, “Les Chambres africaines extraordinaires au sein des tribunaux sénégalais: quoi de si extraordinaire?” (2014) 45:1 Études internationales 105; Elise Le Gall et Margaux Lenormand, “Les Chambres Africaines Extraordinaires du Senegal ou les Premices d’Une Nouvelle Generation de Juridictions Penales Internationalisees” (2017) 50:1 RBDI 61; Marina Eudes et Emmanuel Guematcha, “Quels Apports des Chambres Extraordinaires Africaines” (2017) 50:1 RBDI 193; Antoine Kabore, “Les Juridictions Senegalaises Avaient-Elles Besoin de Chambres Extraordinaires pour Poursuivre et Juger Hissein Habré?” (2017) 50:1 RBDI 89.

77 James Mouangue Kobila “L’Afrique et les juridictions internationales pénales” (2012) 10 Cahier Thucydide 1 aux pp 6–12.

78 À ce sujet, voir Jean-Pellé Fomété et Roland Adjovi, “Les relations entre le Tribunal pénal international pour le Rwanda et les États: L’obligation de coopération dans l’exécution du mandat du Tribunal” (2005) 6 Annuaire français des relations internationales 180.

79 À ce sujet, voir Kathy Ward, “Might v. Right: Charles Taylor and the Sierra Leone Special Court” (2003) 11:1 Human Rights Brief 3 aux pp 8–11; Adeolu Durotoye, “Obasanjo’s Personal Diplomacy: The Liberian Civil War and Charles Taylor’s Asylum in Nigeria” (2015) 36 Intl Affairs & Global Strategy 19 aux pp 22–27; Vanessa Klingberg, “(Former) Heads of State before International (ized) Criminal Courts: The Case of Charles Taylor before the Special Court for Sierra Leone” (2003) 46 German YB Intl L 46 (2003) aux pp 537–64.

80 Cour pénale internationale (CPI), Rapport de la Cour sur la coopération: mise à jour, Conférence de révision du Statut de Rome, Kampala, Doc RC/2-FRA-20052010 (11 mai 2011) à la p 3. Pour une synthèse des réactions africaines au mandat d’arrêt lancé par la CPI contre le président Omar Al Bashir, voir Roza Pati, “The ICC and the Case of Sudan’s Omar Al Bashir: Is Plea-Bargaining a Valid Option?” (2008) 15 UC Davis J Intl L & Pol’y 265 aux pp 274–75.

81 À ce sujet, voir Dominique Decherf, “Le Kenya et la Cour pénale internationale” (2013) 419: 11 Études 449 aux pp 453–58; Stephen Brown, “Justice pénale internationale et violences électorales: Les enjeux de la CPI au Kenya” (2011) 205:1 Revue Tiers monde 85.

82 À ce sujet, voir Pamela Capizzi, “Le retrait du Burundi du Statut de la Cour pénale internationale: quelles conséquences?” (2016) (novembre) La Revue des droits de l’homme: Actualités Droits-Libertés 1, en ligne: <journals.openedition.org/revdh/2738>.

83 En novembre 2016, sous le régime du président Yaya Jammeh, la Gambie avait annoncé son retrait de la CPI. Le 16 février 2017, sous la présidence d’Adama Barrow, la Gambie est revenue sur cette decision. À ce sujet, voir Bartram S Brown, “The International Criminal Court in Africa: Impartiality, Politics, Complementarity and Brexit” (2017) 31 Temp Intl & Comp LJ 45.

84 Le 22 février 2017, le retrait de la République sud-africaine a été jugé inconstitutionnel faute de consultation préalable du parlement par la Haute Cour de justice, saisie par un parti d’opposition. Le 8 mars 2017, le gouvernement sud-africain annonça sa décision de révoquer la notice adressée à l’ONU concernant son intention de se retirer du Statut de Rome.

85 À ce sujet, voir Jacques B Mbokani, “La Cour Pénale Internationale: une Cour contre les africains ou une Cour attentive à la souffrance des victimes africaines?” (2013) 26:2 RQDI 47.

86 Lors du sommet de Malabo en juillet 2011, I’UA a jugé que “le mandat d’arrêt publié par la Chambre préliminaire contre le Colonel Khaddafi complique sérieusement les efforts visant à trouver une solution politique négociée à la crise en Libye, et à traiter les questions d’impunité et de réconciliation de manière à prendre en compte l’intérêt mutuel des parties concernées.” Elle ainsi recommandé “aux États membres de ne pas coopérer à l’exécution du mandat d’arrêt et [a] demand[é] au Conseil de sécurité des Nations Unies de mettre en œuvre les dispositions de l’Article 16 du Statut de Rome en vue d’annuler le processus de la CPI sur la Libye dans l’intérêt de la justice ainsi que de la paix dans ce pays.” Conférence de l’UA, 17ème Session ordinaire, Malabo (Guinée équatoriale), Décision sur la mise en œuvre des décisions de la Conférence relatives à la Cour pénale internationale, Doc Assembly/AU/Dec. 366(XVII), Doc. EX.CL/670(XIX) (30 juin – 1er juillet 2011), point 6.

87 Sur la dénonciation des visées politiques de la CPI par l’UA, voir Conférence de l’UA, 11e session ordinaire, Sharm El-Sheikh, Décision concernant le rapport de la Commission sur le recours abusif au principe de la compétence universelle, Doc Assembly/AU/Dec. 199 (XI) (1er juillet 2008); Conférence de l’UA, 12e session ordinaire, Addis-Abeba, Décision sur la mise en œuvre de la décision relative à l’utilisation abusive du principe de compétence universelle, Doc Assembly/AU/3 (XII), Assembly/AU/Dec. 213 (XII) (1er–3 février 2009); Conférence de l’UA, 13e session ordinaire, Syrte, Décision sur l’Utilisation abusive du principe de compétence universelle, Doc Assembly/AU/11(XIII), Assembly/AU/Dec.243(XIII) Rev.1 (1er–3 juillet 2009).

88 Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, 142e réunion, Addis-Abeba, Communiqué, Doc PSC/MIN/Comm(CXLII) Rev.1 (21 juillet 2008) au para 7.

89 L’article 16 du Statut de Rome permet au Conseil de sécurité de suspendre l’action de la Cour pénale internationale. Il dispose: “Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies.”

90 Conseil de paix et de sécurité de l’UA, Communiqué, Doc PSC/MIN/Comm(CXLII) Rev.1 (21 juillet 2009) au para 9; Conseil de paix et de sécurité de l’UA, Communiqué, 75e réunion, Addis-Abeba, Doc PSC/PR/Comm (CLXXV) (5 mars 2009) au para 5; Conférence de l’UA, 12e session ordinaire, Addis-Abeba, Décision sur la demande par le Procureur de la Cour pénale internationale (C.P.I.) de la mise en accusation du Président de la République du Soudan, Doc Assembly/AU/Dec. 221 (XII) (1er–3 février 2009) au para 3. Voir aussi CS ONU, Lettre datée du 21 juillet 2008, adressée au Président du Conseil de sécurité par l’Observatrice permanente de l’Union Africaine auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc S/2008/481 (2008).

91 Conférence de l’UA, Décision Assembly/AU/Dec. 334(XV) précitée (30–31 janvier 2011) au para 6; Conférence de l’Union Africaine, Décision Assembly/AU/Dec.366(XVII) précitée (30 juin – 1er juillet 2011) au para 4; Conférence de l’Union Africaine, Décision Assembly/ AU/Dec.397(XVIII) précitée (30 janvier 2012) au para 4.

92 Conférence de l’UA, 17e session ordinaire, Malabo, Décision sur la mise en œuvre des décisions de la Conférence relatives à la Cour pénale internationale, Doc. EX.CL/670(XIX), Doc Assembly/AU/Dec. 366(XVII) (30 juin – 1er juillet 2011) au para 6

93 Conseil de paix et de sécurité de l’UA, Communiqué, Doc PSC/MIN/Comm(CXLII) Rev.1 (21 juillet 2009) au para 9

94 Le Sommet extraordinaire de l’UA du 12 octobre 2013 exigeait déjà qu’“aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d’État ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat” (au para 10(i)). Il était alors demandé aux États africains membres de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée du 20 au 28 novembre “la question de l’inculpation des chefs d’État et de gouvernement africains en exercice, par la CPI, et ses conséquences pour la paix, la stabilité et la réconciliation dans les États membres de l’UA” (au para 10(vii)).

95 L’article 27 du Statut de Rome est relatif au “Défaut de pertinence de la qualité officielle.” Il dispose: “1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine; 2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne.”

96 L’article 98 du Statut de Rome est relatif à la “Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise.” Il dispose: “1. La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des États ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un État tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l’immunité; 2. La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu d’accords internationaux selon lesquels le consentement de l’État d’envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au préalable obtenir la coopération de l’État d’envoi pour qu’il consente à la remise.”

97 Martyna Fałkowska et Agatha Verdebout, “L’opposition de l’Union africaine aux poursuites contre Omar Al Bashir: Analyse des arguments juridiques avancés pour entraver le travail de la Cour pénale internationale et leur expression sur le terrain de la coopération” (2012) 1 Rev b dr Intern 201 à la 221; William A Schabas, The International Criminal Court: A Commentary on the Rome Statute, Oxford, Oxford University Press, 2010 à la p 452; Eric David, “Official Capacity and Immunity of an Accused before the International Criminal Court” dans José Doria et al, dir, The Legal Regime of the ICC: Essays in Honour of Prof. I.P. Blishchenko, Leiden, Martinus Nijhoff, 2009, 741 aux pp 743–44.

98 L’Italie avait engagé devant la CIJ une action contre l’immunité reconnue à l’Allemagne par le droit international de manière à obtenir des réparations de la part de l’Allemagne pour des violations du droit international humanitaire commises par le 3ème reich allemand pendant la seconde guerre mondiale. La CIJ n’a pas suivi cette argumentation, estimant qu’il n’existe pas de conflit entre les règles ordinaires et procédurales de l’immunité avec les règles impératives interdisant la commission des crimes graves. Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c Italie; Grèce (intervenant)), [2012] CIJ Rec 99 aux paras 92–93. Voir également l’opinion dissidente du juge Cançado Trindade qui estime l’immunité de l’État ne saurait être invoquée en matière de crimes dont l’interdiction relève du jus cogens. Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c Italie; Grèce (intervenant)), [2012] CIJ Rec 179 aux paras 296–315, Opinion dissidente du juge Cançado Trindade. La tendance doctrinale démontre l’existence d’une hiérarchie entre les normes ordinaires, celles de l’immunité de l’État, et les normes de rang supérieur, celles de jus cogens. En vertu du principe de la hiérarchie normative, l’immunité de juridiction peut être abrogée lorsqu’un État ne respecte pas les normes impératives du droit international. Voir Danial Rezai Shaghaji, “Les crimes de jus cogens, le refus de l’immunité des hauts représentants des États étrangers et l’exercice de la compétence universelle” (2015) 28:2 RQDI 143 aux pp 156–63; Lee M Caplan, “State Immunity, Human Rights, and Jus Cogens: A Critique of the Normative Hierarchy Theory” (2003) 97:4 Am J Intl L 741 aux pp 741–42; Carlo Focarelli, “Immunité des États et jus cogens. La dynamique du droit international et la fonction du jus cogens dans le processus de changement de la règle sur l’immunité juridictionnelle des États étrangers” (2008) 112:4 RGDI 761 à la p 764; Catherine Maia, “Jus cogens et (in)application de la Convention de Vienne sur les traités” dans Thierry Garcia et Ludovic Chan-Tung, dir, La Convention de Viennes sur le droit des traités: bilan et perspectives 50 ans après son adoption, Paris, A. Pedone, 2019, 57 aux pp 74–75.

99 UA, Conférence des chefs d’État et de Gouvernement, 13ème session ordinaire, Syrte (Libye), Décision sur le Rapport de la Commission sur la Réunion des États africains parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), Doc Assembly/AU Dec. 245 (XIII), Doc. Assembly/AU/13(XIII) (1–3 juillet 2009), point 10. Ce dernier dispose que “les États membres de l’UA ne coopéreront pas […] dans l’arrestation et le transfert du Président Omar El Bashir du Soudan à la CPI.” Voir également UA, Conseil de Paix et de Sécurité, 175e réunion, Doc off UA PSC/PR/Comm (CLXXV) Rev. 1 (2009).

100 Conférence de l’UA, Décision sur la Cour pénale internationale, Doc Assembly/AU/Dec.590(XXVI), Doc EX.CL/952(XXVIII) au para 10, IV.

101 Maman Aminou A Koundy, “L’abandon des charges dans l’affaire relative à la situation au Kenya: affaiblissement ou opportunité pour la Cour Pénale Internationale” (2017) 11 Revue des droits de l’homme 1 à la p 4.

102 L’argument consistait à dire que l’arrestation de Milošević, de Mladić, d’Ojdanić, Bobetko, Karadžić ou Krajišnik créerait soit un “torrent de sang,” soit des attentats terroristes, soit une grave crise politique, voire l’extrémisme. Dans les faits cependant, aucune arrestation n’a eu des conséquences redoutées. À ce sujet, voir Payam Akhavan, “Beyond Impunity: Can International Criminal Justice Prevent Future Atrocities?” (2001) 95:1 Am J Intl L 7 à la p 14.

103 Jean-Baptiste Jangène Vilmer, Pas de paix sans justice? Le dilemme de la paix et de la justice en sortie de conflit armé, Paris, Presses des Sciences Po, 2011 aux paras 223–24.

104 Pierre Hazan, La paix contre la justice? Comment reconstruire un État avec des criminels de guerre, Bruxelles, Éditeur GRIP, 2010 à la p 8.

105 Sur l’originalité relative de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, voir Tessa Barsac, La Cour africaine de justice et des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2012 aux pp 55–98; Abdoul Kader Bitié, “L’africanisation de la justice pénale internationale: entre motivations politiques et juridiques” (2017) décembre: Hors-série Revue québécoise de droit international aux pp 156–65; Pauline Martini, “The International Criminal Court versus the African Criminal Court: A Remodelling of the Principle of Complementarity as a Solution to Potential Conflicts of Jurisdiction between the Courts” (2020) 18 J Intl Criminal Justice 1185; Mutoy Mubiala, “Chronique de droit pénal de l’Union Africaine. L’élargissement du mandat de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme aux affaires de droit international pénal” (2014) 85:3 Revue internationale de droit pénal 749; Sarah Nimigan, “The Malabo Protocol, the ICC, and the Idea of ‘Regional Complementarity’” (2009) 17 J Intl Criminal Justice 1005.

106 UA, Conférence de l’Union africaine, 23e sess, Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (Protocole de Malabo), Doc off Assemblée/UA Dec.529 (XXIII) (26–27 juin 2014) [adopté le le 30 juin 2014; non encore entré en vigueur]. Pour une analyse du Protocole de Malabo (instituant une Cour pénale régionale), voir Ademola Abass, “Historical and Political Background to the Malabo Protocol)” dans Gerhard Werle et Moritz Vormbaum, dir, The African Criminal Court: A Commentary on the Malabo Protocol, New York, Springer, 2016 à la p 11; Chacha Bhoke Murungu, “Towards a Criminal Chamber in the African Court of Justice and Human Rights” (2011) 9:5 J Intl Criminal Justice 1067; Matasi W Martin et Bröhmer Jürgen, “The Proposed International Criminal Chamber Section of the African Court of Justice and Human Rights: A Legal Analysis” (2012) 37:1 South African YB Intl L 248; Walid Fahmy, “From the Establishment of the Court of Justice of the African Union to Malabo Protocol: The Defies to the Regional Judicial Mode of Protection of Human Rights” (2019) 7:2 Russ LJ 165.

107 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, “Union africaine versus Cour pénale internationale: Répondre aux objections et sortir de la crise” (2014) 45:1 Études internationales 5 à la p 10; Torsten Stein, “Limits of International Law Immunities for Senior State Officials in Criminal Procedure” dans Christian Tomuschat et Jean-Marc Thouvenin, dir, The Fundamental Rules of the International Legal Order: Jus Cogens and Obligations Erga Omnes, Leiden, Martinus Nijhoff, 2006, 249 à la p 253.

108 En doctrine, on estime que “[p]ar l’insertion de l’article 46 bis, l’Union africaine s’est accordée, au plan régional, ce qu’elle n’a pas pu avoir, au plan universel, dans ses multiples tentatives aupris de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome et au près du Conseil de sécurité, à savoir: la garantie d’immunité des chefs d’État et autres dirigeants africains en exercice déférés devant la C.P.I.” Stefaan Smis et Ezechiel Amani Cirimwami, “Repenser la création fragmentée des Juridictions Hybrides en Afrique au profit de la Cour Africaine de Justice, des Droits de l’Homme et des Peuples” (2017) 50:1 RBDI 314 à la p 334. Sur la contestation africaine de la légitimité de la CPI, voir Jordan Goulet, “La Cour pénale internationale face au défi des contestations africaines sur sa légitimité” (2019) 32:2 RQDI 107; Sara Dalazay, “L’Afrique contre la Cour pénale internationale? Éléments de sociogenèse sur les possibles de la justice internationale” (2017) 145 Politique africaine 165; Abdoul Kader Bitié, “L’africanisation de la justice pénale internationale: entre motivations politiques et juridiques” (2017) (décembre) RQDI 143.

109 Ademola Abass, “The Proposed International Criminal Jurisdiction for the African Court: Some Problematical Aspects” (2013) 60:1 Netherlands YB Intl L 27 à la p 42. Sur l’insuffisance de la capacité et la volonté politique de l’UA de rendre une justice efficace sur le continent, voir Kristen Rau, “Jurisprudential Innovation or Accountability Avoidance? The International Criminal Court and Proposed Expansion of the African Court of Justice and Human Rights” (2012) Minnesota L Rev 346 aux pp 696–701; Kane, Ibrahim et Motala, Ahmed C, “The Creation of a New African Court of Justice and Human Rights” Malcolm Evans, dans et Murray, Rachel, dir, The African Charter on Human and Peoples’ Rights: The System in Practice, 1986–2006, 2ème ed, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 Google Scholar aux 406–40.

110 Apollin Koagne Zouapet, “L’Union africaine à la recherche de son introuvable juridiction” dans Guy Mvelle et Laurent Zang, dir, L’Union africaine, quinze ans après, Tome 1, Paris, L’Harmattan, 2017, 279 aux pp 296–97; Lutz Oette, “The African Union High-Level Panel on Darfur: A Precedent for Regional Solutions to the Challenges Facing International Criminal Justice?” dans Vincent O Nmehiell, dir, Africa and the Future of International Criminal Justice, The Hague, Eleven International Publishing, 2012, 353.

111 Alain Didier Olinga, “L’émergence progressive d’un système africain de garantie des droits de l’homme et des peuples” dans Alain Didier Olinga, dir, La protection internationale des droits de l’homme en Afrique : Dynamique, enjeux et perspectives trente ans après l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Yaoundé, Éditions Clé, 2012, 7 à la p 15.

112 Marie Nicolas-Gréciano, “S’en ira, s’en ira pas? États africains versus Cour pénale internationale” (2018) 10 Actualité juridique pénale 443.