1. Introduction
Des bouleversements importants ont profondément secoué le monde du commerce international en 2022. Alors que la pandémie de COVID-19 affectait encore les chaînes d’approvisionnement et les déplacements, qu’on faisait face à une pénurie de main-d’œuvre importante et qu’une récession nous menaçait, d’autres événements majeurs sont venus déstabiliser encore plus notre économie. D’abord, le 28 janvier 2022, un convoi de camionneurs a pris d’assaut la capitale nationale et y a paralysé le centre-ville durant près de trois semaines. Ensuite, un autre groupe de camionneurs a bloqué certaines routes, dont le pont Ambassador entre Windsor et Détroit, considéré comme un point de passage névralgique pour la fourniture de pièces automobiles, ayant occasionné des pertes évaluées à plus d’un million de dollars par jour.Footnote 1 Enfin, le 24 février 2022, la Fédération de Russie agressait l’Ukraine, marquant le début d’une longue guerre dont les impacts économiques dépassent largement les frontières de la région.Footnote 2 En effet, le monde a connu une déstabilisation supplémentaire des chaînes d’approvisionnementFootnote 3 ainsi qu’une hausse importante du prix des matières premières et de l’énergie, ce qui a entraîné une baisse du volume des échangesFootnote 4 ainsi qu’une crise alimentaire majeure.Footnote 5 Enfin, face à l’attitude de la Fédération de Russie, de nombreux pays ont adopté des régimes de sanction économique, fragilisant encore plus l’équilibre pour les entreprises. À ce titre, à lui seul, le Canada a adopté plus de 1700 mesures de sanction économique à l’égard d’individus ou d’entités pour réagir à l’agression russe.Footnote 6 De toute évidence, la résilience des marchés a été fortement sollicitée.
Si la pandémie avait déjà fait prendre conscience aux États de l’importance de diversifier et de raccourcir leurs chaines d’approvisionnement, le choc de l’agression russe a amené la réflexion des États à un niveau supérieur. Les États veulent maintenant privilégier les partenariats avec les États “amis” et “alliés,” d’où les nouvelles expressions de friend shoring et d’allied shoring, souvent traduites comme renvoyant à des partenariats d’affinité. C’est Janet L. Yellen, Secrétaire américaine au trésor qui a la première évoqué cette idée lors d’un discours sur l’avenir du commerce mondial et le rôle de leader que pouvait jouer les États-Unis le 13 avril 2022.Footnote 7 Peu de temps après, la vice-première ministre canadienne reprenait cette expression dans un discours prononcé à Washington,Footnote 8 laissant penser que le Canada avait dorénavant un nouvel énoncé de politique commerciale.Footnote 9
À ce titre, le lancement de la Stratégie indopacifique en novembre 2022 par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, s’inscrit de toute évidence dans une redéfinition de la politique commerciale du Canada.Footnote 10 Destinée à réagir à l’agressivité de la Chine et à sa diplomatie du loup guerrier, la Stratégie mise d’abord sur l’Inde — malgré ses dérives antidémocratiquesFootnote 11 — pour redéfinir ses priorités en matière de coopération économique.
La chronique de 2021 soulignait la prise de conscience des coûts économiques engendrés par le changement climatique, mais faisait aussi état d’une action insuffisante de la part des États. La COP-26, la COP-15 ou encore la Ministérielle de l’OMC, malgré des avancées, n’ont pas été en mesure de répondre à l’urgence.
Cette chronique revient sur les plus importants développements en matière de commerce international impliquant le Canada. Après avoir abordé le commerce canadien aux plans bilatéral et plurilatéral, il brosse un tableau des contentieux commerciaux découlant des accords de libre-échange (ALE) impliquant le Canada pour enfin aborder les développements au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sous l’angle des négociations et du règlement des différends.
2. Le commerce canadien aux plans bilatéral et plurilatéral
Le Canada possède quinze accords de libre-échange, qui concernent cinquante-et-un États et représentent 1,5 milliard de consommateurs.Footnote 12 En sus, le Canada poursuit des négociations en vue d’en conclure douze autres.Footnote 13 De toute évidence, bien que la relation avec les États-Unis demeure la plus importante, afin de faire face aux velléités protectionnistes de l’administration américaine, le Canada continue à diversifier ses partenaires commerciaux.
A. États-Unis
L’administration Biden a poursuivi l’adoption de mesures nationales destinées à favoriser le développement économique du pays. Le Inflation Reduction Act (IRA) soulève les préoccupations dans le milieu des véhicules électriques et des batteries. La Politique Buy America et le Buy American Act continuent à nourrir les craintes des fournisseurs canadiens.
i. La Loi sur la réduction de l’inflation
La Loi sur la réduction de l’inflation (connut sous son vocable anglais IRA) a été promulguée le 16 août 2022, après avoir été adoptée par le Sénat et la Chambre des représentants.Footnote 14 Globalement, elle a reçu un accueil favorable en raison de sa volonté affirmée de restructurer l’économie américaine notamment autour d’une transition énergétique ambitieuse.Footnote 15 Néanmoins, bien que plusieurs aient dénoncé sa nature protectionniste, le Canada a poussé un grand soupir de soulagement. Dans les faits, l’IRA remplace le projet de Build Back Better qui s’affichait encore plus protectionniste.Footnote 16 Surtout, bien qu’elle constitue encore un risque pour l’économie canadienne, elle réserve aux pays d’Amérique du Nord ainsi qu’à ceux avec qui les États-Unis ont conclu un accord de libre-échange certains traitements préférentiels.
L’IRA réduit notamment le coût des médicaments sur ordonnance, prolonge la subvention pour les soins de santé et augmente les impôts des entreprises. En ce qui concerne plus précisément le commerce international, elle prévoit deux programmes relatifs aux véhicules électriques et aux batteries.Footnote 17 Le premier, le Clean Vehicle Credit, octroie à tout consommateur un crédit de 3 750 $ à l’achat d’un véhicule dont un certain pourcentageFootnote 18 des minéraux critiques composant la batterie ont été extraits ou traités aux États-Unis ou dans un pays avec lequel les États-Unis ont un accord de libre-échange,Footnote 19 ou recyclés aux États-Unis. Ce programme prévoit un crédit additionnel de 3 750 $ si les composantes de la batterie (le pourcentage exigé varie aussi dans le tempsFootnote 20) ont été fabriquées ou assemblées en Amérique du Nord.
Ce premier programme affiche ouvertement ses velléités géostratégiques dans la mesure où il prévoit explicitement l’impossibilité d’obtenir le crédit de taxes à partir de 2025 si l’une des composantes de la batterie d’un véhicule électrique a été fabriquée ou assemblée par une “entité étrangère préoccupante” (“foreign entity of concern”) ni, à partir de 2026, si la batterie contient des minéraux critiques extraits, traités ou recyclés par une de ces entités préoccupantes. Ces restrictions visent directement la Chine, de loin le plus important transformateur de minéraux critiquesFootnote 21 et le plus grand producteur de terre rare.Footnote 22 À cet égard, on peut s’interroger sur la finalité réelle de cette clause tant elle semble irréaliste. En effet, considérant la capacité de production des partenaires commerciaux des États-Unis, on se demande dans quelle mesure elle pourra être respectée sans compromettre l’objectif de transition énergétique du pays.Footnote 23 Il n’en demeure pas moins que le Canada semble avoir entendu et écouté les États-Unis en ordonnant en novembre 2022 à trois firmes chinoises de vendre leurs parts dans des entreprises exploitant les minéraux critiques.Footnote 24
Le deuxième programme, le Advanced Manufacturing Production Credit, vise à encourager la production de technologies propres — ce qui inclut la fabrication de batteries — aux États-Unis par le biais de crédits fiscaux. Seuls les produits considérés comme fabriqués aux États-Unis pourront bénéficier de ce programme. Ce programme prévoit par exemple un crédit d’impôt pour la production de minéraux critiques issue de mines aux États-Unis.Footnote 25 Il s’agit là d’un changement de cap de la part de l’administration centrale américaine puisque, jusqu’à l’adoption de l’IRA, ce genre d’incitatif demeurait l’apanage des États américains. On perçoit clairement la volonté des États-Unis d’accélérer et de généraliser la production de composantes de batteries et de véhicules électriques.
Au premier abord, ces deux programmes de l’IRA contreviennent aux règles de l’OMC.Footnote 26 En effet, en favorisant les produits et producteurs nationaux américains, ainsi que certains partenaires commerciaux au détriment des autres Membres de l’OMC, l’IRA contrevient au principe du traitement national et à celui de la nation la plus favorisée. En outre, en accordant des subventions conditionnellement à l’utilisation de produits américains, la loi contrevient à l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Footnote 27 À cet effet, la Chine a d’ailleurs évoqué la question dans l’enceinte de l’OMC.Footnote 28 Le président français, Emmanuel Macron, a quant à lui fortement réagi à l’annonce de l’IRA, dénonçant le protectionnisme ouvertement affiché des États-Unis, mettant en garde contre la “fragmentation de l’occident”Footnote 29 et appelant l’Union européenne à trouver une solution.Footnote 30 De nombreux États ont aussi manifesté leurs craintes.Footnote 31 En définitive, l’IRA fait craindre une guerre commerciale, une spirale protectionniste et un retard dans le déploiement de solutions vers une réelle transition énergétique.Footnote 32
Dans ce contexte, le Canada oscille entre soulagement et préoccupation. En effet, bien qu’il soit privilégié par l’IRA, il subira les conséquences de nombre de dispositions demeurant protectionnistes et pourrait voir ses entreprises délocaliser aux États-Unis. En définitive, le Canada craint de devenir le fournisseur de matières premières des entreprises des États-Unis, qui elles, accapareront la production des biens à forte valeur ajoutée,Footnote 33 alors qu’aujourd’hui encore, il aspire à être un joueur majeur dans le secteur de l’électrification des transports.Footnote 34
ii. La Buy America Policy et le Buy American Act: suite
Dans le cadre de notre chronique 2021, nous faisions état du durcissement par l’administration Biden de la politique Buy America et de la Loi Buy American.Footnote 35 Le président Biden a en effet annoncé expressément le 25 janvier 2021 son intention de concentrer ses milliards d’investissements dans les mains des entreprises américaines, de réduire les exemptions accordées aux fournisseurs étrangers et de mieux surveiller l’application de ces programmes par la nomination d’un représentant Buy American au sein même de son Bureau.Footnote 36
Rapidement, le Canada s’est préoccupé de l’impact d’un tel durcissement sur l’économie canadienne. Un comité de la Chambre des communes a consacré plusieurs jours à la question et a produit un rapport recommandant au gouvernement plusieurs pistes de solution.Footnote 37 Parmi elles, le Comité priorisait la poursuite de discussions entre les deux pays afin de trouver une solution pour que les fournisseurs canadiens soient privilégiés et le suivi de la mise en œuvre des politiques protectionnistes américaines.Footnote 38
De manière assez surprenante, probablement en réaction aux politiques protectionnistes des États-Unis, le Budget fédéral 2021 prévoyait que le gouvernement du Canada allait:
montrer aux partenaires commerciaux du Canada l’importance d’offrir des possibilités d’approvisionnement équilibrées, [poursuivre] des politiques d’approvisionnement réciproques afin de garantir que les biens et services sont uniquement obtenus auprès de pays qui accordent aux entreprises canadiennes un niveau similaire d’accès au marché. Cette initiative protégera les chaînes d’approvisionnement canadiennes et garantirait que les relations commerciales du Canada sont des relations économiques mutuellement avantageuses.Footnote 39
Afin de réaliser cet engagement, le gouvernement du Canada a lancé en mars 2022 une consultation sur les politiques d’approvisionnement réciproque,Footnote 40 c’est-à-dire sur l’adoption de politiques visant à restreindre l’accès aux marchés publics canadiens uniquement aux fournisseurs provenant de pays accordant un accès aux fournisseurs canadiens.Footnote 41 Le gouvernement suggère trois options: l’application d’une réciprocité uniquement lorsque le droit du commerce international l’impose, l’adoption de conditions pour permettre la participation de fournisseurs non canadiens aux projets d’infrastructure menés par les provinces et territoires et financés par le gouvernement fédéral, et la création d’un programme réservant certains marchés aux petites entreprises canadiennes. Évidemment, le gouvernement reconnait que ce type de processus implique une définition claire et précise de règles d’origine et considère la possibilité de prévoir un régime d’exemption en cas d’absence de fournisseurs de biens ou de services canadiens. Les suites de cette consultation n’ont pas encore été annoncées. Il reste à espérer que le gouvernement canadien utilise intelligemment ce processus l’amenant à réviser sa stratégie en matière de marchés publics, en misant abondamment sur l’insertion de conditions liées au développement durable. Non seulement cela permettrait de rendre les acquisitions plus durables et responsables, mais permettrait certainement aux fournisseurs canadiens — qui produisent souvent des produits plus écologiques qu’ailleurs notamment en raison du recours à l’hydro-électricité — de se positionner avantageusement dans le cadre d’éventuels appels d’offres.
Cette initiative n’a pas freiné l’ardeur de l’administration Biden qui a adopté une nouvelle série de directives d’approvisionnement en avril 2022 exigeant que les matériaux de construction utilisés dans les projets d’infrastructure financés par le fédéral soient produits aux États-Unis.Footnote 42
B. Amérique latine
En 2022, le Canada a maintenu les négociations avec le Mercosur et l’Alliance pacifique. Si aucune entente n’a été signée, les relations avec les deux blocs latino-américains sont au beau fixe.
i. Négociation d’un ALE avec le Mercosur
Les négociations d’un ALE entre le Canada et le Mercosur (“Marché commun du Sud”) ont débuté en mars 2018. Ces négociations sont alignées avec la politique canadienne en matière de diversification commerciale, mais également avec le fait que les opportunités d’affaires pour le Canada sont importantes avec le Mercosur,Footnote 43 composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. Or le président argentin Alberto Fernandez s’est fermement opposé à la poursuite des négociations, alors que ses partenaires étaient prêts à réduire les droits de douane du Mercosur et à adopter des ALE avec des États tiers. L’année 2022 a été marquée par le retour des négociations du Mercosur avec le Canada — mais aussi avec l’Union européenne et l’Association européenne de libre-échange — après un changement de position de l’Argentine.Footnote 44 Les discussions visent une ouverture aux biens et services, ainsi qu’aux marchés publics. L’accord devrait également contenir des dispositions sur un marché inclusif, comprenant des dispositions relatives à l’emploi, l’environnement, mais aussi en environnement.Footnote 45 Néanmoins, les tensions persistantes entre les États du Mercosur font planer un doute sur la capacité du bloc sud-américain à s’entendre sur le développement d’accords de libre-échange avec des États tiers. La rencontre des quatre partenaires, à Montevideo, fin 2022, a fait émerger des tensions qui tendent à se cristalliser.Footnote 46 Alors que le président uruguayen Luis Pacalle Lou déclarait vouloir s’ouvrir aux États tiers, référant au fait que la région est l’une des plus protectionnistes du monde,Footnote 47 le président argentin a déclaré que les divergences de point de vue des partenaires ne vont que s’intensifier.Footnote 48 Il a d’ailleurs insisté sur le fait que selon lui, ces tensions sont dues au fait que les quatre États ne se sont pas économiquement développés à la même vitesse et avec la même intensité.Footnote 49
ii. Négociations d’un accord de libre-échange avec l’Alliance pacifique
L’Alliance pacifique, composée du Chili, de la Colombie, du Mexique et du Pérou, a ouvert la voie à des négociations d’adhésion avec des États tiers. Le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie poursuivent de telles discussions, alors que Singapour a déjà réussi à rejoindre l’Alliance en juillet 2021.Footnote 50 Il s’agit du premier État non latino-américain à conclure un tel accord avec l’Alliance, ouvrant la porte à de potentiels autres accords. Le Canada entretient d’excellentes relations avec les quatre pays membres de l’Alliance pacifique: en octobre 2012, il est devenu le premier État observateur non latino-américain de l’organisation, puis est devenu le premier État observateur à signer une déclaration commune sur un partenariat visant à établir une coopération multisectorielle à long terme, incluant des domaines de coopération tels que la facilitation et la promotion du commerce, les petites et moyennes entreprises, l’exploitation responsable des ressources naturelles et l’environnement.Footnote 51 Les négociations entre le Canada et l’Alliance pacifique sont visiblement au beau fixe. D’ailleurs, Mary Ng, ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations, de la Petite Entreprise et du Développement économique, a participé au Sommet de l’Alliance du Pacifique.Footnote 52 Lors de cette rencontre, elle a “salué l’intérêt manifesté pour donner la priorité au cheminement du Canada vers le statut d’État associé.”Footnote 53
C. Europe
Les relations du Canada avec l’Europe sont excellentes. D’abord, les négociations avec le Royaume-Uni vont bon train. Ensuite, l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) fête ses cinq ans.Footnote 54 Enfin, le Canada a profité de 2022 pour démarrer des discussions au sujet de l’Accord de libre-échange avec l’Ukraine (ALÉCU).Footnote 55
i. Accord de libre-échange Canada – Royaume-Uni
En février 2022, le Canada a déposé son avis d’intention d’entamer des négociations en vue d’un nouvel ALE avec le Royaume-Uni.Footnote 56 En effet, on se rappellera qu’à la suite de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le Canada et le Royaume-Uni avaient conclu un accord de continuité commerciale qui reprenait essentiellement les engagements déjà prévus dans l’AECG, mais qui s’avérait provisoire le temps qu’un accord de libre-échange en bonne et due forme soit conclu. Les deux pays ont donc mené 4 rondes de négociation en 2022.Footnote 57
ii. AECG
Le 21 septembre 2022 marque les cinq ans de l’application provisoire de l’AECG. Footnote 58 Les échanges bilatéraux de marchandises ont augmenté de 31 pour cent en cinq ans.Footnote 59 Quant aux échanges de produits alimentaires et agricoles, ils ont augmenté de 41 pour cent. Les échanges de services entre le Canada et l’Union ont, eux, augmenté de 11 pour cent depuis l’entrée en vigueur provisoire de l’accord.Footnote 60 C’est un pari gagnant pour le Canada, qui a vu ses exportations de métaux de base vers l’Union européenne augmenter de 143 pour cent ou celles de minerais de 131 pour cent, et ce grâce à la suppression des droits de douane et le contrôle à l’exportation.Footnote 61
Il faut nuancer ces résultats pour rappeler que, cinq ans plus tard, l’AECG demeure au stade d’une entrée en vigueur provisoire. Pour rappel, en tant qu’accord mixte, tous les États Membres de l’Union doivent le ratifier afin qu’il entre en vigueur.Footnote 62 À ce jour, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Pologne et la Slovénie ne l’ont pas encore ratifié.Footnote 63
Au début du mois de décembre 2022, la ministre Ng et le vice-président exécutif de la Commission européenne et commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovkis, ont coprésidé la troisième réunion du Comité mixte de l’AECG. Footnote 64 Leur déclaration conjointe indique que les partenaires souhaitent avancer sur les questions restées non résolues avant d’arriver à une ratification complète de l’accord.Footnote 65
iii. Relations économiques du Canada et de l’Ukraine
Depuis le 11 juillet 2016, le Canada et l’Ukraine possèdent l’ALÉCU. Footnote 66 Le 27 janvier 2022, les deux pays ont annoncé lancer des négociations afin de moderniser leur accord,Footnote 67 comme prévu par l’article 19.2.Footnote 68
D. Afrique, Asie et Océanie
Le Canada travaille sur plusieurs dossiers et se tient notamment prêt à aider l’Afrique à mettre en œuvre l’Accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).Footnote 69 À ce titre, la Stratégie indopacifique sera désormais au cœur de la politique internationale canadienne. En parallèle, la ministre Mary Ng, a été mandatée de “saisir les occasions de libre-échange et de faire progresser la stratégie de diversification des exportations dans l’intérêt des consommateurs et des entreprises canadiens.”Footnote 70 Les discussions avec l’Inde, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et l’Indonésie sont positives. Seule ombre au tableau, les relations avec la Chine risquent de se détériorer encore plus avec la Stratégie indopacifique.
i. Zone de libre-échange continentale africaine
La ZLECAf a été signée par tous les États membres de l’Union africaine, à l’exception de l’Érythrée. Après une entrée en vigueur le 30 mai 2019,Footnote 71 les premiers échanges dans le cadre de l’accord ont démarré le 1er janvier 2021.Footnote 72 Selon la Banque mondiale, la ZLECAf pourra “apporter des avantages économiques et sociaux importants,” permettant ainsi d’augmenter les revenus régionaux de 9 pour cent.Footnote 73 Le premier Dialogue de haut niveau entre le Canada et la Commission de l’Union africaine a eu lieu les 27 et 28 octobre 2022, à Ottawa.Footnote 74 À l’occasion de cette rencontre, le Canada a réitéré sa disponibilité pour aider l’Union africaine à mettre en œuvre la ZLECAf. Footnote 75
ii. Adhésion du Royaume-Uni à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP)
Le processus d’adhésion du Royaume-Uni au PTPGP a été amorcé dès 2021.Footnote 76 Depuis, le premier ministre Trudeau a rencontré Rishi Sunak, le premier ministre du Royaume-Uni nouvellement élu.Footnote 77 Au cours de la rencontre, le Canada a réitéré son appui à l’adhésion du Royaume-Uni au PTPGP, faisant des négociations à ce sujet une priorité.Footnote 78
iii. Relations du Canada avec la Chine
Les relations entre le Canada et la Chine sont toujours tendues. Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, a rencontré son homologue Wang Yi, conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères de la Chine, le 5 avril 2022 à Berlin.Footnote 79 Au cours de cet échange, les ministres ont abordé les défis des dernières annéesFootnote 80 tout en discutant de “pistes de collaboration […] dans des domaines d’intérêt commun.”Footnote 81 La ministre Joly a renouvelé les inquiétudes du Canada au sujet des violations des droits de la personne dans la région du Xianjiang.Footnote 82
Ce qui marque les relations entre le Canada et la Chine en 2022 reste toutefois l’annonce de la ministre Mélanie Joly, d’une Stratégie Info-Pacifique qui tend à s’éloigner drastiquement de la Chine.Footnote 83 La déclaration de la ministre est sans équivoque sur la position du Canada: “La Chine est une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice. […] Le Canada ne s’excusera pas pour ses intérêts nationaux. On ne s’excusera pas de chercher à faire respecter les règles mondiales qui régissent le commerce international, les droits de la personne dans le monde.”Footnote 84 En plus de cette position déjà fortement marquée du Gouvernement canadien, la ministre a invité les entreprises canadiennes qui ont des relations commerciales avec la Chine à faire preuve de prudence dans leurs affaires avec le partenaire. En sus, comme décrit plus haut, le Canada a ordonné à la fin de l’année 2022 à trois entreprises chinoises de retirer leur participation dans des entreprises exploitant les minéraux critiques.Footnote 85 C’est une véritable offensive du Canada dans des relations avec la Chine déjà tendues.
iv. Pourparlers avec l’Inde
Les pourparlers entre le Canada et l’Inde au sujet de l’élaboration d’un ALE ont repris à vive allure en 2021. Depuis, les discussions sont encourageantes. Le 11 mars 2022, les deux États se sont retrouvés à New Delhi pour le cinquième Dialogue ministériel sur le commerce et l’investissement.Footnote 86 Étant donné que les relations économiques entre les deux partenaires sont bonnes et complémentaires, la ministre Ng et le ministre indien du Commerce et de l’Industrie, de la Consommation et de l’Alimentation, et de la Distribution au public et des Textiles, Shri Piyush Goyal, ont convenu d’envisager un accord intérimaire ou un accord commercial des premiers progrès.Footnote 87 Cette proposition vise à améliorer les relations commerciales le plus rapidement, mais de manière transitoire, en attendant d’adopter un accord de partenariat économique global. Plusieurs rencontres virtuelles ont eu lieu au courant de l’année 2022 pour faire avancer les négociations.Footnote 88 Un cinquième cycle de négociation a eu lieu du 14 au 24 novembre 2022. Il ressort de ces rencontres un fossé important sur des questions qui sont au cœur des préoccupations du Canada. Par exemple, le Canada et l’Inde ne semblent pas avancer sur les questions environnementales, du travail et en matière d’accès au marché des services. Fait préoccupant, les négociateurs ne semblent pas investis de la marge de manœuvre nécessaire en matière agricole.Footnote 89
v. Accord de libre-échange avec l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est
L’ANASE, composée de 10 États (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam)Footnote 90 est devenue le quatrième plus grand partenaire commercial du Canada.Footnote 91 Les échanges bilatéraux de marchandises ont représenté plus de 31,6 milliards de dollars, valeur qui n’a fait que s’accroitre ces dernières années.Footnote 92 En 2021, le Canada a annoncé démarrer des négociations avec l’ANASE en vue de l’établissement d’un ALE,Footnote 93 après avoir conduit des études de faisabilité qui indiquent qu’un accord entre ces deux partenaires serait très profitable à l’un comme à l’autre.Footnote 94 Deux rencontres ont eu lieu en août 2022 et en novembre 2022;Footnote 95 la prochaine rencontre est prévue pour mars 2023.Footnote 96 Signe que les négociations vont bon train, Justin Trudeau a annoncé un financement à hauteur de 24,1 millions de dollars sur cinq ans afin d’établir un réseau canadien amélioré en Asie du Sud-Est.
vi. Consultation sur un accord de libre-échange avec l’Indonésie
En marge des négociations avec l’ANASE, le Canada négocie aussi directement avec l’Indonésie un Accord de partenariat économique global, dont les négociations ont officiellement commencé en juin 2021.Footnote 97 L’Indonésie est le plus important marché d’exportation du Canada dans la région, totalisant 1,8 milliard de dollars en 2020.Footnote 98 Les exportations se concentrent essentiellement sur la pâte de bois, les engrais, les céréales, les graines oléagineuses et les machines. En plus des exportations de marchandises, les relations économiques des deux États sont au beau fixe en matière de services. Les chiffres les plus récents indiquent qu’en 2019, les exportations canadiennes de service vers l’Indonésie se montaient à 192 millions de dollars.Footnote 99 Au 10 novembre 2022, trois cycles de négociation avaient eu lieu en ligne. Les deux États en sont à discuter du texte en soi. Au niveau du commerce des services, il semble y avoir des perspectives divergentes quant à la forme de la liste (positive ou négative) et l’Indonésie semble inflexible. Elle s’oppose aussi à inclure un chapitre sur l’environnement, alors qu’elle se dit ouverte à la question des normes du travail. Toutefois, les discussions sur ce dernier point ont lieu au sein d’un groupe d’experts et non dans le cadre d’une table officielle de négociation.Footnote 100
3. Contentieux commerciaux découlant des ALE impliquant le Canada
Sans surprise, les contentieux du bois d’œuvre et du lait ont fait l’objet de développements dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain par l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM).Footnote 101 Fait notoire, l’affaire du lait fait aussi l’objet de la toute première procédure de règlement des différends dans le cadre du PTPGP.
A. ACÉUM: Mesures compensatoires visant le bois d’œuvre résineux en provenance du Canada
Le 28 septembre 2020, les États-Unis portaient en appel le rapport du Groupe spécial de l’OMC chargé d’analyser la plainte du Canada relativement aux droits compensateurs appliqués par les États-Unis sur le bois d’œuvre canadien.Footnote 102 En raison de la paralysie de l’Organe d’appel de l’OMC, cette affaire demeure en suspens depuis. En novembre 2021, les États-Unis décidaient de doubler les droits compensateurs perçus sur le bois canadien.Footnote 103 Bien que ceux-ci avaient considérablement diminué durant l’année 2022, la ministre a néanmoins annoncé la saisine du mécanisme de règlement des différends de l’ACÉUM à la fin de l’étéFootnote 104 en raison des dommages que ces droits causent ainsi que de leur imprévisibilité.Footnote 105 La saga du bois d’œuvre se transportera donc du côté de l’ACÉUM.
B. ACÉUM: Plainte des États-Unis sur les mesures d’allocation de contingents tarifaires pour les produits laitiers au Canada
L’administration Biden avait demandé la constitution d’un groupe spécial en mai 2021 conformément à l’article 31.6 de l’ACÉUM à l’égard de la manière dont le Canada permettait l’importation de certains produits laitiers. Le Groupe spécial a rendu sa décision le 4 janvier 2022.
En vertu de l’ACÉUM, le Canada a accepté d’importer en franchise de droit de douane 14 produits laitiers (lait, crème, yogourt, beurre, etc.). Toutefois, pour importer ces produits laitiers américains, une licence d’importation est nécessaire. Ces dernières sont au cœur du différend entre le Canada et les États-Unis. Plus précisément, les États-Unis attaquent la manière dont le Canada permet l’octroi de ces licences. En fait, le Canada a octroyé environ 85 pour cent de ces licences aux transformateurs canadiens. Ce sont donc essentiellement ces derniers qui ont été responsables de déterminer les produits américains à être importés, selon leurs besoins.
Les États-Unis ont contesté cette façon de faire du Canada, notamment sur la base de l’article 11 de l’Annexe sur le lait (3 A2)) de l’ACÉUM. Ce dernier prévoit que:
Une Partie qui administre un contingent tarifaire assujetti à un mécanisme d’attribution fait en sorte que:
[…]
b) à moins qu’il n’en soit convenu autrement par les Parties, de n’attribuer aucune part d’un contingent à un groupe de producteurs, de ne pas subordonner l’attribution d’une part de contingent à l’achat de sa production intérieure ou de ne pas limiter l’attribution d’une part de contingent aux transformateurs. [Nous soulignons]
Sans surprise, le Groupe spécial a conclu que le Canada contrevenait à cette disposition. Selon le Groupe spécial, les allocations réservées aux transformateurs sont réservées à eux seuls et personne d’autre que ces transformateurs ne peuvent faire une demande. “L’accès est donc limité aux transformateurs” contrairement à ce que prévoit l’Accord.Footnote 106
Le Canada a donc perdu cette première affaire du lait.Footnote 107 Il faut néanmoins souligner que cette affaire a été l’occasion d’une grande victoire pour le Canada. En effet, il a eu la confirmation que son système de gestion de l’offre n’était ni contesté par les États-UnisFootnote 108 ni remis en cause par le Groupe spécial: “Le Groupe spécial ne remet pas en question l’intérêt du Canada à réguler l’offre et la demande au sein de son industrie laitière, notamment en s’efforçant d’assurer la prévisibilité des importations.”Footnote 109
Le Canada avait 45 jours à partir du 20 décembre 2021, date de remise confidentielle du rapport, pour modifier la manière dont les contingents tarifaires étaient octroyés. Le Canada a annoncé le 16 mai 2022 une nouvelle procédure.Footnote 110 Essentiellement le Canada a supprimé les groupes de détenteurs d’allocations de contingents tarifaires et a fait en sorte que les distributeurs puissent être admissibles aux contingents tarifaires en ce qui concerne le fromage industriel.Footnote 111 Le 20 décembre 2022, les États-Unis ont annoncé avoir “identifié des aspects additionnels dans les mesures canadiennes qui paraissent en contradiction avec les obligations du Canada dans le cadre de l’accord.”Footnote 112 Nous risquons donc de reparler de cette affaire dans notre chronique 2023.
C. PTPGP: Plainte de la Nouvelle-Zélande sur les mesures d’allocation de contingents tarifaires pour les produits laitiers au Canada
Le 12 mai 2022, la Nouvelle-Zélande a demandé l’ouverture de consultations avec le Canada au sujet de l’octroi des contingents tarifaires en matière de produits laitiers en vertu du PTPGP. Essentiellement, la Nouvelle-Zélande formule les mêmes reproches que les États-Unis à propos du système d’octroi des licences par le Canada.
Le 12 mai 2022, la Nouvelle-Zélande a officiellement présenté un différend dans le cadre du PTPGP, demandant des consultations avec le gouvernement canadien concernant la mise en œuvre par le Canada de ses obligations en matière de contingents tarifaires pour les produits laitiers. Puisque les parties ne sont pas parvenues pas à résoudre le différend au moyen de consultations, la Nouvelle-Zélande a officiellement demandé la création d’un groupe spécial à la mi-novembre, devenant le premier pays à saisir le mécanisme de règlement des différends du PTPGP. Footnote 113
4. Les développements dans le système commercial multilatéral
L’année 2022 a été marquée par un événement attendu, la douzième Conférence ministérielle de Genève. Cette rencontre a été particulièrement fructueuse avec l’adoption du “Paquet de Genève.” Le Groupe d’Ottawa a également eu l’occasion de se rencontrer à plusieurs reprises. Enfin, l’année 2022 est marquée par la première sentence rendue dans le cadre de l’arrangement multipartite provisoire d’arbitrage.
A. La Conférence ministérielle (CM) 12 de Genève
Après plusieurs reports dus à l’absence d’avancées significatives et ensuite à la COVID-19, les Membres de l’OMC ont enfin pu tenir la 12e Conférence ministérielle du 12 au 17 juin 2022. Bien qu’elle se soit finalement tenue à Genève, elle a été présidée par Timur Suleimenov du Kazakhstan, qui devait accueillir la conférence en juin 2020. Cette Conférence ministérielle marquera l’histoire de l’OMC tant d’un point de vue de la méthode de négociation qu’au regard du résultat obtenu.
i. Des méthodes de négociation revisitées
Dans les dernières années, les Membres de l’OMC ont fait preuve d’une capacité d’adaptation importante qui les a menés à des résultats probants. C’est notamment en abandonnant le principe de l’engagement unique qu’ils ont pu adopter le paquet de Bali en 2013 et régler une portion du programme de Doha. C’est aussi en faisant preuve de flexibilité qu’ils ont été en mesure de négocier de nouveaux sujets depuis Buenos Aires dans le cadre des Initiatives conjointes plurilatérales. La CM12 a aussi été le théâtre de nouvelles approches.
La Ministérielle a définitivement été teintée par la personnalité de la nouvelle directrice générale, madame Ngosi Okonjo-Iwaela. En effet, cette dernière s’est souvent prononcée sur l’inefficacité des méthodes de négociation à l’OMC, appelant les Membres à modifier leurs façons de faire. Elle a ainsi modifié dès le début la pratique: au lieu que soit consacré un temps important aux discours souvent monotones et convenus des délégués, ceux-ci les ont mis en ligne sur internet.Footnote 114 Il est vrai que ces séances plénières étaient la plupart du temps tenues dans des salles presque vides et qu’elles forçaient les délégués à quitter certaines séances de négociation importantes. Cette économie de temps a permis aux délégués de négocier dès le début de la Conférence et à temps plein.
Autre élément notable: la directrice générale a mis une pression importante sur les Membres pour qu’ils renoncent à la pratique du “donnant-donnant” sur l’ensemble des questions à l’ordre du jour, leur demandant de plutôt trouver des compromis au sein même d’une question:Footnote 115 “Sometimes, all this leveraging and cross connections between outcomes I think in the past has led to the failure to achieve anything, because then everything just doesn’t work and collapses. I was really determined from the get-go that wasn’t going to happen and I was trying to discourage members from linking one thing to another.”Footnote 116
Cette demande a porté ses fruits puisque de nombreux textes ont réussi à être adoptés, bien qu’avec d’évidents compromis. Il faut aussi noter que l’Inde a continué à jouer suivant les règles traditionnelles du jeu en menaçant de refuser de reconduire le moratoire sur le commerce électronique lorsqu’il a été question de la question qui l’intéressait, les subventions agricoles.
ii. Les résultats de la CM12
Après quelques moments d’incertitude et une prolongation de deux jours des pourparlers, cette Conférence ministérielle peut être considérée comme ayant produit des résultats significatifs, prenant la forme du “paquet de Genève.”Footnote 117 Il s’agit de neuf textes, donc six sont des décisions et trois des déclarations.
Résultat du travail acharné de la nouvelle directrice générale, Ngosi Okonjo-Iwaela, et de son initiative à inviter l’industrie pharmaceutique dans l’enceinte de l’OMC, une décision importante a finalement été adoptée en lien avec la capacité des pays en développement à s’approvisionner en vaccin contre la COVID-19. Les Membres ont en effet accepté de mettre en place une dérogation partielle — les outils de diagnostic et de traitement contre la COVID-19 n’étant pas couverts — permettant aux pays en développement de recourir au régime de licence obligatoire pour s’approvisionner. En outre, les Membres ont adopté une Déclaration ministérielle sur la réponse de l’OMC à la pandémie.Footnote 118 Suivant celle-ci, les différents organes de l’OMC tenteront dans les prochaines années de comprendre comment les règles de l’OMC ont pu aider les États durant la pandémie et quel peut être leur rôle à l’avenir si une nouvelle pandémie survient. Plus spécifiquement, la Déclaration appelle les organes de l’OMC à “élaborer rapidement des solutions efficaces […] y compris en ce qui concerne la balance des paiements, le développement, les restrictions à l’exportation, la sécurité alimentaire, la propriété intellectuelle, la coopération en matière de réglementation, les services, la classification tarifaire, le transfert de technologie, la facilitation des échanges et la transparence.”Footnote 119
Les Membres ont aussi réussi à adopter un nouveau Traité international relatif aux subventions à la pêche qu’ils négociaient depuis plus de vingt ans.Footnote 120 Ce dernier met fin aux subventions à la pêche “illicite, non déclarée et non réglementée” (INN) ainsi qu’à la pêche des stocks surexploités.Footnote 121 Un compromis a finalement été trouvé permettant d’exempter pendant deux ans les subventions octroyées par les pays en développement pour la pêche dans leur zone économie exclusive.Footnote 122 En outre, aucune subvention ne sera accordée ou maintenue en haute mer, à moins d’être réglementée par une organisation de gestion des pêcheries.Footnote 123 L’Accord crée un Comité des subventions à la pêche, une obligation de notification et de transparence ainsi qu’un mécanisme de financement volontaire.Footnote 124 Si cet Accord n’a pas l’ambition souhaitée, c’est que les Membres ont décidé d’adopter une version faisant consensus et de se donner rendez-vous rapidement pour le faire évoluer. Il prévoit d’ailleurs d’être abrogé si au terme d’un délai de quatre ans à compter de son entrée en vigueur, il n’est pas complété par des “disciplines complètes.”Footnote 125 À cet égard, l’Accord entrera en vigueur lorsque les deux tiers des Membres l’auront accepté et ne s’appliquera qu’à leur égard.Footnote 126
Malgré plusieurs tergiversations, les Membres de l’OMC ont reconduit le moratoire sur les droits de douane sur les transmissions électroniques jusqu’à la prochaine Conférence ministérielle, et au plus tard au 31 mars 2024.Footnote 127
En matière de sécurité alimentaire, deux textes ont été adoptés afin de répondre à la crise alimentaire ambiante provoquée en grande partie par l’agression de la Fédération de Russie envers l’Ukraine.Footnote 128 Par la Déclaration ministérielle sur la réponse urgente à l’insécurité alimentaire, les Membres reconnaissent le rôle du commerce sur la sécurité alimentaire mondiale et “s’engage[nt] à prendre des dispositions concrètes pour faciliter les échanges et améliorer le fonctionnement et la résilience à long terme des marchés mondiaux.”Footnote 129 La Décision ministérielle prévoit quant à elle que “[l]es Membres n’imposeront pas de prohibitions ou de restrictions à l’exportation de produits alimentaires achetés à des fins humanitaires non commerciales par le PAM.”Footnote 130
Concernant la réforme de l’OMC, les Membres n’ont fait aucune avancée significative, mise à part celle de reconnaître explicitement au sein de la Déclaration ministérielle le besoin de réformer l’organisation, et ce, dans toutes ses fonctions.Footnote 131 Quant à l’organe de règlement des différends, ils se sont engagés à “mener des discussions en vue de disposer d’un système de règlement des différends pleinement opérationnel et qui fonctionne bien, accessible à tous les Membres, pour 2024.”Footnote 132
Enfin, fait notable, les Membres ont reconnu dans le document final de la CM12 les “défis environnementaux mondiaux, y compris le changement climatique et les catastrophes naturelles qu’il provoque, la perte de biodiversité et la pollution,” en plus de noter “l’importance de la contribution du système commercial multilatéral à la promotion du programme à l’horizon 2030 des Nations Unies et de ses objectifs de développement durable dans leur dimension économique, social et environnemental.”Footnote 133 La reconnaissance des changements climatiques comme défi global au sein d’un texte adopté par consensus s’avère une première à l’OMC.
B. Groupe d’Ottawa et réforme de l’OMC
Le début d’année 2022 a démarré sur les charbons ardents pour le Groupe d’Ottawa. Pour rappel, ce Groupe est dirigé par le Canada et réunit quatorze Membres de l’OMC partageant des positions similaires (Australie, Brésil, Canada, Chili, Union européenne, Japon, Kenya, Corée du Sud, Mexique, Nouvelle-Zélande, Norvège, Singapour, Suisse et Royaume-Uni).Footnote 134 Ce Groupe vise à “apporter des idées et à fournir des analyses pour favoriser la réalisation de réformes significatives, réalistes et pragmatiques de l’OMC.”Footnote 135 Parmi les questions discutées, on retrouve la revitalisation de la fonction de négociation, le renforcement de la fonction délibérative de l’OMC ou encore la sauvegarde et le renforcement du mécanisme de règlement des différends.Footnote 136
Le Groupe s’est rencontré le 20 janvier 2022, pour une première réunion virtuelle en présence de la directrice générale de l’OMC.Footnote 137 Au cours de cette première réunion, les Membres ont convenu de poursuivre leurs travaux afin d’atteindre des résultats tangibles concernant le commerce et la santé, la réforme de l’OMC, mais aussi sur la question des subventions à la pêche et à l’agriculture.Footnote 138 La ministre Ng a présidé une deuxième réunion virtuelle du Groupe d’Ottawa le 16 décembre 2022, afin d’aborder les progrès réalisés au cours de l’année et de dessiner la voie vers la 13e Conférence ministérielle de l’OMC.Footnote 139
Fait notable, la ministre Ng a cité les travaux du Groupe d’Ottawa lors de la session de l’OMC sur les défis auxquels fait face le système commercial multilatéral. Elle déclarait au sujet du règlement des différends: “Nous devrions être ouverts aux réformes, qu’elles soient petites ou grandes — bref, nous devrions être ouverts à tout ce qui nous aiderait à mieux fonctionner.”Footnote 140
C. L’arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire
En avril 2020, pour faire face au blocage de l’Organe d’appel, entre autres à l’initiative du Canada, dix-neuf Membres de l’OMC ont conclu une entente provisoire sur la base de l’article 25 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends:Footnote 141 L’Arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire conformément à l’article 25 du Mémorandum d’accord (AMPA).Footnote 142 Aujourd’hui, ils sont 136 Membres à l’avoir accepté.
Une première sentence arbitrale a été rendue le 21 décembre 2022 dans le cadre de l’AMPA. Il s’agit de l’appel du rapport du Groupe spécial dans l’affaire Colombie – Droits antidumping sur les frites congelées originaires de Belgique, Allemagne et Pays-Bas, déposé le 6 octobre 2022 par la Colombie.Footnote 143 Fait important, les arbitres ont renversé une des conclusions du Groupe spécial. Comme le fait remarquer Joost Pauwelyn, cette décision a prouvé que ce mécanisme pouvait être opérationnel, sans que les préoccupations émises par certains ne se concrétisent.Footnote 144 On sait donc aujourd’hui qu’en dépit du blocage des États-Unis quant à la nomination de nouveaux Membres et jusqu’à ce que des avancées sur la réforme de l’Organe d’appel ne fassent l’objet d’un consensus, un nombre important de différends pourront être menés à terme.
5. Contentieux commercial impliquant le Canada
De manière assez inusitée, en 2022, le Canada n’a été impliqué dans aucune nouvelle affaire portée devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC, que ce soit à titre de plaignant, de défendeur ou de tierce partie. Il n’en demeure pas moins que quelques affaires ont suscité un intérêt pour le Canada.
A. États-Unis — Produits en acier en aluminium
Dans la saga visant les surtaxes douanières sur l’aluminium et l’acier imposées par l’administration Trump au printemps 2018, le Groupe spécial a enfin rendu ses rapports dans les affaires encore pendantes. On se rappellera qu’initialement 9 plaintes avaient été déposées devant l’ORD de l’OMC, dont une du Canada. Si plusieurs de celles-ci ont été retirées à la suite d’ententes bilatérales,Footnote 145 quatre ont suivi leur cours. Il s’agit de la plainte de la Chine, de la Norvège, de la Suisse et de la Turquie.Footnote 146 C’est ainsi que le 9 décembre 2022, plus de quatre ans après sa constitution, le Groupe spécial a distribué ses rapports. Le traitement du Groupe spécial présente un intérêt pour le Canada dans la mesure où les États-Unis invoquent l’exception de sécurité nationale, en offrant une interprétation extrêmement large, ce qui pouvait laisser craindre que les États-Unis l’invoquent à nouveau à l’égard du Canada. Selon les États-Unis, l’exception de sécurité nationale relève de l’entière discrétion des États et échappe de ce fait à l’appréciation des groupes spéciaux:
Les États-Unis font observer que le Groupe spécial devrait limiter ses constatations en l’espèce à la reconnaissance de l’invocation de l’article XXI b) car “[l]e texte de [la disposition], dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de l’Accord, établit que l’exception est fondée sur une autonomie de jugement. […] la seule exigence pour le Membre qui invoque l’article XXI est qu’il estime qu’une mesure particulière est nécessaire à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité dans l’une quelconque des circonstances identifiées dans l’article XXI b).”Footnote 147.
Se fondant sur la règle d’interprétation des traités prévue à l’article 31.1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités et après avoir pris en compte les arguments majoritairement grammaticaux des parties, le Groupe spécial a complètement rejeté une telle interprétation.Footnote 148 Il estime en effet que considérant son exercice d’interprétation,Footnote 149 mais aussi en tenant compte du contexte,Footnote 150 l’objet et du but de l’accord instituant l’OMC et de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT),Footnote 151 et de l’absence d’indication claire dans les travaux préparatoires ou autres documents historiques soutenant les arguments américains,Footnote 152 l’article XXI(b) du GATT n’est pas fondé sur une “autonomie de jugement” et n’est pas “non justiciable.”Footnote 153 Autrement dit, si l’article XXI (b) du GATT “donne aux Membres le pouvoir discrétionnaire de prendre les mesures qu’ils estiment nécessaires à la protection des intérêts essentiels de [leur] sécurité,” ce pouvoir doit s’exercer à l’intérieur des balises fixées par les alinéas (i) à (iii) et est susceptible d’examen de la part des groupes spéciaux.Footnote 154
Cette conclusion mène le Groupe spécial à analyser l’argument des États-Unis au soutien de l’invocation de l’article XXI (b) (iii), soit l’existence d’une guerre ou d’une grave tension internationale. Il conclut que les mesures n’ont pas été appliquées en temps de guerre et que la situation “n’atteint pas le niveau de gravité ou de sévérité des tensions sur le plan international requis pour constituer une ‘grave tension internationale’ lors de laquelle un Membre peut agir au titre de l’article XXI (b) (iii).”Footnote 155
Si cette interprétation peut apparaître rigide et limitative,Footnote 156 elle a néanmoins le mérite de délimiter l’invocation de l’exception de sécurité nationale. On se rappellera en effet que le risque invoqué pour protéger la sécurité nationale des États-Unis découlait d’allégations relatives à des importations excessives d’acier et d’aluminium, à leur impact sur le bien-être économique de l’industrie de ces secteurs et de la capacité excédentaire mondiale de ces produits. On peut comprendre que le Groupe spécial n’ait pas considéré la situation comme assimilable à celle de l’Ukraine et de la Russie, qui avait auparavant été considérée comme assimilable à une guerre ou une grave tension internationale.Footnote 157
En janvier 2023, les États-Unis ont notifié leur intention de faire appel des quatre rapports.Footnote 158 Considérant que les États-Unis n’ont pas accepté la procédure de l’AMPA et que l’Organe d’appel ne peut plus fonctionner depuis décembre 2019, les rapports ne connaîtront pas de suite précise tant que la situation ne sera pas débloquée.
B. Chine – Mesures concernant l’importation de graines de canola en provenance du Canada
Alors que le 24 septembre 2021, le Canada et la Chine ont indiqué à l’Organe de règlement des différends (ORD) qu’ils s’accordaient sur la procédure d’arbitrage de l’article 25 du Mémorandum d’accord pour ce différend, le Canada a demandé le 25 août 2022 la suspension des travaux du Groupe special.Footnote 159 Cette demande a été accueillie favorablement par la Chine. Ainsi, le Groupe spécial a suspendu ses travaux sur ce différend à compter du 30 août 2022. Notons que le président du Groupe spécial avait informé l’ORD, en date du 13 juin 2022, que le Groupe spécial ne rendrait pas son rapport final avant la fin de l’année 2022. La suspension, au sens de l’article 12:12 du Mémorandum d’accord, ne peut pas excéder une période de 12 mois.
Pour rappel, le Canada avait demandé la constitution d’un Groupe spécial en juin 2021, au sujet de deux séries de mesures prises par la Chine: la première série concerne la suspension de l’importation de graines de canola en provenance de deux sociétés canadiennes; la seconde, quant à elle, porte sur les mesures visant à effectuer des inspections renforcées à toutes les importations de graines de canola en provenance du Canada.Footnote 160 Pour justifier l’adoption de ces mesures, la Chine alléguait qu’elle avait détecté des parasites dans des cargaisons de canola. La suspension demandée est surement corrélative avec la levée par le Chine des restrictions sur les importations de canola, qui s’est produite en mai 2022. D’ailleurs, la ministre Ng et la ministre Bibeau ont déclaré que “[l]e Canada soutiendra toujours fermement le système commercial international fondé sur des règles et les mécanismes connexes de règlement des différends, ainsi qu’une approche axée sur la science pour régler ce genre de questions.”Footnote 161
6. Conclusion
Si tous les éléments précédents ont participé à une année riche pour le commerce international, plusieurs éléments méritent d’être une nouvelle fois soulignés. D’abord, le fait que la douzième Conférence ministérielle ait produit autant de fruits laisse présager le meilleur pour l’avenir du multilatéralisme sous l’égide de l’OMC. Espérons que sa directrice générale continuera de souffler un vent ambitieux et de prospérité sur les relations multilatérales de son organisation. Ensuite, du côté des activités canadiennes, fort est de constater que le gouvernement canadien a frappé fort pour réorienter ses ambitions, en adoptant une Stratégie indopacifique, qui bousculera ses orientations politiques.
A. Conduite responsable des entreprises à l’étranger
D’autres dossiers touchant les relations commerciales du Canada devraient faire l’objet de notre attention particulière dans un futur proche. En avril 2022, le Canada a dévoilé sa stratégie quinquennale (2022–2027) intitulée “Conduite responsable des entreprises à l’étranger: Stratégie du Canada pour l’avenir.”Footnote 162 Cette politique établit les priorités du Canada pour soutenir les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger et intègre des mesures concernant la gestion des risques pour l’environnement, les personnes et la société, et notamment tout au long de la chaine d’approvisionnement des entreprises.Footnote 163 Les mesures intégrées à la Stratégie concerne le respect des droits de la personne, le respect des gouvernements locaux et communautés locales, la conduite du commerce responsable, à la fois en termes environnementaux que sociaux, et l’adoption de pratiques exemplaires à l’échelle internationale en matière de lutte contre le travail forcé et la corruption.Footnote 164 Cette Stratégie est particulièrement importante car elle accompagne la Stratégie de diversification commerciale du Canada, qui prévoit un commerce inclusif et une croissance économique marquée par la durabilité. Il faut s’attendre à des développements concernant la mise en œuvre de cette stratégie.
B. Ajustement carbone aux frontières
Enfin, nous avions annoncé dans la dernière chronique l’adoption imminente du mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières par l’Union européenne. Ce dernier, adopté le 13 décembre 2022,Footnote 165 s’appliquera à compter du 1er octobre 2023, pour une période transitoire durant laquelle les importateurs devront procéder à de simples déclarations. Cette période transitoire vise à huiler le mécanisme, dont la partie taxation entrera partiellement en vigueur d’ici 2027. Ce mécanisme doit aligner les prix du carbone payé pour les produits fabriqués par les industries européennes avec celui des marchandises importées. Il s’appliquera au secteur du fer et de l’acier, du ciment, de l’aluminium, des engrais, de l’électricité, de l’hydrogène et à certains produits finaux comme les boulons. Le Canada regarde de près l’initiative européenne. À ce titre, le Canada et l’Union européenne ont fait une déclaration conjointe le 16 mai 2022, lors de laquelle ils indiquaient souhaiter “coordonner leurs approches respectives en matière de tarification de carbone et d’ajustement carbone aux frontières de manière à éviter les fuites de carbone selon des modalités compatibles avec l’OMC et à accélérer l’action mondiale pour le climat.”Footnote 166 Pour rappel, depuis 2020, le Canada explore la possibilité d’adopter un mécanisme similaire et à même procédé à des consultations publiques.Footnote 167 Quoiqu’il en soit, les entreprises canadiennes vont devoir s’ajuster à cette nouvelle réalité.