Les travaux descriptifs traitant du statut phonologique et de la distribution du segment [Ɣ] en créole haïtien achoppent presque toujours sur un paradoxe. Il s’agit du comportement de ce dernier dans l’environnement phonique d’un segment [+arrondi]. Les études les plus pertinentes, d’Ans (1968:72), Tinelli (1970:64), Valdman (1978:56) et Dejean (1980:97) pour ne citer que celles-là, s’accordent à reconnaître dans ce contexte l’existence d’un changement dans les réalisations de surface du phonème /Ɣ/ et à mettre en relief le caractère lacunaire de sa distribution. Dejean attribue ce changement à la transformation des mots français à séquence r + [+arrondi] en [w]. Tinelli voit plutôt un processus de labialisation de /Ɣ/ dans ce même contexte. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la caractérisation formelle du phénomène est présentée comme une propriété particulière du créole haïtien et non comme le résultat d’un processus phonologique universel. Lowenstamm (1981), citant Karl Popper, définit le contenu informatif d’une théorie comme la classe des possibilités qu’elle exclut. En d’autres termes, une théorie nous permet de cerner de plus près l’objet de notre étude si elle a pour résultat de réduire le nombre des analyses possibles pour un ensemble de faits. C’est dans cette optique que nous désirons discuter de l’opposition /Ɣ/ : /w/ en créole haïtien à travers les développements récents de la théorie phonologique.