Article contents
Gersonide, le pseudo-Tūsi, et le postulat des paralléles.
Les mathématiques en hébreu et leurs sources arabes*
Published online by Cambridge University Press: 24 October 2008
Abstract
Euclid's Elements were translated into Hebrew from Arabic in the 13th century; but precious few of the Arabic commentaries have come down to us in a Hebrew version (al-Fārābī, Ibn al-Hayṯam). Nonetheless, a study of several texts dealing with the Fifth Postulate (the Parallel Postulate) of Book I reveals that the Hebrew authors are greatly indebted to Arabic sources.
We shall examine three attempted proofs of the Parallel Postulate. The two attempts by Moses ha-Levi of Seville (13th century) and Alfonso of Valladolid (14th century) are mathematically unconvincing. Nevertheless they are interesting historically: Moses ha-Levi exploits the movement of lines which are infinite in actu; and Alfonso, starting from a critique of Ibn al-Hayṯam and al-Nayrīzī, claims to innovate in the use of the method of superposition.
In contrast, Gersonides' attempt (14th century) is a well-articulated series of premises and proofs, including several arguments which we have traced back to the Taḥrīr Uṣūl Uqlīdis of Pseudo-Ṭūsī. We feel it is important to emphasize this relationship, even though it is impossible to establish the route by which these arguments found their way to Gersonides.
Les Éléments d'Euclide furent traduits en hébreu au XIIIe siècle, à partir de l'arabe. Parmi les nombreux commentaires arabes de cet ouvrage, fort peu nous sont connus en version hébraïque (al-Fārābī, Ibn al-Haytam). L'étude de plusieurs écrits relatifs au cinquième postulat du Livre I (le postulat des parallèles) fait toutefoîs apparaitre un recours assez large à des sources arabes.
On étudie ici trois tentatives de démonstration du postulat des parallèles. Deux d'entre elles, celle de Moïse ha-Lévi de Séville (XIIIe siécle) et celle d'Alfonso de Valladolid (XIVe siècle), ne sont guère convaincantes du point de vue mathématique, mais ne manquent pas d'intérêt sur le plan historique; la première met en jeu le mouvement de droites infinies en acte; la deuxième prétend renouveler l'usage de la méthode de superposition, à partir d'une critique d'Ibn al-Hayṯam et d'al-Nayrīzī.
La démonstration proposée par Gersonide (XIVe siècle) se présente, en revanche, comme un ensemble bien articulé de prémisses et de preuves. Parmi les sources possibles du développement de Gersonide, nous avons identifié plusieurs arguments figurant dans le Taḥfīr Uṣūl Uqtīdis du Pseudo-Ṭūsī. Même s'il est impossible de préciser par quel biais Gersonide a pu avoir accès à cette argumentation, il a paru important de relever ce rapprochement.
- Type
- Research Article
- Information
- Copyright
- Copyright © Cambridge University Press 1992
References
1 Le commentaire d'al-Fārābī sur les définitions des livres I et V a été récemment édité (texte arabe, version hébraïque de Moïse ibn Tibbon, traduction française et commentaires) par Freudenthal, G., “La philosophie de la géométrie d'al-Fārābī,” Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 11 (1988): 104–219.Google Scholar Le commentaire d'Ibn al-Haytam sur les définitions et postulats des Éléments a été traduit en hébreu (partiellement) deux fois au Moyen Age: Moïse ibn Tibbon en a traduit, en 1270, les parties consacrées aux livres V, VI, VII, X, XI [Steinschneider, M., Die Hebräischen Übersetzungen des Mittelalters und die Juden als Dolmetscher (Berlin, 1893); réimpr.Google Scholar (Graz, 1956), p. 510]; et Qalonymos ben Qalonymos, en 1314, a traduit le commentaire du livre X [id., Mathematik bei den Juden, 1893–1901; réimpr. (Hildesheim, 1964), p.125].Google Scholar
2 Paris, Bibliothèque Nationale (BN), MS Zotenberg, Heb. 1050, fol. 55a; Londres, Beyt ha-Midrash, MS 138, fol. 92a; Oxford, Bodleian, MS Neubauer, Heb. 2006, fol. 11a.
3 Freudenthal, G. (CNRS, Paris) suggère de rapprocher ce Moïse ha-Lévi d'un autre sévillan, homonyme, qui a rédigé au XIIIe siécle, en arabe, des textes de métaphysique avicennisante. Sur ce dernier, voir Steinschneider, Die Hebräischen Übersetzungen, §239;Google ScholarVajda, G., “Un champion de l'avicennisme,” Revue Thomiste, 3 (1948): 480–508.Google Scholar
4 Londres, Beyt ha-Midrash, MS 138, fols. 89a-89b.
5 Alfonso. Meyaššer 'Aqov (Celui qui rend droit le courbe); édité par G. Gluskina. Fac-similé du manuscrit, transcription, traduction en russe et commentaires (avec S.I. Luria et B. A. Rosenfeld), sommaire en anglais pp. 132–36 (Moscou, 1983). Ne maîtrisant pas le russe, nous avons pu prendre connaissance du contenu de l'introduction et des notes, grăce à une traduction en hébreu (non publiée), aimablement mise à notre disposition.
6 Mme Gluskina propose d'identifier cet Alfonso avec un philosophe juif connu, Abner de Burgos (1270–1350), converti sur le tard au christianisme sous le nom d'Alfonso de Valladolid; voir Alfonso, pp. 134–36 et Gluskina, G., “Sur l'auteur du traité mathématique Meyaššer 'Aqov” (en russe), Palestinskij Sbornik, 26 (1978): 66–75. L'argumentation nous paraît convaincante.Google Scholar
7 Nous analyserons ses références à al-Nayrīzī et Ibn al-Haytam, dont il entend réfuter les démonstrations du postulat des parallèles.
8 Sarton, Voir G., Introduction to the History of Science (Baltimore, 1947–1948), vol. III, pp. 594–607;Google Scholar et, plus récemment, Touati, C., La pensée philosophique et théologique de Gersonide (Paris, 1973), pp. 53–58.Google Scholar
9 Ces deux textes ont été édités par Carlebach, J., dans “Extraits des écrits de Rabbi Lévi ben Gershom” (en héb.), Festschrift zum vierzigjährigen Amstjubiläum des Herrn Rabbiners Dr S. Carlebach in Lübeck (Berlin, 1910), pp. 151–78.Google Scholar Nous les avons traduits et commentés, à partir de l'édition de J. Carlebach et de nouvelles sources manuscrites, dans notre étude “Gersonide, commentateur d'Euclide,” à paraître. Le passage concernant le postulat des paralléles a été traduit et commenté en russe: voir “Léon Gersonide. Commentaires sur les introductions aux Éléments d'Euclide,” trad. Polskij, I. G., Istoriko-Matematicheskie Issledovania, 11 (1958): 763–82;Google Scholar et Rosenfeld, B. A., “Les démonstrations du cinquième postulat par les mathématiciens Ibn al-Haytham et Léon Gersonide,”Google Scholaribid, pp. 743–62. La démonstration de Gersonide est résumée et brièvement commentée dans Carlebach, J., Lewi ben Gerson als Mathematiker (Berlin, 1910), pp. 70–80;Google ScholarPont, J-C., L'aventure des parallèles (Berne, 1986), pp. 188–91;Google ScholarRosenfeld, B. A., A History of Non-Euclidean Geometry (New-York, 1988), pp. 90–92.CrossRefGoogle Scholar
10 C'est le lettrage utilisé dans l'ouvrage d'Alfonso, qui ne comporte pas ici de figure; dans le texte anonyme, qui comporte une figure, le lettrage est différent. Les astérisques désignent les figures n'apparaissant pas dans le texte original, que nous avons donc reconstituées.
11 N'oublions pas que l'argumentation est rapportée par Alfonso, donc adaptée par ce dernier, qui entend réfuter la démarche dans son ensemble.
12 Alfonso, fol. 104a (p. 159).
13 Londres, Beyt ha-Midrash, MS Heb. 138, fol. 89a.
14 Telle que la rapporte Alfonso, cette défense du mouvement emprunte ses termes à l'épistémologie aristotélicienne. Toutefois, Alfonso ne nous rapporte pas la manière dont Moïse ha-Lévi justiflait les conclusions récusées par le Stagirite, à savoir l'existence de mobiles infinis en acte.
15 Alfonso, fol. 101b (pp. 153–54). On pense évidemment à l'exemple de l'hyperbole et de son asymptote, souvent cité à l'appui de cette remarque. Ii n'est pas impossible qu'Alfonso ait aussi à l'esprit la propriété asymptotique de la conchoïde de Nicomède, qu'il cite plus loin dans l'ouvrage (ibid., fols. 124b–125a, pp. 193–94).
16 Ibid., fol. 105b (p. 162).
17 Ibid., fol. 106a (p. 163). Relevons cette remarque concernant le mouvement: elle ne figure pas dans le texte arabe d'al-Nayrīzī, tel qu'il nous est parvenu, pas plus que dans la version latine médiévale (XIIe siècle). Pour l'arabe, voir l'édition de Heiberg, J. L., Besthorn, R. O., Thomson, W., Junge, G. et Raeder, J., Codex Leidensis 399/1. Euclidis Elementa ex interpretatione al-Hadschdschadschii cum commentariis al-Narizii, (trois parties en six fascicules), (Copenhague, 1893–1932).Google Scholar La version latine, attribuée à Gérard de Crémone, a été éditée par Curtze, M., Anaritii in decem libros priores Elementorum Euclidis Commentarii, in Euclidis Opera Omnia. Supplementum (Leipzig, 1899).Google Scholar Le livre I a fait l'objet d'une nouvelle édition par Tummers, P.M.J.E. in Albertus (Magnus)' Commentaar op Euclides' Elementen der Geometrie (Nijmegen, 1984), Deel II, pp. 103–90.Google Scholar
18 Ibid., fols. 105b–106a (pp. 162–63).
19 Šarh musādarāt kitāb Uqlīdis fī al-usūl. Ce texte d'Ibn al-Hayṯam n'a encore jamais été édité dans son ensemble. La partie consacrée à la définition des parallèles (dans laquelle l'auteur développe ses arguments cinématiques), et celle qui concerne le postulat des parallèles, ont été récemment éditées dans Jaouiche, K., La théorie des parallèles dans la géométrie islamique (en arabe), (Tunis, 1988), pp. 85–117.Google Scholar Cet auteur en propose une traduction française dans La théorie des paralléles en pays d'Islam (Paris, 1986), pp. 161–75.Google Scholar
20 En effet, c'est en commentant la définition des parallèles, qu'Ibn al-Hayṯam développe sa conception du recours au mouvement pour fonder l'existence de droites parallèles; nous en avons rappelé le résultat fondamental. Toutefois au cours de sa démonstration géométrique de l'existence d'un rectangle, Ibn al-Hayṯam n'utilise qu'une partie de cette prémisse: l'extrémité libre de la perpendiculaire décrit une droite. Le géomètre part d'un quadrilatère ABDG, dont les trois angles A, B et D sont droits; il démontre d'abord — c'est la partie la plus subtile — que les côtés AB et GD sont égaux, ce qu'Alfonso ignore (ou feint d'ignorer) puisqu'il suppose cette égalité acquise; ensuite il démontre que le quatrième angle est droit, sans supposer acquise l'égalité de AG et BD, ce que fait Alfonso, qui mêle ainsi les prémisses à base cinématique et le raisonnement proprement géométrique. On ne voit donc pas pourquoi le raisonnement d'al-Haytam s'expose au reproche de circularité. Car enfin, si Ia prémisse en question est bien équivalente à la proposition I, 33, laquelle suppose acquis le postulat des parallèles, il conviendrait de vérifier (ou d'indiquer!) comment le géomètre arabe justifie sa prémisse, avant de l'accuser d'une erreur qu'un débutant malhabile ne commettrait pas.
21 …Agānis sāhibunā (Codex Leidensis I (2), p. 118).Google Scholar Les efforts répétés des historiens pour identifier cet auteur n'ont produit encore aucune conclusion convaincante. Signalons un deuxième détail intéressant concernant le commentaire d'al-Nayrīzī, tel que le rapporte Alfonso: ce dernier ne cite jamais le nom d'Aġānis, il semble mê;me créditer al-Nayrīzī lui-même de l'ensemble de la démonstration. Nous avons pensé un moment qu'Alfonso ne connaissait peut-être pas le commentaire d'al-Nayrīzī sur les Éléments, mais seulement l'opuscule où ce dernier propose sa propre démonstration, inspirée d'ailleurs par les arguments qu'il rapporte dans son commentaire; toutefois, pour autant que nous ayons pu le vérifier, cet opuscule d'al-Nayrīzī (Épître sur la preuve du postulat bien connu d'Euclide), ne mentionne pas le nom de Simplicius, ce qui écarterait notre première conjecture. Sur ce texte d'al-Nayrīzī, voir Rosenfeld, A History of Non-Euclidean Geometry, pp. 56–57; n 'ayant pu disposer du texte arabe, nous avons consulté la traduction russe proposée par Abdurahmanov, A. A. et Rosenfeld, B. A.: “Al-Fadl ibn Hatim al-Nayrīzī. Traité sur la démonstration du postulat bien connu d'Euclide,” Istoriko-Matematicheskie Issledovania, 26 (1982): 325–29.Google Scholar
22 On sait que pour Euclide (I, Def. 23), les droites parallèles sont des droites d'un même plan, qui, prolongées indéfiniment dans les deux directions, ne se coupent pas. Aġānis et Simplicius définissent les parallèles comme des droites d'un même plan, qui conservent leur distance, même quand on les prolonge indéfiniment.
23 Alfonso, fols. 106a-b (p. 163); Codex Leidensis, 1(2), p. 120. Le texte hébreu est une traduction fidèle du texte arabe, tel que nous le connaissons. La figure et le lettrage sont les mêmes.
24 Alfonso, fol. 106b (p. 164).
25 “Selon la version d'al-Hağğāğ…” (Alfonso, fol. 107a, 1.12), ajoute-t-il.
26 Autrement dit, elle établit l'existence d'un parallélogramme. A cette fin, l'auteur part d'un triangle quelconque, et prolonge ce que nous appelons aujourd'hui une médiane d'une longueur égale à cette dernière, obtenant ainsi le quatrième sommet du quadrilatère. Cette construction apparaît dans la démonstration de Prop. I, 16 des Éléments.
27 Alfonso, fol. 108a, 11. 15–16 (p. 167). Malgré un passage rendu incompréhensible par de nombreuses confusions de lettrage, et sans doute une ligne manquante (fol. 108b, 11.1–10), l'argument est clair: si, par exemple, K “tombait” sur le prolongement de BD, “après” D, le triangle GKD serait isocéle et aurait deux angles droits; si K tombait sur le prolongement de GD, comme GD est égal à GK, “le petit serait égal au grand”; si K tombait en dehors de BD et GD, même prolongées, les deux angles GKD et GDK, gui sont égaux car le triangle GDK est isocèle, seraient, l'un obtus et l'autre aigu!
28 Ce qui est possible, puisque AB est égale à GD.
29 C'est-à-dire le supplémentaire, puisque ABH, ABD font deux droits.
30 Alfonso, fols. 108b–109a (pp. 168–69).
31 La somme des deux angles aigus du triangle rectangle apparaît alors égale à un des angles du rectangle.
32 Lit. un triangle aux lignes droites, mešullaš yešar ha-qawim.
33 Le Pseudo-Tūsī établit un résultat plus important, dont celui-ci n'est que la premiere partie: “Tout triangle aux côtés droits a ses trois angles comme deux droits” (c'est la proposition I, 32 des Élements, mais démontrée sans le recours au postulat des parallèles; nous y revenons plus loin). L'auteur commence par établir ce résultat dans le cas d'un triangle rectangle; à cette fin, comme dans le texte d'Alfonso, il complète le triangle en un rectangle (à partir de prémisses différentes) et conclut facilement. Texte arabe: Kitāb taḥīr uṣūl Uqlīdis min ta'līf Ḫawāğa Naīr al-Dīn al-Tūsī (Rome, 1594), pp. 29–30.Google Scholar
34 Alfonso, fol. 109b (p. 169).
35 Voici la formulation du Pseudo-Tūsī: “[Si] deux lignes droites quelconques menées à partir des deux extrémités d'une ligne droite, d'un même côté, lui sont perpendiculaires, sont égales, et qu'on joigne les deux extrémités par une ligne droite, alors chacun des deux angles engendrés par les perpendiculaires et la ligne droite joignant les extrémités est droit.” L'autre partie de la conclusion, l'égalité des deux lignes droites opposées, ne figure pas dans l'énoncé, mais est bien démontrée (Exposé des Éléments d'Euclide, p. 29). S'agissant de la référence au Pseudo-Tūsī, c'est bien la formulation de ce dernier que nous suggérons comme source d'Alfonso, et non la propriété elle-même: en effet, cette propriété est aussi démontrée par al-Tūsī dans sa propre rédaction des Éléments, avec une légère différence: chez al-Tūsī, la conclusion est obtenue à partir de trois propositions (et de prémisses différentes): d'abord, on montre que les deux angles obtenus en joignant les extrémités des perpendiculaires sont égaux; dans une autre proposition, on montre qu'ils sont droits; et enfin on établit qu'un quadrilatére ayant ses quatre angles droits a ses côtés opposés égaux deux à deux. Texte arabe: Voici le livre d'Euclide, exposé par le sage…Nasīr al-Dīn al-Tūsī (Istanbul, 1801), pp. 17–18.Google Scholar De son côté, al-Tūsī reconnaît que ces propriétés recoupent celles qu'avait établies, à partir d'autres prémisses, al-Ḫayyām (Jaouiche, La théorie des parallèles en géométrie islamique, p. 167).
36 Alfonso, fol. 110a (p. 170).
37 I1 est vrai qu'Euclide n'utilise pas la superposition pour démontrer Prop. I, 26.
38 Dans un passage présentant une variante de sa preuve, al-Tūsī démontre que: “[si] sur un angle aigu quelconque, on découpe sur l'un de ses deux côtés des linges [droites] égales [consécutives], et qu' on mène à partir de ces points de séparation des perpendiculaires à l'autre côté, alors les lignes [droites] découpées sur ce côté par les pieds des perpendiculaires sont aussi égales”; al-Tūsī fixe le point K en construisant l'angle EDK, égal à l'angle A (fig; 6bis*); il établit eusuite l'égalité des triangles AHD et EDK; enfin il conclut, à partir de ses propres prémisses en montrant l'égalité de KD et AH d'une part, et de KD et TH d'autre part. (Voici le livre d'Euclide, pp. 20–21.
39 L'angle droit AEG et l'angle AGE, qui serait obtus, dans cette hypothèse.
40 Le manuscrit donne, de façon erronée, “l'angle ZAH” (Alfonso, fol. 110a, 1. 14).
41 Détour bien inutile; il suffirait d'appliquer la proposition I, 17 des Éléments, selon laquelle deux angles quelconques d'un triangle quelconque ont une somme inférieure à deux droits. Peut-être Alfonso veut-il surtout appliquer sa troisiéme proposition, pour souligner la cohérence de son entreprise.
42 Explication qui n'en est pas une: l'angle ZAH est toujours aigu, que le point H tombe entre A et E — ce que l'auteur veut démontrer —, ou qu'il tombe à l'extérieur de AE. En réalité, c'est parce que l'angle ZAE est nécessairement aigu, qu'on peut affirmer que H tombe entre A et E. Encore faut-il justifier, à partir des hypothéses, que ZAE est bien aigu. On est alors amené à distinguer les trois cas de figure classiques: ou bien l'angle GAB est aigu, ou bien il est droit, ou bien il est obtus. On peut établir la conclusion ainsi: si l'angle GAB est aigu ou droit, c'est immédiat; si cet angle est obtus, on se rappelle qu'avec l'angle AGD il représente moins de deux droits; si donc l'angle ZAE n'était pas aigu, en le retranchant de la somme de AGD et GAB, on obtiendrait un reste inférieur à un droit; ce reste représente la somme des deux angles aigus du triangle rectangle AEG, laquelle somme doit être égale à un droit. CQFD.
43 V Def. 4 du texte grec (Heiberg).
44 La formulation est maladroite, voire confuse. II faut la comprendre ainsi: la droite pénètre dans le triangle AML entre les points A et M; si elle n'en sort pas entre les points A et L, c'est qu'elle en sort entre les points L et M. Application de la propriété désignée aujourd'hui comme l'axiome de Pasch.
45 Alfonso, fols. 110b-111a (pp. 171–72).
46 Traité de Tābit ibn Qurra sur le fait que, si deux lignes sont menées selon moins de deux angles droits, elles se rencontrent, [Maqālat Tābit ibn Qurra fī anna al-ḥattayni iḏā uḫriğā 'alā aqalli min zāwiyatayni qā 'imatayni iltaqayā] Texte arabe: Jaouiche, La théorie des parallèles dans la géométrie islamique, pp. 69–83. Voici par exemple, le début de la preuve de Tābit (fig. 7bis): “L'un des deux angles BAG, ABD est plus petit qu'un droit, nécessairement. Considérons que cet angle est l'angle ABD. M Menons alors du point A une perpendiculaire sur BD, soit AE; et marquons sur AG un point W, quelle que soit la manière dont il est situé [kayfamā waqa'at], et menons à partir de lui une per pendiculaire sur AE, soit WZ.” (p. 79).
47 C'est ainsi qu'on lit dans le texte d'Ibn al-Haytam (fig. 7ter): “Et si cette perpendiculaire [GH, à la droite BD] rencontre la ligne BD en un point extérieur à D, elle engendre alors un triangle rectangle; le point D sera sur un côté de ce triangle, la ligne [droite] DZ étant issue de lui selon un angle droit, à savoir l'angle BDZ. La ligne DZ tombe à l'intérieur de ce triangle. Si l'on prolonge la ligne DZ en ligne droite, indéfiniment, alors elle coupe l'un des côtés du triangle rectangle, ou bien elle passe par le sommet [G] du triangle. Or il n'est pas possible que la ligne DZ coupe la perpendiculaire tombant du point G sur la ligne BD, ou qu'elle passe par le sommet du triangle, car si elle coupait la perpendiculaire, ou qu'elle passait par le sommet, alors il se formerait un triangle dont deux angles seraient droits; et cela est impossible.” (Ibid., p. 98).
48 Nous détaillons ainsi des remarques qui accompagnent la traduction que nous avons proposée (Cf. supra, n. 9) de l'ensemble du travail géométrique de Gersonide. On se reportera donc à cette étude pour tout ce qui concerne l'établissement du texte hébreu et les autres problémes généraux: datation, sources hébraïques ou latines, questions de traduction. S'agissant de la maîtrise de l'arabe par Gersonide, notre point de vue — étayé dans cette étude — est le suivant: le savant provençal était en mesure de prendre connaissance d'arguments mathématiques développés dans des textes arabes non traduits en hébreu.
49 I1 s'agit de la propriété asymptotique de l'hyperbole, à laquelle Alfonso, on l'a vu, faisait aussi allusion. Géminus, en son temps, selon le témoignage de Proclus, avait déjà relevé le caractére déroutant de cette propriété [Heath, T. L., Euclid. The Thirteen Books of the Elements (Oxford, 1925),Google Scholarrééd. (New-York, 1956) vol. I, p. 191].Google Scholar D émontrée par Apollonius (Sections coniques, II, 14), cette proposition géométrique a toutefois été isolée et établie de maniére autonome dans des textes arabes, latins et hébreux. Nous avons inventorié et analysé la littérature hébraïque dans ce domaine dans notre étude “L'étude des sections coniques dans la tradition médiévale hébraïque. Ses relations avec les traditions arabe et latine,” Revue d'Histoire des Sciences, 42(1989): 193–239.CrossRefGoogle Scholar Comme l'a signalé G. Freudenthal, Gersonide commente cette propriété, vraisemblablement tirée de la référence qu'en donne Maïmonide dans son Guide des égarés I, 73, dans d'autres textes, par exemple dans ses gloses sur le commentaire moyen d'Averroès consacré à la Physique d'Aristote. [Freudenthal, G., “Maimonides' Guide of the Perplexed and the transmission of the mathematical tract ‘On Two Asymptotic Lines’ in the Arabic, Latin and Hebrew medieval traditions,” Vivarium, 26 (1988): 113–40;CrossRefGoogle Scholar cf. p. 136, n. 71].
50 Le texte hébreu que nous traduisons est, on l'a dit, celui de l'édition Carlebach (cf.supra, n. 9); nous le mentionnerons désormais sous le sigle G.G (Géométrie de Gersonide), suivi de la page correspondante. Le passage cité figure p. 157.
51 Voici le livre d'Euclide, p. 4.
52 Exposé des Éléments d'Euclide, p. 8.
53 G.G, p. 157.
54 G.G, p. 157. On comparera cette formulation avec celle que Gersonide donne, dans son petit traité de géométrie. On y lit en effet: “Si deux lignes [droites] sont élevées sur [les extrémités d'] une ligne [droite] et que se forment deux angles intérieurs aigus, elles se rapprochent l'une de l'autre de ce côté-là [où se forment les angles aigus], car chacune de ces lignes, de ce côté-là, est inclinée du côté [où se trouve] son homologue; et ce que nous entendons par ‘est inchnée'’ n'est rien d'autre que le fait [pour l'une] de se rapprocher [de l'autre] de ce côté-là. Et dans la mesure où elles se rapprochent [l'une de l'autre] du premier côté, elles s'éloignent [l'une de l'autre] du deuxième côté, car elles y engendrent des angles obtus [avec la droite de départ]…,“ ibid., pp. 175–76.
55 Le rapprochement avec le texte du Pseudo-Ṭūsī ne nous est pas suggéré que parargument.
56 …inna hattay AB, GD mawdū'āni 'alā al-taqārub…
57 …wa lā yakūnu li-dālika al-hatti maylun ilā al- a'midati wa lā 'anhā…
58 Il nous paraît que c'est à cette assertion que s'en prend Gersonide, lorsqu'il fait grief à certains auteurs de tenir pour évident ce qui ne l'est pas vraiment: si une sécante coupe les deux droites en formant deux angles intérieurs plus petits que deux droits, toute autre sécante fait de même, du même côté.
59 …hātāni al-qadiyyatāni badīhiyyatāni…
60 Exposé des Éléments d'Euclide, pp. 28–29. C'est nous qui soulignons.
61 Par commodité, nous les avons appelées “lemmes.”
62 On sait que, dans les Éléments, cette proposition (I, 32) requiert le postulat des parallèles.
63 G. G, p. 158.
64 Ibid.
65 Al-Tūsī écrit en effet, aprés avoir énoncé le postulat des parallèles: “cette dernière proposition [qadiyya] n'est pas un axiome et elle ne peut être établie autrement que par la science géométrique (…). A sa place, j'ai posé la proposition suivante: si les lignes droites existant dans un plan sont disposées de manière à s'éloigner [l'une de l'autre] d'un côté, alors elles ne se rapprochent pas de ce même côté, bien au contraire, à moins qu'elles ne se soient croisées [préalablement]” (Voici le livre d'Euclide, pp. 3–4). Une telle proposition avait déjà été posée comme prémisse par al-Hayyām dans son épître sur les difficultés liées aux prémisses (Jaouiche, La théorie des parallèles en géométrie islamique, p. 141).
66 G. G, p. 158.
67 G.G, p. 159.
68 G.G., pp. 159–60.
69 Un tel trapèze isocèle, dont les deux angles à la base sont droits, a longtemps été désigné comme le “quadrilatére de Saccheri” par les historiens de la géométrie. C'est, en effet, le savant italien Saccheri, G. (1667–1733)Google Scholar qui a systématiquement étudié cette figure en relation avec le postulat des parallèles, mettant en évidence un résultat fondamental pour l'histoire de la géométrie non-euclidienne: le lien entre le postulat des parallèles et la nature des deux autres angles (droits, obtus ou aigus). Rappelons que Saccheri connaissait la démonstration du Pseudo-Tūsī, grâce à la traduction latine qui en fut faite au XVIIe siécle. Saccheri, Sur G., on se reportera à Heath, Euclid, vol. I, pp. 211–12;Google Scholar et, pour plus de détails, à Bonola, R., Non-Euclidean Geometry (New-York, 1955), pp. 22–44.Google Scholar (Cette édition reprend la traduction anglaise de l'original italien, La Geometria non-Euclidea, publié à Pavie en 1906). S'il fallait baptiser ce fameux quadrilatère du nom du premier géomètre qui l'a invoqué dans le contexte du postulat des parallèles, il faudrait remonter au moins à al-Ḫayyām (XIe-XIIe siècles), si ce n'est à Tābit ibn Qurra (IXe siècle)! Sur les grandes lignes de cette histoire, depuis Euclide jusqu'à la veille de la dècouverte de la géométrie non-euclidienne, on se reportera à C. Houzel, “Histoire de la théorie des parallèles”, dans R. Rashed (éd.), Mathématiques et philosophie de l'antiquité à l'âge classique (Paris, 1991), pp. 163–79.
70 Πa été montré préalablement que l'angle AGD et BDG sont aussi droits; on peut donc dire que les perpendiculaires menées de DB à GA décroissent, au sens où l'a défini le géomètre, dans sa prémisse.
71 Π s'agit de la deuxième partie de la prémisse que nous avons citée plus haut.
72 Exposé des Éléments d'Euclide, p. 29.
73 G.G, p. 160.
74 G.G, p. 161.
75 Lit. “aux lignes droites,” yešar ha-qawim.
76 Rappelons que Ménélaüs d'Alexandrie (premier siècle ap. J.C) établit dans ses Sphériques que la somme des trois angles d'un triangle sphérique est plus grande que deux droits.
77 “Tout triangle aux côtés droits a ses trois angles comme deux droits” (Exposé des Éléments d'Euclide, p. 29).
78 Rosenfeld, A History of Non-Euclidean Geometry, p. 83.
79 puisque ces deux sommes valent chacune un droit.
80 G.G, p. 162.
81 Dans le premier cas, on aurait un angle droit et un angle obtus; dans le deuxiéme cas, deux angles obtus.
82 Exposé des Éléments d'Euclide, p. 30.
83 G.G, p. 162.
84 Ibid.
85 L'auteur, en effet, ne le précise pas; cependant la preuve proposée n'est intelligible que pour ce cas; de plus la seule figure qui nous soit parvenue, et qui accompagne le manuscrit le plus complet (Londres, Beyt ha-Midrash, MS 138, fol. 107b), comporte effectivement un angle obtus. Toutefois — erreur de rédacteur ou de copiste —, le lettrage de chacune des droites a été échangé avec celui de l'autre; nous avons rectiflé en conséquence.
86 Condition d'application de la proposition I, 12, assurant la possibilité de mener d'un point extérieur à une droite, une perpendiculaire à cette derniére.
87 Malé les apparences, ce n'est pas le lemme 7 qui est requis ici, mais seulement le lemme 6, puisque le triangle ZHD est rectangle en Voilà, H. qui éclaire la remarque apparue à la fin de la démonstration du lemme 7, dans laquelle Gersonide reconnaissait que le résultat établi (les trois angles d'un triangle quelconque sont comme deux droits) n'était pas indispensable à la suite. Relevons que le Pseudo-Tūsī, pour sa part, a bien besoin du résultat général, carla démonstration qu'il adopte pour le cas de figure analysé ici est un peu plus complexe.Google Scholar
88 Cette assertion n'est valide que parce que H et E sont de part et d'autre du point D, autrement dit que la perpendiculaire menée de Z à EG “tombe” du côté G, ce qui est bien le cas ici, parce que l'angle ZDE est obtus; il eût fallu le préciser.
89 L´ aussi, HZB est bien égal à la somme des deux angles, parce que DZ “coupe” l'angle BZH; ce qui est justiflé, à son tour, par la position du point H, du côté de G.
90 Affirmation correcte, pour le cas de figure envisagé: en effet, si ZDT et TDE, ensemble, représentent bien l'angle ZDE, c'est parce DT “coupe” l'angle ZDE, du fait que TZD est aigu.
91 G.G, pp. 162–63.
92 Exposé des Éléments d'Euclide, p. 33.
93 Application de l'axiome“d'Eudoxe-Archimède,” que Gersonide a adopté ici comme sa première prémisse.
94 Là oú d'autres auteurs se contentent de reproduire le segment initial AT, pour arriverá“dépasser” AZ, Gersonide propose de doubler successivement les segments à partir de AT; cette procedure doit lui permettre d'appliquer le lemme 8: puisque AHT est un triangle rectangle en T, en doublant AT et AH, on obtient un nouveau triangle AMK, rectangle en K; et ainsi de suite.
95 Proposition désignée aujourd'hui sous le nom d'“axiome de Pasch.” Gersonide, comme tous ses prédécesseurs, la considère comme allant de soi.
96 Cette impossibilité, on le sait, est explicitement invoquée dans la preuve de la proposition 1,4 des Éléments. Elle n'apparaît toutefois comme un postulat ou un axiome que postérieurement à Euclide, (Heath, Euclid, vol. I, pp. 232 et 249). Al-Nayrīzī, citant Simplicius, indique que cette propriété ne figure pas comme un postulat dans les “versions anciennes [des Éléments]” (Codex Leidensis, I, p. 24). Chez le Pseudo.Tūsī, elle apparaît comme une propriété des lignes droites, insérée dans la liste des définitions commentées (Exposé des Éléments, p. 5). Chez al-Tūsī, elle est citée comme un postulat, et insérée avant l'énoncé substitué au postulat des parallèles (Voici le livre d'Euclide, p. 3).
97 G.G, pp. 163–64.
98 Cf. supra, n. 9.
99 Voici le livre d'Euclide, p. 19.
100 Exposé des Éléments d'Euclide, pp. 32–33.
101 Du reste, l'auteur n'en fait pas mystère, lorsqu'ilécrit, dans le préambule de son petit traité de géométrie: “Cette étude nous conduira à expliquer de nombreuses prémisses établies par Euclide, et par d'autres géométres dont les propos nous sont parvenus; aussi ce que nous rapporterons de leurs propos, nous le rapporterons en leur nom” (G. G, p. 174). Malheureusement pour l'historien, ces “autres” géomètres ne sont pas cités dans les fragments qui nous sont parvenus.
102 Rosenfeld, A History of Non-Euclidean Geometry, pp. 90–92.
103 Sarfatti, G. B.a ouvert la voie dans ce domaine, voir Mathematical Terminology in Hebrew Scientific Literature of the Middle Ages (Jerusalem, 1968).Google Scholar
- 10
- Cited by