Hérité in situ des Romains, mais réinventé à Damas et
Istanbul par les élites musulmanes, le hammam redessine au Maghreb un modèle
de conduite à peine entamé par la colonisation jusque dans le premier quart
du XXe siècle. Egalitaire et pourtant distinctif, ordonnant et séparant les
sexes, combinant le propre et le pur, ce lieu de détente essentiel à la vie
au quartier, qui accompagne le rythme des jours et les âges de la vie,
assure l'échange matrimonial et le conciliabule citadin, s'ajuste de manière
inventive au défi de la modernité.
Des années 1930 aux années 1970, le hammam gagne le monde rural, conforte
l'essor des couches moyennes, redéploie ses prestations de service,
s'approprie les objets de la mode, résiste au modèle balnéaire européen puis
à la réaction puritaine islamiste. S'il dépérit à Tunis, sauf dans
l'imaginaire des artistes, il reste plus vivace que jamais en Algérie et au
Maroc. Abandonné par les hommes au profit de la douche, il est recréé par
les femmes et pour elles, comme lieu d'une pratique personnelle dissociée de
la tradition, affirmant une nouvelle autonomie féminine dans le soin du
corps et le souci de soi.