Dans l'aire andine, et même à l'échelle du continent sud-américain, les Urus constituent une véritable énigme, à la fois historique et ethnologique. Presque éteints de nos jours, ils occupaient au XVIe siècle une aire exceptionnellement vaste, le long de l'axe aquatique qui traverse le haut-plateau (rio Azangaro, lac Titicaca, Desaguadero, lac Poopo, rio Lacajahuira, lac Coipasa) : dans ce cadre, ils formaient le quart de la population indigène. Or selon une image traditionnelle, léguée par- les chroniqueurs, reprise par les voyageurs et les ethnologues, ce sont des Indiens grossiers, barbares, en un mot « primitifs », qui diffèrent de toutes les autres populations andines. Ils se distinguent par l'aspect physique (dolichocéphales, teint plus sombre), la langue, le vêtement, et surtout le mode de vie : tandis que leurs voisins Aymaras ont atteint (selon le schéma évolutionniste) le stade de l'élevage et de l'agriculture, les Urus, demeurés à un niveau inférieur, ne subsistent que de pêche, de chasse (d'oiseaux aquatiques), et de collecte. Aussi suscitent-ils un mépris violent, véritablement raciste, non seulement chez les autres Indiens, mais aussi chez les meilleurs auteurs, qui les rejettent aux marges de la bestialité : « Ces Urus sont de telles brutes, affirmait José de Acosta, qu'euxmêmes ne se considèrent pas comme des hommes.