Cet article s’inscrit dans l’histoire de la mobilisation des consommateurs en faveur de régimes égalitaires de consommation. Il prend le cas de la Pologne au XXe siècle pour montrer comment les morales égalitaires de la consommation ont changé de sens. Il montre l’importance de la question de justice sociale dans les tentatives pour imposer un régime de redistribution et de régulation sociales contre un système orienté sur le profit, depuis l’entredeux- guerres jusqu’à la chute du communisme. Pendant toute cette période, la notion de « profiteur », d’argent gagné de façon immorale en abusant de la détresse d’autrui, évolue considérablement. Pendant l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, les conflits autour de l’accès à la nourriture s’organisent sur une base ethnique. Après-guerre, l’idéal d’une Pologne communiste et ethniquement homogène reconfigure ces conflits autour d’une catégorie autant fondée sur la classe que l’ethnie : l’intermédiaire profiteur. Dans les années 1950 et 1960, on remarque que les discours contre les profiteurs prennent une dimension genrée, alors que la croisade contre le commerce privé cède la place aux confrontations quotidiennes entre consommateurs et vendeuses des magasins. Enfin, la crise du bloc soviétique à partir des années 1970 voit un retour à l’entraide familiale et informelle, qui s’avérera un puissant facteur de démantèlement de l’État-providence communiste.