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Politique et parricide dans « L'interprétation des rêves » de Freud*

Published online by Cambridge University Press:  06 September 2021

Cari E. Schorske*
Affiliation:
Université de Princeton

Extract

Le déchiffreur d'énigmes qui trouva la clef de la condition humaine dans l'histoire d'Œdipe était aussi un amateur de plaisanteries. Quand à l'âge de 45 ans il fut finalement nommé ausserordentlicher Professor (maître de conférences), celui qui n'était pas encore le célèbre Dr Freud relata l'événement à un ami dans une parodie du style journalistique.

L'enthousiasme public est immense. Les congratulations et les bouquets de fleurs ne cessent d'affluer, comme si le rôle de la sexualité avait été soudain reconnu par Sa Majesté, l'interprétation des rêves confirmée par le Conseil des Ministres, et la nécessité de l'application de la psychanalyse À l'hystérie, votée par la majorité des deux tiers au Parlement.

Type
Histoire et Psychanalyse
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1973 

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Footnotes

*

Des versions moins développées de cet article ont été présentées à l'Association Américaine de Psychanalyse le 17 décembre 1971 et au « Modem European Group of the Southern Historical Society » le 19 novembre 1971. de nombreuses idées présentées ici ont pris forme au cours de discussions avec le Professeur William J. McGrath de l'Université de Rochester, dont l'article inédit, « Freud and Vienna : the politics of the brother band », traite d'un problème complémentaire à cet essai : la rivalité fraternelle et sa relation avec la politique de Freud.

References

Notes

1. Freud à Wilhelm Fliess, n° 152, 11 mars 1902, dans Sigmund Freud, The origins of psycho-analysis. Letters to Wilhelm Fliess, etc., éd. par Marie Bonaparte, Anna Freud, Ernst Kris (New York, 1954), p. 344.

2. Le point de départ est une remarque faite par Goethe à propos de J. G. Lichtenberg, l'auteur satirique préféré de Freud. Freud le cite en l'approuvant dans « Introductory lectures on psycho-analysis » (1915-1916), dans The standard édition of the complète psychological works of Sigmund Freud (désormais mentionné S.E.), trad. et éd. Par James Strachey et al. (24 vol., Londres, 1953 ss.), XV, p. 38 ; ID., The interprétation, of dreams (1900), S.E., IV, p. 121 ; ID., Jokes and their relation to the unconscious (1905), S.E., VIII, passim.

3. Origins, pp. 342, 344.

4. Préface à la seconde édition, Dreams, S.E., IV, p. xxvi.

5. La succession des rêves ne suit évidemment pas leur chronologie effective, ni celle de l'auto-analyse de Freud. En ce qui concerne ces chronologies, le travail fondamental a été réalisé par Didier Anzieu, L'auto-analyse (Paris, 1959). Freud n'analyse d'ailleurs aucun de ses rêves de manière approfondie dans L'interprétation. Il les utilise plutôt comme éléments dans la reconstruction de sa propre expérience en une histoire personnelle significative justifiant à la fois sa vie et sa nouvelle science.

6. Les faits, comme l'interprétation de la lente carrière universitaire et médicale de Freud, ont été l'objet de controverses enflammées. La tentative la plus complète, souvent utilement documentée, de défense de l'université autrichienne et des autorités bureaucratiques contre l'accusation d'hostilité, d'injustice et de préjugés à rencontre de Freud est celle de Joseph et René Gicklhorn, Sigmund Freuds akademische Laufbahn (Vienne et Innsbruck, 1960). Kurt R., Eissler rétablit l'équilibre en faveur de Freud avec d'importantes recherches ultérieures dans sa contre-polémique, Sigmund Freud und die Wiener Universität (Berne et Stuttgart, 1966)Google Scholar. Sur la durée de l'attente d'un poste de professeur par Freud, voir particulièrement ce dernier travail, pp. 24-25 et 181-183.

7. « Dies Österreich ist eine kleine Welt, In der die grosse ihre Probe hält. » (Friedrich Hebbel.)

8. Sur la désintégration verticale (nationale), voir Robert A., Kann, The multinational empire (2 vol., New York, 1950 Google Scholar), l'exposé d'ensemble le plus solide. Berthold Sutter examine de manière détaillée la crise des nationalités à la fin des années 90 dans Die Badenischen Sprachverordnungen von 1897 (2 vol., Graz-Cologne, 1965). Pour la montée de la nouvelle droite et son aspect antisémite, voir P. G. J., Pulzer, The rise of anti-semitism in Germany and Austria (New York, Londres, Sydney, 1964)Google Scholar. L'aspect et les consequences culturelles de la crise sont partiellement envisagés par Cari E., Schorske, « Politics in a new key : an Austrian triptych », Journal of Modem History, XXXIX (décembre 1967), pp. 343386 Google Scholar ; ID., « Politics and the psyché in fin de siècle Vienna », American Histoncal Review, LXVI (juillet 1961), pp. 930-946 ; et ID., « The transformation of the garden : ideal and society in Austrian Literature », A.H.R., LXXII (juillet 1967), pp. 1283-1320.

9. Freud à Fliess, n° 28 (23 septembre 1895) ; n° 35 (8 novembre 1895) ; n° 83 (9 février 1898), dans Freud, Origins, pp. 124-133, 245 ; Ernest, Jones, The life and work of Sigmund Freud (3 vol., New York, 1953-1957), I, pp. 392393 Google Scholar.

10. Freud, , Dreams, S.E., IV, p. 137 Google Scholar.

11. Freud, , « Address to the society of B'nai B'rith » (1926), S.E., XX, pp. 273274 Google Scholar ; Freud à Fliess, n° 78 (12 décembre 1902), Origins, p. 237. Une étude sociologique détaillée des amis et collaborateurs de Freud reste à faire.

12. Erik H. Erikson a élargi et approfondi l'analyse que donne Freud de cet aspect du rêve avec son concept de crise générative de l'âge mûr dans « The dream spécimen of psychoanalysis », Journal of the American Psychoanalytical Association, II (1954), PP- 5-56. L'analyse la plus complète et structurée est celle d'Anzieu, L'auto-analyse, pp. 24-45. Pour un point de vue plus large et riche mais moins rigoureux, et pour une bibliographie plus complète sur ce rêve et d'autres, voir l'utile travail d'Alexandre Grinstein, On Sigmund Freud's dreams (Détroit, 1968), particulièrement pp. 21-46.

13. Dreams, S. E., IV, pp. 134-141 ; 191-193.

14. Ibid., pp. 142-144.

15. Ibid., p. 137.

16. Ibid., pp. 169-173 ; particulièrement pp. 172-173. Freud n'analyse pas à ce moment la signification de ces épisodes, bien que son langage reflète clairement le ressentiment contre le comportement de son père.

17. Ibid., IV, p. 192.

18. Ibid., pp. 192-193.

19. Freud à Julie Braun-Vogelstein, n° 32 (30 octobre 1927), dans Sigmund, Freud, Letters of Sigmund Freud, éd. par Ernst L., Freud (New York, Toronto, Londres [édition de poche], 1964), pp. 378380 Google Scholar ; Julie, Braun-Vogelstein, Heinrich Braun (Stuttgart, 1967), pp. 2024 Google Scholar.

20. Freud à Fliess, n° 103 (30 janvier 1899) ; n° 104 (6 février 1899) ; n° 107 (28 mai 1899) ; n° 74 (5 novembre 1897), Origins, pp. 275, 276, 282, 229. Suzanne Bernfeld a examiné, avec une grande sensibilité aux facteurs culturels, le rôle de l'archéologie à la fois dans la pensée scientifique de Freud et, psychanalytiquement, dans sa tentative personnelle pour surmonter sa culpabilité devant les pulsions de mort. Voir son article « Freud and archeology », American Imago, vol. VIII (juin 1951), pp. 107-128.

21. Freud à Fliess, n° 77 (3 décembre 1897) ; n° 99 (23 octobre 1899). Cette dernière date, à laquelle il mentionnait son « désir toujours plus lancinant » (die Sehnsucht immer quälander… — c'est moi qui traduis —), était l'anniversaire de la mort de son père. Origins, pp. 236-269.

22. Dreams, S.E., IV, pp. 193-198. Un rêve romain ultérieur, dans lequel la ville est le lieu d'un chagrin, n'est pas examiné ici. Sa portée en ce qui concerne le problème d'ambivalence qui était celui de Freud en tant que Juif a été démontrée de manière intéressante par Peter Loewenberg dans « A hidden Zionist thème in Freud's ‘ My son, the Myops… ’ Dream », Journal of the history ofideas, XXXI (1970), pp. 129-132.

23. Dreams, S.E., IV, pp. 196-197.

24. Ibid., p. 197.

25. Le fait que l'empire des Habsbourg en un sens plus large était impliqué dans l'opposition enfantine de Freud à la chrétienté est suggéré par son identification d'Hannibal à Napoléon — « tout deux franchirent les Alpes » —, et par son adoration pour le maréchal de Napoléon Masséna. Il connut ce dernier par le livre de Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, « un des premiers livres que j'eus entre les mains après avoir appris à lire ». Masséna, que Freud prenait par erreur pour un Juif, et qui était né le même jour que Freud un siècle auparavant, était son « favori déclaré » avant qu'il fît la connaissance d'Hannibal (S.E., IV, pp. 196-198). Masséna ne combattit pas seulement les forces catholiques en Italie, mais aussi occupa Vienne, installant son quartier général dans la Leopoldstadt, qui devint plus tard le quartier juif où Freud grandit.

26. Ibid., p. 196.

27. Freud rapprocha cette Rome (dans un autre texte que l'interprétation des rêves) de son lien oedipien avec sa gouvernante tchèque et catholique, qui l'avait initié au catholicisme et lui avait fait connaître le « sentiment de mes propres pouvoirs », à la différence des remarques décourageantes de son père juif. Cf. Freud à Fliess, n° 70 (3-4 octobre 1897) ; n° 71 (15 octobre 1897), Origins, pp. 219-222. La littérature psychanalytique, à la suite de Freud, a penché vers cette première identification que fait Freud du désir d'aller à Rome avec celui de la gouvernante comme substitut de la mère et objet d'amour oedipéen, réduisant les attributs tchèques et catholiques de Rome dans les images de rêves de Freud à des symboles de ce lien originel, et l'inhibition devant le voyage à Rome au tabou de l'inceste. Voir, par exemple, Grinstein, Freud's dreams, pp. 75-76, 90-91 ; Jones, Life, I, pp. 5-6 ; Suzanne Bernfeld, op. cit., et Kenneth A. Grigg, « The rôle of the nursemaid in Freud's dreams : ‘ AU roads lead to Rome ’ » (article inédit). En soulignant ici la signification historique de la tension Juifs-Catholiques dans le contenu manifeste des rêves, j'essaye de faire apparaître le rôle dynamique et formateur de l'expérience politicoculturelle de Freud dans le développement même de son système de pensée psychanalytique par lequel, en effet, il résout la douleur de l'histoire globale en la transformant en histoire personnelle.

28. « C'est l'amour de la science et lui seul », écrivit Winckelmann, « qui peut m'amener à envisager la proposition qu'on m'a faite ». Cité par Cari, Justi, Winckelmann und seine Zeitgenossen, 5e éd. (Cologne, 1956), 3 vol., I, p. 371 Google Scholar. La première édition de cette biographie classique parut durant les années de lycée de Freud. La seconde édition fut publiée en 1898, alors que l'intérêt de Freud pour l'archéologie était à son paroxysme et qu'il s'était remis à son travail sur l'interprétation des rêves, parmi lesquels les rêves romains. La biographie de Justi fait apparaître de remarquables simiUtudes entre la vie et la position intellectuelle de Winckelmann et celle de Freud : pauvreté, sens aigu d'un rang social inférieur, impuissance à trouver une position intellectuelle convenable ou une reconnaissance professionnelle appropriée, un lien d'amitié fervente à coloration homosexuelle, haine de la tyrannie politique, hostilité à la religion organisée, et une crise générative à l'âge de quarante ans, qui eut pour résultat une « première oeuvre » d'un genre nouveau et révolutionnaire. La plupart de ces aspects apparaissent clairement dans le perspicace essai de Goethe en 1805, « Winckelmann », dans Goethes Werke, Eduard von der Hellen, éd., (15 vol. Stuttgart et Berlin, 1922), XV, pp. 65-93. Herder, dans un essai quelque peu plus romantique, « Johann Winckelmann » (Deutsche Litteratur, Reihe Klassik, éd. Emil Ermatinger, 20 volumes, Leipzig, I, Das Erbe der Alten, pp. 62-71) présente Winckelmann comme un héros serein et stoïque de la science en une époque où l'obscurantisme et la stupidité régnent parmi les dirigeants. Freud se serait encore plus facilement reconnu dans ce portrait que dans celui de Goethe. Bien que Freud eût une parfaite maîtrise des classiques allemands, je n'ai pu déterminer s'il lut effectivement l'un quelconque de ces livres, mais le fait que l'opposition Hannibal-Winckelmann ait joué un rôle-clef dans son analyse implique que le personnage et les aspirations de Winckelmann lui étaient très familiers.

29. Dreams, S.E., IV, pp. 208-219 ; V, pp. 431-435. Mon analyse de ce rêve est loin d'être complète. Pour d'autres dimensions, voir Grinstein, op. cit., pp. 92-160.

30. Richard, Charmatz, Österreichs innere Geschichte von 1848 bis 1907 (2 vol., Leipzig, 1912 [2e éd.]), II, pp. 28132 Google Scholar.

31. Dreams, S.E., IV, p. 211.

32. Mcgrath, op. cit., a établi la date comme étant le II août 1898.

33. Rudolf, Sieghart, Die letzen Jahrzehnte einer Grossmacht (Berlin, 1932), p. 35 Google Scholar.

34. De même que Freud, Fischhof était un Juif pauvre, né en Moravie. Il devint médecin parce qu'avant 1848 aucune autre carrière universitaire n'était ouverte aux Juifs. Lorsque la révolution éclata, Fischhof occupait un poste médical, qui fut plus tard celui de Freud : le poste de Sekundararzt (interne) a l'Hôpital Général Royal Impérial de Vienne. Cf. Richard Charmatz, Adolf Fischhof (Stuttgart et Berlin, 1910), 14, pp. 17-31.

35. Martin, Grotjahn, « A letter by Sigmund Freud with recollections of his adolescence », Journal of the American Psychoanalytic Association, IV (1956), pp. 649652 Google Scholar.

36. « La carrière ministérielle est définitivement interdite à un médecin », écrivit Freud à propos de sa décision d'abandonner le droit en 1873. Dreams, S.E., IV, p. 193.

37. Ibid., IV, p. 215.

38. Ibid., IV, p. 217, note 1.

39. Cette théorie fut développée dans Totem and Taboo (1913), S.E., XIII.

40. Ervin, Pamlenyi, éd., Die Geschichte Ungarns (Budapest, 1971), pp. 450454 Google Scholar. Les « clauses d'Ischl » furent acceptées le 30 août 1898. L'opposition hongroise commença en octobre 1898 la tactique d'obstruction qui formait le contexte du rêve de Freud. Grinstein, op. cit., p. 376, suggère une date ultérieure que, selon mon point de vue, la crise elle-même exigerait.

41. S. E., V, pp.427-428.

42. Ibid., IV, p. 257.

43. Virgile, Énéide, 1. VII, lignes 286-571, particulièrement 312, 323-329, 445-455.

44. Dreams, S.E., V, p. 608.

45. Cette découverte fut faite par Ernst Simon, « Sigmund Freud the Jew », dans Léo Baeck Institute, Year Book, II (1957), p. 301.

46. Freud à Fliess, n° III (17 juillet 1899), Origins, p. 286. Freud ne mentionne aucun titre particulier dans sa lettre — seulement « den * Lasalle ‘ » [sic !]. Tandis que les ouvrages particuliers de Lassalle n'étaient pas couramment accessibles à l'époque, plusieurs éditions d'oeuvres choisies comprenant « La guerre d'Italie… » étaient parues dans les années 90. L'une d'entre elles, l'édition, par Erich Blum, des Ferdinand Lassalles politische Reden und Schriften (3 vol. en 1, Leipzig), parut en 1899, alors que Freud révisait le manuscrit de L'interprétation des rêves.

47. Il les cita pour la première fois dans une lettre à Fliess du 4 décembre 1896. Voir n° 51, Origins, p. 172.

48. Ferdinand, Lassalle, Gesammelte Reden und Schriften, éd. Eduard, Bernstein (12 vol., Berlin, 1919), I, particulièrement pp. 1617 Google Scholar.

49. Ibid., I, p. 112. Il expose franchement sa stratégie politique dans une lettre à Marx, s.d. (mi-mai 1859), dans Franz Mehring, éd., Aus dem literarischen Nachlass von Karl Marx, Friedrich Engels und Ferdinand Lassalle (4 vol., Stuttgart, 1902), IV, p. 150.

50. Le rêve est dénommé « Autodidasker », d'après le mot unique qui constituait son contenu manifeste, S.E., IV, pp. 298-302.

51. S.E., V, p. 620.

52. Freud à Fliess, n° 146 (19 septembre 1901), Origins, pp. 335-336.

53. Norman O., Brown, Love's Body (New York, 1966), pp. 7778 Google Scholar.

54. Freud à Fliess, n° 152 (11 mars 1902), Origins, p. 342.