Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Bien qu'étant une activité quasi quotidienne sous l'Ancien Régime, emprunter n'était pas ce que les rois de France faisaient le mieux. Le problème chronique et tenace était celui de la confiance du public. Connaissant la longue histoire de banqueroutes, partielles ou totales, de la monarchie, les prêteurs se montraient réticents à avancer de l'argent directement au roi, ce qui se comprend, et ils ne le faisaient que si leur risque était compensé par un rapport élevé. Pour l'État, ces taux d'intérêt onéreux avaient pour conséquence d'alourdir encore le fardeau de la dette, ce qui aggravait les déficits budgétaires et conduisait à de nouveaux emprunts. A partir du milieu du XVIe siècle, au moins, se sont succédé des périodes de soixante à soixante-dix ans durant lesquelles le poids total du service de la dette s'accroissait inexorablement, pour en arriver à absorber jusqu'à 65 à 70 % des revenus royaux, entraînant régulièrement à ce stade une nouvelle grande banqueroute. Rétrospectivement, les problèmes du crédit de l'État apparaissent structurels, circulaires et répétitifs.
The article treats mechanisms and principles that characterized state borrowing through venal offices. It describes how those offices, a resource that kings could and did create at mil, served to attract capital from both their acquirers and, in turn, from others who advanced funds to the acquirers for their purchases. There is, further, a discussion of the king's successive demands of additional capital to be placed in the offices, and of a system of collective loans that the officiers, clustered in corps, floated for the king. This borrowing, always at a rate of interest considerably lower than the king could obtain by himself, locked the state into a regime of privilege that survived until 1789. Finally, it is suggested that the autonomous corps created by the state formed in their members various habits of association that unwittingly contributed to democratic practice after 1789.
* Cet article, qui constitue un des chapitres d'un livre actuellement en préparation, a été publié en anglais (avec une introduction et une conclusion plus développées), dans The French Révolution and the Création of Modem Political Culture, vol. 1, The Political Culture of the Old Régime, Keith Michael Baker éd., Oxford, 1987, pp. 89-114. Le livre lui-même comportera une documentation étayant ce qui ne se présente ici que comme de simples assertions. Je remercie Colin Lucas, William Sewell jr., et John Shy pour leurs utiles observations à la lecture du manuscrit.
1. Encyclopédie méthodique. Finances, 3 vols (1784-1787), II, p. 378.
2. Les sources utilisées ici, que je n'essaierai pas de décrire en détail, sont principalement des documents d'archives. Ils se trouvent pour la plupart, mais non exclusivement, aux Archives Nationales : séries G7 (pour les négociations et les pétitions, jusqu'en 1740 environ), P (longue suite de registres pour les revenus casuels, relatant les ventes), V2 (chancelleries), AD (actes royaux imprimés), et autres documents dispersés dans les séries D, E, et Hl ; et à la Bibliothèque nationale, principalement dans les manuscrits français et les collections Joly de Fleury. Le matériel est abondant et on le trouve partout où il s'agit de finances et de crédit. Les Archives parlementaires, imprimées, sont également très utiles, car la décision de rembourser les charges durant la Révolution impliquait l'investigation de l'histoire financière de nombreuses institutions. Les études classiques sur la vénalité des charges en France sont celles de Louis-lucas, Paul, Étude sur la vénalité des charges et fonctions publiques, 2 vols, Paris, 1883 Google Scholar, traitant des aspects juridiques ; Gôhring, Martin, DieÀmterkàuflichkeit im Ancien Régime, Berlin, 1938 Google Scholar ;G. Pages, « La vénalité des offices dans l'ancienne France », Revue historique, CLXIX (1932), pp. 477-495, et « Le conseil du Roi et la vénalité des offices pendant les premières années du ministère de Richelieu », Revue historique, CLXXXII, 1938, pp. 245-282 ; Mousnier, Roland, La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, 2e éd., Paris, 1971 Google Scholar — l'ouvrage le plus complet et le plus détaillé, bien que s'en tenant, comme celui de Pages, à la première moitié du xvne siècle. Il existe naturellement de nombreuses études consacrées à une institution particulière et touchant tout au moins au sujet en passant, ainsi que divers traitements analytiques et thématiques du sujet dans Taylor, Georges V., « Non Capitalist Wealth and the Origins of the French Révolution », American Historical Review, vol. 72, 1967, pp. 469–496 Google Scholar (sur les offices comme type d'investissement comparable aux rentes et à la terre), et dans trois articles de Giesey, Ralph E. : « Rules of Inheritance and Stratégies of Mobility in Prerevolutionary France », American Historical Review, vol. 82, avril 1977, pp. 271–289 Google Scholar (sur le statut des offices en tant qu'immeubles fictifs et l'usage qu'en faisaient les familles) ; « From Monarchomachs to Dynastie Officialdom », dans State and Society in Europe from the Fifteenth to the Eighteenth Centuries, Jaroslaw Pelenski éd., Varsovie, 1981, pp. 163-176 ; et « State Building in Early Modem France : the Rôle of Royal Officialdom », Journal of Modem History, vol. 55, juin 1983, pp. 191-207 (établit, à plusieurs points de vue importants, la distinction entre la vénalité des offices et la féodalité).
3. Le livre de K. W. Swart, Sale of Offices in the Seventeenth Century, 1949 (rééd. àUtrecht, 1980), quoique indiquant dans sa conclusion (pp. 112-127) certaines différences entre les modèles nationaux, ne fait pas habituellement la distinction entre les paiements effectués très couramment pour les nominations aux différentes charges et l'énorme investissement financier des acquéreurs d'offices en France.
4. Giesey, op. cit.
5. Joseph R. Strayer, Les gens de justice du Languedoc sous Philippe le Bel (Cahiers de l'Association Marc Bloch de Toulouse. Études d'histoire méridionale, n° 5, Toulouse, 1970), pp. 42-45.
6. Les subdélégués étaient tenus d'enquêter sur la fortune des familles et d'en attester dans chaque cas par un certificat. Cf. les Archives départementales de l'Hérault, C 693 : lettre de d'Argenson, ministre de la Guerre, à Saint-Priest, intendant à Montpellier, 1753 ; F.-A. Isambert et al., éds, Recueil général des anciennes lois françaises…, 29 vols, Paris, 1822- 1833, vol. XXII, pp. 303-305 : Déclaration concernant l'École royale militaire, 24 août 1760 ; Archives du ministère de la Guerre, Vincennes, Ya 254, dossier 1776, « Écoles Royales Militaires, Questions auxquelles les parens des enfans qui se présenteront… doivent répondre exactement ». Pour l'application des conditions requises, les archives départementales, qui contiennent des informations sur les candidats refusés comme sur ceux qui ont été acceptés, sont particulièrement précieuses : les archives de Tours (Arch. départ. Indre-et-Loire, C 47) ont une collection complète de dossiers. A Bayeux, le triplement de la capitation payée par les titulaires d'offices, en 1736- 1781, et le doublement de la part payée par les nobles, en 1767-1787, donnent à penser que la capacité d'investigation de l'administration s'était accrue. Voir Kordi, Mohamed El, Bayeux aux XVIIe et XVIIIe siècles. Contribution à l'histoire urbaine de la France, Paris, EPHE, VIe Section, « Civilisations et Sociétés », 17, 1970, pp. 52–54.CrossRefGoogle Scholar
7. Outre les études anciennes bien connues sur les finances de l'État et la fiscalité (Clamageran, M. Marion, E. Esmonin et autres), voir l'important article de Morineau, Michel, « Budgets de l'État et gestion des finances royales en France au XVIIIe siècle », Revue historique, 264, 1980, pp. 289–336.Google Scholar