Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Cet exposé aborde un sujet qui n'a guère été exploré jusqu'ici. Ce thème est encore l'objet d'un certain tabou universitaire, parmi les historiens du moins ; la bibliographie scientifique actuellement consacrée à cette question est impressionnante tant par son volume que par sa qualité, tandis que la bibliographie historique en est courte et tendancieuse.
Nos connaissances concernant l'histoire de l'homosexualité en Europe au Moyen Age et à l'époque moderne peuvent être rapidement résumées : l'homosexualité n'était tolérée qu'au sommet de la société, lorsqu'elle était pratiquée par des hommes assez puissants pour se soustraire aux lois. Des rois, comme Edouard II d'Angleterre, Henri III de France, Frédéric II de Prusse, ou leurs proches (le frère de Louis XIV par exemple) étaient les seules personnes qui pouvaient manifester ouvertement leur homosexualité.
1. Voir, par exemple, M. S. Weinberg et A. P. Bell, Homosexality : An Annotated Bibliography, New York, Harper and Row, 1972, qui, quoique incomplète, reflète probablement fidèlement l'insignifiance de la recherche historique sur ce sujet.
2. Il y aurait une autre étude intéressante à faire sur le traitement (ou sur l'ignorance) de ce thème par les biographes royaux du Moyen Age jusqu'à nos jours.
3. Le Goff, Jacques, La Civilisation de l'Occident médiéval, Paris, 1964, p. 392.Google Scholar
4. Russell, Jeffrey B., Witchcraft in the Middle Ages, Ithaca, 1972, p. 95 Google Scholar, cite une affaire datant de 1114 comme étant la première où l'on relève une accusation explicite d'homosexualité dans un procès pour hérésie. Le texte qui se rapporte à l'affaire, et qui provient de l'Autobiographie de Guibert DE Nogent, III, 17, est légèrement ambigu : « Et sûrement partout où ils se trouvent disséminés dans le monde latin, vous pourrez voir des hommes viVant avec des femmes de telle façon que l'homme n'habite pas avec la femme, le mâle avec la femelle, mais que les hommes sont réputés coucher avec les hommes et les femmes avec les femmes ; parmi eux les hommes n'ont pas le droit d'approcher les femmes » (d'après la traduction de W. Wakefield et A. P. EVans, Hérésies of the High Middle Ages, New York, 1969, p. 103). Les explications des hérétiques étaient que les sexes dormaient séparément afin de mieux préserver leur chasteté.
5. Pour une référence explicite à l'homosexualité dans la confession d'un hérétique à la fin du XIIIe siècle, voir Russell, Witchcraft, pp. 162 et 341, note 41. Un obscur chroniqueur du XIVe siècle attribuait la chute de Sodome et Gomorrhe à 1’ « hérésie » ; voir Robert E. Lerner, The Heresy of the Free Spirit in the hâter Middle Ages, Berkeley, 1972, p. 4. Au début du XVe siècle, l'Inquisition au Languedoc réservait ses peines les plus lourdes à ceux qu'on accusait de «sorcellerie et sodomie » : Russell, Witchcraft, p. 219.
6. Bien sûr les cours laïques avaient revendiqué d'avoir juridiction dans les affaires d'homosexualité bien aVant ; cependant, les premières affaires, à propos desquelles on soit sûr que des homosexuels aient été réellement brûlés semblent se situer à Bourges (1445) et à Zurich (1482) ; voir Arno Karlen, « The Homosexual Heresy », The Chaucer Review, 6, 1971, p. 49.
7. Voir Karlen, pp. 51, 45-46, et les références.
8. A Venise, les Dix furent les premiers à exécuter un homme pour sodomie en 1492. De 1545 à 1641, au moins 5 des 14 hommes qui furent décapités et brûlés pour sodomie par les Dix étaient des prêtres, selon un manuscrit (incomplet), Vollume de’ Giustiziati in Venezia, datant du XVIIIe siècle appartenant la Newberry Library de Chicago (Case/MS/6A/34), pp. 13, 16, 17, 18, 19, 21, 23, 39. En outre, des 3 600 procès subsistant de l'Inquisition vénitienne, il y en a 18 (1/2 %) pour sodomie, répartis entre 1553 et 1771 ; au moins n d'entre eux impliquaient des ecclésiastiques. Voir Venise, Archivio di Stato, Indice N 303, Sant'Uffizio, pour un inventaire général.
9. Paul Zumthor décrit le châtiment infligé en Hollande aux homosexuels (ils étaient cousus dans un sac et lancés par-dessus bord) dans La vie quotidienne en Hollande au temps de Rembrandt, Paris, 1954, p. 132. Pour l'Angleterre, nous disposons d'un bon aperçu de la théorie juridique dans Social Control of Sex Expression, Londres, 1930 de Geoffrey MAY : même les pairs pouvaient y être mis à mort pour sodomie. Voir le cas du comte de Castlehaven en 1631, décrit par Caroline Bingham, « Seventeenth-Century attitudes toward déviant sex », Journal of Interdisciplinary History, I, 1971, pp. 447-468.
10. En outre, la France est un des rares endroits où ait été publiée la collection complète des documents des procès de la principale juridiction, le Parlement de Paris : Dr Lodovico Hernandez (pseud. de Fernand Fleuret et Louis Perceau), Les Procès de Sodomie aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1920, et son vade-mecum, Les Procès de Bestialité aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 1920.
11. Mentionné par Bernard Môller, Villes d'Empire et Réformation, trad. A. Chenou, Genève, 1966, p. 34, note 35.
12. Consulter, par exemple, les Archives de l'État, Neuchâtel, 60 (Procès criminels à Neuchâtel de 1535 à 1667), pp. 191-195 (Marion Henry et David Nicolet, tous deux brûlés en 1597) ; Archives de l'ancien évêché de Bâle, Porrentruy, B 168 (Criminalia), liasse 18 (Procès de François des Boeufs, 1615 : il tenta de faire un pèlerinage à Rome à cause de ses nombreux actes de sodomie et de bestialité) ; Archives Cantonales Vaudoises, Lausanne, Bh 20, 2e partie (Procès Michel Uldry, 1627, écartelé vif et brûlé face contre terre pour bestialité). De l'autre côté de la frontière, en Franche-Comté, on trouve quelques affaires isolées comme celle d'un homme en 1604 : Francis Bavoux, Hantises et Diableries dans la terre abbatiale de Luxeuil, Monaco, 1956, p. 187 ; ou bien celle d'un porcher du Montbéliard luthérien ; il fut seulement fouetté, à cause de sa jeunesse, mais la truie fut brûlée. Voir Alexandre Tuetey, La Sorcellerie dans le pays de Montbéliard au XVIIe siècle, Dole, 1888, p. 21.
13. Archives d'État, Genève (dorénaVant AEG), Procès Criminels (dorénaVant P.C., Ir e série, 517.
14. Les registres criminels de Genève sont naturellement incomplets, mais on a des raisons de penser que la plupart des procès de sodomie, sinon tous, ont été conservés. En comparant la liste complète de 197 affaires criminelles jugées entre février 1512 et février 1563 (AEG, P.C., IIe série, # 1246) avec les 92 dossiers qui subsistent aujourd'hui, nous voyons que douze des treize peines capitales (dont deux pour sodomie) ont été conservées ; la plupart du temps, les registres manquent pour des crimes mineurs comme le vol.
15. Cet épisode est décrit dans mon ouvrage Calvinists in Turbans, Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 29, 1967, pp. 443-445.
16. AEG, P.C., IIe série, # 1634.
17. Ibid., Ire série, # 2013.
18. Ibid., Ire série, # 2016, 2017, 2018, 2019, 2022.
19. Ibid., Ire série, # 517.
20. Ibid., Ire série, # 957.
21. Ibid., Ire série, # 971.
22. Ibid., Ire série, # 1078.
23. Ibid., Ire série, # 1452.
24. Ibid., Ire série, # 1324.
25. Ibid., Ire série, # 1167.
26. Ces estimations sont les premiers résultats d'une recherche de démographie historique sur les réfugiés religieux français dans la Genève de Calvin, entreprise par M. Gustave Moeckli, Mme Christiane Dufour et moi-même.
27. AEG, P.C., IIe série, # 1073 ; Ire série, # 4215.
28. Ibid., Ire série, # 1167 et # 1359 (le principal plaignant dans cette dernière affaire était Agrippa d'Aubigné, alors âgé de quinze ans).
29. Ibid., Ire série # 1560.
30. Ibid., Ire série, # 2981, 3330, 3331, 3768.
31. Je connais une seule affaire semblable antérieure à 1600 : AEG, P.C., IIe série, # “84.
32. Ibid., Ire série, # 2238, 2297, 2378.
33. Ibid., Ire série, # 3696, 3777, 4405.
34. Ibid., Ire série, # 561.
35. Ibid., Ire série, # 1465.
36. « Commettre crime détestable et contre nature, tel est si vilain que pour l'horreur d'iceluy il n'est ici exprimé. » Une telle phrase, à ma connaissance, n'apparaît jamais dans les sentences pour les homosexuels.
37. Sur le rôle de Colladon, consulter mon ouvrage Witchcraft in Geneva, 1537-1662, Journal of Modem History, 43, pp. 189-191, 204.
38. Dans les Archives d'État de Fribourg (dorénavent AEF), il y a une rubrique « Sodomie » dans les indices contemporains des Ratsmanualen.
39. Gaston Castella, Histoire du Canton de Fribourg (Fribourg), 1922, donne un exposé clair du progrès de la Réforme catholique dans cette région.
40. Archives Cantonales Vaudoises, Lausanne, Bh 20, Ire partie, procès Pierre Guedon (6-5-1595).
41. AEF, Papiers de l'Abbaye de Hauterive, tiroir 2, 9. Il est vrai que les théoriciens de la sorcellerie au XVe siècle n'ont jamais, à une exception près, associé sodomie et sorcellerie (voir Russell, Witchcraft, p. 239), mais ceci peut-être seulement un signe de plus que les procès de sorciers ont deVancé les théoriciens dans la formation de ce phénomène (ibid., pp. 243 et 250).
42. AEG, P.C., Ire série, # 2297.
43. AEF, Thurnrodell # II , procès H. Peller (26-8-1620).
44. AEG, P.C., Ire série, # 2205.
45. AEF, Thurnrodell # 14, procès A. Feudy (20-3-1623).
46. Ibid., Thurnrodell # 14, procès C. Pillet (14-6-1644).
47. AEF, Ratsmanualen, Indices pour décembre 1615 et mars 1641.
48. AEF, Thurnrodell # 13, procès J. Cuasset (10-9-1635).
49. Melchior Goldast, Rechtliches Bedencken von Confiscation der Zauberer und Hexen-Gùther, Bremen, 1661, p. 54, cité par Siegfried Leutenbauer, Hexerei- und Zauberdelikt in der Literatur von 1450 bis 1550, Berlin, 1972, p. 100.
50. AEF, Thurnrodell # 16, procès P. Chappaley (12-8-1661). L'accusé étant sourdmuet, on ne pouvait donc le torturer avec le strappado (les mains liées), on a dû le libérer presque aussitôt.
51. AEF, Thurnrodell # 17, procès M. Ribotel (4-2-1683). Les derniers aveux de sorcellerie à Fribourg remontent effectivement à 1737, mais leur caractère totalement atypique a été brillamment démontré par Nicolas Morard, « Le procès de la sorcière Catherine Repond dite ‘ Catillon ’ : superstition ou crime judiciaire ? », Annales Fribourgeoises, 50, 1969-1970, pp. 13-80, spéc. 14, note 1.
52. Mon article sur la sorcellerie genevoise (supra, note 37) avait malheureusement négligé le procès de Pernette Vouan en 1681 (AEG, P.C., Ire série # 4498) et c'est pourquoi il contient l'assertion fausse selon laquelle le dernier procès de ce genre à Genève eut lieu en 1662.
53. Archivio di Stato, Venise, Sant'Uffizio, busta 149 : Fra G.B.Foi.
54. Dr Lodovico Hernandez, Les Procès de Bestialité aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, 1920, pp. 194-196 (Sébastien Barillet). Les quatre dernières affaires de bestialité jugées par le Parlement de Paris et sept des onze dernières (à partir d'Antoine de La Rue, en 1622) comportaient aussi des inculpations pour sodomie.
55. Dans ce contexte, il semble à propos de souligner que l'Angleterre, à la différence du continent, gardait une attitude « pragmatique » sur les questions de sorcellerie, ignorant presque tous les liens avec le comportement des hérétiques tracés par les démonologues, tandis que la Suisse Romande — surtout les diocèses de Genève et Lausanne — avait si bien confondu hérésie et sorcellerie au XVe siècle qu'on employait, même au Pays de Vaud, le mot « vaudois » pour « sorcier ». Sur cette différence, comparez, par exemple, Keith Thomas, Religion and the Décline of Magic, Londres, 1971, pp. 439-449 ; et Joseph Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns, Bonn, 1901, pp. 408-415.