Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Étudiant en 1964 diverses survivances de la tripartition fonctionnelle indœuropéenne en Grèce, A. Yoshida avait remarqué que les trois cadeaux que, selon Strabon suivant ici Ephore, la coutume Cretoise prescrit à l'amant d'offrir au jeune homme qu'il a enlevé — bœuf, tenue de guerre, coupe — représentaient une série trifonctionnelle. Dans les trois pages qu'il consacrait à cette question, le savant japonais ne s'est pas interrogé sur la raison d'un tel usage. Or c'est un point qui, selon nous, mérite d'être approfondi : il n'est assurément pas indifférent que dans une pratique dont H. Jeanmaire a remarquablement montré l'importance qu'elle avait dans le système d'initiation crétois, le jeune éromène, désormais agrégé à la société des kleinoi, se trouve en possession de trois objets ordonnés fonctionnellement. Nous connaissons un individu à qui, très normalement, dans le contexte indo-européen, sont attribués de tels objets, dans la légende ou dans le rite : c'est le roi. Assurément le jeune Crétois n'est-il pas un roi, même en puissance.
There is evidence to suggest that Greek initiation rites were an extension of an Indo- European notion, according to which the youth who was about to become a full member of adult society ought to be an accomplished individual embodying the three functions of the tripartite ideology. As P. Vidal-Naquet has shown, the initiation was infact based on an inversion principle : the ephebe, who was to become a hoplite, appears to be an antihoplite. This inversion principle seems to exist in the three realms of Indo-European ideology. Theyouth undergoing initiation was characterized by his inverse behavior by the standards of the secondfunction (he is an anti-hoplite), the thirdfunction (in economie terms, he is a predator, not a producer ; sexually, he is a passive homosexual, not a married procreator), and the first function (by obeying religious rites at odds with the customary practice of sacrifice and acting against recognized values of good, concord, and justice).
2. Trabon, X, 21, (483).
3. Voir le chapitre « Danses et initiations Cretoises», dans Couroi et courètes, Paris, 1939, pp. 421-460 ; en particulier, La société des Kleinoi, pp. 450-455. Rappelons qu'il s'agit d'un rite d'agrégation à une Élite parmi les citoyens.
4. sur cette question nous renvoyons aux travaux de Dumézil, G., Mythe et Épopée, I, Paris, 1968, pp. 446–456;Google Scholar Dubuisson, D., Revue historique (R.H.), XCVII, pp. 289–294 Google Scholar, R.H.R., XCIII, 1978, pp. 153-164, Annales E.S.C., 1978, n° 1, pp. 21-34.
5. Cette position exceptionnelle du roi au sein du système triparti a Été Étudiée en particulier par G. DUMéZIL, dans La regalità sacra, Leyde, 1959, pp. 407-418, et D. Dubuisson, art. cités.
6. sur ce thème important, voir D. Dubuisson, Annales E.S.C., 1978, n° 1, pp. 32-33, n. 40.
7. Dans Annales ESC, 1979, n° 6, p. 1 170.
8. Voir Sergent, B., Annales E.S.C 1979, n° 6, pp. I 176-1 I 81Google Scholar, à propos de Strabon, X, 4, 16 (480).
9. Voir références dans D. Dubuisson, Annales ESC, art. cité, pp. 32-33, n. 40. On trouve des traces du thème dans le rituel d'initiation aux mystères de Mithra(voir Widengren, G., Les religions de l'Iran, Paris, 1968, p. 209 Google Scholar).
10. Voir Couroi…, pp. 448-449.
11. Voir Couroi…, pp. 444-450. Dans ce texte se retrouvent des Éléments classiques de l'initiation : jeunesse du héros, thème de la mort suivie de résurrection, intervention des Courètes (ou d'Apollon).
12. Apollodore, 3, 2, 2, 3: les Courètes lui dirent que le roi avait une vache tricolore dans ses troupeaux (agelai) et que celui qui trouverait la comparaison la plus adéquate pour un tel spectacle pourrait aussi rendre la vie à l'enfant. Hygin, Fables, 136 : il Était né un veau qui changeait trois fois de couleur chaque jour, toutes les quatre heures ; il Était d'abord blanc, puis roux, et enfin noir. TzetzÈS, scolie à Lycophon, Alexandra, 811 : le ressusciterait celui qui dirait à quoi ressemble la vache tricolore de Minos. Eschyle, cité par ATHéNéE, 11,51 D : les mûres qui sont en effet blanches, d'un noir obscur et d'un rouge brillant.
13. Déjà, dans Jupiter, Mars, Quirinus, I, Paris, 1941. pp. 63–67 Google Scholar, 94-99. 116-117.
14. Voir Dumézil, G., L'idéologie tripartie des Indo-Européens, Bruxelles, 1958, pp. 25–27 Google Scholar, Benveniste, E., Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, I, pp. 279–292 Google Scholar, et en dernier lieu J. Naudou, $.H.R., XCVII, 1980, pp. 7-26.
15. Dans Rituels indo-européens à Rome, Paris, 1954, pp. 45-72. Pour des faits italiques allant dans le même sens, Gerschel, L., Annales ESC, 1966, n° 3, pp. 608–631.Google Scholar
16. Dans Volkskunde, II, 1942, pp. 1-10. Certains traits celtiques ont aussi Été notés par G. DUMéZIL, loc. cit.
17. La réalisation de la troisième couleur est variable selon les lieux : noir en Inde (dans le système ancien à trois couleurs), dans les légendes germaniques, mais bleu chez les Hittites, à Rome et en Iran. Mais ce qui importe, c'est qu'il s'agisse d'une teinte sombre. Voir les remarques de J. Andréa propos du latin caeruleus, dans études sur les ternies de couleurs de la langue latine, Paris, 1949, pp. 162-183.
18. Sur le problème en général, on consultera, Marrou, H. L, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, 6 e Édition, Paris, 1964 Google Scholar; Brelich, A., Le iniziazioni, Rome, 1962.Google Scholar
19. Pour les rites de passage en Crète, outre H. Jeanmaire, loc. cit., on se reportera principalement à WiilEts, R. F., Aristocratie Society in Ancient Crète, Londres, 1965 Google Scholar, specialemeni pp. 18-27, 120-123. Ancient Crète, Londres-Toronto, 1965, pp. 110-118.
20. Dans la vaste bibliographie sur la cryptie et l'éducation Spartiate, nous avons surtout utilisé H. Jeanmaire, R.E.G.. XXVI, 1913, pp. 121-150, Couroi…, pp. 463-588, FinlEy, M. L. dans Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, Paris, 1968, pp. 143–160.Google Scholar
21. Pour l'éphébie athénienne, voir par exemple Péiékidis, C., Histoire de l'éphébie attique, Paris, 1962.Google Scholar Vidal-Naquet, P., Annales ESC, 1968, n° 3, pp. 947-964.Google Scholar La thèse de U. V. Wilamowitz, d'une création récente (Arisloleles und Alhen, Berlin, 1893, I, pp. 193-194) peut être considérée comme dépassée.
22. Voir Platon, Lois, pp. 625-626, 633.
23. Voir Effenterre, H. Van, dans Mélanges C. Picard, Paris, 1948, pp. 1033–1046.Google Scholar Sur le rôle des eschatia, terres disputées des confins, zones incultes de chasse, dans la formation des jeunes en général, voir BrelIch, A., Guerre, agoni e culti nella Grecia arcaica, Bonn, 1966.Google Scholar
24. Voir scolie à Platon, Lois, p. 633 B.
25. Voir article Revue d'études grecques (R.E.G.), spécialement pp. 142-143.
26. Voir article Annales ESC, 1968, n° 3, pp. 954-955.
27. Sur ce point, P. Roussel, R.E.G., XXXIV, 1921, p. 459.
28. Voir article Annales ESC, op. cit., pp. 949-953, 964.
29. Rappelons que sur ce point les faits crétois correspondent sans doute aux données Spartiates : aux cryptes lacédémoniens répondent les skotioi crétois (H. Jeanmaire, Couroi…, pp. 426-427, R. F. Willets, Ancient Crète, p. 114).
30. Voir article Annales ESC, op. cit., pp. 954-955, 964.
31. Dans Les rites de passages, Paris, 1909.
32. Voir article Annales ESC, op. cit., p. 956.
33. Dans Le iniziazioni, p. 51.
34. VoirStrabon, X, 4, 20(482) ; à ce propos, A. Brelich, op. cit., p. 53 ; R. F. Willets, Ancient Crète, p. 113.
35. Voir sur la question H. Jeanmaire, Couroi…, pp. 456-460 (à corriger par H. L Marrou, op. cil.) -, A. Breijch, op. cit., p. 49 ; P. Vidal-Naquet. op. cit., p. 960 (qui a bien vu la valeur d'inversion de cette pratique).
36. Pour des faits analogues à Thèbes, Plutarque, Œuvres morales, 761 B.
37. Paul Veyne a bien montré que pour l'Antiquité, l'opposition n'est pas à poser entre sexualité homo- et hétéro-sexuelle, mais entre sexualité active et passive. A ce titre un adulte peut être très normalement Éraste, mais il ne peut plus être pathicos, sinon par une aberration monstrueuse ; voir Annales ESC, n° 1, 1978, pp. 35-36, L'Histoire, XXX. 1980, pp. 76-78.
38. C'est la leçon qui découle du mythe de Prométhée, où dans le partage de Mékonè qui Établit la séparation des dieux et des hommes est impliquée la nécessité du travail agricole. Désormais, la nécessaire céréale — bios — leur a Été cachée par Zeus. Voir l'analyse de J.-P. Vernant, Ann. Scuola norm. super. PisafA.S.N.P.), III, VII, 1977, pp. 330-332 et La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979. pp. 58-63.
39. Voir H. Jeanmaire, Couroi…, p. 506, A. Brelich, op. cit., p. 49.
40. Au moins d'après scolie à Platon. Lois, 633 B. Pour Plutarque, Lycurgue, 28. le crypte emporte de quoi manger. Mais si comme le dit le scoliaste l'épreuve durait un an. ces provisions devaient être renouvelées.
41. On sait que H. Jeanmaire a rapproché la cryptie de la lycanthropie, Couroi…, pp. 540-569. Sans aller jusqu'à identifier les deux (réserves de M. L Finley, art. cité, p. 147), on doit reconnaître au moins une analogie profonde entre le crypte et le loup (W. Burkert, Homo necans, Berlin, 1972, p. 105).
42. C'est le conseil que donnent les loups aux futurs hommes-loups du Socrate. les Hirpi Sorani, dans Servius, Commentaire à /'Enéide, XI, 785.
43. Dans la formation des jeunes Lucaniens, mise en parallèle par Justin, XXIII, I (suivant des sources grecques du ivc siècle) avec les coutumes Spartiates, le principe est clairement posé : cibus lus praeda venatica. Voir Napoli, A., Studie Malerialiper la Sloria délie Religioni (S.M.S.R.), XXXVII, 1966, pp. 61–83.Google Scholar
44. Voir respectivement article Annales ESC, op. cit., pp. 960-963, et Dionvsos mis à mort, Paris. 1977, pp. 124-131.
45. Pour une distinction ultérieure entre deux formes de chasse, l'une typiquement Éphébique et l'autre adulte, « intégrant la morale de l'hoplite », P. Vidal-Naquet, loc. cit.
46. Voir en particulier la présentation de M. Détienne, Dionysos…, pp. 15-11.
47. Sur le sacrifice comme principe d'organisation de l'univers des hommes, voir l'analyse du mythe de Prométhée par Vernant, J.-P., dans Il mito greco, Urbino, 1973 Google Scholar (Rome, 1977), pp. 91 -106, art. A.S.N.P., pp. 905-940, La cuisine du sacrifice…, pp. 37-132. Sur le statut du bœuf laboureur, Détienne, M., Les jardins d'Adonis, Paris, pp. 71–114.Google Scholar Pour l'analyse des mythes d'origine du sacrifice du bœuf en Attique, Également, J.-C. Durand, dans Il mito greco, pp. 121-134.
48. Que ce passage par une période d'économie de chasse représente un retour à un État d'avant la civilisation définie par l'agriculture et l'organisation sociale de la polis est certain. Mais sur l'inadéquation d'une explication de type historique pour rendre compte de ce qui est dans notre cas avant tout une inversion de la réalité normale, M. Détienne, Dionysos…, pp. 64-77.
49. Cette signification du bœuf dans le contexte a Été soulignée par A. Yoshida, art. cit., R.H.R., 166, 1964, pp. 21-38.
50. Sur l'importance des compétitions dans ce cadre, voir A. Brelich, Le iniziazioni, pp. 83-106, Guerre, agoni e cultl
51. Voir Couroi…, pp. 545-547.
52. Principalement XéNophon, Gouvernement des Lacédémoniens, 2,9.
53. Voir Servius, Commentaire à I'Enéide, XI, 785. Pour des faits parallèles dans le monde latin et grec, AlFolDi, A., Die Struktur des voretruskischen Rômerstaates, Heidelberg, 1977, pp. 141–148 Google Scholar, et notre article dans Recherches sur les religions de l'antiquité classique, Genève, 1980, pp. 267-300. Il s'agit d'une transgression des règles, habituellement faite par des êtres en marge (par exemple, Rémus).
54. Sur un autre exemple de sacrifice monstrueux d'enfant, celui de Dionysos dans le récit orphique, M. Détienne, Dionysos…, pp. 163-217.
55. Sur Lycaon et les hommes-loups arcadiens, PiccalUga, G., Lykaon, un tema mitico, Rome, 1968.Google Scholar
56. Voir supra, n. 41.
57. Voir La guerre des géants, Paris, 1952, pp. 240-255.
58. Dans Homo necans, pp. 98-108.
59. On rappellera que le Zeus Cretois, celui que l'hymne du Diktè appelle le très grand Couros, apparaît très lié à l'initiation (voir H. Jeanmaire, Couroi…, pp. 427-444).
60. Voir supra, n. 47.
61. D'après Plutarque, Vie de Lycurgue, 28, 7.
62. Sur la question, voir principalement H. Jeanmaire, art. R.E.G., Couroi…, pp. 550-554.
63. Voir l'exemple significatif cité dans R.E.G., pp. 148-150.
64. Voir H. Jeanmaire, Couroi…, pp. 540-550 ; A. Brelioh, Le iniziazioni, p. 50.
65. Voir Couroi…, pp. 513-514 ; Le iniziazioni, p. 50.
66. Dans XéNophon, Gouvernement des Lacédémoniens, 4 ; voir aussi Plutarque, Vie d'Agésilas, 5.
67. Sur cet aspect ambigu de Veris, voir l'analyse de J.-P. Vernant à propos du mythe des races d'Hésiode, R.H.R., CLVII, 1960, p. 53 ; Mythe et pensée chez les Grecs, I, Paris, 1965, pp. 40-41.
68. Voir B. Sergent, art. cité, pp. I 170-1 171, à propos de Strabon, X, 4, 16(480), relatif aux fondements théoriques des constitutions Cretoises.
69. Sur l'importance des survivances de l'idéologie indo-européenne en Crète, et aussi à Sparte, B. Sergent, art. cité, pp. 1 176-1 177.
70. On peut certes s'essayer à distinguer trois types d'épreuves qui seraient fonctionnels : ainsi, pour Sparte, dire que les larcins par lesquels les adolescents doivent se nourrir représentent une Épreuve de troisième fonction, la bataille rituelle du Platanistas, une de seconde, le vol des fromages à l'autel d'Orthia, une de première. Mais c'est là une reconstruction gratuite, que rien n'autorise : ces données n'apparaissent pas articulées en un schéma unitaire dans nos sources.
1. Cf. L'Arc. n° 70, « La crise dans la tête », plus particulièrement André Green, « L'intellectuel et le désir de vérité », pp. 33-44.