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Histoire et anthropologie des sociétés nomades : le cas d'une tribu d'Iran*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Jean-Pierre Digard*
Affiliation:
C.N.R.S., Paris

Extract

Le développement de l'anthropologie moderne, en faisant apparaître la diversité des sociétés et de leur évolution, bouleverse quelque peu les schémas anciens. Il devrait en résulter un approfondissement de l'analyse des sociétés précapitalistes, notamment en ce qui concerne l'apparition de la propriété privée, la formation des classes et le passage à des formes étatiques d'organisation sociale. Pourtant, certaines de ces sociétés, dont l'économie repose sur l'élevage nomade, restent mal connues en dépit de leur immense importance historique. Les anthropologues s'interrogent aujourd'hui, après Marx et Engels, sur les possibilités d'une évolution spécifique de ces sociétés, caractérisée par la rapidité des processus de dissolution des formes communautaires et d'accentuation de la différenciation sociale.

Type
Inter-Sciences
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1973

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Footnotes

*

Ce texte est une version revue et augmentée d'une communication faite le II décembre 1971 au Centre d'Études et de Recherches Marxistes dans le cadre d'une réunion de travail sur les sociétés pastorales. Les interprétations qui sont proposées ici résultent d'un premier stade de dépouillement et d'analyse de la documentation historique et des matériaux recueillis sur le terrain en 1969-1970. Je remercie tous ceux qui auront pu me faire part de leurs remarques : P. Bonte, R. Cresswell, M. Godelier, A.-G. Haudricourt, C. Meillassoux, J. Suret-Canale au C.E.R.M. ; M. Berque, qui m'a permis d'exposer quelques-uns de ces problèmes à son séminaire du Collège de France ; et tout particulièrement M. Rodinson qui a bien voulu relire le manuscrit de cet article.

References

1. Il s'agit de passages dispersés. Voir : Engels, L'origine de la famille…, Éd. Sociales, 1971, pp. 29, 225, etc., et surtout : Marx, les « Formen », dans Sur les sociétés précapitalistes, C.E.R.M., même édit., 1970, pp. 180-226.

2. D'après un recensement publié par le Ministère du Développement et du Logement, Téhéran, juin 1969 (en persan). A part quelques témoignages de voyageurs déjà anciens, aucun travail systématique sur les Bakhtyâri n'a pour l'instant été publié. Sur des tribus voisines, mais quelque peu différentes, voir Feilberg, C. G., Les Papis, Copenhague, 1952 Google Scholar et surtout l'excellent Barth, F., Nomads of South Persia, the Basseri tribe of the Khamsch confederacy, Oslo, 1961,Google Scholar rééd. 1964.

3. Les Bakhtyâri emploient indifféremment le terme persan ou le terme turc.

4. Voir le Sharaf Nâma, I, p. 26 et Shihâb ed-Dîn al-'Umari, trad. Quatremère, XIII, pp. 330-332.

5. Cette thèse, appuyée d'une imposante documentation, est soutenue et étendue à une bonne partie des montagnes du monde turco-iranien par X. de Planhol, Les fondements géographiques de l'histoire de l'Islam, Paris, 1968, pp. 197-219.

6. Ta'rîkh-i Guzîda, éd. E. G. Browne, XIV, p. 550.

7. Surtout Muntakhab al-Tavârikh-e Muinî, Aubin, J. édit., Téhéran, 1957, p. 44 Google Scholar ; voir également Minorsky, V., article « Lur-i-buzurg », Encyclopédie de l'Islam, III, 1936, p. 48.Google Scholar

8. L'abandon du chariot à bœuf dont les anciens nomades indo-européens étaient équipés au profit du bœuf porteur (encore utilisé occasionnellement par les Bakhtyâri) remonte à beaucoup plus loin. Quant au cheval, il était connu à Suse (donc à la limite du pays Bakhtyâri) au IVe millénaire av. J.-C, mais attelé (char de combat) ; les premiers documents provenant du même endroit et attestant une connaissance de l'équitation avec frein buccal datent du I Ie millénaire (époque Kassite). La selle, les étriers, la bride et la ferrure à clous, qui permirent de donner à l'équitation toute son efficacité, ne seront régulièrement utilisés ensemble au Moyen-Orient qu'à partir du IXe siècle (voir Lefebvre Des Noëttes, L'attelage et le cheval de selle à travers les âges, Paris, 1931). Cet élément d'appréciation est important, s'agissant du développement d'un nomadisme essentiellement cavalier comme celui des Bakhtyâri.

9. Voir notamment Barth, F., « Le nomadisme dans les montagnes et sur les hautsplateaux de l'Asie du Sud-Ouest », Les problèmes de la zone aride, UNESCO, Paris, 1962, P. 372.Google Scholar

10. L'Iran exporte chaque année de 80 à 150 tonnes de gomme adragante, provenant en majeure partie des tribus montagnardes.

11. Voir notamment X. de Planhol, op. cit., pp. 229-231.

12. Sur toute cette période, voir le tableau et les références données par Minorsky, V., article « Lur », Encyclopédie de l'Islam, III, 1936, pp. 43 Google Scholar et 46. Les sources principales restent le Ta'rîkh-i Guzîda et le Sharaf Nâma déjà cités.

13. Haft : « sept » ; chahâr : « quatre » ; lang signifie « jambe » : à rapprocher de la terminologie tribale bédouine : fakhdh, « cuisse ».

14. Ta'rîkh-i Guzîda. Une étude comparative des tableaux des subdivisions de la tribu recueillis par Rawlinson (1836), de Bode (1841), Layard (1844), et Curzon (1889) et réunis par ce dernier dans son livre Persia and the persian question, Londres, vol. II, pp. 286-288, devrait permettre de déceler quelques-uns de ces remaniements.

15. Barth, , chez les Basseri, a bien distingué ces rôles ; voir Nomads of South Persia, Oslo, 1964, pp. 49-70.Google Scholar

16. Ce terme est emprunté à la terminologie mongole.

17. Rish-safid signifie « barbe blanche » ; il s'agit donc d'un chef patriarcal, comparable à 1’ « ancien » du lignage.

18. Voir la dernière mise au point de Gellner, E., Saints of the Atlas, Londres, 1969.Google Scholar

19. Op. cit., 1964, pp. 76 ss., pp. 123 ss.

20. « The steppes of Mongolia and the characteristics of steppe nomadism », Inner Asian Frontier of China, New York, 1951, pp. 66-67.

21. Une civilisation traditionnelle du mouton, thèse d'ethnologie, Paris, 1967, p. 47.

22. Weulersse, J., Paysans de Syrie et du Proche-Orient, Paris, 1946, pp. 96 ss., 113 Google Scholar ss.

23. Sur l'histoire de cette période, voir le résumé de Curzon, op. cit., vol. II, chap. XXIV.

24. Ce caractère « électif » pourrait être discuté, bien qu'il soit confirmé par plusieurs auteurs ( d'Allemagne, H.-R., DU Khorassan au pays des Backhtiaris, Paris, 1911, vol. IV, p. 201 Google Scholar ; Coon, Caravan, rééd. 1964, p. 218 ; Salzman, « Political Organization of nomadic peoples », Proceed. of the American Philosophical Society, III (2), 1967, p. 124) et par les Bakhtyâri eux-mêmes. Je crois qu'il serait plus juste de parler de consensus plutôt que d'élection, ce dernier terme devant être réservé à ses formes athénienne ou occidentales. Encore maintenant, un droit de veto de la tribu s'exerçant négativement peut intervenir dans certains cas, par exemple pour faire céder au cadet plutôt qu'à l'aîné jugé indigne la charge du père.

25. L'interprétation de ce « dualisme » n'est pas aisée et je lui ai cherché en vain des équivalents dans d'autres régions du monde. Les leff berbères ( Berque, J., Structures sociales du Haut-Atlas, Paris, 1955, pp. 424 Google Scholar ss.), dont R. Montagne signale des variantes dans le Kurdistan (Les Berbères et le Makhzen dans le Sud du Maroc, Paris, 1930), sont plutôt des « ligues » politiques auxquelles l'adhésion est libre. Un mode particulier d'organisation des « fiefs » chez les Peuls du Fouta-Djalon m'est indiqué par Suret-Canale, J., qui voit en lui le moyen pour la classe dominante d'éviter une trop grande concentration du pouvoir. Selon G. Vieillard (” Notes sur les Peuls du Fouta-Djalon », Bull, de l'I.F.A.N., II, 1940, p. 123 Google Scholar) : « Le pays était divisé en fiefs, mais c'étaient les gens qui étaient donnés en fiefs. » Je reconnais mieux là, en effet, le clivage Ilkhâni-Hâji-Ilkhâni qui ne divise pas la tribu en deux groupes de lignages possédant chacun leur territoire, mais qui s'introduit au contraire à l'intérieur de chaque lignage sans remettre en cause son appartenance territoriale. Il reste que, chez les Bakhtyâri, le phénomène me semble plus conjoncturel que véritablement structurel.

26. Massignon, L., Annuaire du monde musulman, Paris, 1954, P. 164.Google Scholar

27. Field, H., Contributions to the anthropology of Iran, rééd. 1968, New York, pp.110-111.Google Scholar

28. Barth, op. cit., p. 3.

29. Minorsky, , loc. cit., p. 46 ; Sharaf Nâma, I, p. 48.Google Scholar

30. Sykes, P. M., A history of Persia, Londres, rééd. 1963, vol. II, pp. 256-257.Google Scholar

31. d'Allemagne, H.-R., Op. cit., Vol. IV, p . 201.Google Scholar

32. Pour toute cette période, voir Curzon, op. cit., vol. II, chap. XXIV.

33. Sur le rôle des Bakhtyâri dans la « révolution » de 1906-1909, voir d'allemagne, op. cit., vol. IV, pp. 293-300, et Sykes, op. cit., vol. II, pp. 417-430.

34. Voir Copans, J., « L'anthropologie politique », dans L'anthropologie, science des sociétés primitives ?, Paris, 1971, pp. 146 Google Scholar-148.

35. Population and political System in tropical Africa, New York, 1968.

36. The formation of State, New Jersey, 1968.

37. Voir note 19.

38. The évolution of political society, New York, 1967.

39. Voir aussi Engels, Anti-Dühring.

40. Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie allemande classique.

41. Ajouté par moi (J.-P. D.)

42. Notamment Nadel, S. F., pour qui « l'appartenance à l'État […] est déterminée soit par la résidence, soit par la naissance à l'intérieur des limites du territoire » (Byzance noire, Paris, 1971, pp. 122-123).Google Scholar

43. Sykes, op. cit., vol. II, pp. 257 ss. ; E. Pakravan, Agha Mohammad Ghadjar, Téhéran, 1953, pp. 20-22.

44. Voir note 33.

45. Voir notamment M. Rouholamini, op. cit., p. 4.

46. Stein, A., Old routes of western Iran, Londres, 1940 Google Scholar ; Lindberg, K., Voyage dans le Sud de l'Iran (en 1940), Lund,Google Scholar 1955.

47. La scandaleuse exploitation des nomades par les commerçants sédentaires est dénoncée par Barth, F., « Le nomadisme dans les montagnes… », Les problèmes de la zone aride, p. 375, et surtout,Google Scholar avec plus de précision, par Rouholamini, op. cit., p. 125.

48. Journal de Téhéran du 18 février 1970.

49. Les rapports tributaires ont pratiquement disparu depuis l'élimination des khân par la politique de Rezâ Shâh.

50. Selon l'expression de Rodinson, M., Islam, et capitalisme, Paris, 1966, p. 25.Google Scholar

51. Cf. supra, note 48.

52. Ceux-ci ne sont pour l'instant touchés que par les contributions indirectes.