Article contents
Démanteler le Patrimoine. Les femmes et les biens dans la Marseille médiéval
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Extract
Au début de l'année 1349, peu après la grande peste, le juriste noble Blacier de Montoliu de Marseille arrangeait le mariage de sa jeune fille Biatriseta avec le marchand aristocrate Bertran Candole. La famille de Montoliu avait une position prééminente dans la ville phocéenne. Outre les nombreux chevaliers et damoiseaux, la famille étendue comprenait trois juges, un avocat, des conseillers municipaux et, pendant un an, un syndic. Les membres de la famille étaient liés par mariage à plusieurs autres familles nobles de la ville et sa région. La famille Candole, bien qu'aussi noble que les Montoliu, était moins en vue et moins nombreuse, même si le futur époux, fils d'un damoiseau nommé Uguo, devait faire partie du conseil de Marseille de 1359 à 1361.
Summary
The dowry in medieval Europe has long been understood to be one of the key provisions in a set of statutory regulations that conspired to disinherit daughters and preserve patrimonies within males lines of descent. Evidence from mid-fourteenth-century Marseille reveals that despite these legal norms, daughters at ail social levels frequently enjoyed considerable rights in parental estates, although the coming of the plague appears to have generated new disinheriting strategies among the patriciate. Since much inherited wealth flowed through women 's hands, familial properties were typically reformed in every generation out of the husband's and the wife 's estates. Since husbands typically managed the joint estate, the principle that the wife was by virtue of her dowry the first creditor of an insolvent husband could even be used as a legal shelter in case of bankruptcy. Here, the dowry was serving as a tool not of disinheritance but rather of preservation.
- Type
- Le Droit et les Pratiques Familiales, 14e-19e Siècles
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1997
References
* Je remercie André Burguière, Diane Owen Hughes et Valérie Kivelson pour leur lecture attentive de ce manuscrit.
1. Archives municipales de la ville de Marseille (AM) 1 II 59, ff. 50r.-51r. et f. 53r-v.
2. Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ADBR) IIIB 57, ff. 124r.-128v.
3. Didier, N., « Les dispositions du statut de Guillaume II de Forcalquief sur les filles dotées (1162) », Le Moyen Age, 56, 1950, p. 258.Google Scholar
4. A ce sujet voir, entre autres, Murray, Alexander C., Germanie Kinship Structure : Studies in Law and Society in Antiquity and in the Early Middle Ages, Toronto, 1983 Google Scholar ; Jack Goody et al., éds, Family and Inheritance : Rural Society in Western Europe, 1200-1800, Cambridge, 1976 ; Goody, Jack, The Development of Marriage and the Family in Europe, Cambridge, 1983 Google Scholar ; Ravis-giordani, G. éd., Femmes et patrimoine dans les sociétés rurales de l'Europe méditerranéenne, Paris, 1987 Google Scholar ; Guerreau-jalabert, Anita, « La parenté dans l'Europe médiévale et moderne : à propos d'une synthèse récente », L'Homme, 110, 1989, pp. 69–93.Google Scholar
5. N. Didier, art. cité. Voir Maillet, aussi J., « De l'exclusion coutumière des filles dotées à la renonciation à succession future dans les coutumes de Toulouse et Bordeaux », Revue historique de Droit français et étranger (RHDFE), 30, 1952, pp. 514–545 Google Scholar ; Bellomo, Manlio, Ricerche sui rapporti patrimoniali tra coniugi, Milan, 1961 Google Scholar ; Hughes, Diane O., « From Brideprice to Dowry in Mediterranean Europe », Journal of Family History, 3, 1978, pp. 13–58 Google Scholar ; Kirshner, Julius et Molho, Anthony, « The Dowry Fund and the Marriage Market in Early Quattrocento Florence », Journal of Modem History, 50, 1978, pp. 403–438 Google Scholar ; Julius Kirshner, « Wives’ Claims against Insolvent Husbands in Late Médiéval Italy », dans Julius Kirshner et Wemple, Suzanne F. éds, Women ofthe Médiéval World : Essays in Honor of John H. Mundy, Oxford, 1985, pp. 256–303 Google Scholar ; Dominique Barthélémy, « Note sur le Maritagium dans le grand Anjou des XIe et XIIe siècles », dans Femmes. Mariage-lignages, XIF-XIV” siècles. Mélanges offerts à Georges Duby, Bruxelles, 1992, pp. 9-24 ; Molho, Anthony D., Marriage Alliance in Late Médiéval Florence, Cambridge, Ma., 1994.Google Scholar
6. [..] cum statutum precedens fuerit inventum favore masculorum et causa conservande aqnationis […]. Voir Gabriel de Bonnecorse DE Lubières, La condition de gens mariés en Provence aux XIV, XVe, et XVIe siècles, Paris, 1929, p. 132.
7. Duby, Georges, La société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, Paris, 1953 Google Scholar ; Schmid, Karl, Gebetsgedenken und adliges Selbstvertàndnis im Mittelalter, Sigmaringen, 1983 Google Scholar ; Leyser, K., « The German Aristocracy from the Ninth to the Early Twelfth Century : A Historical and Cultural Sketch », Past and Présent, 41, 1968, pp. 25–53 Google Scholar ; Lewis, Andrew W., Royal Succession in Capetian France : Studies on Familial Order and the State, Cambridge, Ma., 1981 Google Scholar ; Stephen D. White, Custom, Kinship, and Gifts to the Saints : The Laudatio Parentum in Western France, Chapel Hill, NC, 1988 ; T. N. Bisson, « Nobility and Family in Médiéval France : A Review Essays », French Historical Studies, 16, 1990, pp. 597-613.
8. Duby, Georges, Hommes et structures au Moyen Age, Paris, 1973.Google Scholar
9. Heers, Jacques, Le clan familial au Moyen Age : études sur les structures politiques et sociales des milieux urbains, Paris, 1974 Google Scholar ; Kent, F. William, Household and Lineage in Renaissance Florence : The Family Life ofthe Capponi, Ginori, and Rucellai, Princeton, 1977 Google Scholar ; Klapisch-zuber, Christiane, La maison et le nom : stratégies et rituels dans l'Italie de la Renaissance, Paris, 1990 Google Scholar ; Herlihy, David, Médiéval Households, Cambridge, Ma., 1985 Google Scholar ; Diefendorf, Barbara B., « Family Culture, Renaissance Culture », Renaissance Quarterly, 40, 1987, pp. 661–681.Google Scholar
10. Par exemple, G. DE Bonnecorse de Lubières, op. cit., pp. 132-133. Voir Kivelson, aussi Valérie, « The Effects of Partible Inheritance : Gentry Families and the State in Muscovy », Russian Review, 53, 1994, pp. 197–212.CrossRefGoogle Scholar
11. J. Kirshner et A. Molho, art. cité, pp. 403-438.
12. Ricerche sui rapporti patrimoniali tra coniugi, Milan, 1961. Voir aussi Julius Kirshner, art. cité, 1985.
13. A ce sujet, voir Kuehn, Thomas, Emancipation in Late Médiéval Florence, New Brunswick, NJ, 1982.Google Scholar
14. Kuehn, Thomas, « Some Ambiguities of Female Inheritance Ideology in the Renaissance », dans Law, Family, and Women : Toward a Légal Anthropology of Renaissance Italy, Chicago, 1991, pp. 238–257.CrossRefGoogle Scholar
15. Hilaire, Jean, Le régime des biens entre époux dans la région de Montpellier du début du XIII’ à la fin du XVIe siècle, Montpellier, 1957 Google Scholar ; G. Ravis-giordani, « Introduction », dans G. Ravis-giordani, op. cit., pp. 5-23 ; Thireau, Jean-Louis, « Les pratiques communautaires entre époux dans l'Anjou féodal (Xe-XIIP siècles) », RHDFE, 67, 1989, p. 217.Google Scholar
16. Voir Diefendorf, Barbara B., Paris City Councillors in the Sixteenth Century : The Politics of Patrimony, Princeton, NJ, 1983, p. 240.Google Scholar
17. Voir Chojnacki, Stanley, « Dowries and Kinsmen in Early Renaissance Venice », Journal of Interdisciplinary History, 5, 1975, pp. 571–600 CrossRefGoogle Scholar ; Dominique Barthélémy, art. cité, p. 10.
18. Pernoudéd, Régine. et trad., Les statuts municipaux de Marseille, Monaco-Paris, 1949, p. 120.Google Scholar
19. Petitjean, Michel, Essai sur l'histoire des substitutions du IXe au XV siècle dans la pratique et la doctrine spécialement en France méridionale, Dijon, 1975.Google Scholar
20. Voir R. Pernoud, op. cit., livre 2, ch. 47-53, pp. 118-124.
21. R. Pernoud, op. cit., livre 2, ch. 53, p. 122.
22. Comme N. Didier l'a observé, ce n'était pas toujours le cas dans les villes et villages provençaux : les statuts de Nice excluaient la fille dotée de la succession de tout parent, sans se soucier de qui l'avait dotée, tandis que ceux de Manosque l'excluaient des successions de son père, de sa mère et de ses frères et soeurs. Je ne sais pas pourquoi Didier a groupé les statuts de Marseille avec ceux de Nice car ceux de Marseille indiquent clairement que les droits de la fille ne s'éteignent que dans la succession du contribuant. Voir N. Didier, art. cité, p. 252 et nn. 23-24.
23. La mortalité des pères a été un peu accrue par la grande peste de 1348 ; dans 77 dots constituées avant 1348, le pourcentage de pères morts était de 60 %.
24. Il n'était pas normal de stipuler une dot dans un testament à Marseille à cette époque.
25. Comparer au chiffre de 44% cité par A. Courtemanche pour la période de 1341 à 1369 dans la ville provençale de Manosque dans «Femmes et accès au patrimoine en Provence », Le Moyen Age, 96, 1990, pp. 479-501.
26. Les éruptions de la peste en 1348 et en 1361-1362 ainsi que le grand nombre de testaments qu'elles ont produits — 113 sur 231, ou presque la moitié du total pour les années 1337-1362 — ont laissé bien des testateurs avec peu d'enfants, ou même sans enfants. Le nombre moyen d'enfants par testateur pendant les périodes de peste tombe à 0,75 enfant. Quand on exclut les testaments des périodes de peste, le nombre d'enfants moyen par testateur pendant la période est de 1,1. Quand on ne considère que les testateurs avec enfants, le nombre moyen d'enfant pendant les périodes de peste est de 1,7 ; pour les autres années de cette période, il est de 2,46. A peu près le même pourcentage de testateurs pendant les périodes de peste étaient sans enfants (les familles à enfants multiples étaient rares dans les testaments des années de la peste).
27. Il y avait environ 30 notaires licenciés dans la ville à un moment précis. Voir AM FF 166 pour une liste de 33 notaires licenciés en 1351.
28. M. Petitjean, op. cit.
29. ADBR 355E 1, ff. 112r.-114r., 5 mai 1348.
30. ADBR 381E 77, ff. 20r.-21v.
31. Courtemanche, Voir A., La richesse des femmes : patrimoines et gestion à Manosquc au XIV siècle, Montréal, 1993.Google Scholar
32. ADBR 381E 384, ff. 88r.-90v., 16 juillet 1337.
33. A peu près cent livres de plus que la moyenne pour la fille d'un artisan.
34. Le prix moyen des maisons à Marseille était entre quarante et cinquante livres et il était rare qu'une maison coûte plus de cent livres. Les ateliers valaient plus ou moins le même prix.
35. ADBR5G 112.
36. ADBR B 538.
37. ADBR 1HD-H3 (compilé entre 1348-1360) ; ADBR 4HD-B1, ter et quatro combinés (compilé entre 1315-1345, d'où je n'ai tiré que les noms depuis 1335).
38. Pour une discussion des biens non dotaux des femmes, voir Julius Kirshner et Pi.uss, Jacques, « Two Fourteenth-Century Opinions on Dowries, Paraphernalia and Non-Dotal Goods », Bulletin of Médiéval Canon Law, 9, 1979, pp. 64–77.Google Scholar
39. Cf. Turlan, Juliette M., « Recherches sur la quarte du conjoint pauvre », RHDFE, 44, 1966, pp. 210–239.Google Scholar
40. Parmi les artisans génois du 12e siècle, les hommes ont nommé leurs femmes héritières dans 23 % des testaments en existence : voir Diane Owen Hughes, « Domestic Ideals and Social Behavior : Evidence from Médiéval Genoa », dans The Family in History, Charles E. Rosenberg éd., Philadelphie, 1975, p. 126.
41. J.M. Turlan argue qu'une telle permission de maintenir son domicile dans la maison du mari décédé était typique dans les pays de droit écrit, voir J.M. Turlan, art. cité, p. 216.
42. Voir respectivement ADBR 355E 12, ff. 76r.-77v., 28 juillet 1362 et ADBR 355E 293, fl. 145v.-147r., 21 mars 1362.
43. Comme l'a illustré Francine Michaud, Un signe des temps. Accroissement des crises familiales autour du patrimoine à Marseille à la fin du XIIIe siècle, Toronto, 1994.
44. ADBR IIIB 52, ff. 24r.-39v., 12 octobre 1353.
45. Cf. Delille, Gérard, « Dots des filles et cirulation des biens dans les Pouilles aux XVIe- XVIIe siècles », Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen Age, Temps modernes, 95. 1983, p. 210.CrossRefGoogle Scholar
46. ADBR IIIB 39, ff. 33r.-37r., 26 avril 1340.
47. ADBR IIIB 48, f. 283r.-v., 14 décembre 1351.
48. AM 1 II 61, ff. 68r.-69r., et un acte qui s'y rapporte 69v.-70r., tous les deux datés du 9 mars 1350. A. Courtemanche, art. cité, p. 485, cite une expression similaire trouvée dans les privilèges de Manosque : la dot constituait le proprium patrimonium mulierum.
49. ADBR IIIB 817, folio s. n.
50. ADBR IIIB 36, ff. 24r.-31r.
51. ADBR IIIB 34, ff. 83r.-86v., 19 juin 1338.
52. ADBR IIIB 38, feuille détachée entre les folios 16 et 17. […] predicta domus et omnia boita mobilia et immobilia dicti Johannis ac Pétri de Sancto Cannato patris dicti Johannis sunt et fuerunt obligata dicte Jacmete pro 63 libris regalium dotalibus ab anno domini 1313.
53. Voir T. Kuehn, op. cit., 1982, pp. 23-25 et passim.
54. ABDR B 53, ff. 320r.-325r.
55. ADBR IIIB 805, ff. 16r.-18r.
56. ADBR IIIB 54, ff. 76r.-78r., et IIIB 57, f. 83r.-v.
57. Sur la sophistication juridique des gens ordinaires en Europe médiévale et moderne, voir T. Kuehn, op. cit., 1991 ; J. Kirshner, art. cité, 1985, p. 296 ss ; Lawrence Stoni.:, ﹛Incertain Unions : Marriage in England 1660-1753, Oxford, 1992, pp. 15-16 ; G. Augustins, « La position des femmes dans trois types d'organisation sociale : la lignée, la parentèle et la maison », dans G. Ravis-giordani, op. cit., p. 28.
58. ADBR MB 52, ff. 190r.-193v., 21 juin 1354.
59. Ibid., feuille détachée entre les ff. 192 et 193.
60. ADBR IIIB 62, ff. 234r.-236v., 31 juillet 1360.
61. AM FF 539, ff. 49r.-53r.
62. AM FF 539, ff. 37r.-v., 1er avril 1362.
- 5
- Cited by