Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Ce n'est pas d'aujourd'hui que les historiens et les philosophes observent, chacun à leur manière, les conditionnements sociaux, voire socio-économiques, des plus spirituelles pensées et des plus évangéliques vertus. Auguste Comte énonçait déjà fortement le principe de cette cohérence des phénomènes de civilisation, qui, aujourd'hui, suscite une recherche interdisciplinaire. La réaction vive contre tous les « spiritualismes », platonicien, augustinien, cartésien et autres, a heureusement gagné les diverses disciplines religieuses qui couvrent les terres humaines, du langage élémentaire de la foi jusqu'aux comportements mystiques. La théologie elle-même se plaît à retrouver ainsi l'économie des événements qui déterminent son objet, et les Églises, en leur haute délibération, considèrent les mutations qui s'imposent à elles, sous le choc de la civilisation industrielle et scientifique.
1. « En considérant dans son ensemble le développement effectif de l'esprit humain, on voit que les différentes sciences ont été dans le fait perfectionnées en même temps et mutuellement ; on voit même que les progrès des sciences et ceux des arts ont dépendu les uns des autres, par d'innombrables influences réciproques, et enfin que tous ont été étroitement liés au développement général de la société humaine. Ce vaste enchaînement est tellement réel que, souvent, pour concevoir la génération effective d'une théorie scientifique, l'esprit est conduit à considérer le perfectionnement de quelque art qui n'a avec elle aucune liaison rationnelle, ou même quelque progrès particulier dans l'organisation sociale, sans lequel cette découverte n'eût pu avoir lieu… On ne peut connaître la véritable histoire de chaque science, c'est-à-dire la formation réelle des découvertes dont elle se compose, qu'en étudiant, d'une manière générale et directe, l'histoire de l'humanité » (A. Comte, Cours de philosophie positive, 2e leçon, 1830, t. I, p. 81).
2. Nous faisons allusion au Concile du Vatican, dans sa constitution de l'Église Gaudium et spes, et, pour les autres Églises, au Conseil oecuménique de Genève, en 1966, sur « Les chrétiens dans les révolutions techniques et sociales de notre temps ».
3. A. Forest, Arts du langage et théologie chez Abélard, Paris, 1969, pp. 361-362.
4. G. Duby, « Les chanoines réguliers et la vie économique aux xie-xiie siècles », dans Atti délia Settimana di Studio, La Mendola, 1959 : La vita commune del clero nei sec. XI-XII, 1962, I, pp. 72-89.
5. De nombreuses communautés canoniales substituent alors à la législation héritée de l'époque carolingienne une discipline nouvelle qui voulait retrouver la tradition apostolique et interpréter plus littéralement la règle de saint Augustin. D'où la dénomination de ordo novus.
6. De vanitate mundi, I, P.L., t. 176, 709.
7. Cf. G. Duby, loc. cit., p. 88, qui donne en exemple l'installation de la règle de saint Augustin en 1191 à Arles, au seuil de la grande phase de prospérité urbaine et de liberté communale. Nous ne connaissons pas les conditions de la vie économique à Saint-Victor de Paris ; mais les communautés canoniales ont participé à l'essor de l'économie d'échange ; installées en ville ou au pourtour de la ville, elles ont permis le transfert, la concentration vers l'agglomération de revenus ruraux très dispersés.
8. Abélard, Historia calamitatum, P.L., t. 178, col. 118, à propos d'une hésitation de Guillaume : « (…) Non multo post, cum ille intelligeret omnes fere discretos de religione ejus plurimum haesitare, et de conversione ipsius vehementer susurrare, quod videlicet de civitate minime recessiset, transtulit se et conventiculum fratrum cum scholis suis ad villam quamdam ab urbe remotam (…) Quo audito, magister noster statim ad urbem impudenter rediens scholas quas tune habere poterat et conventiculum fratrum ad pristinum reduxit monasterium. »
9. « Hae mechanicae appellantur, id est adulterinae, quia de opère artificis agunt, quod a natura formam mutuatur. Sicut aliae septem libérales appellatae sunt, vel quia liberos, id est expeditos et exercitatos animos requirunt, quia subtiliter de rerum causis disputant, vel quia liberi tantum antiquitus, id est nobiles, in eis studere consueverant, plebei vero et ignobilium filii in mechanicis propter peritiam operandi » Did., II, ch. 20. Sur quoi Hugues fait cette réflexion bienveillante : « In quo magna priscorum apparet diligentia, qui nihil intentatum linquere voluerunt, sed omnia sub certis regulis et praeceptis stringere .»
10. Cf. M.-D. Chenu, « Arts mécaniques et oeuvres serviles », dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, 29, 1940, pp. 313-315.
11. Godefroy De Saint-Victor, dans son Microcosmus, ch. 57, dégage la fabricatura et élimine la theatrica. Le nombre sept est conservé par analogie avec les sept arts libéraux.
12. Elucidarium, qu. 52-66, éd. Y. Lefèvre, 1954, pp. 152-154.
13. Cf. R. Fossier, « Naissance des classes paysannes », dans Histoire sociale de l'Occident médiéval, Paris, 1970, pp. 238-245.
14. En 1125, quarante chapitres ou monastères avaient adopté la réforme victorine.
15. Comme le situe excellemment J. L E Goff, dans Les intellectuels au moyen âge, Paris, 1957, P. 64, pour décrire l'intégration de l'homo faber dans l'humanisme du temps.
16. Cf. aussi le texte qualifié de Jean De Salisbury, à la génération suivante, Polycraticus, VI, ch. 20, sous le titre « Qui sunt pedes reipublicae et de cura eis impendenda ». « (…) In his [offrais] quidem agricolarum ratio vertitur, qui terrae semper adhaerent, sive in sationalibus, sive in consitivis, sive in pascuis, sive in floreis agitentur. His etiam aggregantur multae species lanificii, artesque mechanicae quae in ligno, ferro, aère metallisque variis consistant (…) Haec tôt sunt in republica non octipedes cancros, sed centipedes a pedum numerositate transcendât (…) Tarn variae figurae sunt ut nullus unquam officiorum scriptor in singulas species eorum specialia praecepta dederit. »
17. On ne manquera pas de se reporter à la double monographie de M. David, Les « laboratores jusqu'au renouveau économique des xie-xiie siècles, dans Études du droit privé offertes à P. Petot, 1959, pp. 107-120, et « Les “laboratores” du renouveau économique du xiie siècle à la fin du xive siècle », dans Revue historique du droit français et étranger, 1959, pp. 174-194, 295-325, pour l'intelligence tant des contextes de cette formule que du processus de développement du mouvement urbain.
18. Cf. op. cit., M. David, p. n i , et J. Le Goff, p. 325.
19. Hugues en donne plusieurs définitions qui ne se recouvrent pas, II, ch. I.
20. Godefroy De Saint-Victor, Microcosmus, texte établi et présenté par Ph. Delhaye, avec une étude théologique, Lille, 1951, 2 vol.
21. Gilbert De La Porée, Note super Johannem, ms. Londres, Lambeth Palace 360, fol. 32 rb : « De artificialibus quaeritur utrum a Deo facta sunt, sicut caseus, sotulares, et hujusmodiquae dicuntur esse opéra hominis non Dei. Omnia quidem a Deo facta sunt tanquam ab auctore ; quaedam tamenejus opéra (…) Alia quae hominis ministerio facit, hominum dicuntur. Unus ergo omnium auctor Deus, diversae tamen operandi rationes, et auctoritatis et ministerii, quorum alterum homo dicitur auctor, alterum vero Deus ».
Guillaume De Conches, Glossa in Timaeum, 28 a (éd. Parent, p. 147) : « Sciendum est enim quod omne opus vel est opus creatoris, vel est opus naturae, vel artificis imitantis naturam (…) Opus artificis est opus hominis, quod propter indigentiam operatur, ut vestimenta contra frigus, domum contra intemperiem aeris ; sed in omnibus quae agit naturam imitatur… ». Cf. M.-D. Chenu, La théologie au XIIe siècle, Paris, 1957, PP. 45“4.
22. Par les tables du vocabulaire du Didascalion, dans l'édition de Buttimer, Washington, 1939, on peut se rendre compte que les termes natura, naturalis, d'une part, ratio (et scientia), d'autre part, sont incessament employés.
23. En fait, le ton de la plupart des oeuvres ne s'en tient pas à l'optimisme culturel du Didascalion et est pénétré d'augustinisme.
24. C'est la position d'un maître en la matière, J. Chatillon, « La spiritualité canoniale », dans Saint Chrodegang. Colloque tenu à l'occasion du douzième centenaire de sa mort, Metz, 1967, pp. 120-121, se référant à la controverse tenue avec J. Leclercq, « La spiritualité des chanoines réguliers », dans La vita commune del clero nei secoli XI et XII (Atti délia Settimana di Studio, La Mendola, 1959), Milan, 1962, vol. 1, pp. 117-140.