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« L'histoire qui se prend par les yeux… »1: Michelet et Rubens
Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
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« Le vrai peintre d'Anvers, c'est Metsys ». Cette affirmation est d'autant plus surprenante, sous la plume de Michelet, le q août 1840, qu'elle s'inscrit après plusieurs pages enflammées sur « l'oeuvre inspirée » de Rubens, « l'artisteroi », « le plus haut point de liberté et de facilité que l'art humain ait acquis, le triomphe le plus complet de l'homme dans [sa] rivalité avec la nature… ». Certainement l'expression « le vrai pemtre d'Anvers » est équivoque, et l'on ne saurait a priori privilégier l'un de ses sens (le peintre le plus digne de ce nom, le plus peintre des peintres qu'ait produits la ville d'Anvers), au détriment de l'autre, ou du moins d'un des autres, parmi les plus lisibles (le plus anversois des peintres d'Anvers, celui dont l'oeuvre reproduit ou traduit le plus complètement ou le plus fidèlement la ville d'Anvers, ses sites, sa lumière, ses habitants ou son histoire). On ne peut pourtant pas non plus écarter le premier sens proposé plus haut, même, et surtout, si le contexte y invite. Le début du passage d'où cette phrase est extraite est en effet : « Anvers. Conduits par un flegmatique Anversois. On dit qu'ils sont tels ; M. Veracliter en donne bien cette idée. Évidemment ce n'est pas lÀ la ville de Rubens : il la remplit néanmoins tout entière… » (P).
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- Art et Société
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- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1974
Footnotes
Journal de Jules Michelet, éd. P. Viallaneix, Paris, Gallimard, 1959, t. I, p. 322. Il est question, dans ce passage, du « possesseur » du château-musée d'Eu, le roi Louis- Philippe, que son « brutal sens historique » rend « insatiable d'histoire, de l'histoire qui se prend par les yeux ». Et Michelet ajoute : « D'autre part, le sentiment de l'art est tellement subordonné en lui au sens historique qu'il a laissé derrière une porte le chefd'oeuvre de son musée. »
References
Notes
2. Ibid., p. 346.
3. Ibid., p. 345.
4. Ibid., p. 344.
5. Ibid., p. 346.
6. Cf. ibid., t. II, p. 249 : « A Lyon plus qu'À Rome, plus qu'À Paris, plus qu'en nulle autre ville, la nature a rendu visible, palpable, sous forme matérielle et dans la physionomie même des lieux, la lutte de deux âmes et de deux esprits… » (Saône et Rhône, la Croix-Rousse et Fourvière…)
7. Ibid., t. I, pp. 303-304. Sur « le petit Philosophe » de Rembrandt, voir aussi L'Amour, 2eéd., Paris, Hachette, 185g, p. 88.
8. Nous soulignons. Il faut rapprocher de ce texte celui que Michelet consacre au Chasseur de Géricault, dans le Journal, À la date du 10 juillet 1840 (t. I, p. 332). Alors que dans le furieux tourbillon de la bataille le cavalier semble s'abstraire du cadre (” il se tourne vers nous et pense… cette fois c'est probablement pour mourir. Pourquoi pas ? Ni ostentation ni résignation. C'est tout bonnement un homme ferme et de bronze, comme s'il était mort déjÀ plusieurs fois… »), la description du tableau se termine par ces mots : « La terre est verte et belle ; un pauvre petit ruisseau dont on voit une belle flaque verte nous avertit que, sans la fumée de la poudre, nous verrions peut-être un beau ciel, car il y a une terre et un ciel encore. »
Sur les rapports de Michelet avec le grand peintre romantique français, et en particulier pour mesurer l'originalité de son approche de Rubens, voir notre article « Michelet et Géricault, l'histoire d'un mythe, un mythe dans l'histoire », dans R.H.L.F., nov.-déc. 1969, pp. 979-992.
9. Barthes, Cf. R., Michelet par lui-même, Paris, éd. du Seuil, 1954, p. 179 et passim Google Scholar.
10. Verhaeren, E., Pierre-Paul Rubens, Bruxelles, Librairie nationale d'Art et d'Histoire, 1910, in-8°, p. 20 Google Scholar.
11. Ibid., p. 7.
12. Ibid., p. 21.
13. Il serait injuste d'utiliser ici le Rubens de Verhaeren comme pur repoussoir, sans dire combien ce texte est, malgré les contraintes du genre, un vrai texte poétique où, si elle existe, passe la « flamandité ». Il présente un grand nombre de formules heureuses. A propos des Trois Grâces du Prado, par exemple, Verhaeren écrit : « Ce sont des caresses données À de la clarté condensée. »
14. Voir Claudel, Le Soulier de Satin, 2e Journée, scène 5.
15. Cours de 1848, publié sous le titre L'Etudiant, Paris, Calmann-Lévy, 1877, in-18, p. 35. Et ailleurs : « le mot me plaît, je l'accepte… Barbares. Oui, c'est-À-dire pleins d'une sève nouvelle, vivante et rajeunissante. Nous avons, nous autres Barbares, un avantage naturel ; si les classes supérieures ont la culture, nous avons bien plus de chaleur vitale… » (cité par R. Barthes, op. cit., p. 159).
16. Pour alléger le texte même de cette étude, nous proposons, en appendice, un tableau récapitulatif de tous les passages du Journal de Michelet ayant trait explicitement À Rubens. Les lettres majuscules entre parenthèses renvoient À ce tableau.
17. Histoire du XIXe siècle, 2e partie, chap. Ier
18. Journal, t. I, p. 328. Il est remarquable que le nom de Rubens ne figure pas dans les Écrits de jeunesse (éd. P. Viallaneix, Paris, Gallimard, 1959) où l'on rencontre ceux de Poussin, Michel-Ange, Van Loo, Géricault…
19. Ibid., p. 104.
20. Ibid,, pp. 105 et 106.
21. Ibid., p. 105. Les Hollandais, refusant de reconnaître l'indépendance de la Belgique, proclamée À Londres en novembre 1831, occupaient toujours Anvers, que les troupes françaises finirent par prendre d'assaut, en décembre 1832.
22. Ibid., p. 227.
23. Ibid., pp. 344-345.
24. En cela encore, c'est À Metsys que Michelet l'oppose, « ce grand artiste populaire », « le forgeron d'Anvers » (voir Journal, t. I, p. 346).
25. Voir Ibid., pp. 231, 242, 303-304.
26. Ibid., pp. 227-228. Nous soulignons. En réalité, le tableau « du soir » a été fait deux ans avant celui « du matin ».
27. Ibid., p. 105.
28. Ibid., p. 226.
29. Ibid., p. 227.
30. Ibid., pp. 231-232.
31. Ibid., pp. 242-243.
32. Ibid., p. 248.
33. Ibid., p. 249.
34. Voir Ibid., p. 269.
35. Ibid., pp. 322-323. La Galerie du Luxembourg fut décorée par Rubens, entre 1617 et 1625, À la demande de Marie de Médicis, de vingt et une toiles représentant la vie de la Reine de France. Ces toiles sont maintenant au Louvre. Elles sont évidemment toutes glorieuses et triomphantes, comme il convenait À la puissante mère de Louis XIII. Au-delÀ de la réflexion de l'historien-moraliste qui fait ici allusion au vieux schéma grandeur et décadence, ou sic transit gloria mundi, c'est aussi une critique de Rubens, de l'uniformité de son atmosphère, de l'unipolarité apparente de son inspiration.
36. Cf. R. Barthes, op. cit., p. 54 : « Michelet est ouvreur et découvreur. Son savoir est viol. Ne voulait-il pas d'ailleurs prendre pour devise cette inscription d'une vieille épée médiévale : penetrabit, elle pénétrera ? »
37. Voir, par exemple, l'extraordinaire effet produit par les trois personnages de droite, dans la Circoncision, d'autant plus remarquable que tous les autres personnages détournent leurs yeux de l'Enfant Jésus.
38. Sur ce jeu des regards dans toute la représentation classique, on ne peut que renvoyer À la magistrale analyse que M. Foucault a donnée des Suivantes de Vélasquez, dans Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, pp. 19-31.
39. Journal, t. I, pp. 106-107.
40. Michelet ne s'arrête pas lÀ dans la déformation intéressée qu'il fait subir À la réalité peinte. Dans sainte Véronique, qui passe son voile sur le visage du Christ, il voit « la Madeleine, belle Flamande en noir [qui] essuie le sang du Sauveur avec le sang-froid d'une mère qui débarbouille son enfant ». Il y aurait À s'interroger sur l'obsession, chez Michelet, du personnage de Madeleine (cf. Journal, t. I, pp. 199, 227, 342, 344, 441-442, 444. 458, 559-)-
41. Ibid., p. 105.
42. Ibid., p. 341. Outre l'intérêt de ce passage pour la question du regard qui nous occupe ici, on notera, dans la description presque morbide du cadavre et le brusque coup de théâtre de son réveil, une manifestation de la présence et du rôle de la mort dans l'idéologie historique de Michelet, et un nouvel aspect de la fonction qu'y remplissent les oeuvres de l'art plastique. Depuis la fameuse vision des Archives (cf. Préface de 1833 À l'Histoire de France), l'historien sait qu'il a mission de représenter, au sens juridique aussi du terme, les documents d'archives. Cette représentation va donc être mimée, mise en scène, réalisée par l'histoire qu'il écrit, mais dans la pratique de son travail de recherche et d'écriture, elle n'est pas d'abord vécue (l'illusion ne dure guère), ni pensée (l'ordre qu'il y met n'est qu'un moyen) ; elle est vue, par transfert analogique, dans des tableaux et des bas-reliefs : « Et À mesure que je soufflais sur leur poussière, je les voyais se soulever. Ils tiraient du sépulcre qui la main, qui la tête, comme dans le Jugement dernier de Michel- Ange ou dans la Danse des Morts. Cette danse galvanique qu'ils menaient autour de moi, j'ai essayé de la reproduire en ce livre. »
43. Ibid., p. 346. Nous soulignons, et inclinons À comprendre ou bien, vel plutôt que aut.
44. Ce problème n'a été abordé, À notre connaissance, que parL. Refort, « Michelet critique d'art », dans Mélanges offerts À E. Huguet, Paris, Boivin, 1940 et J. Pommier, « Michelet et les arts plastiques », dans Créations en littérature, Paris, Hachette, 1955, pp. 70-86. L'étude d'ensemble mériterait d'en être entreprise, maintenant surtout que P. Viallaneix s'est attaché À rendre accessible toute l'oeuvre de Michelet.
45. Voir Journal, t. I, p. 486 : « La religion, le droit, et entre : l'art, leur prêtant alternativement non des formes, des moules, mais ses matrices fécondes. Toute-puissance des signes. » (Nous soulignons.)
46. R. Barthes, op. cit., p. 182.
47. Bien entendu, ce texte ne se présente À nous qu'éclaté, épars dans les pages du Journal de cette période.
48. Journal, t. I, p. 337.
49. Ibid., pp. 345-346. L'examen plus approfondi de ce qu'il faut bien appeler, chez Michelet, une philosophie de la nature nous entraînerait ici trop loin. P. Viallaneix en pose excellemment les bases À la fin de sa thèse, La Voie royale, Essai sur l'idée de peuple dans l'oeuvre de Michelet, Paris, Delagrave, 1959 (rééd. Flammarion, 1972), Livre IV, ch. 3.
50. Ibid., p. 441, À la date du 12 juillet 1842.
51. Ibid., p. 442.
52. Ibid., p. 443.
53. Ibid., p. 445.
54. Ibid., p. 245.
55. Ibid., p. 344. Nous souligons. Ce tableau, que Michelet a d'abord appelé le Saint Georges et la Sainte Famille, et qu'il désigne ensuite simplement comme le Saint Georges, est toujours dans la Rubenskapel de l'église Saint-Jacques, où il domine l'autel, de Cornelis van Mildert. On lui donne généralement le titre suivant : La Vierge entourée de saints. Les personnages qu'il représente ont posé, et posent encore aux critiques, un double problème d'identification : a) A quelle figure de l'histoire religieuse correspond chacun d'eux ? On s'est en général accordé sur la Vierge, Marie-Madeleine, saint Georges. Dans l'évêque on a parfois cru voir Jansénius, et dans le vieillard du premier plan saint Jérôme, b) Quelles personnes de l'entourage de Rubens sont ainsi représentées, selon l'habitude bien connue de l'époque ? On s'accorde, avec Michelet, À reconnaître dans la Vierge Hélène Fourment, Isabelle Brandt dans Marie-Madeleine, et Rubens lui-même dans saint Georges. On ajoute parfois que l'Enfant Jésus est le petit François Rubens. Mais À notre connaissance Michelet est le seul À avoir vu dans le vieillard du premier plan le grand-père de Rubens.
56. Ibid., p. 375. Il s'agit de la préface du tome VII de l'Histoire de France, consacré À la Renaissance, et que Michelet “ne publia qu'en 1855.
57. Ibid., pp. 648-649.
58. Op. cit., p. 5.
59. Voir par exemple ce passage du Cours de 1848, L'Etudiant (cf. supra, note 15), p. 131 ; c'est une note À propos du Radeau de la Méduse : « Personne ne voulut acheter ce tableau, sauf un ami de Géricault, qui y avait luimême travaillé, M. Le Dreux-Dorcy ; il l'acheta 6 000 fr. À la mort du peintre, refusa les offres énormes de l'étranger, et, pour le même prix, le donna au Musée du Louvre. Bel exemple ! (…) Je l'ai dit et le redis, À ce moment Géricault fut la France. C'est le devoir de ceux qui ont ses tableaux, ses dessins, de les donner ou de les vendre au Musée. On les réunirait dans une salle qui s'appellerait le Musée-Géricault. »
Ce passage n'est que la reprise d'un thème qui courait déjÀ dans toutes les notes pour la préparation du Cours de 1846 (inédites, conservées À la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, sous la cote : C 7 A 3786) :
— « (Géricault enfoui. Méduse invisible, et au Palais-Royal, invisible.)
Ah ! destinée du grand peintre, divisé, captif d'un ennemi qui peut détruire. (Gravure délivre, comme imprimerie : Rembrandt)
Où sont les travaux de la Méduse ?… Un nègre qui valait Titien… etc.
Qui n'aurait pitié de ce génie captif, étouffé ? (M. Dreux-Dorcy… les détenteurs… Musée-Géricault) » (Fº 7).
— « On disperse et cache dessins. Son tombeau même s'en va… » (F0 7)
—• « Il s'en est allé aux quatre éléments. Ses esquisses, dessins, etc. sont dispersés, pillés, etc. » (Fº 8)
— « Géricault dispersé chez divers amateurs. M. Belloc avait prié en vain un agent de change d'acheter le tout. Une bonne partie a passé chez Scheffer. » (Fº 12, 6)
— « Comment tant d'artistes qui ont ses membres épars… Ah ! destinée du grand peintre… Son coeur est À Munich, sa tête À Paris. Son coeur peut-être captif d'un ennemi. Gravure délivre… mais si incomplet. VoilÀ pourquoi Rembrandt, vers la fin, ne fit que graver.
(Je le sentis À Munich, voyant quatre-vingts Rubens.)
… Qui n'aurait pitié de ce génie captif, étouffé… Exemple de Le Dreux-Dorcy. Un jour l'État achètera aux détenteurs. Musée-Géricault. » (Fº 18, 5)
Il ne s'agit ici que de Géricault, et l'obsession semble justifiée par le caractère national de son oeuvre. Cependant, on pourrait trouver des exemples similaires À propos d'autres peintres, français ou étrangers, comme le suggère l'allusion, dans ces notes, À Rubens.
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- Cited by