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Les trois fonctions indo-européennes, l'histoire et l'Europe féodale*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Jacques Le Goff*
Affiliation:
École des hautes études en sciences sociales

Extract

Pourquoi le schéma trifonctionnel est-il bon à penser pour des historiens de l'Europe chrétienne préindustrielle ?

Dans le domaine des modes intellectuelles, la vogue actuelle des conceptions de Georges Dumézil occupe une place originale. Celle-ci n'est pas due au décalage entre l'apparition de cette mode et le moment où ces conceptions ont été, pour l'essentiel, énoncées et publiées, bien que l'oeuvre de Georges Dumézil continue à se produire avec continuité et novation à la fois. Annoncées dans Mitra- Varuna (Essai sur deux représentations indo-européennes de la souveraineté, 1940), les idées fondamentales de Georges Dumézil ont été exprimées dans Jupiter Mars Quirinus (4 volumes, 1941-1948) avant d'être reprises dans la synthèse qu'est Y Idéologie tripartie des Indo-Européens (1958).

Summary

Summary

Historians, and especially mediaevalists, are taking a growing interest in the trifunctional model (the functions of religion, force and fertility) in Indo-European culture as demonstrated by Georges Dumezil. In Les trois Ordres ou l'imaginaire du feodalisme, Georges Duby, studying the appearance, eclipse and re-emergence of the model between the year 1000 and the beginning of the 12th century between the Loire and the Meuse, reconstructs around it an entire model of mediaeval society and sheds light on the relations between actual social structures and society's ideological models. In a bibliographical review of the subject, Gerhard Oexle examines the conceptual historical problems surrounding Adalberon of Laon's Carmen ad Rotbertum regem, recently published and translated, with commentary, by Claude Carozzi, reviving the significance of this work. In I sacerdoti, i guerrieri, i contadini, Ottavia Niccoli traces the fate of this model, through iconography, from the Middles Ages to the French Revolution. Aaron Gurevič compares the pagan Scandinavian tripartition with the Christian mediaeval tripartition. The main point concerns not the problem of the origins of this model but why, how, and for whose benefit it operated. The logic of the model suggests that the nodal points of the historical problem are : the transition from two categories to three, the relations between the first two orders and the third (promoted, then demoted), the presence of labourers and work in the model, the role of kingship, the transformation of tri-functionalism into quadrifunctionalism. The trifunctional model is a useful tool for the study of feudal society between the 10th and the 19th centuries.

Type
L'Imaginaire Des Sociétés
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1979

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Footnotes

*

Autour du livre de Georges Duby, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1978.

References

Notes

1. L'article de F. Graus de 1959, paru dans une revue tchécoslovaque à une époque de faibles relations entre le monde scientifique de l'Occident et de l'Europe de l'Est, n'entrera que plus tard dans le dossier. J'en eus connaissance quand je tentai de situer l'importance du schéma triparti dans La civilisation de l'Occident médiéval, Paris, 1964 : « La société des trois ordres » et « De la société tripartie aux ‘états du monde’ » (pp. 319-329).

2. On se reportera désormais à la réponse au discours de Georges Dumézil à l'Académie française prononcée par Claude Lévi-Strauss le 14 juin 1979.

3. Sur le symbolisme médiéval, cf. J. Chydenius, « La théorie du symbolisme médiéval », dans Poétique, 23, 1975, pp. 322-341 et Simboli e simbologia nell'Alto Medioevo, Settimane di studio del Centra italiano di studi sull'Alto Medioevo, XXIII, Spolète, 1976 et notamment Le Goff, J., « Le rituel symbolique de la vassalité », ibid., pp. 679788 Google Scholar, repris dans Pour un autre Moyen Age, Paris, 1977, pp. 349-420.

4. Dubuisson, D., L'Irlande…, p. 41.Google Scholar

5. Dumézil, G., L'idéologie tripartie des Indo-Européens, p. 19.Google Scholar

6. Dans le vocabulaire aussi, dans des triades verbales. Mais Georges Duby me paraît trop insister en liant « étroitement » le schéma trifonctionnel « aux structures d'un langage » et en déclarant « qu'il n'est pas aisé de détecter une semblable ternarité parmi les modes d'expression symbolique qui ne font pas appel aux mots » (Les trois ordres, p. 16). L'examen des textes littéraires permet de repérer l'importance du système de trois objets, tel celui des trois dons dans l'Estoire des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure. Le symbolisme médiéval a aussi exprimé la trifonctionnalité à l'aide du symbolisme animalier : Eadmer de Canterbury, au début du xie siècle, évoque la triade moutons (clerici monachique), chiens (milites), bœufs (agricultores) (Liber de S. Anselmi similitudinibus, PL, 159, 679-680). Cf. Le Goff, J., La civilisation de l'Occident médiéval, p. 320.Google Scholar

7. Dans l'article de Kratylos, 1959.

8. Cf. J. Le Goff et P. Toubert, « Une histoire totale du Moyen Age est-elle possible ? », dans Actes du 100e Congrès national des Sociétés savantes, t. I, Tendances, perspectives et méthodes de l'histoire médiévale, Paris, 1977, pp. 31-44.

9. V. J. Abaev, « Le cheval de Troie. Parallèles caucasiens » (avec une note préliminaire de G. Dumézil), dans Annales ESC, 1963, pp. 1 041-1 070.

10. Gèorges Duby, au début de son livre, a l'élégance de remercier des amis historiens, les conférenciers et les auditeurs de son séminaire au Collège de France. On ne peut que se féliciter de la capacité de dialogue de l'historien avec d'autres chercheurs, mais qu'on ne s'y trompe pas, ce livre est sien, profondément.

11. Annales d'histoire économique et sociale, 1933, p. 472. Cité par Dauvergne, R., dans Bloch, M., Les caractères originaux de l'histoire rurale française, nlle éd., 1956, t. II, p. xxxi.Google Scholar

12. « L'histoire qui m'est la plus familière est celle des campagnes, spécialement celle des campagnes françaises » dit Georges Duby en ouverture à Guerriers et paysans (Paris, 1973, avertissement).

13. La série des grands articles : « Au xiie siècle : les ‘jeunes’ dans la société aristocratique », Annales ESC, n° 5, 1964, pp. 835-846 ; « La vulgarisation des modèles culturels dans la société féodale » (colloque Niveaux de culture et groupes sociaux, 1966) ; Des sociétés médiévales (leçon inaugurale au Collège de France dans Annales ESC, 1971 et tirage à part) ; « Histoire sociale et idéologies des sociétés » (dans Faire de l'histoire, J. Le Goff et P. Nora éds, I, Paris, 1974), manifeste le va-et-vient constant de la recherche concrète à la réflexion théorique de plus en plus orientée vers l'étude des rapports entre le « réel » et l'idéologique, l'imaginaire dans les sociétés du passé, principalement d'Occident médiéval.

14. Et même, non sans malice, Georges Duby a retrouvé l'idée de Loyseau selon qui, seuls sont justifiés dans une société « le prêtre, le guerrier, le paysan » dans un ouvrage publié à Paris en 1951 : Notre beau métier de soldat, suivi d'un Essai de portrait moral du chef par M. de Torquat. Ce qui ne veut pas dire, si j'interprète correctement la pensée de Duby, que le schéma trifonctionnel est toujours vivant dans notre société mais qu'il y a à notre époque des personnes qui pensent encore selon des schémas qui ont suffisamment imprégné la mentalité commune jadis pour émerger dans des esprits peu marqués par l'évolution historique.

15. Plus loin Georges Duby durcit encore ses affirmations sur ce point. Parlant d'Adalbéron de Laon et de Gérard de Cambrai il écrit : « Ils détachèrent aussi la figure trifonctionnelle de ce qui pouvait la relier à la personne royale… Ils ne virent pas les trois fonctions soutenant le trône, ni reflétant dans le corps social les vertus et les obligations des rois. » (p. 150). Et encore : « Il n'est donc pas exact de dire que, dans la formulation la plus ancienne que l'on connaisse en France, la figure trifonctionnelle de la société ait été, entre 1025 et 1030, portée à sortir de l'inexprimé par le progrès de la monarchie. Comme en Angleterre… ce fut bien au contraire le péril, la crise où paraissait sombrer la royauté qui fit recourir à ce thème. » (p. 151).

16. Bonnassie, P., La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle. Croissance et mutations d'une société, Toulouse, 1975.Google Scholar

17. Oexle aurait pu étendre son enquête au-delà de l'histoire médiévale et reconnaître comme chef de file de cette orientation historiographique en France des historiens aussi différents que Paul Veyne, Georges Duby, en effet, et François Furet. Leurs maîtres ce sont, semble-t-il, Tocqueville et Max Weber, à un moindre degré Marx. Les pensées contemporaines qui les ont le plus influencés sont celles de Michel Foucault et, moins directement, de Louis Althusser. Oexle croit de son côté reconnaître sur ces tendances françaises la marque de Durkheim et de son école et renvoie au livre de Terry Nichols Clark, Prophets and patrons. The French university and the emergence of the social sciences, Cambridge, Mass., 1973. Depuis, il faut citer les remarquables numéros spéciaux, 1976/2 et 1979/ 1 de la Revue française de sociologie, sur Durkheim et les durkheimiens.

18. Parmi les études récentes,Oexle cite notamment l'introduction de R. Koselleck au volume sur Les concepts historiques fondamentaux (Geschichtliche Grundbegriffe, 1, Stuttgart, 1972) et l'article de J. Rohlfes : « Beobachtung zur Begriffsbildung in der Geschichtswissenschaft », dans Jackel, E. et Weymar, E., Die Funktion der Geschichte in unserer Zeit, Stuttgart, 1975, pp. 5973.Google Scholar

19. Par exemple chez Kocka, J., « Sozialgeschichte. Strukturgeschichte. Gesellschaftgeschichte », dans Archiv für Sozialgeschichte, 15, 1975, pp. 142 Google Scholar ou Berger, P. L. et Luckmann, Th., Die gesellschaftliche Konstruktion der Wirklichkeit, Francfort, 1969.Google Scholar

20. « Komplizierte Verschrankung zwischen sozialen Struckturen und ihrem Begriff von sich selbest », dans Kroeschell, K., Haus und Herrschaft im frùhen deutschen Recht, Göttingen, 1968, p. 51.Google Scholar

21. G. Duby , « Histoire sociale et idéologies des sociétés ». dans Le Goff, J. et Nora, P., op. cit. pp. 147168.Google Scholar

22. C. Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens. Exkurs III : Die Satire Adalberos von Laon, Stuttgart, 1935, pp. 338-347.

23. Troeltsch, E., Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, Tübingen, 1922.Google Scholar

24. Chemin faisant, Oexle exprime des doutes sur la nouvelle datation proposée par Georges Duby pour la formule de Gérard de Cambrai rapportée dans les Gesta episcoporum cameracensium : genus humanum ab initio trifariam divisum esse monstravit, in oratoribus, agricultoribus, pugnatoribus. Ce passage des Gesta ne serait pas, selon Duby, de la seconde rédaction de 1044 ou même de 1051/1054 rapportant un sermon de Gérard de 1036, mais daterait de la première rédaction de 1024/1025 à laquelle appartient aussi une déclaration de Gérard distinguant les prêtres à qui il appartient de prier (orare) des rois à qui il appartient de combattre (pugnare). Georges Duby attache de l'importance à cette datation car elle prouve, selon lui, que la phrase est bien de Gérard et non du scribe qui a écrit les Gesta et elle établit l'antériorité de Gérard sur Adalbéron. J'avoue ne pas attacher autant d'importance à cette datation. Si on se place dans la longue durée du schéma, l'essentiel est que deux évêques à la même époque dans la même région aient employé (ou qu'on leur ait attribué) des formules voisines. Cf. Duby, G., « Gérard de Cambrai, la paix et les trois fonctions sociales, 1024 », dans Comptes rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1976, pp. 136146.Google Scholar G. Duby utilise Van Mingroot, E., « Kritisch onderzoek omtrent de datering van de Gesta episcoporum Cameracensium », dans Revue belge de philologie et d'histoire, 53, 1975, pp. 281332.CrossRefGoogle Scholar

25. Victorius, Marius, « Explanationum in Rhetoricam M. Tullii Ciceronis libri duo », éd. Halm, C., Rhetores latini minores, Leipzig, 1863, pp. 155304.Google Scholar

26. L'atmosphère d'essor intellectuel, surtout dans les écoles cathédrales, entre le milieu du xe et le milieu du xie siècle a été mise en valeur récemment par Riché, P., Écoles et enseignement dans le Haut Moyen Age, Paris, 1979.Google Scholar

27. Taylor, A., « What Bird would you choose to be ? A medieval Tale », dans Fabula, 7, 1964-1965, pp. 97114.Google Scholar C'est le conte type 920 B (What kind of bird) de la classification d'Aarne- Thompson (The types of the folktale, 2e éd. révisée, 1964, p. 318) et le n° 677 de Johannes Pauli, Schimpf und Ernst (éd. J. Bolte), 2 vol., Berlin, 1924.

28. On trouve les deux expressions dans la grande synthèse de Gurevič publiée à Moscou en 1972. sous le titre : « Les catégories de la culture médiévale » (en russe) et traduite en 1978 en allemand sous le titre : Das Weltbild des mittelalterlichen Menschen. L'ouvrage étudie plus particulièrement les conceptions médiévales du temps, de l'espace, du droit, de la richesse, du travail, de la personnalité, de la culture et de la religiosité populaires. Cf. l'article publié dans les Annales ESC en 1972 (pp. 523-547) : « Représentations et attitudes à l'égard de la propriété pendant le Haut Moyen Age ».

29. On trouvera la traduction en français du « Chant de Rig » dans l'anthologie de Régis Boyer et Éveline Lot-Falk, Les religions de l'Europe du Nord. Eddassagus. Hymnes chamaniques, Paris, 1974, pp. 125-136.

30. « Questo vuol essere un libro di storia » (di storia souligné par l'auteur, p. xxi).

31. La miniature qui figure au folio 382 du manuscrit 157 de Corpus Christi College (Oxford) où elle illustre la chronique de Jean de Worcester est reproduite dans J. Le Goff, La civilisation de l'Occident médiéval, op. cit., fig. 117-118.

32. Ottavia Niccoli, p. 92. Pour le Moyen Age, Georges Duby avait judicieusement signalé « le féminin n'est pas concerné par de tels classements » (Les trois ordres, p. 14).

Ottavia Niccoli note : « Dans une histoire de la condition féminine il faudra faire aussi sa place à l'identification du rôle de la femme qui émerge d'une façon aussi naïve et sous une forme aussi dépourvue d'équivoques de ces images. »

33. Déjà Jacob Grimm (Deutsche Rechtsaltertümer, 4e éd., 1899, I, p. 311, n. 1) avait évoqué les origines germaniques de la tripartition médiévale : freien, ritter, eigenen, en la rapprochant d'autres tripartitions sociales chez les Celtes : plebes, druides, equites (Caesar, De bello gallico, VI, 13) et chez les Slaves : bojaren ou nobles, ludi ou libres, rabi ou clercs.

34. Cf. J. Le Goff, « Le vocabulaire des catégories sociales chez saint François d'Assise et ses biographes du xiiie siècle », dans Ordres et classes, Paris-La Haye, 1973, pp. 93-123.

35. La pression des laboratores, pression sociale et pression idéologique, comme le suggère Georges Duby, doit conduire à poser le problème de la culture populaire et de son attitude face au schéma. Pour le xiiie siècle, Jean-Claude Schmitt a proposé, de façon suggestive, comme sens ultime du pèlerinage de saint Guinefort une appropriation, à leur profit, du schéma triparti par les rustici face au miles et à l'Église représentée en l'occurrence par un inquisiteur, c'est-à-dire la meilleure incarnation du pouvoir idéologique de l'Église à cette époque ( Schmitt, J.-C., Le saint lévrier, Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIIIe siècle, Paris, 1979, pp. 230231 Google Scholar).

36. Ruiz Domenec, J. E., « The urban origins of Barcelona : agricultural Revolution or commercial development ? », dans Speculum, 1977, pp. 265286 Google Scholar, spécialement pp. 274-275 (et notes 67, 72 et 73) et pp. 285-286 (et note 154).

37. Théodore Caplow a bien montré (Deux contre un. Les coalitions dans les triades, trad. frse, Paris, 1971, de Two against One. Coalitions in Trials, Englewood Cliffs, 1968) que la logique des triades conduisait souvent à l'alliance de deux composantes de la triade contre la troisième. Cf. aussi Cl. Lévi-Strauss : « Les organisations dualistes existent-elles ? », dans Bijdragen tot de Taal, Land en Volkenkurde, 112, 1956.

38. Origène interprète allégoriquement Ezéchiel, 14, 14.

39. Augustin, Quaestiones Evangeliorum, II, 44 (PL, 35, 1357).

40. En divers endroits des Moralia in Job (1, 14, 20 ; 32, 20, 35) et des Homiliae in Ezechielem (1, 8, 10; 2, 4, 5; 2, 7, 3).

41. Cf. Chatillon, F., « Tria genera hominum : Noe, Daniel et Job », dans Revue du Moyen Age latin, 10, 1954, pp. 169176 Google Scholar ; G. Folliet, « Les trois catégories de chrétiens à partir de Luc (17, 34-36), Matthieu (24, 40-41) et Ezéchiel (14, 14) », dans Augustinus Magister, 2, 1954, 631-644, et « Les trois catégories de chrétiens. Survie d'un thème augustinien », dans L'Année théologique augustinienne, 14, 1954, 81-96. Sur tout ceci voir O. G. Oexle, p. 13.

42. Sem filius Noe ipse est idem qui et Melchisedec vixit sexcentos et duos annos. Hujus tempore divisum est genus humanum in tria : in liberos, milites, servos. Llberi de Sem, milites de Japhet, Servi de Cham (Honorius Augustodunensis, De imagine mundi, PL, 172, 166.

43. Il faudrait chercher, au-delà de la reféodalisation de ces régions, du côté d'une certaine renaissance monarchique. L'Allemagne et l'Italie ont même maintenant deux rois, bien que le protestantisme vienne compliquer la situation — mais voyez la hargne des luthériens contre l'utilisation catholique d'un schéma dont ils veulent aussi se servir car ils désirent ne pas changer les structures féodales. Ces deux rois — sous l'autorité de Dieu — ce sont le pape et l'empereur désormais souvent présents dans l'iconographie trifonctionnelle.

44. Une expression particulièrement intéressante de la trifonctionnalité des fils de Noé se rencontre dans la Chronica (de la création du monde à 1500) de Johann Naucler, prévôt de Tübingen (Cologne, 1579, p. 9, vol. I, generatio XI) : « Quod cum sobrius Noe intellexisset, duobus quidem filiis Sem et Iaphet felicitatem optavit, Cham vero in eius prole maie dixit, et (ut Iosephus refert) abdicauit atque expulit, imprecansque ait : Maledictus Chanaan, servus erit fratribus suis. Sed benedictus Sem, sit Chanaan servus illius. Hoc tempore divisum est genus humanum in tria : in liberos, in milites, in servos : vel ut alii volunt, in sacerdotes, in milites, et servos. Inde quidam versificator in persona Noae adfilios sic ait :

Sem Iaphet Cham
Tu supplex ora, Tu protege Tuque labora
Refertque idem diabolum dotem his tribus adiecisse, dicens
Ad sacerdotes Ad milites Ad rusticos
Tu fornicator, Tu praedo, Tuque lecator »

45. Sur « l'histoire de l'imaginaire », cf. Patlagean, Evelyne, dans La nouvelle histoire, Paris, 1978, pp. 249269.Google Scholar

46. Adalbéron a conscience de la contradiction de la situation royale en opposant, comme Claude Carozzi l'a bien montré, l'imago juventutis du roi qui le conduit à accepter le désordre à la sapientia qui doit l'amener à rétablir l'ordre.

47. G. Dumézil, Métiers et classes fonctionnelles…, où, p. 722, il déclare que « c'est en pays celtique que s'est produite cette évolution ». É. Benveniste, Symbolisme social…

48. Graus, F., Nekolik poznamek…, p. 219 ss.Google Scholar

49. É. Benveniste, Symbolisme social…

50. Cet article était terminé quand j'ai lu les pages pertinentes consacrées par Maria Corti au schéma trifonctionnel dans Il viaggo testuale. Le ideologie e le strutture semiotiche, Turin, 1978, p. 228 ss. Cf. également P. Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, 1979, pp. 548-549, 556-557.