Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Les historiens se prennent souvent de passion pour les périodes de « régression » ou de « déclin »; il semble que toute discontinuité, toute rupture introduite dans le cours linéaire de l' Histoire se doive d'être comblée en priorité. Et ainsi s'ébauche un foisonnement de reconstitutions, dont la hardiesse égale généralement la fragilité. Le « Moyen Age grec » (appellation impropre mais fréquente), ne fait pas exception à la règle. Une série de mythes historiques, cohérents d'ailleurs pour la plupart, s'est constituée, parfois dès l' Antiquité, afin d'établir une liaison satisfaisante pour l'esprit entre les données archéologiques dont le caractère spectaculaire frappait les imaginations (trésors de Mycènes, puissance des forteresses...) et la tradition orale (guerre de Troie, retour des Héraclides, etc.). Citons parmi ces mythes celui de la « conquête dorienne », responsable à la fois de l'effondrement du monde mycénien, de l'hilotisme à Sparte, de l'introduction de la métallurgie du fer, etc.
1. Voir à ce sujet N. H. Tigerstedt, The Legend of Sparta in classical Antiquity, Stockholm, 1965; E. Rawson, The Spartan Tradition in European Thought, 1969.
2. Cf. Éd. Will, , Doriens et Ioniens , Paris, 1956 Google Scholar.
3. A. M. Snodgrass, The Dark Age of Greece, Edimbourg, 1971; d' A. Desborough, V. R., The Greek Dark Ages , Londres, 1972.Google Scholar
4. Ces deux auteurs ont déjà notamment publié: A. M. Snodgrass, Early Greek Armour and Weapons, Edimbourg, 1964; Arms and Armour ofthe Greeks, Londres, 1967. d' A. Desborough, V. R., Protogéométrie Pottery , Oxford, 1952 Google Scholar; The last Mycenaeans and their Successors, Oxford, 1964.
5. Pour une excellente mise au point historique sur toute la période des « siècles obscurs » voir le livre de FINLEY, M. I., Les Premiers Temps de la Grèce , Paris, 1973, pp. 89–108 Google Scholar.
6. On laissera de côté en particulier l'ensemble de la période géométrique, mieux étudiée par les spécialistes, et qui est traitée seulement dans le volume de Snodgrass.
7. Carpenter, Rhys, Discontinuity in Greek Civilization , Cambridge, 1966 Google Scholar.
8. Snodgrass cite à ce propos un calcul fait par R. HOPE SIMPSON (A Gazeeter and Atlas of Mycenaean Sites, 1965) et revu par lui-même, qui fournit l'estimation suivante pour l'ensemble des sites connus sur le continent grec (Épire et Macédoine incluses), les îles ioniennes et la côte occidentale de l' Asie mineure (donc Crète exceptée): x m e siècle: 320 sites; xiie siècle: 130 sites; xie siècle: 40 sites (Snodgrass, pp. 364-365). Ajoutons par ailleurs que les sites d'habitat sont pour l'ensemble des zones (Crète comprise cette fois) et la totalité des « Dark Ages », au nombre d'une trentaine!
9. On n'a pas voulu ici s'attaquer au problème des Doriens en tant que tel. Sur le plan archéologique, il paraît impossible de relier aucun des faits culturels nouveaux à l'arrivée de populations étrangères, comme on le verra dans la suite de la démonstration. Il reste que les Doriens ont une existence dialectale et institutionnelle réelle. Mais même à ce niveau, un débat s'est engagé entre les philologues pour tenter de déterminer le moment où le dialecte dorien s'est détaché de la source commune. On admettait jusqu'à présent volontiers qu'à chaque vague d'arrivants helléniques au cours du deuxième millénaire correspondait un dialecte précis, le dorien étant donc le dernier en date. Or il semble maintenant que le « dorien » soit beaucoup moins éloigné du « mycénien » que l'on pouvait le supposer. J. Chadwick remarque à ce sujet dans un article intitulé « The Greek Dialects and Greek Pre-History », publié dans The Language and Background of Homer, éd. par G. S. KIRK, Londres 1967, 2e éd.: « A Dorian would, it seems, hâve made himself understood in thirteenth-century Mycenae more easily than a Spartan in fiith-century Athens », pp. 116-117.
Certains spécialistes comme E. RISCH, dont le même volume reproduit l'article intitulé « Die Gliederung der Griechischen Dialekte in neuer Sicht », vont beaucoup plus loin. Risch pense en effet que les dialectes ionien et dorien ne se sont différenciés que vers la fin du deuxième millénaire, tandis que l'éolien représenterait une branche linguistique plus ancienne (p. 105). Cette analyse concorderait assez bien avec les données archéologiques qui témoignent d'une perte d'unité culturelle (isolement des communautés) à partir du xne siècle.
10. Avec toutefois une réserve en ce qui concerne Athènes, cf. Desborough p. 41: « (…) in Athens the ultimate stage of the Sub-Mycenaean Style is somewhat apart, quite distinctive, and we can see improvements and fresh ideas leading up to the introduction of the Protogeometric style ». L'antériorité du submycénien attique est par ailleurs mise en question dans un certain nombre de travaux comme celui de J. Deshayes (voir note 11) qui préfèrent faire jouer à Argos le rôle de pionnier.
Notons enfin que la Crète échappe à cette description, dans la mesure où le sub-minoen reste en général d'excellente qualité.
11. Cf. J. Deshayes, Argos. Les fouilles de la Deiras, Paris, 1966: « Il apparaît bien maintenant que l'inhumation en tombes individuelles est loin d'être exceptionnelle dans la civilisation mycénienne », p. 241; ou encore: « En effet, d'une façon générale, Argos semble avoir été, pendant toute la durée de l'époque mycénienne, dépositaire de nombreuses traditions héritées du passé: l'abondance des inhumations individuelles le prouve amplement, car malgré Desborough qui attribue à celles-ci une origine septentrionale, la juxtaposition de sépultures individuelles et collectives caractérise en fait toute la civilisation préhellénique (…). Enfin les tombes à ciste elles-mêmes, dont la fréquence constituerait l'un des traits les plus frappants du monde mycénien, présentent en fait, nous l'avons vu, de nombreux antécédents à Argos (…). » Tout se passe donc comme si les traits essentiels de l' HR IIIC ic indiquaient moins un afflux de populations étrangères qu'une renaissance de traditions et de formes remontant essentiellement à l' Helladique Moyen (pp. 249-250).
12. S. Przeworski, Die Metall-industrie Anatoliens (Internationales Archiv fur Ethnographie) suppl. vol. 26, 1939. Cet auteur propose de définir un concept de « Chalcosidérique » adapté à ces périodes de transition.
13. A propos des liens de Chypre avec l' Est méditerranéen, une intéressante communication d' E. MASSON sur une tablette de Ras-Shamra, « La tablette chypro-minoenne 20.25 de Ras-Shamra », dans Comptes rendus de VAcadémie des Inscriptions et Belles Lettres, Paris, janvier-mars 1973, pp. 32-53 fournit des éléments absolument nouveaux. E. MASSON a en effet proposé à la suite d'une argumentation solide, de déchiffrer les tablettes chypriotes dites « Chypro-minoen 2 » comme étant écrites en nourri te. Si cette hypothèse se confirmait, on devrait sans doute considérer d'un oeil nouveau les rapports entre Chypre et le Proche-Orient à la fin du second millénaire.
14. Cf. Snodgrass, pp. 253-256.
15. Snodgrass remarque utilement à ce sujet (voir p. 375), que ces zones « novatrices » se trouvent toutes dans un secteur géographique déterminé, tourné exclusivement vers l' Egée. On peut établir d'après ces propos le tableau suivant:
16. Dans The Last Mycenaeans… (voir note 4), Desborough fournit une argumentation pour le moins discutable au sujet de ces indices archéologiques: « it could be argued that the culture of the invaders was probably primitive, and anyway far inferior to that of the Mycenaeans; their artefacts may for the most part hâve been of perishable materials, such as wood and leather, and thus no trace would be left of them. » (p. 224); « We know virtually nothing of the original pottery of the invaders (…) The intruders probably merged with a surviving Mycenaean population whose pottery, however degenerate, was almost bound to be superior to their own (if they did pottery at ail) it was natural that they should adopt the superior type of article » (p. 260).
La première supposition est du domaine des hypothèses invérifiables autant que douteuses. La seconde fait de nouveau appel à cette notion innée de progrès dont je doute qu'elle puisse être effectivement applicable à des populations archaïques.
17. Cf. par exemple, W. KIMMIG dans Badische Funberichte, 20, 1956, pp. 139-166.
18. On se reportera utilement à l'abondante bibliographie anglo-saxonne dont on peut extraire par exemple: S. R. BINFORD et L. R. BINFORD, New perpectives in Archaeology, Aldine, 1968; D. L. CLARKE, Analytical Archaeology, Londres, 1968; etc.
19. Voir les travaux de B. SOUDSKY sur le site de Bylany (Tchécoslovaquie) dont un intéressant résumé est paru dans Anthropologie et Calcul, volume collectif sous la direction de Ph. RICHARD et J. JAULIN, Paris, 1971, pp. 217-238. L'intégralité de la publication devrait être publiée prochainement par les soins de l' Académie des Sciences tchécoslovaque et le C.N.R.S.