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Les conduites de bruit et leur signification à la fin du Moyen Age : le charivari*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Claude Gauvard
Affiliation:
Université de Paris I
Altan Gokalp
Affiliation:
Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparée de l'Université de Paris X

Extract

Point n'est sans doute besoin de définir le charivari : concert discordant donné devant le domicile de quelqu'un pour des circonstances déterminées.

Notre propos n'est pas non plus d'analyser des documents inédits. Nous avons essentiellement utilisé les lettres de rémission dont une première analyse avait été faite par R. Vaultier.

Type
Culture et Société
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1974

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Footnotes

*

Nous tenons à remercier particulièrement M. J. M. Guilcher, C.N.R.S. - Université de Brest, J. Glénisson, Directeur de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, et J. Le Goff, Directeur à l'École Pratique des Hautes Études, des suggestions qu'ils ont bien voulu nous faire.

References

1. Cette étude a été entreprise avant la publication des travaux de E. P. Thompson sur le charivari anglais, Annales E.S.C., mars-avril 1972, pp. 285-312. Nous avons essayé de tenir compte des suggestions de l'auteur, ainsi que du remarquable article de NataUe Zemon Davis, « The reason for a Misrule, Youth Groups and Charivari in ióth century France », Past and Présent, février 1971, pp. 41-75, comportant une bibliographie exhaustive.

2. Vaultier, R., Le Folklore pendant la Guerre de Cent Ans, d'après les Lettres de Rémission du Trésor des Chartes, Paris, 1965, pp. 2935 Google Scholar. L'intérêt pour l'historien de cette catégorie de textes est assurément limité dans la mesure où les lettres de rémission ne sont édictées qu'à la suite d'incidents ayant entraîné mort d'homme, et où elles n'englobent pas les justices seigneuriales. Néanmoins, la proportion des lettres de rémission par rapport à l'ensemble des actes de la Chancellerie royale n'a cessé d'augmenter à la fin du xive et au début du XVe siècle. Cf. M. François, « Note sur les Lettres^de Rémission transcrites dans les registres du Trésor des Chartes », Bibliothèque de l'École des Chartes, t. 103, 1942, pp. 3I7-324- 3. Nous pouvons citer à titre d'exemple : Harfleur (Seine-Maritime, arr. Le Havre), Arch. Nat., JJ 107, fol. 169, 1375 ; Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise, arr. Montmorency), Arch. Nat., JJ 138, fol. 57, 1389 (et non Garches, Hauts-de-Seine, arr. Versailles, comme le pensait R. Vaultier, op. cit., p. 31) ; Selles-Saint-Denis (Loir-et-Cher, arr. Romorantin), Arch. Nat., JJ 155, fol. 263, 1400 ; Créancey (Haute-Marne, arr. Chaumont), Arch. Nat., JJ 157, fol. 152, 1402 ; Couzon (Rhóne, arr. Lyon), Arch. Nat., JJ 170, fol. 122, 1417.

4. Cités par A. Van Gennep, Manuel de folklore français, Paris, 1943/1949, p. 622.

5. Cf. A. Van Gennep, op. cit., p. 623 : « Dans l'état actuel des enquêtes, il ne paraît pas possible de décider si ‘ Charivari ‘ est une déformation française ou littéraire de ces divers termes italiens ou si au contraire les Piémontais ont fabriqué une étymologie populaire pour interpréter le terme savant et juridique français. »

6. A. Van Gennep, op. cit., p. 615 : « On peut regarder le Charivari aux veufs comme une coutume à peu près universelle en France malgré la diversité des origines ethniques, des langues et des dialectes depuis le haut Moyen Age jusqu'à nos jours, mais cependant comme relativement épisodique parce que le remariage des veufs n'est en somme pas très fréquent par rapport aux mariages normaux entre jeunes. »

7. Sur les méfaits de « l'illusion archaïque » cf. E. Sapir, Anthropologie, Paris, 1967, 1.1, pp. 178 ss.

8. En dehors des lettres de rémission, les statuts synodaux comportent de nombreux témoignages ; cf. P. Adam, La vie paroissiale en France au XIVe siècle, Paris, 1964, pp. 272-273.

9. J. Huizinga, Homo ludens, première publication 1944 et R. Caillois, Les jeux et les hommes, Paris, 1967. Plus récemment : J. Heers, Fêtes, jeux et joutes dans les sociétés d'Occident à la fin du Moyen Age, Conférence Albert le Grand, Paris-Montréal, 1971 : « Depuis longtemps, les sociologues et les ethnologues ont souligné l'intérêt de l'étude des fêtes, des spectacles collectifs, des compétitions de tous ordres, pour la connaissance de toute civilisation, qu'elle soit passée ou actuelle, dite primitive ou plus proche des nótres. Ces manifestations ont pour eux une indiscutable valeur de témoignage ou, du moins, de signe. Les historiens des civilisations chrétiennes d'Occident n'ont généralement, dans ce domaine, pas montré d'aussi vives curiosités, pour la période médiévale en tout cas… La fête n'est encore envisagée que de façon légère, anecdotique ; elle ne semble être qu'un divertissement, un jeu, l'occasion tout au plus de luxes ou débordements ; elle n'a pas résonance ni signification sur le plan social » (Introduction, p. 9).

10. Nous rejoignons ici les critiques formulées par Natalie Zemon Davis, op. cit., p. 46 : « Most books on everyday life in the Late Middle Age and Early Modem Period do not help us very much for they merely describe the curious Charivaris and carnivals and stop short of analysis. »

Ainsi, P. Adam, op. cit., pp. 272-273, donne une explication qui semble insuffisante : « Se marier une deuxième fois était considéré, semble-t-il, comme un déshonneur ; vite on organisait un Charivari… Ces brimades étaient surtout une bonne aubaine pour les ‘ cupiditatis et gulositatis filii ‘. La conséquence de ces jeux grossiers et stupides fut de détourner beaucoup de paroissiens des secondes noces par peur des injures et des dépenses. Il s'avère au contraire que les secondes noces étaient souvent encouragées par l'Église. »

A. Van Gennep, op. cit., compare le charivari à la promenade sur le dos d'un âne des maris battus par leurs femmes et conclut : « Dans les deux cas, il s'agit d'une sorte de contravention par un ou plusieurs individus à la norme sociale, cérémonielle ou locale. » Rapprochement intéressant, mais qui n'explique pas la signification profonde du phénomène.

11. Cl. Lévi-Strauss, Le Cru et le Cuit, Paris, 1964, 5e partie.

12. Sur ce point, notre analyse diverge de celle proposée par E. P. Thompson, art. cit., particulièrement pp. 300-301.

13. Cl. Lévi-Strauss, op. cit., p. 307.

14. G. Suliteanu, « Le rituel N'Demez chez les Tatares de Dobroudja », dans Turcica, n° IV, 1972, Paris, Klincksieck (à paraître).

15. Les dernières manifestations de la coutume remontent à i960. 16. Cf. chalibarion, supra, p. 694. 17. De même, le terme curcuna en turc signifie « jeu et danse désordonnés, tumulte, comme ceux des ivrognes », cf. Sami-Fraschery, Dictionnaire turc-français, Constantinople, 1911.

18. Arch. Nat., JJ 170, fol. 223 v°, 1418.

19. Arch. Nat., JJ 155, fol. 263 v°, 1401. 20. Arch. Nat., JJ 139, fol. 290 v°, 1390.

21. Arch. Nat., J J 155, fol. 263, 1401.

22. Arch. Nat., JJ 93, fol. 13, 1367.

23. Arch. Nat., J J 170, fol. 223 v°, 1418.

24. Les instruments ne sont guère décrits. Les jeunes gens battent poêles et bassines. Le bruit et le tumulte étaient dans certains cas accompagnés de chansons. A Créancey en décembre 1402 les jeunes gens, devant la réticence du fiancé à les inviter à la taverne affirment « qu'ils feroient la rime et tout le partenant à chalivaly ». (Arch. Nat., JJ 157, fol. 152.)

25. Ibid., fol. 152.

26. Les explications avancées jusqu'alors sont les suivantes : P. Fortier Beaulieu, « Le Charivari dans le Roman de Fauvel », Revue de Folklore français, 1940, fait du peuple le vengeur du défunt. — A. Van Gennep, op. cit., émet cette hypothèse : lors d'un remariage, le scénario nuptial étant fortement limité, la jeunesse est privée d'un certain nombre de cadeaux et de réjouissances. Le charivari serait donc une compensation du « manque à gagner » ou du « manque à s'amuser ». Ces explications ne peuvent cependant pas être suffisantes ; elles n'expliquent pas en particulier la recrudescence des charivaris dans la seconde moitié du XIVe siècle. 27. Arch. Nat., JJ 93, fol. 13, 1367 ; Arch. Nat., JJ 139, fol. 290 v°, 1390 ; Arch. Nat., JJ 115 . fol- 34- 1400; Arch. Nat., JJ 118, fol. 196 v°, 1380.

28. L'identification « Valet » = Jeune homme ne laisse plus de doute après les travaux de N. Z. Davis, art. cit., pp. 50-51. L'usage du mot Valet semble d'ailleurs relativement développé jusqu'au XVe siècle. Cf. Br. Geremek, Le Salariat dans l'artisanat parisien aux Xiiie et XIVe siècles, Paris, 1968. Dans le monde du travail les termes Valet et Compagnon étaient synonymes ; le second l'a seulement emporté au XVe siècle.

29. N. Z. Davis développe aussi longuement l'organisation des classes d'âge médiévales. Dès le Xiiie siècle, il existait des « rois des jouvenceaux » ou « des abbés de la jeunesse », et R. Vaultier décrit l'activité de leurs bachelleries, op. cit., pp. 64-69.

30. Evans-Pritchard, E., Les Nuer (éd. française), Paris, 1968 Google Scholar.

31. Ibid., p. 283.

32. Ibid., p. 290.

33. Ibid., p. 294.

34. Existait-il même dans la société médiévale des rites d'initiation pour accéder aux bachelleries de la jeunesse ? Dans l'état actuel des recherches, il ne le semble pas : N. Z. Davis, art. cit., p. 51.

35. A titre d'exemple : Arch. Nat., JJ 93, fol. 13, novembre 1362 : « Et il soit ainsi que plusieurs compaignons de la dite ville dont il ne scet les noms qui estoient jusques au nombre de XX ou XV, ou environ »… — Arch. Nat., J J 157, fol. 152, décembre 1402 : « iceulx compaignons jusques au nombre de XXX ou environ se assemblèrent le jeudi après la feste de Saint Pierre et Saint Pol appostre environ heure de none… » Mais souvent les textes sont moins précis… Arch. Nat., JJ 156, fol. 208 v°, janvier 1402 : « Plusieurs des habitants du dit lieu se assemblèrent… » — Arch. Nat., JJ 170, fol. 122 v°, janvier 1418 : « aucuns compaignons du dit lieu… vindrent faire le dit charivary devant l'ostel de la dite fiancée… si comme jeunes gens ont accoustumé de faire sans y penser mal ne villenie ».

36. Arch. Nat., JJ 155, fol. 34 et 34 v°, février 1400, et JJ 156, fol. 50 v°, mai 1401.

37. Ussy-sur-Marne (Seine-et-Marne, arr. Meaux) et Saint-Jean, hameau de Changis. Il s'agit donc bien d'Ussy-sur-Marne et non de Crécy-en-Brie (Vaultier, op. cit., p. 31).

38. R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du Xiiie siècle, t. II, pp. 708 ss., Paris, 1968.

39. Arch. Nat., J J 118, fol. 196 v°, mars 1380.

40. Arch. Nat., JJ 155, fol. 34, et J J 156, fol. 50 v°.

41. Arch. Nat., J J 155, fol. 34 v°. Ces expéditions punitives expriment bien la cohésion de communautés devenues rivales, celle de Ussy-Changis d'une part, celle de Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux d'autre part. Ceux de Saint-Jean, à la suite du charivari, avaient « conçu haine » contre le meneur Jean Bailli et « autres de la dite ville d'Ucy et de Changy ». Aussi après le charivari « plusieurs varies jeunes hommes et autres de la dite ville et paroisse de Saint Jehan » rencontrant « plusieurs des varies et habitans de la dite ville de Changy » les ont « assaillis, batus et navrés très énormément ». Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Un mois après eut lieu une nouvelle rencontre avec à sa tête Jean Bailli et « plusieurs des dites villes d'Ucy et de Changy », d'une part et de l'autre « un appelle Perrot Hubert, Jehan Hubert et autres de la dite ville de Saint-Jehan garniz et porvoiés de espiez, picques de Flandres et pierres en leurs mains ». Ceux de Saint-Jean font alors une « roye d'un de leurs bastons en disant et jurant par front serment que se il y avait un homme de Changy ne d'Ucy qui passast la dite roie ilz le tueroient et mettroient mort ». Les deux communautés se sentent donc solidaires de leurs « jeunes » et affirment par cette frontière tracée dans le sol leur repli géographique.

42. J. M. Turlan, « Amis charnels d'après les actes du Parlement au XIVe siècle », Revue historique de droit français et étranger, 196g, pp. 645-698.

43. J. M. Turlan, art. cit., p. 697.

44. A. Gokalp, Matériaux recueillis en Turquie pour une thèse sur les Turkmènes de VAnatolie de l'Ouest (à paraître).

45. Nous savons d'autre part que les communautés taisibles se sont multipliées dans la seconde moitié du XIVe siècle en raison de la contraction économique. Cf. J. Gaudemet, Les communautés familiales, Paris, 1963, pp. 105-112, et les travaux de R. Boutruche, de E. Le Roy Ladurie et de P. Saint-Jacob.

46. La moyenne d'âge du mariage se situerait au même moment autour de 25 ans, ce qui semble déjà un âge tardif compte tenu de l'espérance de vie. Dans les milieux aristocratiques, la durée de la jeunesse était aussi très longue. Cf. G. Duby, « Au XIIe siècle : Les jeunes dans la société aristocratique », Annales E.S.C., 1964, pp. 835 ss.

47. Sur le terme « laboratores », cf. M. David, « Les ‘ laboratores ’ du renouveau économique du XIIe siècle à la fin du XIVe siècle », Revue d'histoire du droit français et étranger, 1959, pp. 174-195 et 295-325.

48. Au terme de cette étude il nous paraîtrait souhaitable de mener une enquête sur la jeunesse dans la société médiévale française à la fin du Moyen Age. Qui est considéré comme jeune ? Comment les autres classes d'âge jugent-elles la jeunesse ?