Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Les Journées de Juin 1848 ont toujours occupé une place particulière parmi les nombreuses insurrections parisiennes du xixe siècle. Certains historiens ont à la fois expliqué et justifié le mouvement par la faim des insurgés et leur désir de travailler. D'autres ont attribué les revendications des combattants aux théories socialistes ou aux convoitises allumées par les démagogues. Récemment, les travaux de Peter Amann et de Rémi Gossez sur les clubs politiques, les journaux et les organisations ouvrières ont ajouté bien des détails indispensables à l'image que nous avions de Paris sous la IIe République.
1. L'explication des Journées de Juin diffère nettement suivant les opinions politiques des historiens. En général, les historiens de gauche insistent sur ce qui relève du conflit de classe, les pressions économiques qu'exercèrent la faim et le chômage : Georges Renard, La République de 1848, Histoire socialiste 1789-1900; Jean Dautry, 1848 et la IIe République, Paris, Éd. sociales, 1957 ; ousur l'effet des théories des organisations socialistes : Georges Duveau, 1848 : The Making of a Révolution, New York, Panthéon, 1967. Les historiens conservateurs s'attachent plutôt à décrire les événements eux-mêmes, en en donnant une explication fondée sur la combinaison de facteurs idéologiques et politiques : Pierre de La Gorce, Histoire de la Seconde République Française, I, Paris, Plon-Nourrit, 1925 ; Charles Seignobos, La Révolution de 1848 ; Le Second Empire, Histoire de la France Contemporaine, E. Lavisse éd., t. VI, Paris, Hachette, 1900-1911. Voir aussi Charles Schmidt, Les Journées de Juin, Paris, Hachette, 1926 ; George Rude, Débats on Europe, 1815-1850, New York, Harper Torchbooks, 1972, pp. 213-227.
2. Voir en particulier Peter Amann, « A Journée in the making : May, 15, 1848 », Journal of Modem History, 42, I, mars 1970, pp. 42-69 ; Rémi Gossez, Les ouvriers de Paris, I : l'organisation, 1848-1851, Bibliothèque de la Révolution de 1848, t. XXIV, La Roche-sur-Yon, Imprimerie centrale de l'Ouest, 1967 ; Rémi Gossez, « La Presse parisienne à destination des ouvriers, 1848-1851 », La Presse ouvrière, 181Q-1850, Jacques Godechot éd., Bibliothèque de la Révolution de 1848, t. XXIII, La Roche-sur-Yon, Imprimerie centrale de l'Ouest, 1966, pp. 123-190.
3. Soboul, Albert, Les Sans-Culottes parisiens en l'An II, Paris, Librairie Clavreuil, 1958 Google Scholar ; Rude, George, The Crowd in the French Révolution, Oxford, Clarendon, 1959 Google Scholar ; Rude, George, The Crowd in History, New York, Wiley, 1964 Google Scholar.
4. Pour plus de détails sur nos méthodes, voir Charles Tilly, « Methods for the Study of Collective Violence », dans Molly Apple Levin et Ralph W. Conant eds., Problems in the Study of Community Violence, New York, Praeger, 1969. Les autres rapports récents sur cette recherche incluent Charles Tilly : « The Changing Place of Collective Violence », dans Melvin Richter éd., Essays in Social and Political History, Cambridge, Harvard University Press, 1970. Charles Tilly, « How protest Modernized in France, 1848 to 1855 », dans William Aydelotte, Alan Bogue et Robert Fogel eds., The Dimensions of Quantitative Research in History, Princeton, Princeton University Press, 1972 ; Edward Shorter et Charles Tilly, « Le déclin de la grève violente en France de 1890 à 1935 », Le Mouvement social, 79, juillet-septembre, 1971, pp. 95-118 ; « Les vagues de grèves en France, 1890- 1968 », Annales : Économies, Sociétés, Civilisations, Paris, 1974, 4, P. 857.
5. Nos sources concernant les incidents à Paris : Le Moniteur universel 2 oct. 1846, 3 oct. 1846, 16 sept. 1847 ; Le Droit 2 oct. 1846, 3 oct. 1846, 5 oct. 1846, 30 oct. 1846, 31 oct. 1846, 3 sept. 1847, 5 sept. 1847, 8 sept. 1847, 14 sept. 1847, 16 sept. 1847, 17 sept. 1847, 30 sept. 1847.
6. Amann, Peter, « Révolution : A Redéfinition », Political Science Quarterly, LXXVII, 1962, pp. 36-52Google Scholar.
7. Échantillon général des incidents, 405, 425, 446, 491 ; voir aussi Archives Nationales, BB80 1461, 5265, BB3° 363.
8. Stern, Daniel, Histoire de la Révolution de 1848, 3 tomes, Paris, 1850-1853, II, pp. 419-429Google Scholar ; Gossez, R., « La Presse Parisienne », pp. 183–187 ; rapport d'enquête, II, pp. 99-102Google Scholar.
9. Henri, Sée, La Vie économique de la France sous la Monarchie censitaire, 1813-1848, Paris, Alcan, 1927, pp. 122, 126-131Google Scholar ; voir aussi Jean-Pierre Aguet, Les grèves sous la Monarchie de Juillet, 1830-1847, Genève, E. Droz, 1954 ; Quentin-Bauchard, Pierre, La crise sociale de 1848 : les origines de la Révolution de Février, Paris, Hachette, 1920, pp. 274-275Google Scholar ; R. Gossez, Ouvriers, pp. 127-129.
10. Rapport d'enquête, I, pp. 258-259 ; Lévy-Leboyer, p. 349.
11. Pour une description détaillée des organisations ouvrières à Paris pendant la Seconde République, voir R. Gosskz, Ouvriers, en particulier pp. 112-120, 136-145, 160-220.
12. Charles Richomme, Journées de l'Insurrection de Juin, 1848 : Journal de la Rue, Paris, Vve L. Janet, 1848, p. 46.
13. A. Delvau, Les Murailles Révolutionnaires, Paris, C. Joubert, 1851, pp. 362, 476- 479. 563-565 ; voir aussi Boutin, pp. 183, 211 ; C. Richomme, pp. 166-167.
14. Archives Nationales, C 934, 2692, « État des principales arrestations politiques du 15 mai au 22 juin, 1848 », Rapport d'enquête, II, pp. 193-195, 199-200.
15. C. Richomme, pp. 138-139, 148-149.
16. Rapport d'enquête, II, pp. 49-54.
17. Moniteur, 25 juin-21 juillet, 1848 ; 3-4 décembre 1848 ; Rapport d'enquête, II, pp. 53-54 ; Archives Nationales, C 933, 2428, 2484, 2497, « Rapport sur les journées du 22 et 23 juin » ; Louis Girard, La garde nationale, 1814-1871, Paris, Pion, 1964, pp. 294, 313-314.
18. Jean Vidalenc, « La province et les journées de Juin », Études d'histoire moderne et contemporaine, II, 1848, pp. 102-103.
19. Rapport d'enquête, I, pp. 298,3 58; Stern, III, pp. 270-271; Archives Nationales, F7 2585-6, « Liste générale par ordre alphabétique des inculpés de Juin 1848 » ; Archives de l'Armée, « Justice militaire 1848, non-poursuivis » : C. Seignobos, p. 105.
20. Moniteur, 22 juillet, 2 et 8 août 1848 ; Rapport d'enquête, I, p. 363 ; P. Chalmin, « Une institution militaire de la Seconde République, la garde nationale mobile », Études d'histoire moderne et contemporaine, II, 1948, p. 68 ; Ernest Renan et Henriette Renan, Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Paris, Calmann-Lévy, 1923, pp. 209-210 ; P. De La Gorce, I, p. 393 ; Archives nationales, C 933 2730, « Le nombre des morts et des blessés ».
21. Il existe plusieurs versions de la liste aux Archives Nationales F7 2585 et aux Archives Historiques de l'Armée, AA, A. On relève de petites contradictions entre les trois énormes registres, mais tous les trois contiennent environ 11 700 noms. Le registre sous la cote F7 2585 s'achève sur le nombre 11 671, tandis que F7 2586 se clôt sur le nombre 11 693, ce qui constitue un écart apparent de 22 personnes. Cependant, en revoyant en détail le registre F7 2586, nous avons mis à jour une quantité considérable d'erreurs de numérotation ; notre total final est de 11 722 personnes— 50 personnes de plus (soit 0,4 %) que le total qui apparaissait d'abord. Bien que nous n'ayons pas comparé les registres individu par individu, il est néanmoins possible que les listes soient identiques. Nous avons utilisé F7 2586 parce qu'il contient plus d'éléments d'information concernant chaque inculpé que F7 2585, et parce qu'il nous a été plus facile d'en faire faire un micro-film que pour la copie de Vincennes. Nous avons codé chaque item sur des cartes perforées, en retenant le lieu de naissance (mais malheureusement pas le nom de la personne —• ce qui fut une erreur) sous forme alphabétique, de même que sous forme d'un code numérique. Nous avons effectué les vérifications, les mises en tableaux et les calculs sur un ensemble de 11 722 cartes. George Rude, Rémi Gossez et très probablement Georges Duveau ont tous utilisé ces sources auparavant, mais leurs analyses n'étaient pas aussi serrées ou détaillées que les nôtres. Plus récemment, Roger Price a travaillé sur F7 2585. Nos résultats diffèrent des siens à plusieurs égards ; voir The Second French Republic, Londres, B. T. Batsford, 1972 ; il a compté, par exemple, 11 727 personnes ; voir aussi les notes 28 et 36.
22. Moniteur, 16 oct. 1848 ; 26 mars, 7 avril et 10 avril 1849 ; A.N.C. 933, 2961, 2980 2985, « rapport sur la journée du 26 juin 1848 », 2701, « État et répartition des prisonniers ». Voir aussi Archives Historiques de l'Armée, A 1-125, « Justice Militaire, 1848 ».
23. Cf. R. C. Cobb, The Police and the People, French Popular Protest, IJ8ç-1820 Oxford, Oxford University Press, 1970, pp. 27, 29.
24. Ces remarques et celles qui suivent sur la composition des insurgés résument la mise en tableau de la liste générale… que nous n'avons pas donnée en détails.
25. Georges Duveau, 1848 : The Making of a Révolution, New York, Panthéon, 1968, pp. 18, 79, 83, 84, 132, 136.
26. A.H.A., À 65, 4834, Capdegelle. Malheureusement notre point de vue sur ces hommes se fonde sur des interrogatoires officiels, qui eurent lieu après que la prison et la perspective de la déportation eut refroidi de façon décisive l'ardeur militante de la plupart d'entre eux.
27. A.H.A., A 105, 7929, Mayer.
28. Si l'on compare nos résultats avec ceux de Roger Price, plusieurs différences apparaissent. Notre classification des emplois et la sienne ne sont pas identiques ; nombre de ses totaux concernant la participation des divers types d'industrie diffèrent substantiellement des nôtres. (Voir son tableau I, p. 165). Sa description de la participation des différentes industries, pp. 164-165, a souffert du fait qu'elle donne les nombres absolus des arrestations ou des pourcentages, plutôt que des taux. Mais, pour formuler des conclusions sur la propension à la révolte, il faut tenir compte à la fois de la distribution des métiers comprenant la force de travail, et exclure les travailleurs venant de l'extérieur de la ville.
29. La description s'applique aux hommes accusés d'être impliqués dans l'insurrection, mais non aux femmes. Le profil professionnel du petit groupe de femmes qui furent emprisonnées était sensiblement différent ; un tiers environ travaillaient dans le vêtement, ou comme domestiques. Une fraction importante d'entre elles pratiquait le commerce ou de petits métiers.
30. Chambre de Commerce, pp. 36-37, 48.
31. R. Gossez, Ouvriers, pp. 181-182.
32. Ibid, pp. 127-142, 177-178, 203-220.
33. L. Chevalier, Formation de la population parisienne, pp. 165, 207, 208, 217, 218, 285.
34. Ibid., pp. 46, 57, 58. Le calcul de la natalité à Paris en 1833 a été effectué par le Dr Bertillon ; ses conclusions reposent sur les registres des décès, ce qui constitue une base sujette à caution pour une telle estimation. Voir Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine, M. Le Comte de Rambuteau, préfect., Paris, Imprimerie Royale, 1844, V, table 118.
35. Honoré de Balzac, César Birotteau ; La Cousine Bette. Voir la discussion de L. Chevalier dans Classes laborieuses, pp. 220, 238, 410.
36. Price surestime la participation des couches inférieures de la classe moyenne car il n'a pas comparé le nombre des arrestations effectuées dans ce milieu à l'importance qu'ils avaient dans la population totale. Il affirme aussi, mais sans le prouver, que nombre des artisans arrêtés étaient des patrons ; voir Price, 164.
37. G. Duvkau, op. cit., pp. 82, 134. Voir aussi Rémi Gosskz, « Diversité des antagonismes sociaux vers le milieu du xixe siècle », Revue économique, mai 1956, pp. 439-457.
Le Canada Council et la National Science Foundation ont fourni à cette recherche l'essentiel de ses moyens financiers. Priscilla Cheever, Muhammad Fiaz, Freddi Greenberg, Judy Kammins, Virginia Perkins, Sue Richardson et Cyrus Stewart nous ont apporté une aide indispensable pour mener à bien nos analyses ; nous les en remercions chaleureusement. Notre gratitude va aussi à Peter Amann, Andrew Lees, Joan Scott, William S. Sewell et Edward Shorter, qui ont critiqué la première version de cet article.