Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Les manuels d'histoire de l'art fournissent rarement de véritables plans des bâtiments cités, ou même décrits. Parfois sont reproduites des esquisses schématiques qui permettent de se faire une idée de la répartition des grandes masses. Certaines collections publient de tels schémas après les avoir fait redessiner, si bien que le lecteur croit disposer de plans. De tels « documents » ne doivent être utilisés qu'avec la plus extrême prudence, car des vérifications élémentaires font ressortir dans beaucoup de cas de grossières approximations, assimilables à des erreurs pures et simples.
Most historians of art base their research on “feeling” and the “eye”. Plans of buildings, when they are available, are small and very approximative. The present study is founded on the hypothesis that medieval architects used measuring instruments, limiting themselves to “round” figures and simple proportions in order to determine the principle dimensions of a building.
The study demonstrates that this hypothesis is perfectly applicable to the cathedral of Beauvais, and that the finished result is clear enough to lead us necessarily to conclude that the plan (horizontal as well as vertical) was entirely homogeneous. In view of this conclusion, arguments regarding the direction in which construction took place (from east to west or west to east, etc.) are superfluous. The author discusses the implications of these observations with respect both to the question of proportional symbolism in the medieval period, and to the question of the precision of medieval as well as modern systems of measurement.
1. Murray, Stephen, Beauvais cathedra!. Architecture oftranscendence, Princeton, Princeton University Press, 1989, 178 Google Scholar p., 180 ill. Nos plus chaleureux remerciements vont à Xavier Barrai i Altet, Ezio Ornato, Christian Sapin et Jean Wirth qui nous ont fait part d'observations très précises et judicieuses sur une première ébauche de ce texte.
2. Nous sommes allés à Beauvais pour opérer diverses vérifications, notamment exécuter une série de mesures ; le plan nous est apparu fort convenable, à ceci près que l'échelle qui figure dans l'angle supérieur gauche est à peine trop longue (0, 3 mm).
3. La coupe est curieusement orientée, le sud à gauche et le nord à droite.
4. Nous avançons ce chiffre sur la base de la largeur intérieure du choeur, que nous avons pu mesurer nous-mêmes : 42,47 m : 6 = 708 cm.
5. Machabey, Armand, La métrologie dans les musées de province et sa contribution à l'histoire des poids et mesures en France depuis le treizième siècle, Paris, 1962, pp. 23–30.Google Scholar
6. Machabey, p. 29. Voir aussi Paul Guilhiermoz, «De l'équivalence des anciennes mesures», Bibliothèque de l'École des Chartes, 74-1913, p. 273, note 1 : Dans un arpentage fait pour l'abbaye de Chaalis, on lit : « Et toutes les dittes terres mesurées par Chevé de Montengny, à l'arpent du Roy nostre seigneur, cent perchez pour l'arpent et XXII piez pour la perche au pié de Chastelet, en l'an mil CCC IIIIXX et quatorse, en septembre” (Bibl. nat., ms. Picardie 314, n° 52). Pfeiffer, Elisabeth, Die alten Làngen-und Flàchenmasse. Ihr Ursprung, geometrische Darstellungen und arithmetische Werte, St. Katharinen, 1986 Google Scholar, examine les mesures de ce type aux pages 273-302. L'ouvrage essentiel pour l'historien travaillant sur la France est le répertoire systématique d'Ezio Ornato et Caria Bozzolo, Répertoire des mesures linéaires en France antérieures à l'adoption du système métrique décimal, dact. (une publication de cet instrument de travail remarquable s'impose). E. Ornato nous a fait observer que ce module de 708 cm vaut exactement vingt-quatre pieds romains (29, 5 cm x 24 = 708). Sans doute est-ce là en effet l'origine de cette perche ; on peut raisonnablement supposer que cette perche a été ensuite divisée en 22 parties pour obtenir un pied plus proche du pied royal, qui a effectivement été adopté par la suite (XIVe siècle?), ce qui a entraîné alors l'allongement de ladite perche jusqu'aux environs de 715 cm, valeur qu'elle avait au moment du passage au système métrique.
7. S. Murray s'est bien avisé de ce fait (p. 110), tirant argument de ce que la hauteur actuelle de la voûte vaut 144 pieds de roi (32, 5 cm x 144 = 46, 80 m). Par rapport à notre cadre d'analyse, cette hauteur peut s'interpréter de deux manières : soit comme une erreur pure et simple par approximation, soit par un éventuel changement de la longueur du pied en usage à Beauvais entre le milieu du xme siècle et le milieu du XVIe siècle (voir la note précédente), l'architecte qui dirigea la reconstruction ayant lui aussi prévu 144 pieds, mais avec un pied légèrement modifié. La question de la signification des nombres au Moyen Age a fait l'objet depuis une quinzaine d'années de travaux substantiels : Meyer, Heinz, Die Zahlenallegorese im Mittelalter. Méthode und Gebrauch, Munich, 1975 Google Scholar ; Brinkmann, Hennig, Mittelalterliche Hermeneutik, Tûbingen, 1980 Google Scholar (pp. 86-93) ; Meyer, Heinz et Suntrtjp, Rudolf, Lexikon der mittelalterlichen Zahlenbedeutungen, Munich, 1987.Google Scholar
8. Le travail de Karl Erich Hàberle, « Ein gelôstes Bauhuttengeheimnis. Metrologische Studie ûber die Hôhenentwicklung gotischer Kathedralschiffe», dans Herkov, Zlatko éd., Travaux du 1er congrès international de la métrologie historique, Zagreb, 1975, vol. II, pp. 378–394 Google Scholar, repose malencontreusement sur l'hypothèse d'une unité de mesure commune à toutes les cathédrales considérées (29, 1 cm), ce qui aboutit à des conclusions intenables.
9. Bonnet-Laborderie, Philippe, Cathédrale Saint-Pierre. Histoire et architecture, Beauvais, 1978 Google Scholar. S. Murray semble ignorer l'ouvrage d' Erlande-Brandenburg, A., L'art gothique, Paris, 1983 Google Scholar, qui consacre une notice à la cathédrale de Beauvais (pp. 526-527), dans laquelle il suggère une construction d'ouest en est, mais sans noter la moindre rupture dans le plan. Dans leur grande synthèse, Dieter Kimpel et Suckale, Robert, Die gotische Architektur in Frankreich, 1130-1270, Munich, 1985 Google Scholar (trad. froe, Paris, 1990) reprennent cette idée d'une progression ouest-est, en se fondant sur des observations relatives aux techniques de construction, pp. 350-351, 505-507.
10. Robert Branner, « Le maître de la cathédrale de Beauvais », Art de France, 2-1962, pp. 77-92.
11. François Ferdinand de Guilhermy (1809-1878) joua un rôle de premier plan dans les restaurations de Saint-Denis et des vitraux de la Sainte-Chapelle. Il a laissé un ensemble considérable de descriptions de monuments de la France (notice dans le Dictionnaire de biographie française).
12. Page 44, il attribue à Louis VI (mort en 1137), une confirmation de la charte de Beauvais en 1144. Page 46, il cite un texte de la Chronique de Reims, [l'évêque] « les escumenioit à tort et à mauvaise cause », qu'il traduit curieusement par « the bishop was encumbering them wrongly ».
13. Le lien annoncé p. 60 entre la crise de 1232-1239 et le sens de la construction est une affirmation purement gratuite.
14. Ce que S. Murray fait pourtant, pp. 15, 59, 110. Au-delà du caractère matériellement insignifiant de l'écart, il est amusant de remarquer que, si l'on suit l'hypothèse de cet auteur sur la chronologie de la construction, les murs extérieurs des bas-côtés auraient été construits avant les chapelles rayonnantes ; par conséquent, la non-symétrie des murs fermant à l'est les bas-côtés extérieurs serait antérieure au tracé de l'abside, donc la brisure de l'axe de cette abside déterminée avant son repérage au sol, et l'on ne voit pas dès lors comment tirer de cette brisure le moindre argument sur la continuité ou l'interruption des travaux.
15. C'est une question de trigonométrie élémentaire. On considère le triangle rectangle obtenu par division du triangle isocèle selon son axe de symétrie ; deux côtés sont connus (2 et 0, 5) et le troisième s'en déduit immédiatement (théorème de Pythagore) ; si l'on appelle A l'angle opposé au petit côté, on a : sin A = 0,5 / 2, d'où A = 14,47° ; l'angle cherché est donc 14,47° x 2.
16. L'ouvrage essentiel reste Schmidt, Fritz, Geschichte der geodàtischen Instrumente und Verfahren im Altertum und Mittelalter, Kaiserslautern, 1929 Google Scholar. Rappelle judicieusement que ligne vient de lin, et que des mesures effectuées avec une ficelle, même enduite de cire, aboutissent couramment à des variations de l'ordre du 1/50 ; affirme que les chaînes ne sont pas utilisées avant le XVIe siècle, ce qui paraît tardif ; établit assez nettement que le mode le plus ordinaire de mensuration au Moyen Age était réalisé à l'aide de deux tiges rigides identiques portées alternativement bout à bout. Léonard Legendre et Jean-Michel Veiixerot, « L'architecte, l'équerre et la géométrie instrumentale au Moyen Age: analyse du plan de la cathédrale de Reims», Médiévales, 1- 1982, pp. 48-84, donnent d'utiles éléments, notamment bibliographiques, mais attribuent à la géométrie un rôle qu'elle n'a jamais eu au Moyen Age. C'est d'ailleurs la même erreur qui vicie radicalement l'ouvrage, par ailleurs empli d'observations suggestives, d' Kottmann, Albrecht, Das Geheimnisromanischer Bauten. Masserhàltnisse in vorromanischen undromanischen Bauwerken, Stuttgart, 1971 Google Scholar. On frise l'absurde dans le texte de Wolfgang Wiemer, « Die Géométrie des Ebracher Kirchenplans. Ergebnisse einer Computeranalyse », Kunstchronik, 35-1982, pp. 422-443 : où il est empiriquement montré, une fois de plus, que l'on peut (par des procédés numériques ou purement géométriques) placer des figures géométriques complexes sur n'importe quel plan ; il faut tout au contraire partir de l'idée qu'une reconstitution de la structure géométrique d'un plan médiéval n'est plausible que si elle demeure extrêmement simple. L'album de Villard de Honnecourt, fort difficile à analyser car c'est un unicum, comporte plusieurs croquis d'églises ; aucun ne semble receler d'armature géométrique, il est bien délicat d'y voir autre chose que des schémas de disposition relative des diverses parties les unes par rapport aux autres, rien ne suggère, contrairement à ce que semble croire R. Bechmann (Carnet de Villard de Honnecourt…, commenté par Alain Erlande-Brandenburg, Régine Pernoud, Jean Gimpel, Roland Bechmann, Paris, 1986, p. 41), que « pour les grandes lignes du projet, on recourait à la géométrie pour donner les indications et faire respecter la conception… il n'était pas possible de coter les plans » ; l'expression « solution hésitante », utilisée à ce propos par A. Erlande-Brandenburg, ibid., p. 23, semble bien mieux convenir.
17. Après vérification, il apparaît que ce segment A n'est pas figuré avec la même longueur en hauteur et en largeur, ce qui d'ailleurs n'a guère d'importance, puisque les extrémités tombent toutes dans le vide.
18. Il suffit de tracer une ligne passant par la clé de voûte centrale et s'écartant de 30° de la verticale.
19. Page 70b.
20. Page 73a.
21. Page 89a.
22. Page 90a.
23. Page 85b.
24. Page 86b.
25. En pratique, découvrir par l'observation des proportions privilégiées est une opération très délicate : Caria Bozzolo, Dominique COQ, Denis Muzerelle, Ezio Ornato, « L'artisan médiéval et la page : peut-on déceler des procédés géométriques de mise en page ? » dans Altet, Xavier Barral I éd., Artistes, artisans et production artistique au Moyen Age (colloque de Rennes, 1983), t. 3, Paris, 1990, pp. 295–305.Google Scholar
26. Page 89b, S. Murray prétend que la qualité de la maçonnerie des culées se détériore vers le haut, et il renvoie aux illustrations 22 et 55 : on ne voit rien de tel.
27. Pages 87a, 90a.
28. A ce propos d'ailleurs, S. Murray aurait pu citer utilement Panofsky, Erwin (Architecture gothique et pensée scolastique, trad. frse, Paris, 1967, pp. 126–129 Google Scholar).
29. Le travail remarquable de Gûnther Bindíng, Masswerk, Darmstadt, 1989, fournit un cadre et des pistes de recherche de premier ordre.
30. Bessac, Jean-Claude, L'outillage traditionnel du tailleur de pierre, Paris, 1985 Google Scholar. Il faudrait naturellement rechercher toutes les marques de tailleur. Références dans R. Recht éd., Les bâtisseurs des cathédrales gothiques (cf. n. 34), p. 376.
31. Sapin, Christian éd., Mortiers et enduits, archéologie médiévale et moderne, table ronde, Dijon, 1987 Google Scholar, Valbonne, 1991.
32. On doit citer ici le travail exemplaire de Théo-Antoine Hermanès à la cathédrale de Genève. (Voir le catalogue de l'exposition Saint-Pierre. Cathédrale de Genève, un monument, une exposition, Genève, 1982, pp. 42-47 et planches 1 à 9). Anne Bossoutrot, « La pierre mise à nu : vêtement et revêtement», Lithiques, 6-1989, pp. 48-59.
33. Une quinzaine d'églises romanes de la région de Mâcon, dont nous avons relevé le plan et l'élévation en collaboration avec Anita Guerreau-Jalabert ; l'édifice du vie siècle découvert sous l'ancienne église Saint-Clément à Mâcon (responsable de la fouille : Christian Sapin) ; un groupe de bâtiments d'exploitation agricole du xrve siècle en Côte-d'Or, fouillés sous la direction de Patrice Beck, cf. Histoire et Mesure, V-l/2-1990, pp. 166-168.
34. Il y a lieu de renvoyer ici de manière globale à deux ouvrages de référence indispensables dans la perspective qui nous occupe : Kula, Witold, Les mesures et les hommes, Paris, 1984 Google Scholar (orig. polonais, 1970), qui constitue la meilleure réflexion sur la signification sociale des pratiques de mesure; et Recht, Roland éd., Les bâtisseurs de cathédrales gothiques, Strasbourg, 1989 Google Scholar, qui fournit un dossier d'une exceptionnelle richesse (avec de substantiels éléments bibliographiques) sur une vaste série de questions liées à ces constructions ; parmi une trentaine d'excellentes contributions, nous avons particulièrement utilisé Robert Suckale, « La théorie de l'architecte au temps des cathédrales », pp. 41-50, Henrik Karge, « La cathédrale de Burgos. Organisation et technique de la construction», pp. 139-163, Werner Mùller, «Le dessin technique à l'époque gothique», pp. 237-254. L'ouvrage de Hecht, Konrad, Mass und Zahl in der gothischen Baukunst, Hildesheim-New York, 1979 Google Scholar, nous est resté inaccessible, de même que Winterfeld, Dethard von, «Raster und Modul in der Baukunst des Mittelalters », Kunstsplitter. Festschrift fur Wolfgang J. Millier, Husum, 1984, pp. 7–44.Google Scholar
35. Le village de Dracy, en Côte-d'Or, abandonné à la fin du Moyen Age, fournit un bel exemple d'un ensemble de maisons médiévales rurales en pierre. Voir par exemple Bucaille, Richard et LÉVI-Strauss, Laurent, L'architecture rurale française. Bourgogne, Paris, 1980, pp. 36–41.Google Scholar
36. Dans le cas de « rectangles » très déformés, c'est le plus souvent la moyenne de deux côtés opposés qui correspond le mieux à un nombre entier de modules. Il faut aussi souligner que les indications d'arpentage contenues dans les chartes des Xe et XIe siècles se limitent presque toujours à deux nombres, un pour la longueur, un pour la largeur.
37. L'irrégularité plus ou moins prononcée d'une très grande proportion des constructions « rectangulaires » médiévales implique cette absence de vérification (laquelle n'est vraiment précise que si elle s'applique à un quadrilatère ayant ses côtés opposés égaux, c'est-à-dire un parallélogramme). Elle correspond étroitement, notons-le au passage, à la priorité acordée aux mesures intérieures : pour délimiter un rectangle à construire, le système contemporain le plus simple consiste à fixer, à l'aide de huit piquets extérieurs à la construction, quatre cordeaux parallèles deux à deux fixant l'aplomb des parois externes du bâtiment ; ces cordeaux peuvent facilement demeurer en place lors du creusement des fondations et pendant la construction des murs ; une telle opération est beaucoup plus difficile pour délimiter les aplombs intérieurs des murs, puisque les cordeaux doivent disparaître dès que les murs parviennent à leur hauteur ; au surplus, l'idée de planter des piquets à l'extérieur de la surface enclose se heurte d'une certaine manière à l'idée qu'on cherche à délimiter un espace à partir d'un point central et non à partir d'une vision globale extérieure. Il faut demeurer extrêmement prudent par rapport à la notion de « connaissances géométriques » des maçons médiévaux. Bien sûr, les édifices d'une certaine importance donnèrent lieu à des plans préalables sans doute assez régulièrement à partir du second tiers du XIIIe siècle. Mais des trucs de chantier sont autre chose qu'un savoir abstrait organisé, qui n'est guère repérable avant la fin du XVe siècle, Lon R. Shelby, « The geometrical knowledge of mediaeval master masons », Spéculum, 47-1972, pp. 395-421.
38. Un cas remarquable est celui d'Emile MÂLE, qui, d'une édition à l'autre de L'art religieux du XIIIe siècle en France. Étude sur l'iconographie du Moyen Age et sur ses sources d'inspiration, modifia du tout au tout son point de vue. Dans les deux premières éditions (1898 et 1902), on lit en effet « Une des questions les plus délicates de l'archéologie du Moyen Age est certainement celle de la déviation de l'axe des églises qu'on remarque si fréquemment dans la région du choeur. Une pareille irrégularité est-elle due au hasard, à des nécessités d'ordre matériel, ou faut-il y voir une intention d'ordre mystique? N'aurait-on pas voulu rappeler que Jésus-Christ, dont l'église est l'image, est mort sur la croix en inclinant la tête ? Viollet-le-Duc ne se prononce pas, tout en reconnaissant qu'un symbolisme de ce genre s'accorde parfaitement avec tout ce que nous savons du génie du Moyen Age. Cependant les exemples sont si fréquents, en France et à l'étranger, qu'il est vraiment difficile d'invoquer sans cesse, comme on le fait, le hasard ou des nécessités de construction. Il est également singulier que ce soient souvent les édifices les plus achevés du Moyen Age qui offrent cette particularité. Notre-Dame de Paris, par exemple, ou la cathédrale d'York. Une telle question ne peut être tranchée par une affirmation ou par une négation : une statistique exacte résoudra le problème », 1898, pp. 28-29 ; 1902, pp. 36-37. A partir de l'édition de 1910, cette question est rejetée en note, le début du texte étant partiellement modifié, et la conclusion inversée : « Une des questions les plus longtemps controversées de l'archéologie du Moyen Age a été celle de la déviation de l'axe des églises, qu'on remarque si fréquemment dans la région du choeur. Une pareille irrégularité est-elle due au hasard, à des nécessités d'ordre matériel, ou faut-il y voir une intention d'ordre mystique ? N'aurait-on pas voulu rappeler que Jésus-Christ, dont l'église est l'image, est mort sur la croix en inclinant la tête ? Viollet-le- Duc ne se prononce pas, tout en reconnaissant qu'une idée de ce genre s'accorderait parfaitement avec tout ce que nous savons du génie du Moyen Age. « Pour ma part, j'ai été pendant longtemps assez disposé à interpréter la déviation de l'axe dans un sens mystique. Le remarquable mémoire que M. R. de Lasteyrie a consacré à cette question (…) m'a convaincu que cette déviation ne pouvait avoir de signification symbolique. Quand elle n'est pas commandée par la nature des lieux, elle est le résultat d'une erreur d'alignement et correspond toujours à une reprise des travaux. Les exemples si précis que donne M. de Lasteyrie ne peuvent guère laisser subsister de doute dans l'esprit… » (1910, note 3, p. 36). En fait, il n'y a rien dans le mémoire de R. de Lasteyrie qui annule les arguments avancés en 1898 et 1902, et en tout cas pas cette statistique exacte qu'on attend encore.
39. Lasteyrie, Robert De, « La déviation de l'axe des églises est-elle symbolique? », Bulletin monumental, 69-1905, pp. 422–459 Google Scholar. Contient une bibliographie importante des écrits antérieurs sur le sujet. R. de Lasteyrie enseignait l'archéologie du Moyen Age à l'École des Chartes depuis 1880. Au moment de l'affaire Dreyfus, il fut le porte-drapeau de la minorité chartiste anti-dreyfusarde (Bertrand Joly, « L'École des Chartes et l'affaire Dreyfus », Bibliothèque de l'École des Chartes, 147-1989, pp. 636-644). Notices dans la BEC, 82-1921, pp. 237-247 et 84-1923, pp. 5-20. Cet article fut conforté par deux autres, parus peu après dans la même revue : Saintpaul, Anthyme, «Les irrégularités de plan dans les églises», Bulletin monumental, 70-1906, pp. 129–155 Google Scholar; Bilson, John, « La cathédrale d'Amiens et les “ raffinements ” de M. Goodyear », Bulletin monumental, 71-1907, pp. 32–76.Google Scholar
40. En fait, R. de Lasteyrle énonce le principe expressis verbis (p. 431) : « Je préfère rappeler les sages préceptes énoncés par Edmont LE Blant, dans des pages que tous les savants qui s'occupent de symbolisme devraient avoir sans cesse présentes à l'esprit. Un des principaux est qu'on ne doit jamais supposer une intention symbolique, ni accepter une explication fondée sur une pareille supposition, si on n'en trouve pas la preuve dans les écrits des Pères ou des anciens liturgistes ». Cette formule définit exactement ce qu'on appelle positivisme au pire sens du terme, qui réduit tout le travail de l'historien à une stricte compilation. Disons pour le moins que d'autres historiens pensent que le sens d'une pratique ou d'une oeuvre, d'un fait quelconque, résulte de l'agencement d'une structure, c'est-à-dire d'un ensemble complexe de relations, ensemble qui comprend les représentations des acteurs mais les dépasse et les englobe largement. Les travaux de référence actuels sur la symbolique des bâtiments médiévaux, pour la plupart, combinent le point de vue décrit plus haut à une orientation apologétique omniprésente : Jungmann, Joseph A., Symbolik der katholischen Kirche, mit einem Anhang von Eckhart Sauser (Symbolik des katholischen Kirchengebâudes), Stuttgart, 1960 Google Scholar (forte bibliographie). Lubac, Henri De, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l'Écriture, 4 vols, Paris, 1959-1964 (2-II, pp. 41–60 Google Scholar : « Symboles architecturaux »). Plus général, Brinkmann, Hennig, Mittelalterliche Hermeneutik, Tûbingen, 1980, pp. 123–132 Google Scholar. Une critique claire de la croyance à la possibilité d'utiliser simplement les textes comme des clés de déchiffrement du symbolisme médiéval est fournie dans l'ouvrage capital de Wirth, Jean, L'image médiévale. Naissance et développements (VIe-XVe siècle), Paris, 1989, pp. 232–236.Google Scholar
41. C'est en partant d'une hypothèse très voisine que H. Leblond est brillamment parvenu à restituer une série d'unités de longueur médiévales en analysant les cadastres de plusieurs bastides : Hervé Leblond, «Recherches métrologiques sur des plans de bastides médiévales», Histoire et Mesure, H-3/4-1987, pp. 55-88. Recherche dans un esprit voisin sur un parcellaire agraire : Halina Szulc, « Die Anwendung der historischen Métrologie fur genetische Untersuchungen regelmässiger Dӧrfer in Polen am Beispiel von Schlesien und Pomern », dans Witthöft, Harald éd., Acta Metrologiae Historicae II (congrès de Linz, octobre 1986), Linz, 1989, pp. 241–256 Google Scholar. S'agissant d'un bâtiment particulier, le plus efficace nous semble être d'utiliser deux méthodes complémentaires : une recherche directe et visuelle sur le plan lui-même à l'aide d'un compas, de manière à repérer les relations les plus simples (1/1, 1/2, 1/3) ; une recherche arithmétique permettant de déterminer la relation numérique la plus simple entre toutes les dimensions importantes ; concrètement, il s'agit là de déterminer la plus grande partie aliquote commune entre paires (ou triplets) de segments, moyennant un certain pourcentage d'approximation ; pour effectuer ce calcul, nous avons écrit un bref programme en basic, dont nous communiquerions bien volontiers le listage à tous les collègues qui nous en feraient la demande.
42. Des observations particulièrement pertinentes dans Bruno Dufay, «Du monument tel qu'il est au monument idéal : le rôle des irrégularités des plans dans la recherche de la géométrie des basiliques paléochrétiennes (avec la présentation d'un programme informatisé d'étude métrologique) », dans Jean-François Bommelaer éd., Le dessin d'architecture dans les sociétés antiques, Actes du colloque de Strasbourg (janvier 1984), Leyde, 1985, pp. 309-323. Du même « Metro, un logiciel de recherches sur la métrologie d'un monument», dans Ducasse, Henri éd., Panorama 1985 des traitements de données en archéologie, Juan-les-Pins, 1985, pp. 145–163.Google Scholar
43. Soulignons que ces considérations ne s'appliquent qu'à l'Europe médiévale. C'est une illusion de croire que les mêmes principes pourraient s'appliquer à toutes les périodes. Utiles remarques de bibliographie dans Fernie, Eric, «Historical metrology and architectural history», Art History, 1-1978, pp. 383–399 Google Scholar. Pour l'Antiquité, une belle recherche: Frey, Louis, «Besançon: la Porte-Noire. Carrés et diagonales», Mathématiques, informatique et sciences humaines, 27, n° 105, pp. 27–62 Google Scholar. Thomas Thiemme, «Metrology and planning in the basilica of Johannes Stoudios », dans Bommelaer, Jean-François éd., Le dessin d'architecture dans les sociétés antiques. Actes du colloque de Strasbourg (janvier 1984), Leyde, 1985, pp. 291–308 Google Scholar. Les difficultés de l'introduction de la géométrie savante dans l'art au xvne siècle sont illustrées par exemple par Nathalie Heinich, « La perspective académique. Peinture et tradition lettrée : la référence aux mathématiques dans les théories de l'art au xvne siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, 49-1983, pp. 47-70.
44. On peut, pensons-nous, proposer deux idées : a) le privilège massif accordé à l'espace intérieur, qui ne fait pas de doute, renvoie à ce qui nous semble être un caractère fondamental du système des représentations médiéval, la polarisation de l'espace à tous les points de vue, l'opposition entre un intérieur valorisé et un extérieur déprécié constituant une véritable matrice pour l'ensemble de ce système ; b) quelques axes principaux de cet espace sacré sont déterminés par des nombres simples de modules, le reste étant placé au jugé, donc jusqu'à un certain point négligé : nous serions assez tentés de voir là une dénégation, la marque que l'espace terrestre le plus parfait ne saurait rivaliser avec la perfection de l'espace spirituel, ou de l'impossibilité reconnue de traduire sur terre la perfection du monde spirituel. A cet égard, une série de plans relevés avec une précision maximale constitue bien un préalable au progrès de la réflexion, qui pourrait aboutir à une mise en cause partielle de certains développements d'Erwin Panofsky : « La cathédrale classique vise, avant tout, à la totalité et tend, par conséquent, à s'approcher autant que possible, par synthèse autant que par élimination, d'une solution parfaite et ultime », Architecture gothique et pensée scolastique, trad. frse, p. 103, auteur dont l'« audace », selon le mot juste de Pierre Bourdieu, ibid., p. 144, demeure évidemment pour nous une source essentielle d'inspiration.
45. Les observations de Dieter Kimpel, «Rennes et Amiens. Étude comparative des chantiers », dans Altet, Xavier Barral I éd., Artistes, artisans et production artistique au Moyen Age, t. 2, Paris, 1987, pp. 349–357 Google Scholar, sont particulièrement pertinentes en ce qu'elles soulignent la nécessité d'une étude soigneuse des conditions pratiques de construction, mais accordent à la technique une dominance qui fait trop bon marché de la recherche des structures d'ensemble de la société considérée. La dominance de telle ou telle forme d'activité et/ou de relations sociales ne se décrète pas mais doit être mise empiriquement en évidence.