Célèbre écrivain américain à succès, William Styron connut en 1985 une sévère dépression qui le conduisit aux portes du suicide. Dans Face aux ténèbres (1990) [2], il fit le récit de sa plongée dans cette « indicible douleur », ainsi que des étapes de sa guérison. Nous proposons, depuis une perspective phénoménologique, une relecture de ce texte poignant afin d’y saisir, au-delà des repérages symptomatiques, une forme singulière d’être-au monde. Pour Tellenbach, la personnalité pré-dépressive relève d’une configuration anthropologique bien particulière, le Typus Melancholicus, marquée par son attachement exacerbé à l’ordre, son souci aigu du devoir accompli et des responsabilités, sa relation symbiotique à autrui [3]. Kraus réinterprète cette disposition de l’être comme structure de sur-identification aux rôles sociaux, reposant elle-même sur une identité égoique insuffisamment constituée. De cette constitution sur-identifiante procède, d’une part, un style de comportement qualifié par Kraus d’hypernomique, soit dans un rapport non distancié par rapport aux normes sociales, l’identité égoique déficiente ne permettant pas la flexibilité habituellement requise dans la réalisation des rôles sociaux [1]. D’autre part, les situations de déclenchement des épisodes dépressifs peuvent désormais être comprises comme situations de pertes de rôles ou comme débordement de l’individu par des attentes normatives sursollicitantes et conflictuelles. Il s’agit donc d’une dialectisation de la notion de déviance, la non-adaptation à la norme s’opposant à une adaptation excessive sans distance ni autonomie. Dans ce contexte, une thérapie centrée sur la problématique identitaire vise à soulager le patient de ses auto-exigences élevées par l’adoption d’identités de transition, et à valoriser le développement de performances égoiques.