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Carmel Finley, All the Fish in the Sea: Maximum Sustainable Yield and the Failure of Fisheries Management, Chicago, The University of Chicago Press, 2011, 224 p.

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Carmel Finley, All the Fish in the Sea: Maximum Sustainable Yield and the Failure of Fisheries Management, Chicago, The University of Chicago Press, 2011, 224 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

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Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Avec son livre All the Fish in the Sea paru en 2011, Carmel Finley a apporté une contribution majeure au champ de l’histoire environnementale des mers et des océans, dans sa composante concernant les pêches et la gestion des ressources marines. Le fil rouge de l’ouvrage tient à l’« histoire politique » (p. xi) d’un instrument de gouvernement spécifique des activités halieutiques : le Maximum Sustainable Yield (ou MSY). Cet instrument a joué en effet, et joue encore parfois, un rôle crucial dans les procédures d’évaluation de l’état des « stocks », dans la mise en œuvre de mesures de régulation des prises de pêche par les États et certains organismes internationaux. Il se décline en différentes versions, mais le cœur du raisonnement consiste à chercher à placer le prélèvement en poisson d’une espèce donnée au point où celui-ci est maximal, tout en procédant d’une situation d’équilibre qui permet (en théorie) de perpétuer indéfiniment cet état d’exploitation. C’est en ce sens que le rendement en question (yield) se veut à la fois maximum et sustainable.

Pour concevoir et mettre en application un tel principe, il faut se donner un modèle de croissance des populations de poissons sur lequel ajuster concrètement le niveau de MSY. Ce modèle tient, à l’origine, à un schéma descriptif familier des historiens et historiennes de la démographie et des sciences écologiques : la « courbe en S » – dite aussi « courbe logistique » –, dont le biologiste et démographe Raymond Pearl avait fait, avant la Seconde Guerre mondiale, la clef de voûte de ce qu’il imaginait comme une pensée unitaire des communautés animales. En halieutique, l’ambition est plus limitée, mais elle reste forte : tel que le souligne C. Finley, après la Seconde Guerre mondiale, les promoteurs du MSY et de la courbe en S cherchent à ériger ces instruments en outil irréfutable de gestion, qui maximise les gains sans compromettre le capital biologique sous-jacent. Mais justement : depuis plusieurs décennies maintenant, la responsabilité de l’usage du MSY dans la trajectoire désastreuse de surexploitation des populations marines a maintes fois été soulignée. Focalisé sur une espèce unique, cet outil est aveugle face aux chaînes écologiques ; axé sur des populations, il ne dit rien, entre autres, de l’incidence concrète des engins de pêche sur les fonds marins et leurs biotopes. C’est là l’origine de la démarche de C. Finley : comment analyser l’histoire de la montée en puissance et bientôt de l’hégémonie d’un instrument à la fois conceptuellement limité et funeste dans ses effets sur les écosystèmes aquatiques ?

Pour ce faire, il faut, argumente-t-elle, comprendre la situation dans laquelle se trouvent les États-Unis au sortir de la Seconde Guerre mondiale du point de vue de leur industrie des pêches et de la fréquentation de leurs zones maritimes proches par des flottes étrangères. Deux aspects sont décisifs. D’abord, dès l’entre-deux-guerres, le Japon est la première puissance de pêche mondiale, avec des stratégies agressives de pêche à longue distance, visant en particulier les riches populations de saumons de l’immense baie de Bristol en Alaska, au-devant des eaux territoriales états-uniennes, ceci créant de fortes tensions avec les autorités et les populations locales. Or, après le conflit mondial, les États-Unis eux-mêmes doivent accepter bon gré mal gré une relance partielle de la pêche japonaise à longue distance, dans le cadre de la reconstruction du pays et de sa stabilisation en tant qu’allié clef dans le contexte de la guerre froide.

La déclaration du président Truman du 28 septembre 1945 concernant la juridiction et le contrôle des États-Unis sur les ressources du plateau continental adjacent à ses côtes est l’un des actes les plus célèbres du droit international des mers. Mais, et cela est moins connu, par une seconde déclaration datée du même jour et, comme le montre C. Finley, sous l’influence d’intérêts liés aux industries des pêches de la côte nord-ouest, le même Truman affirmait le droit de créer des réserves de pêches en haute mer, au-delà des eaux territoriales, si le besoin s’en faisait sentir en termes de « conservation ». Or cette proclamation, si elle ouvre la possibilité de contrer les flottes japonaises, est bientôt vécue comme un désastre par un autre secteur de la pêche états-unienne, celui du thon. En effet, le thon, qui connaît un essor commercial spectaculaire après 1945, devient, par suite, une importante source de tensions internationales. À partir du début des années 1950, les thoniers états-uniens opèrent de plus en plus à proximité des côtes chiliennes, équatoriennes, panaméennes et costaricaines pour capturer à la fois des thonidés et les petits poissons qui servent d’appât pour cette pêche. Et, dans un contexte mondial de revendications croissantes de certains États à protéger leurs zones maritimes (l’Islande étant l’exemple emblématique pour l’Atlantique du Nord-Est), les pays latino-américains prétendent eux aussi à une souveraineté pleine ou partielle sur les vastes espaces maritimes d’où thons et poissons-appâts sont captés par les navires américains. Après la revendication de droits souverains jusqu’aux 200 milles marins (selon différentes modalités) dans la seconde moitié des années 1940, ces nations cherchent à s’organiser pour faire reconnaître unanimement celles-ci et en généraliser l’adoption à l’échelle du sous-continent dans la première moitié des années 1950. Au même moment, C. Finley montre comment des experts américains travaillant pour le compte de l’État fédéral ou d’intérêts privés cherchent à contrecarrer les efforts de la toute jeune FAO désireuse d’instaurer un Latin American Fisheries Council qui pourrait préfigurer une forme de gouvernance équilibrée des ressources en poisson dans la zone, lui préférant une structure ad hoc basée à La Jolla (Californie) et sous influence états-unienne, l’Inter-American Tropical Tuna Commission (IATTC).

Surtout, l’autrice analyse comment, en fins politiques, deux scientifiques américains spécialistes de biologie marine et d’exploitation halieutique – William Herrington et Wilbert McLeod Chapman – optent pour une stratégie visant à contrer les revendications à une extension des souverainetés en faisant adopter, en décembre 1954, le principe d’une conférence internationale, sous l’égide de l’ONU, où va être discutée la question de la conservation des ressources vivantes de la mer. Cette conférence se tient à Rome en avril 1955. Mais, en termes scientifiques, tout est décidé en amont : c’est là que les experts américains imposent le MSY comme outil paradigmatique, faisant fi des critiques d’autres spécialistes comme le Britannique Michael Graham. Et l’intronisation du MSY dans les conclusions de la conférence elle-même (qui débouche sur une convention internationale) répond point par point, explique C. Finley, aux désidératas états-uniens. L’idée, en effet, est qu’il est inutile d’étendre la souveraineté en mer ou de créer une gouvernance onusienne pour faire de la conservation. Il n’est même pas besoin de prendre des mesures de conservation préventive avant que soit atteint le MSY, érigé en repère clef. Et même dans ce dernier cas, ce sont les pays dont les ressources proches sont exploitées (l’Équateur, par exemple) qui auront la charge de la preuve et devront démontrer que le MSY est sur le point d’être dépassé.

Le seul échec pour la délégation américaine est finalement de n’avoir pas réussi à internationaliser ce qu’on appelle le « principe d’abstention », soit l’idée que certaines flottes pourraient être illégitimes à se mettre (ou à se remettre) à pêcher dans une zone donnée où la ressource est censée être déjà exploitée à plein et fait l’objet de mesures de conservation par d’autres pays. C’est la stratégie que W. Herrington mobilise dès mai 1952 pour contenir les pêcheries de saumon japonaises proches de l’Alaska, mais qu’il échoue à faire voter à Rome.

Le livre de C. Finley le démontre parfaitement : l’influence mondiale du MSY comme outil de gestion tient moins à ses qualités conceptuelles propres qu’à sa promotion comme vecteur de rayonnement de la puissance halieutique, commerciale et géostratégique états-unienne – l’une des grandes motivations était d’empêcher des extensions de souveraineté en mer qui auraient entravé les possibilités de manœuvre tous azimuts de la flotte de guerre américaine. La science halieutique, en se focalisant sur ce concept, aurait délaissé une certaine posture de précaution et d’humilité au regard des limites de notre connaissance des écosystèmes marins.

L’ouvrage de C. Finley n’est pas d’un accès toujours facile, avec la présence, dans la narration, d’allers-retours, de digressions, de synthèses parfois seulement ébauchées. Surtout, son propos va sans doute trop loin, en cherchant à charger le MSY de tous les maux, en lui imputant une part prépondérante dans le processus de destruction des écosystèmes marins par la pêche. Après tout, la Convention onusienne issue de la conférence de Rome a une valeur juridique non nulle, mais n’impose en rien une règle universelle de gouvernement des pêches. Certains accords de premier plan entre États, certaines organisations régionales de gestion n’ont pas fait du MSY leur norme de raisonnement et d’action. L’histoire de la surpêche globale a bien d’autres facteurs explicatifs que des failles dans l’expertise ou que les positions idéologiques des scientifiques spécialisés dans les pêches. Il est toutefois difficile de faire grief de sa position à C. Finley : dans un second livre paru en 2017, All the Boats on the Ocean Footnote 1, elle s’est justement attaquée à un autre problème majeur touchant ce secteur, celui des subventions massives de certains États à la pêcheFootnote 2.

References

1 Carmel Finley, All the Boats on the Ocean: How Government Subsidies Led to Global Overfishing, Chicago, The University of Chicago Press, 2017.

2 Pour de premiers résultats d’enquête sur l’histoire des subventions à la pêche industrielle en France, voir Fabien Locher, « Reconstruire la pêche française. État, écologie et modernisation (1939-1958) », Le Mouvement social, 278, 2022/1, p. 73-88.