Les changements climatiques s'intensifient et exercent une pression grandissante sur l'ensemble des écosystèmes et des sociétés dans le monde, même si ses effets touchent surtout les populations plus vulnérables (Pörtner et al., Reference Pörtner, Roberts, Adams, Adler, Aldunce, Ali and Begum2022). La hausse des températures et l'acidification de l'océan s'accentuent, les évènements météorologiques extrêmes se multiplient et les systèmes planétaires, telles l'atmosphère, la biosphère, la cryosphère et l'hydrosphère, approchent des points de non-retour (GIEC 2021; IPBES 2019). Pour y faire face, les États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont adopté l'Accord de Paris en 2015 (CCNUCC, 2016). Entré en vigueur en 2016, l'an 2020 représentait la première date butoir pour l'atteinte et le rehaussement des contributions nationales. Fondamentalement, cet accord visait à accélérer et à intensifier la lutte contre les changements climatiques sur les plans de l'atténuation et l'adaptation aux changements climatiques, de même qu'en matière de financement. Son objectif phare vise à « conten[ir] l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et [de poursuivre] l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » (art. 2.1 a).Footnote 1
Depuis 2015, plusieurs développements importants ont contribué à l'opérationnalisation de l'Accord de Paris. En 2021, la 26e Conférence des Parties (CdP) à la CCNUCC (Glasgow, Écosse) permettait, entre autres, de finaliser le Paris Rulebook Footnote 2 et d'appliquer pour la première fois la « clause cliquet »Footnote 3 visant le rehaussement aux cinq ans des engagements climatiques des Parties. Ces développements ont permis de véritablement donner vie à l'Accord de Paris. L'année suivante, en 2022, la CdP-27 (Charm el-Cheikh, Égypte) devait non seulement stimuler la mise en œuvre de ces engagements rehaussés, elle devait aussi amener les Parties à proposer des engagements encore plus ambitieux pour respecter l'objectif de ne pas dépasser le seuil d'augmentation de 1,5 °C.Footnote 4 Finalement, elle devait s'attaquer à des enjeux cruciaux, comme le financement, l'adaptation et la question des pertes et préjudices.Footnote 5 Or, la CdP-27 a plutôt donné lieu à des résultats en demi-teinte.
Quel bilan peut-on en tirer ? Ce court article répond à cette question en présentant, en premier lieu, les attentes élevées qui pesaient sur la CdP-27. Il offre ensuite une synthèse des résultats de cette CdP, en étudiant quatre volets principaux, soit l'atténuation des émissions de GES, l'augmentation du financement climatique, l'adaptation aux changements climatiques et les pertes et préjudices. Il se conclut par une analyse prospective des principaux enjeux à suivre d'ici la CdP-28 (Dubaï, Émirats arabes unis) et au-delà.
1. Attentes pour la CdP-27
Les attentes étaient particulièrement élevées pour la CdP-27. Présentée par la présidence égyptienne sous le slogan « Ensemble pour la mise en œuvre » (Together for Implementation), la CdP-27 était qualifiée par plusieurs observateurs comme la « CdP de la mise en œuvre » des engagements climatiques et plans d'action nationaux. Elle se devait ainsi d'encourager un passage de la planification à l'action pour rendre effectif l'Accord de Paris sur le terrain. Les attentes figuraient notamment sur les fronts de l'atténuation des émissions de GES, du financement et de l'adaptation aux changements climatiques. La CdP-27 devait également ouvrir le dialogue vers des enjeux fondamentaux trop souvent écartés lors de rencontres internationales sur le climat, comme l'enjeu des pertes et préjudices.
Atténuation
Au chapitre de l'atténuation, la Conférence de Charm el-Cheikh devait notamment donner suite à l'appel de Glasgow demandant aux États parties de rehausser leurs cibles de réduction des émissions de GES pour 2030 en vue de la CdP-27 (CCNUCC 2022, par. 29). Rappelons que cette « clause cliquet » informelle fut ajoutée dans le Pacte de Glasgow pour encourager l'augmentation de l'ambition des Parties et ainsi réduire l’écart entre leurs engagements en matière d’atténuation et ce qu'il faudrait faire pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C (UNFCCC 2022b).
Financement
Se tenant sur le continent africain, la CdP-27 avait aussi pour mandat de faire progresser plusieurs enjeux déterminants pour les pays en développement particulièrement vulnérables aux changements climatiques, comme le financement climatique, l'adaptation et les pertes et préjudices. En matière de financement climatique, la CdP-27 devait notamment accélérer la mobilisation des 100 milliards USD par année promis par les pays développés aux pays en développement entre 2020 et 2024 pour les appuyer dans la lutte contre les changements climatiques (CCNUCC 2022, par. 43–44) ; promesse prise en 2009 et qui n'a toujours pas été atteinte.Footnote 6 Elle devait aussi faire progresser les négociations sur le nouvel objectif chiffré en matière de financement climatique à mobiliser à compter de 2025 (CCNUCC 2022, par. 49–50).
Adaptation
Sur le plan de l’adaptation, la Conférence de Charm el-Cheikh devait, entre autres, faire avancer les discussions sur l’« objectif mondial en matière d'adaptation ». Cet objectif vise à soutenir l'action en faveur de l'adaptation à toutes les échelles. Lancé en 2021, le Glasgow–Sharm el-Sheikh Work Programme on the Global Goal on Adaptation (GlaSS) (CCNUCC 2022, par. 11–12), cherche à faciliter l'atteinte de l'engagement pris à Glasgow de doubler le financement destiné à l'adaptation d'ici 2025 par rapport à 2019 (CCNUCC 2022, par. 18).
Pertes et préjudices
Sur la question des pertes et préjudices, la CdP-27 avait notamment pour tâche de rendre opérationnel le Réseau de SantiagoFootnote 7 sur les pertes et préjudices (CCNUCC 2022, par. 66–70) et de faire avancer les discussions du Dialogue de Glasgow sur les modalités de financement pour prévenir et minimiser les pertes et préjudices (CCNUCC 2022, par. 73–74). Plusieurs pays en développement et organisations de la société civile comptaient d'ailleurs sur la Conférence de Charm el-Cheikh pour que soit adopté un nouveau fonds dédié à cet enjeu, alors que celui-ci avait été historiquement évacué des négociations climatiques internationales par les pays développés.
2. Bilan de la CdP-27
Au terme des négociations, quel bilan pouvons-nous tirer de la Conférence de Charm el-Cheikh ? À l'heure où plusieurs y voient des résultats en demi-teinte, quels sont les principaux développements à souligner et quelles sont les déceptions ? Nous présentons ici une analyse succincte des principales retombées de la CdP-27 sur les plans de l'atténuation, du financement, de l'adaptation et des pertes et préjudices, et des confrontons aux attentes initiales.
Atténuation
Tout d'abord, au chapitre de l'atténuation et du rehaussement de l'ambition, force est de constater que les développements furent plutôt minces. Malgré l'appel de Glasgow sommant les États parties à rehausser d'ici la CdP-27 leurs objectifs d'atténuation pour 2030, seuls 24 pays ont soumis une nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN) ou une CDN révisée (UNFCCC 2022b). L'Australie, la Norvège et la Thaïlande font partie du groupe restreint de pays ayant annoncé des cibles plus ambitieuses (Climate Action Tracker 2023). Au chapitre de l'atténuation, les résultats de la CdP sont ainsi, pour le moins, décevants. L'aiguille permettant de se rapprocher du seuil de réchauffement de 1,5 °C ne s'est déplacée que de manière marginale, faisant craindre une augmentation beaucoup plus substantielle des températures à court terme. Certains rapports indiquent même un dépassement des températures au-delà de 1,5 °C dès 2030 (UNEP 2022b; UNFCCC 2022b). Cependant, une lueur d'espoir persiste encore, alors que les Parties ont réintroduit, dans le Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh, une « clause cliquet » informelle analogue à celle du Pacte de Glasgow, qui demande maintenant aux Parties d'arriver à la CdP-28 avec des cibles rehaussées de réduction des émissions de GES pour 2030 (UNFCCC 2022d, par. 22). Il s'agit là d'une occasion réelle à saisir pour les États parties pour s'aligner sur une trajectoire d’émissions compatible avec le seuil de 1,5 °C.
Financement
La question du financement a aussi animé nombre de discussions en Égypte. Plusieurs pays du Sud ont rappelé les engagements financiers des pays du Nord et l'importance non seulement de les respecter, mais aussi de les rehausser (LDC 2022; UNFCCC 2022a). Certains gouvernements, dont celui du Canada et des États-Unis, ont réitéré leur engagement d'augmenter leur financement climatique ; le respect de ces engagements impliquerait d'atteindre 5,3G$ sur la période 2021–2026 pour le Canada et plus de 11G$ par année à partir de 2024 pour les États-Unis (Global Affairs Canada 2023; The White House 2022). De nombreux pays européens ont aussi annoncé une bonification de leur contribution (European Commission 2022). Notons toutefois que ces montants demeurent insuffisants pour venir satisfaire à la promesse des pays développés de mobiliser 100 milliards USD par année en financement climatique entre 2020 et 2025 pour les pays en développement (UNFCCC 2022a). En ce qui concerne les discussions sur l’établissement de la prochaine cible de financement climatique devant être mobilisée à compter de 2025, la Conférence de Charm el-Cheikh a permis de clarifier les étapes à venir et d'identifier les prochaines trames de négociations d'ici 2024, comme les caractéristiques de l'objectif en termes de quantité, de qualité, de portée et d'accès, ainsi que les sources de financement et les dispositifs de transparence permettant de suivre les progrès accomplis dans la réalisation de l'objectif (UNFCCC 2022c, par. 9). En parallèle, des appels en faveur de la réforme des institutions financières internationales ont aussi été exprimés pour aligner et augmenter le financement climatique, simplifier son accès et en diversifier les sources (Bouissou Reference Bouissou2022; UNFCCC 2022c, par. 61).
Adaptation
En matière d'adaptation, les discussions à la CdP-27 ont fait avancer les travaux du GlaSS. Il fut notamment décidé d'entamer en 2023 la production d'un « cadre » devant servir à guider la réalisation de l'objectif mondial en matière d'adaptation et à orienter l'examen de l'ensemble des progrès accomplis dans ce domaine (CCNUCC 2022a, par. 8–9). Ce cadre pourrait contenir plusieurs dimensions (par exemple : évaluation, planification, mise en œuvre), thèmes (par exemple : eau, santé, biodiversité), considérations transversales (par exemple : droits de l'homme, équité intergénérationnelle, justice sociale) et sources d'informations (par exemple : rapports, communications volontaires des Parties) (CCNUCC 2022a, par. 10). Ce cadre devrait être adopté lors de la CdP-28.
La CdP-27 était aussi appelée à faciliter le rehaussement des efforts et du financement pour résoudre l’écart entre les besoins et les actions en matière d'adaptation (United Nations Environment Programme, 2022). À ce titre, le Comité permanent des finances a été désigné pour préparer d'ici la CdP-28 un rapport sur l'objectif visant à doubler le financement climatique destiné à l'adaptation d'ici 2025 par rapport aux niveaux de 2019 (UNFCCC 2022d, par. 42).
Pertes et préjudices
Le principal résultat positif de la CdP-27 figure au chapitre des pertes et préjudices. Considérées par plusieurs comme une question qui relève de la justice climatique (Boyd et al. Reference Boyd, Chaffin, Dorkenoo, Jackson, Harrington, N'Guetta and Johansson2021), les considérations relatives à cet enjeu ont mené à la création d'un fonds pour les pertes et préjudices, avenue encore inenvisageable quelques mois plus tôt (UNFCCC 2022e, par. 2). Certes, il s'agit d'une victoire importante pour les pays en développement les plus vulnérables et d'une avancée notable pour la coopération des États parties sur cet enjeu. Néanmoins, notons que les modalités de fonctionnement et de financement de ce nouveau fonds restent à déterminer (UNFCCC 2022f; UNFCCC 2022e, par. 4-6). La reconnaissance de l'urgence liée à cet enjeu (par. 44) ainsi que l'opérationnalisation du Réseau de Santiago sur les pertes et préjudices (par. 47) figurent aussi parmi les développements clés de la CdP-27 sur cette question (UNFCCC 2022d). Ces derniers ouvrent la voie non seulement à une collaboration plus étroite et active entre les pays, mais aussi à une reconnaissance grandissante des conséquences disproportionnées des changements climatiques sur les pays les plus vulnérables aux changements climatiques (Pill, Reference Pill2022 : 1).
3. Discussion et conclusion
Les quatre volets étudiés dans cet article seront à surveiller au cours des prochaines années. D'ici la fin de l'année 2023, les États parties devront soumettre de nouvelles CDN révisées et plus ambitieuses en vertu de la « clause cliquet » informelle du Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh (UNFCCC 2022d, par. 23). Répondront-ils à l'appel ?
Le rehaussement du financement climatique figure aussi parmi les priorités à suivre en 2023. En effet, cette année marquera l’échéance du Plan de mise en œuvre du financement de la lutte contre les changements climatiques visant à faire respecter la promesse des pays développés de mobiliser 100 milliards de dollars par année en financement climatique entre 2020 et 2025, objectif qui devrait être atteint à partir de l'année 2023 (Canada et Allemagne 2021, 9). De plus, un dialogue ministériel de haut niveau sur le nouvel objectif chiffré en matière de financement climatique se tiendra durant la CdP-28 pour faire progresser de manière substantielle la compréhension commune de l'objectif et de fournir des orientations pour les travaux en 2024 (UNFCCC 2022c, par. 12–16). Rappelons que ce nouvel objectif doit entrer en vigueur en 2025, laissant ainsi deux ans aux États parties pour en arriver à un consensus.
La CdP-28 signera aussi la fin du programme de travail sur l'objectif global d'adaptation GlaSS avec l'adoption d'un mécanisme pour l'encadrer, et fera avancer les discussions pour arriver à en doubler le financement d'ici 2025 par rapport à 2019 (UNFCCC 2022d, par. 37–42). Finalement, les modalités et les sources de financement du nouveau fonds pour les pertes et préjudices devront être clarifiées au cours de l'année et seront discutées lors de la CdP-28 (UNFCCC 2022e, par. 4–6).
D'autres éléments mériteront une attention particulière cette année, comme le premier Bilan global de l'Accord de Paris (Global Stocktake) qui sera déposé en 2023. Ce bilan, très attendu, permettra de mettre en lumière l’écart entre le niveau des CDN actuelles et les efforts à mobiliser pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Les conclusions de ce bilan seront fort utiles pour offrir un état des lieux complet de la lutte mondiale contre les changements climatiques ainsi que pour guider la formulation des prochaines CDN et la conduite des CdP à venir.
Le bilan de la CdP-27 est mitigé à plusieurs égards, même en considérant les quelques avancées encourageantes au chapitre des pertes et préjudices. Le rehaussement de l'ambition des Parties en matière d'atténuation, d'adaptation et de financement climatique demeure marginal et la mise en œuvre des engagements met du temps à se concrétiser. De plus, l'absence d'une mention explicite dans la déclaration finale sur l'importance de réduire l'extraction et l'utilisation du pétrole et du gaz illustre l'ampleur du chemin à parcourir pour offrir une réponse adéquate à la crise climatique. Comme résultat, les émissions de GES continuent d'augmenter et demeurent incompatibles avec l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C (Climate Action Tracker 2022; Friedlingstein et al. Reference Friedlingstein, O'Sullivan, Jones, Andrew, Gregor, Hauck and Le Quéré2022). Ce contexte pèsera lourd sur les prochaines CdP.
Chose certaine, les prochaines CdP seront suivies avec attention. À titre d'exemple, la CdP-28 doit permettre des avancées importantes sur le plan de l'atténuation des émissions de GES, de la finance climatique, de l'adaptation aux changements climatiques et des pertes et préjudices. Or un doute plane sur la capacité des Émirats arabes unis, le pays hôte de la CdP-28, et aussi l'un des plus grands pays producteurs de pétrole au monde, à exercer le leadership nécessaire pour rallier les États parties autour d'une réponse plus ambitieuse face à la crise climatique. Celle-ci sera néanmoins indispensable pour respecter les objectifs de l'Accord de Paris, alors que la fenêtre d'opportunité pour limiter les impacts les plus significatifs des changements climatiques se referme rapidement.