Introduction
Le vieillissement de la population représente un des principaux défis de la société actuelle. En effet, au Canada, il est prévu que près d’un Canadien sur quatre sera âgé de 65 ans et plus d’ici 2031 (Statistique Canada, 2017), ce qui représente un enjeu pour le système de la santé et l’économie. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte d’ailleurs que les gouvernements, les institutions et la société civile devraient adopter des politiques et des programmes axés sur les déterminants de la santé et aidant la population à vieillir en restant actif (2002). La participation sociale figure parmi les déterminants modifiables et se définit par l’implication d’une personne dans des activités qui lui procurent des interactions avec d’autres dans la communauté (p. ex., participer à une activité organisée par le centre communautaire de son quartier, faire du bénévolat au sein de sa résidence ou marcher avec un ami; Levasseur et al., Reference Levasseur, Richard, Gauvin and Raymond2010). Ces interactions surviennent dans la vie communautaire et dans des milieux partagés et importants, et évoluent selon le temps et les ressources disponibles et en fonction du contexte sociétal des individus et de ce qui est désiré et signifiant pour les aînés (Levasseur et al., Reference Levasseur, Lussier-Therrien, Biron, Raymond, Castonguay, Naud, Fortier, Sévigny, Houde and Tremblay2021). En plus d’assurer la contribution des aînés à la société, la participation sociale a le potentiel de satisfaire leurs besoins d’accomplissement de soi et d’appartenance (Larivière, Reference Larivière2008). La participation sociale contribue également à favoriser le maintien des relations sociales et des rôles signifiants (Levasseur et al., Reference Levasseur, Richard, Gauvin and Raymond2010). Toutefois, la participation sociale d’un individu tend à diminuer avec le vieillissement normal, et ce, particulièrement à partir de 75 ans (Desrosiers, Noreau et Rochette, Reference Desrosiers, Noreau and Rochette2004). De plus, la présence d’incapacités augmente avec l’âge (Institut de la statistique du Québec, 2013) et représente un obstacle à la participation sociale (Gilmour, Reference Gilmour2012). Les incapacités sont définies par des inaptitudes partielles ou complètes à exercer ses activités de la vie courante (De Villers, Reference De Villers2003). Bien que plusieurs initiatives communautaires tentent de contrer l’isolement social des aînés (p. ex., les visites d’amitié; Pennington et Knight, Reference Pennington and Knight2008; Siette, Cassidy et Priebe, Reference Siette, Cassidy and Priebe2017; Laermans, Scheers, Vandekerckhove et De Buck, Reference Laermans, Scheers, Vandekerckhove and De Buck2020), des interventions innovantes, telles l’Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire (APIC), ont le potentiel de soutenir les aînés dans leur participation sociale, incluant ceux présentant des incapacités légères à modérées.
L’APIC jumelle un aîné présentant des incapacités légères à modérées à un citoyen bénévole formé et supervisé par une équipe multidisciplinaire (Levasseur et al., Reference Levasseur, Dubois, Filiatrault, Vasiliadis, Lacasse-Bédard, Tourigny, Levert, Gabaude, Lefebvre, Berger and Eymard2018). Pendant une année, à raison d’environ trois heures par semaine, l’accompagnateur bénévole soutient l’aîné dans la découverte de ses ressources et dans la réalisation d’une ou plusieurs activités signifiantes afin d’améliorer sa participation sociale et son intégration communautaire. L’accompagnateur respecte le type d’activité (c.-à-d. axée sur les contacts sociaux, la collaboration, l’aide ou la contribution à la société) que l’aîné souhaite réaliser selon le niveau désiré d’implication avec les autres (seul, en parallèle ou en interaction; Levasseur et al., Reference Levasseur, Richard, Gauvin and Raymond2010). L’APIC est toutefois principalement disponible dans un contexte de recherche et les facteurs favorables et défavorables à son implantation dans la communauté sont peu connus. Au Québec, afin que la population d’un territoire ait accès de façon continue à une large gamme de services de santé et de services sociaux, le gouvernement soutient et reconnaît le milieu communautaire comme un acteur essentiel au développement social de la population (Secrétariat à l’action communautaire autonome du Québec, 2004). Représentant l’ensemble des organismes communautaires et des initiatives citoyennes non organisées ou structurées en organismes à but non lucratifs (OBNL) sur un territoire donné, le milieu communautaire offre aux aînés divers services visant à combler leurs besoins en matière d’activités courantes et sociales (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2018). Ces services visent, entre autres, à favoriser leur intégration dans la communauté, leur pratique de loisirs et le respect de leurs droits.
Dans la littérature, plusieurs études ont identifié des facteurs influençant l’implantation d’interventions visant l’amélioration de la qualité de vie et de la participation sociale de diverses populations ou impliquant un accompagnement personnalisé. Selon le Consolidated Framework for Implementation Research (CFIR; Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009), ces facteurs peuvent être regroupés en une typologie incluant cinq domaines : 1) l’intervention, 2) le contexte externe, 3) le contexte interne, 4) les individus impliqués et 5) le processus (Tableau 1). Par exemple, les capacités des aînés se retrouvent dans les traits personnels des attributs du domaine lié aux individus impliqués dans l’APIC. Puisque le modèle découle d’une synthèse incluant 19 théories permettant de mieux comprendre l’interaction des facteurs qui influencent l’efficacité de l’implantation d’interventions, le CFIR est sous-jacent à la présente étude (voir spécifications dans la méthodologie). Une synthèse des écrits sur l’implantation de programmes visant à favoriser la participation sociale ou la santé, portés par des organismes communautaires ou par les communautés, a été réalisée lors de travaux antérieurs (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019) et mise à jour lors de la présente étude (Annexe 1). Selon cette synthèse, les facteurs favorables de l’intervention identifiés par plus d’une étude seraient une faible complexité, incluant une durée suffisante pour permettre la mise en place de changements dans l’organisation et chez les participants, et les possibilités d’adaptation pour répondre aux besoins spécifiques de la population desservie, dont une bonne compatibilité avec les buts et les méthodes des interventions déjà en place (Tableau 1). La perception d’effets positifs ainsi que l’évidence de sa valeur ajoutée favoriseraient également une implantation réussie. Par ailleurs, d’autres facteurs favorables sont un bon climat d’apprentissage, un bon réseau social et une communication de qualité, un engagement élevé des responsables de l’implantation et une grande disponibilité des ressources (financières, formation de l’équipe d’intervenants, espace physique et temps). Enfin, spécifiquement pour les individus impliqués, une motivation élevée, de bonnes habiletés et de l’expérience et des connaissances pertinentes dans le domaine de l’intervention seraient favorables à l’implantation (Tableau 1).
Peu de facteurs défavorables ont été documentés dans les écrits (Tableau 1). Les difficultés à trouver du financement pour couvrir les coûts élevés reliés à l’intervention et à l’implantation est l’élément le plus souvent rapporté dans les études. En plus des défis liés aux réseaux et aux communications (p. ex., établir une collaboration et échanger des informations avec le réseau public), il est nécessaire de mobiliser un nombre élevé de ressources humaines et d’accorder une grande quantité de temps (Disponibilité des ressources; Tableau 1).
Plus spécifiquement pour l’APIC, une recherche-action a porté sur la faisabilité de son implantation, incluant les facilitateurs et les obstacles (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019). Cette étude de pré-implantation a été réalisée auprès d’un échantillon de 16 participants, dont la majorité n’avait pas concrètement implanté l’APIC. Selon cette étude, les principaux facteurs favorables à l’implantation seraient l’adaptabilité de l’APIC, son appui scientifique, la reconnaissance du besoin d’une telle intervention, l’expertise des organismes communautaires dans lesquels l’APIC est implanté ainsi que la collaboration entre ces organismes et le réseau de la santé (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019). La présence de responsables de l’implantation ouverts à la nouveauté et d’individus externes à l’organisation offrant du soutien seraient également facilitants. Le principal obstacle serait le manque de financement dédié à l’implantation. Les auteurs concluent ainsi que l’APIC pourrait être adapté pour être implanté en l’intégrant à des organismes communautaires et en impliquant des bénévoles (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019).
À notre connaissance, aucune étude n’a spécifiquement porté sur l’implantation d’un accompagnement personnalisé visant à améliorer la participation sociale des aînés tel que l’APIC. Afin de favoriser une mise en œuvre réussie de l’APIC à grande échelle dans la province, il importe de mieux documenter l’implantation de telles interventions. Cette documentation permet non seulement d’identifier les conditions essentielles à l’implantation, mais aussi les leviers et les défis à cette mise en œuvre de l’intervention. Cette étude visait donc à documenter l’implantation de l’APIC dans des organismes communautaires en identifiant les facteurs favorables et défavorables ainsi que ses conditions essentielles.
Méthodologie
Dispositif de recherche, contexte et participants
La présente étude s’inscrit dans un essai clinique pragmatique multicentrique à répartition aléatoire (ECR) visant à vérifier les effets de l’APIC sur la santé, la participation sociale, la satisfaction envers la vie et l’utilisation des services de santé d’aînés vivant dans la communauté et ayant des incapacités (Levasseur et al., Reference Levasseur, Dubois, Filiatrault, Vasiliadis, Lacasse-Bédard, Tourigny, Levert, Gabaude, Lefebvre, Berger and Eymard2018). Pour la présente recherche, un devis qualitatif descriptif de type recherche clinique (Miller et Crabtree, Reference Miller, Crabtree, Denzin and Lincoln2003) a permis de documenter l’implantation, incluant les facteurs favorables et défavorables à l’implantation et les conditions essentielles à la mise en œuvre de l’APIC. Cette étude a été réalisée en partenariat avec six organismes communautaires des régions de l’Estrie, de Montréal, du Centre-du-Québec et de la Chaudière-Appalaches ainsi que les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ou les Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) de leur territoire. Avec le soutien d’une équipe de recherche ayant adapté l’APIC auprès d’aînés ayant des incapacités, ces organismes communautaires étaient responsables de l’implantation de l’APIC dans leur milieu. Une agente de recherche était responsable de la gestion générale du projet de recherche et du soutien aux organismes dans l’implantation de l’APIC. Dans chaque organisme, un coordonnateur assurait l’implantation de l’APIC en respectant ses principes, soit l’établissement d’une relation égalitaire entre l’accompagnateur et l’accompagné, la personnalisation de l’accompagnement, le renforcement du pouvoir d’agir de l’accompagné ainsi que le cheminement dans la réalisation d’un projet de vie (Lacerte, Provencher et Levasseur, Reference Lacerte, Provencher and Levasseur2017a). Les six coordonnateurs devaient recruter et jumeler des aînés et des accompagnateurs bénévoles et assurer l’encadrement des accompagnements. L’ensemble de ces coordonnateurs, cinq directeurs généraux des organismes dans lesquels ils œuvraient ainsi que l’agente de recherche représentaient les participants à l’étude (aucun autre critère d’inclusion ou d’exclusion que celui d’être responsable de l’implantation de l’APIC n’a été retenu).
Variables, outils et procédure de collecte de données
Avant de débuter la collecte des données, les préconceptions de l’équipe de recherche ont été identifiées, et ce, afin de minimiser leur influence lors de l’analyse des données (voir ci-dessous). Afin de documenter l’implantation de l’APIC, des données ont été collectées par quatre étudiantes à la maîtrise en ergothérapie et une étudiante à la maîtrise de recherche lors d’une rencontre et de six entretiens individuels. Une rencontre entre les coordonnateurs et les directeurs généraux des organismes et l’équipe de recherche a d’abord été observée, enregistrée et retranscrite. Ayant pour objectif de faire le suivi sur l’implantation, cette rencontre a permis de faire ressortir les facteurs favorables et défavorables mentionnés ainsi que les conditions essentielles à la mise en œuvre de l’APIC. Ensuite, six entretiens individuels semi-dirigés ont été réalisés, un premier auprès de l’agente de recherche suivi de cinq autres auprès de six coordonnateurs. Dû à un délai d’implantation, un des directeurs généraux et un des coordonnateurs n’ont pas participé respectivement à la rencontre et à l’entretien individuel. De plus, puisqu’en transition pour ce poste, un organisme avait deux coordonnateurs. Développés en considérant les écrits antérieurs et le CFIR, validés par quatre experts, deux en recherche qualitative et deux en implantation de programmes, et prétestés auprès d’une personne impliquée dans une implantation préalable de l’APIC, deux guides d’entretien semi-dirigés similaires ont été utilisés, une version pour les coordonnateurs et une autre pour l’agente de recherche (Annexe 2). Comprenant des questions ciblées sur les objectifs de l’étude sans suggérer de réponses, le guide d’entretien destiné aux coordonnateurs incluaient, par exemple, « Parlez-moi de l’implantation de l’APIC par votre organisme. », « Quels sont, selon vous, les facteurs favorables à l’implantation de l’APIC ? » et « Quels sont les facteurs défavorables (obstacles) à l’implantation de l’APIC ? ». La version du guide pour l’agente de recherche comprenait moins de questions sur les accompagnateurs et les aînés. Les entretiens ont eu lieu lorsque l’APIC était suffisamment implanté (assez de participants et depuis plusieurs mois afin d’apprécier les résultats), soit entre 9 et 13 mois après le début de l’implantation. Ces entretiens ont été enregistrés sur bande audionumérique et retranscrits sous forme manuscrite (verbatims). Enfin, pour décrire les participants à l’étude et le contexte dans lequel l’intervention a été implantée (Pinnock et al., Reference Pinnock, Barwick, Carpenter, Eldridge, Grandes and Griffiths2017), un questionnaire sociodémographique a été complété par les coordonnateurs, les directeurs généraux ainsi que l’agente de recherche.
Analyse des données
Des statistiques descriptives (médianes [Md] et intervalles semi-interquartiles [Q] pour les variables continues; fréquences [n] et pourcentages [%] pour les variables catégoriques) ont été utilisées pour décrire les participants. Afin de documenter les facteurs favorables et défavorables ainsi que les conditions essentielles à l’implantation, une analyse de contenu thématique de la rencontre et des entretiens a été effectuée, et ce, en étant le moins possible influencé par les préconceptions de l’équipe de recherche. Suivant un processus inspiré de l’analyse de contenu thématique de Miles, Huberman and Saldaña (Reference Miles, Huberman and Saldaña2014), deux étudiantes à la maîtrise en ergothérapie et une étudiante à la maîtrise de recherche ont tout d’abord codé les données à l’aide d’une grille de codage mixte, c’est-à-dire une grille initiale inspiré du CFIR à laquelle ce sont ajoutés de nouveaux thèmes émergeants des données. Puis, la chercheuse principale a co-analysé environ le tiers des données. Enfin, les thèmes divergents ont fait l’objet de discussions d’équipe, et ce, jusqu’à l’obtention d’un consensus. Cette analyse a permis de catégoriser les thèmes selon les facteurs favorables, défavorables et les conditions essentielles à l’implantation de l’APIC dans six organismes communautaires. Les analyses ont été réalisées avec les logiciels Microsoft Excel et Word.
Résultats
Participants
Âgés entre 30 et 60 ans, la majorité des participants étaient des femmes ayant entre 1 et 30 années d’expérience en milieu communautaire ou auprès d’aînés (Tableau 2). À l’exception d’une d’entre elles, toutes les coordonnatrices avaient de l’expérience en implantation de programmes dans le milieu communautaire avant l’étude. Trois des coordonnatrices étaient présentes depuis le début de l’implantation et toujours en fonction, une avait débuté l’implantation et a quitté son poste durant l’étude et deux avaient débuté l’emploi en cours d’implantation. En ce qui concerne les organismes communautaires, ils offraient tous des services à une population aînée et ils existaient depuis au moins 30 ans (Tableau 3). De plus, leur mission était d’offrir des services favorisant le mieux-être des habitants de leur communauté. Avant l’étude, la majorité des organismes offraient déjà des interventions favorisant la participation sociale des aînés et tous sauf un collaboraient avec le secteur public (Tableau 3).
Note:
* Un organisme peut desservir plus d’une clientèle.
Facteurs favorables et défavorables à l’implantation de l’APIC
Selon la rencontre (R) et les entretiens (E) des participants à l’étude, différentes caractéristiques de l’APIC, des contextes interne et externe, des individus impliqués et du processus influençaient son implantation (Tableau 4). Sauf pour la complexité, la qualité de la conception ainsi que le projet de recherche, les facteurs sous-jacents à ces domaines influençaient globalement de façon favorable l’implantation.
Note. Le texte en italique désigne les ajouts au modèle de Damschroder et al. (Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009). (+) = favorable; (-) = défavorable; (+/-) = favorable ou défavorable selon le contexte.
D’abord, en ce qui a trait aux caractéristiques de l’intervention, la complexité de l’APIC était perçue défavorable (Tableau 4), particulièrement en raison de la difficulté à rejoindre et à recruter les aînés, surtout en l’absence de soutien des CIUSSS ou des CISSS. Selon une coordonnatrice dont le CIUSSS n’a pas soutenu le recrutement, une telle collaboration aurait été nécessaire pour rejoindre plus facilement la population cible : « Il y a beaucoup de soins de santé qui sont regroupés sous la même infrastructure et si cette infrastructure-là ne collabore pas, on perd beaucoup de partenaires [et] d’aînés qui seraient faciles à recruter parce qu’ils ont déjà des [incapacités] » (E6). La synchronisation du recrutement des aînés et des accompagnateurs pour former de bons jumelages était aussi un défi. L’implantation a nécessité une grande implication des coordonnatrices due, entre autres, au nombre élevé de tâches à accomplir et au besoin de soutien important des accompagnateurs : « Les bénévoles [de l’APIC] sont très spécifiques : c’est une cohorte complètement nouvelle avec des besoins particuliers. Ça n’implique pas la même gestion. Il faut les nourrir beaucoup, les soutenir » (R). Malgré qu’une implication de 12 mois puisse représenter un enjeu pour certains accompagnateurs, cette durée permettait de répondre aux besoins de la majorité des aînés recrutés. En ce qui a trait à la formation des accompagnateurs, son format était perçu comme sous-optimal pour l’apprentissage des bénévoles, notamment à cause de sa durée (6 heures) et de la complexité du langage utilisé. Le contenu de la formation des accompagnateurs méritait ainsi quelques ajustements. Plusieurs caractéristiques de l’APIC pouvaient facilement être adaptées pour rencontrer les besoins spécifiques et variés des aînés et du milieu, incluant la formation et les rencontres mensuelles des accompagnateurs ainsi que la fréquence et la durée des rencontres entre les aînés et les accompagnateurs. En effet, tous les participants ont réduit la durée des rencontres d’accompagnement, tel que rapporté par une des coordonnatrices : « Le trois heures, c’est s’ils vont faire une sortie, mais à domicile, les gens vont [parfois] prendre un deux heures » (E4). Cette adaptation était favorable, surtout lors des premières visites, pour permettre une approche progressive, mais aussi lorsqu’aucune activité n’était réalisée dans la communauté. L’adaptation de l’intervention était néanmoins plus difficile pour les personnes ayant des atteintes physiques, cognitives ou psychologiques, qui avaient des besoins plus complexes et qui demandaient davantage aux accompagnateurs, tel que décrit par une coordonnatrice : « [Quand on se rend] compte que les obstacles de la personne, c’est une problématique de santé mentale [ou de] consommation, […] il faut aller chercher des ressources plus spécialisées » (E2). De plus, les participants percevaient la valeur ajoutée et étaient intéressés par l’APIC, qui permettait de redéfinir les services déjà en place au sein de l’organisme, tel que discuté par une coordonnatrice : « Ça va au-delà des visites d’amitiés […] visiter quelqu’un, s’asseoir avec [lui], l’écouter, c’est déjà extraordinaire, mais d’élargir le tissu social, je pense qu’on ne l’avait jamais articulé aussi clairement auprès des bénévoles » (E3).
En lien avec le contexte interne, l’expérience des coordonnatrices et le travail d’équipe vers un objectif commun et soutenu par la direction a facilité l’implantation de l’APIC (Tableau 4). De plus, tel que mentionné par l’ensemble des coordonnatrices, la concordance entre la mission et les valeurs de l’APIC et des organismes communautaires, aussi compatibles avec les besoins de plusieurs aînés, ont facilité l’intégration de l’intervention aux autres services. Alors qu’une grande implication des coordonnatrices était perçue favorable au processus d’implantation, notamment pour créer un climat d’apprentissage sécurisant et soutenant pour les accompagnateurs, la disponibilité des ressources pour assurer cette implication a grandement influencé l’implantation. En effet, bien que les ressources financières aient été perçues suffisantes, les ressources humaines, incluant le temps limité à accorder à l’APIC, le manque de personnel et le roulement des coordonnatrices, nuisaient souvent à l’implantation. Par ailleurs, un temps insuffisant à consacrer à l’APIC était associé à des résultats inférieurs, entre autres, liés au recrutement et au suivi du projet, tel qu’exprimé par un directeur général qui témoigne de l’énergie investie par sa coordonnatrice : « Deux journées semaine, ce n’est pas suffisant, c’est impossible. Elle met bien plus » (R). Lorsqu’il était impossible d’attribuer à l’APIC une personne responsable à temps complet, la répartition des tâches de coordination de l’APIC entre plusieurs membres de l’équipe, selon les forces de chacun, semblait être une stratégie favorisant l’implantation. À cet effet, une coordonnatrice ayant adopté cette stratégie dès le début de l’implantation mentionnait : « S’il avait fallu qu’on se dise : ‘Il y en a une qui prend [tout] ça en charge’, ça aurait été trop. Partager [les tâches] fait en sorte que […] tout le monde est sollicité par le projet avec ses forces ou le service [p. ex., travailleuse de milieu] auquel il doit répondre » (E5). Enfin, les outils de formation et de promotion de l’APIC vulgarisés étaient très aidants, particulièrement le guide d’implantation. Afin de les rendre plus accessibles et complets, certains de ces outils nécessiteraient toutefois des modifications. D’autres outils ont également été créés par une des coordonnatrices, qui souhaitait mettre plus d’accent sur le positif que peut apporter l’APIC lors du recrutement : « J’ai créé beaucoup de pamphlets, d’affichettes […] pour les bénéficiaires, les intervenants, les bénévoles » (E3).
Concernant le contexte externe, l’essai clinique pragmatique multicentrique à répartition aléatoire (ECR) visant à vérifier les effets de l’APIC a créé des obstacles à l’implantation de l’APIC, notamment en raison de la méconnaissance de ce type d’étude par les coordonnatrices (Tableau 4). Toujours en lien avec la recherche, la répartition aléatoire a freiné la motivation de plusieurs aînés à s’engager dans l’APIC, tel qu’illustré par une coordonnatrice : « Le gros défi a été la [répartition aléatoire]. J’ai rencontré des gens qui auraient tellement pu profiter du programme, mais, à cause de la [probabilité de ne pas recevoir l’APIC], ils [n’ont pas accepté de participer] » (E3). Bien qu’il ait été considéré comme insuffisant par certains milieux, le soutien de l’équipe de recherche a généralement facilité l’implantation. De même, le soutien des partenaires de la communauté a été favorable à la diffusion de l’intervention ainsi que le recrutement de participants, tel qu’indiqué par une coordonnatrice œuvrant au sein d’un organisme communautaire bien établi : « L’ouverture des partenaires est là, j’ai beaucoup de place. Je pourrais convoquer une conférence de presse, je pourrais poursuivre la promotion » (E2). L’établissement de partenariats avec la communauté était cependant parfois long et difficile, tel que vécu par une coordonnatrice dont les résidences pour aînés de sa communauté étaient méfiantes par rapport à l’APIC et ont refusé d’établir un partenariat : « Ça reste lourd aussi parce que tu veux que ça marche et tu ne comprends pas, c’est tellement un beau projet, comment ça [que les gens] n’embarquent pas » (E5). Enfin, la connaissance des besoins des aînés par les organismes, notamment de briser leur isolement, a permis de favoriser leur engagement à implanter l’APIC.
Par ailleurs, une connaissance en profondeur de l’APIC par les individus impliqués dans l’intervention et son implantation, la croyance en cette intervention et une grande motivation étaient des facteurs favorables (Tableau 4). Ces facteurs ont été énoncés à plusieurs reprises par une coordonnatrice dédiée à temps plein à l’APIC, subventionnée par la ville et ayant de l’expérience en gérontologie : « Quand tu crois à un projet, tu mets tout, tu vas chercher tout ce que tu as comme partenaire, tous les outils, ton expérience et tu y vas parce que tu es là pour la cause » (E4). La mentalité de plusieurs aînés représentait toutefois un défi à l’implantation. En effet, puisqu’ils ne percevaient pas la réalisation d’activités signifiantes en compagnie d’autres comme un déterminant de leur santé, plusieurs aînés s’intéressaient davantage aux services les aidant à combler leurs autres besoins, tels que le transport aux rendez-vous médicaux, ou exprimaient choisir de rester seul : « Il y en a beaucoup qui me disaient [être] à l’aise d’être seuls, ils ne ressentaient pas la solitude. C’était un choix volontaire et, s’ils avaient envie de voir ou d’appeler des gens, ils allaient [le faire et] ils [disaient vivre] très bien comme ça » (E6).
Enfin, en lien avec le processus d’implantation, une attitude positive des coordonnatrices, une bonne planification des étapes du travail et une anticipation juste de la charge de travail étaient favorables (Tableau 4). Plusieurs difficultés non anticipées ont cependant représenté un défi, tel que mentionné par une coordonnatrice : « Ça a été ressenti dans tous les [organismes]. On pensait vraiment recruter des aînés facilement. [Avoir su] qu’on allait rencontrer cette difficulté, je me serais préparée différemment » (E2). Perçues positivement pour l’implantation, différentes stratégies publicitaires ont été utilisées, tel que l’explique une coordonnatrice en racontant les démarches réalisées auprès de son arrondissement dans lequel vivent un grand nombre d’aînés : « J’ai commencé à faire un appel à tout le monde leur disant c’était quoi l’APIC. On l’a mis dans notre bulletin d’information et j’ai commencé à créer aussi des activités pour sensibiliser. Chaque fois qu’il y avait une activité ou un congrès, j’y allais et je demandais d’avoir un espace pour parler de l’APIC » (E4). Les coordonnatrices sont aussi allées discuter avec les aînés directement sur le terrain pour les informer et les recruter, approche proposée par l’équipe de recherche lors de leur formation : « C’est vraiment l’approche personnalisée, d’aller rencontrer les gens, mais ça demande du temps. Donc c’est quand même un défi de temps et de ressources pour recruter les aînés » (E1). Bien que la présence de partenaires fût généralement favorable au recrutement d’aînés, la clientèle référée était régulièrement mal ciblée (p. ex., aînés ayant d’importants déficits cognitifs). Finalement, afin de faciliter l’exécution de l’APIC dans leur organisation, les coordonnatrices ont réalisé quelques modifications. En effet, certaines ont scindé la formation des accompagnateurs en plusieurs parties distinctes, alors que d’autres ont ajouté des mises en situation et personnalisé le contenu. Les rencontres entre les accompagnateurs et les rencontres d’accompagnement ont aussi été modifiées selon les besoins des bénévoles et des aînés.
Conditions essentielles à l’implantation de l’APIC
Parmi les facteurs favorables à l’implantation de l’APIC par les organismes communautaires, certains étaient essentiels à une implantation réussie. En lien avec l’intervention, il importait de personnaliser l’APIC en fonction des milieux et des aînés ainsi que d’adapter la formation des accompagnateurs à leurs connaissances et leurs besoins d’apprentissage, et ce, tout en respectant les principes clés de l’APIC. Un engagement soutenu et quotidien des personnes impliquées dans l’implantation était essentiel, tout comme un encadrement et un soutien régulier aux accompagnateurs. Travailler en équipe ainsi que de croire en l’APIC étaient tout aussi importants, tel qu’exprimé par l’agente de recherche en parlant d’une coordonnatrice ayant sollicité la collaboration des partenaires de la communauté (p. ex., services municipaux, autres organismes, institutions publiques et religieuses, etc.) : « C’est vraiment gagnant que tous les acteurs du milieu se mobilisent, c’est vraiment essentiel. Il faut que les gens y croient, puis y adhèrent » (E1). Par ailleurs, il importait que l’APIC soit implanté dans un milieu ayant une bonne expérience en gestion de bénévoles et dont la mission concordait avec celle de l’intervention.
Discussion
Cette étude visait à documenter l’implantation de l’APIC auprès d’aînés ayant des incapacités par six organismes communautaires du Québec, incluant d’identifier les facteurs favorables et défavorables ainsi que les conditions essentielles à la mise en œuvre de l’intervention. Les résultats suggèrent, entre autres, que la conviction des coordonnatrices en la pertinence de l’APIC était un facteur favorable à l’implantation. La concordance entre, d’une part, l’APIC et, d’autre part, la mission et les valeurs des organismes communautaires et les besoins de la population desservie était aussi perçue comme étant grandement favorable. En ce qui concerne les facteurs défavorables, la répartition aléatoire ainsi que le temps requis à l’implantation de l’APIC ont principalement été identifiés.
Les facteurs favorables à l’implantation d’interventions identifiés dans la littérature incluent notamment une bonne compatibilité des buts et des méthodes d’intervention avec les services déjà en place (p. ex., Dickinson et al., Reference Dickinson, Gibson, Gotts, Stobbart and Robinson2017). Dans la présente étude, la compatibilité de l’APIC avec la mission et les valeurs des organismes et les besoins des usagers est non seulement positive, mais aussi bonifiée par l’évidence de la valeur ajoutée de l’intervention. En effet, l’APIC permet de répondre aux besoins d’aînés plus actifs et d’offrir un service d’accompagnement plus complet que les services actuellement offerts. Cette valeur ajoutée a probablement contribué à la motivation des personnes impliquées dans l’implantation, un facteur favorable également appuyé par l’étude de Dickinson et collaborateurs (Reference Dickinson, Gibson, Gotts, Stobbart and Robinson2017) auprès d’intervenants pour la stimulation cognitive de personnes atteintes de démence au nord de l’Angleterre. Cette motivation a possiblement permis aux coordonnatrices de la présente étude de s’engager avec conviction dans l’implantation de l’APIC, en surmontant les défis et en s’appropriant l’intervention, notamment en adaptant et en bonifiant les outils selon leur perception des besoins. Pour une implantation de l’APIC à plus grande échelle, il importe que les coordonnateurs de chaque organisme aient une connaissance approfondie de l’APIC, surtout si une équipe de recherche n’est plus présente pour assurer le suivi et pour favoriser la motivation. De plus, chaque organisme doit grandement s’engager dans l’implantation, notamment en recherchant activement des moyens de promouvoir l’APIC et d’impliquer d’autres partenaires. Représentant un grand investissement de temps et d’énergie et facilitant le recrutement des aînés, cet engagement est un facteur favorable appuyé par plusieurs études, dont une recension élargie sur les politiques et les programmes communautaires de promotion de la santé (Weiss et al., Reference Weiss, Lillefjell and Magnus2016). Certaines de ces études portaient par ailleurs sur les dépendances (Guerrero et al., Reference Guerrero, Padwa, Fenwick, Harris and Aarons2016), l’implantation d’interventions requérant l’implication active de membres de la communauté (Israel et al., Reference Israel, Schulz, Parker and Becker1998) ou la pré-implantation de l’APIC (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019). Enfin, l’expérience des personnes impliquées dans l’implantation, aussi identifiée favorablement dans la littérature (Dickinson et al., Reference Dickinson, Gibson, Gotts, Stobbart and Robinson2017), incluant pour les personnes ayant des atteintes cognitives et leur proches (Donkers et al., Reference Donkers, Van der Veen, Teerenstra, Vernooij-Dassen, Nijhuis-vander Sanden and Graff2018), est importante, à la fois concernant la clientèle (aînée), le fonctionnement du milieu et des organismes communautaires et le processus d’implantation global d’une intervention.
En ce qui concerne les facteurs défavorables, l’implantation de nouvelles interventions nécessite des ressources humaines et du temps (Dickinson et al., Reference Dickinson, Gibson, Gotts, Stobbart and Robinson2017; Guerrero et al., Reference Guerrero, Padwa, Fenwick, Harris and Aarons2016; Israel et al., Reference Israel, Schulz, Parker and Becker1998; Weiss et al., Reference Weiss, Lillefjell and Magnus2016), incluant pour offrir des exercices en groupe auprès d’aînés américains (Belza et al., Reference Belza, Petrescu-Prahova, Kohn, Miyawaki, Farren and Kline2014), pour prévenir le déclin fonctionnel d’aînés fragiles âgés de 70 ans et plus aux Pays-Bas (Ruikes et al., Reference Ruikes, Meys, van de Wetering, Akkermans, van Gaal and Zuidema2012) ou pour l’APIC (Lefebvre et al., Reference Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas and Therriault2013; Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault, Tourigny, Couturier and Carbonneau2016). Dans la présente étude, l’importante charge de travail a nui, puisque la majorité des coordonnatrices n’étaient dédiées à l’implantation de l’APIC qu’à temps partiel. Alors que l’investissement de temps nécessaire à l’implantation de l’APIC équivaut probablement à un temps plein, réalisé par une ou plusieurs personnes, les ressources humaines des organismes communautaires sont, quant à elles, limitées. La présente implantation a toutefois été effectuée dans le cadre d’un ECR incluant des rencontres d’équipe, des cibles de recrutement et une répartition aléatoire, contexte qui serait différent lors d’une implantation à plus grande échelle par des organismes communautaires. Ainsi, le temps à investir par les coordonnateurs pourrait être de moins grande envergure. Un autre facteur défavorable à l’implantation, identifié lors de l’étude de pré-implantation de l’APIC (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019) comme un enjeu dans l’implantation d’interventions en milieu communautaire, est le roulement de personnel. En effet, lors de la présente étude, trois coordonnatrices ainsi qu’un directeur général ont quitté leurs fonctions en cours d’implantation. Dans le cas d’un organisme, un délai est survenu entre le départ de l’ancienne coordonnatrice et l’arrivée de la nouvelle, ce qui a eu pour effet de mettre en suspens les accompagnements et le recrutement et de ralentir l’implantation. Ainsi, ce roulement est important à considérer pour une implantation à plus grande échelle de l’APIC, la main-d’œuvre des organismes communautaires pouvant être précaire et en mouvance (Binhas, Reference Binhas2019). Pour une transition la plus fluide possible lors du départ d’un responsable de l’implantation, il est essentiel de documenter l’implantation et d’assurer le transfert des connaissances sur l’APIC et le milieu. En ce qui concerne les ressources financières, identifiées comme défavorables dans plusieurs études (Belza et al., Reference Belza, Petrescu-Prahova, Kohn, Miyawaki, Farren and Kline2014; Dickinson et al., Reference Dickinson, Gibson, Gotts, Stobbart and Robinson2017; Guerrero et al., Reference Guerrero, Padwa, Fenwick, Harris and Aarons2016; Israel et al., Reference Israel, Schulz, Parker and Becker1998; Lefebvre et al., Reference Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas and Therriault2013; Levasseur et al., Reference Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault, Tourigny, Couturier and Carbonneau2016; Ruikes et al., Reference Ruikes, Meys, van de Wetering, Akkermans, van Gaal and Zuidema2012; Weiss et al., Reference Weiss, Lillefjell and Magnus2016), incluant la pré-implantation de l’APIC (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019), ce facteur n’a pas été explicitement rapporté dans la présente étude. Ce résultat pourrait partiellement être expliqué par le soutien financier que les organismes communautaires recevaient de l’équipe de recherche. Dans le contexte d’une implantation future, la présence de ressources financières suffisantes ne doit pas être négligée, surtout si l’intervention est implantée dans des organismes communautaires à but non lucratif, où les ressources financières peuvent être précaires en contexte de restrictions budgétaires (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019). Ainsi, avant l’implantation de l’APIC par des organismes communautaires, il serait pertinent d’obtenir un financement spécifique, de créer des partenariats financiers et de développer un plan d’affaires.
Enfin, certains facteurs favorables et défavorables à l’implantation identifiés dans la présente étude n’avaient pas été identifiés dans les études antérieures recensées. Par exemple, la complexité de l’intervention, perçue plus positivement lors de l’étude de pré-implantation (Piché et al., Reference Piché, Arsenault, Leblanc, Croteau and Levasseur2019), s’est avérée un facteur globalement défavorable lors de la présente étude. Puisque l’étude de pré-implantation s’est déroulée de manière théorique, il est possible que certains facteurs tels que les difficultés de recrutement, le temps d’implication nécessaire ainsi que les besoins variés des aînés n’aient pas été anticipés. Aussi, le contexte d’ECR a été un obstacle majeur à l’implantation de l’APIC. En effet, la répartition aléatoire, une stratégie importante pour contrôler les biais et assurer un niveau élevé d’évidence scientifique, a limité de façon non négligeable le recrutement des aînés, qui préféraient ne pas participer à l’ECR plutôt que d’avoir une chance sur deux d’être accompagnés. Cette méthodologie a également entraîné des enjeux éthiques au sein des organismes ayant un souci d’offrir le plus grand nombre de services possibles à leur communauté. Lors d’une implantation de l’APIC à plus grande échelle, chaque organisme pourra cependant déterminer le nombre d’accompagnements qu’ils désirent effectuer selon son contexte et les ressources de son milieu. De plus, tous les aînés voulant recevoir l’APIC pourront être accompagnés, ce qui favorisera leur participation. Enfin, puisque cette croyance aurait un effet considérable, favorable et motivationnel sur l’implantation, et ce, malgré les défis, il est essentiel que les implantations ultérieures soient menées par des coordonnateurs croyant fermement en l’APIC et ses bienfaits. Il importe cependant de changer les mentalités et d’augmenter les connaissances des aînés sur les bienfaits de l’intervention et l’importance des activités signifiantes dans le vieillissement en santé. La formation des accompagnateurs pourrait notamment inclure plus d’information à ce sujet.
Retombées pour la pratique et suites de l’étude
Considérant que les visites amicales sont un des moyens offerts le plus couramment par les organismes communautaires pour contrer l’isolement des aînés, et ce, malgré des résultats mitigés quant à leur efficacité (Laermans et al., Reference Laermans, Scheers, Vandekerckhove and De Buck2020; Pennington et Knight, Reference Pennington and Knight2008; Siette et al., Reference Siette, Cassidy and Priebe2017), il importe de poursuivre les études sur les interventions favorisant la participation sociale. L’APIC est une des interventions novatrices qui vise à améliorer la participation sociale des aînés et à enrichir les services actuellement offerts en milieu communautaire. En reconnaissant chaque personne à part entière dans son contexte social spécifique (Instituts de recherche en santé du Canada, 2013), l’APIC outille les organismes communautaires et les professionnels de la santé et des services sociaux à l’autonomisation, c’est-à-dire au développement, au maintien ou à l’amélioration des capacités d’une personne pour lui permettre de vivre le plus longtemps possible de façon autonome et, ultimement, de réduire le recours aux services sociaux et de santé plus intensifs et coûteux (Social Care Institute for Excellence, 2013). Ainsi, implanté à plus grande échelle au Québec à l’aide des résultats de la présente étude, l’APIC a le potentiel de permettre à un plus grand nombre d’aînés d’être mieux intégrés dans leur communauté et, ultimement, de favoriser leur santé. Par exemple, puisqu’ils croient fermement en la pertinence de l’APIC, les organismes communautaires pourront offrir cette intervention aux aînés à risque de situations d’isolement, et ce, après avoir validé leur soutien, que ce soit à l’aide d’un financement d’un des programmes publiques ou l’appui en ressources humaines des partenaires de leur réseau local de services. La formation initiale des accompagnateurs pourrait également être abrégée, notamment en offrant de courtes capsules éducatives lors de leurs rencontres mensuelles subséquentes, et ce, afin de compléter ou de rappeler certaines notions de l’APIC. Pour mieux répartir sa gestion et, malgré le roulement du personnel, assurer un meilleur suivi des jumelages, les tâches de l’APIC pourraient être divisées au sein de l’organisme communautaire plutôt qu’être assignées à une seule personne coordonnatrice. Certains bénévoles pourraient aussi aider à cibler les aînés et les accompagnateurs pouvant bénéficier de l’APIC. De plus, la durée des rencontres pourrait être ajustée en fonction des besoins de l’aîné et de l’accompagnateur, et ce, de façon cohérente avec une autre étude ayant montré l’importance de l’appréciation simultanée de l’expérience par les jumelés, du partage de l’appréciation et de la personnalisation bidirectionnelle (Lacerte, Reference Lacerte2020). Enfin, il est primordial de sensibiliser la population à l’importance de la participation sociale pour favoriser un vieillissement actif et en santé, notamment par une diffusion élargie et de qualité, à la fois vulgarisée et scientifique, des résultats de la présente étude.
Afin de pouvoir maintenir ce service, il importe aussi d’adapter l’APIC au contexte de pandémie, surtout en période de confinement. En effet, la crise sanitaire liée à la COVID-19 a exacerbé la proportion d’aînés à risque de vivre des situations d’isolement (Comité en prévention et promotion, 2020) et a intensifié l’âgisme (Ayalon et al., Reference Ayalon, Chasteen, Diehl, Levy, Neupert and Rothermund2020; Brooke et Jackson, Reference Brooke and Jackson2020; Meisner, Reference Meisner2020). L’APIC pourrait être adapté en proposant des appels téléphoniques ou vidéos plutôt que les rencontres en personne. Lors de ces rencontres virtuelles, l’accompagnateur pourrait ainsi aider l’aîné à bonifier sa routine en incluant des activités saines et porteuses de sens. Stimuler l’aîné à rester en contact avec son entourage tout en restant à domicile et en respectant la distanciation sociale pourrait aussi impliquer de l’encourager à réaliser des activités sociales et de loisirs qu’il apprécie de façon synchrone (p. ex., participer à un club de lecture virtuel) ou asynchrone (p. ex., réaliser une activité d’écriture intergénérationnelle). La formation des accompagnateurs pourrait aussi inclure des pistes sur la façon de soutenir à distance les aînés dans la réalisation de projets respectant la distanciation physique en plus de donner davantage d’information sur le vieillissement et la place des aînés dans notre société. Enfin, un guide d’activités de participation sociale qui respectent les mesures sanitaires et qui favorisent les interactions intergénérationnelles pourrait être mis à la disposition des accompagnateurs.
Forces et limites de l’étude
Cette étude est la première à avoir documenté l’implantation de l’APIC par des organismes communautaires du Québec. Parmi les forces, la triangulation des données provenant de plusieurs personnes de différentes organisations et la petite taille de l’échantillon a permis de recueillir des informations riches sur l’implantation de l’APIC, résultats pouvant être transférés à d’autres organismes communautaires ayant un contexte similaire. Parmi les limites de l’étude, la désirabilité sociale pourrait avoir inhibé les propos de certains participants, malgré les encouragements de l’équipe de recherche à exprimer librement leur opinion et l’absence d’implication directe des étudiantes dans l’implantation. Bien que leurs avis aient été en partie pris en compte par les coordonnatrices, les directeurs généraux et l’agente de recherche, il aurait été important de recueillir aussi les perceptions des bénévoles et des aînés. Considérant les précautions liées à l’ECR en cours, il était toutefois impossible de questionner les bénévoles et, surtout, les aînés quant aux facteurs favorables, défavorables et essentiels à l’implantation de l’APIC. Enfin, comme toute étude qualitative, les résultats sont sensibles au temps et au contexte de l’étude et influencés par l’équipe de recherche.
Conclusion
La présente étude a permis d’identifier les facteurs favorables et défavorables ainsi que ceux essentiels à l’implantation de l’APIC, tels que perçus par des coordonnatrices, des directeurs généraux d’organismes communautaires et une agente de recherche. L’APIC correspondrait avec la mission et les valeurs des organismes communautaires, en plus de répondre aux besoins de plusieurs aînés qu’ils desservent. À titre de principaux responsables de l’implantation, ces organismes croyaient grandement en l’APIC, ce qui représente un facteur favorable à son implantation. La répartition aléatoire associée au projet de recherche et le temps accordé à l’implantation de l’APIC ont été documentés comme étant considérablement défavorables. Afin de faciliter ce déploiement, un guide d’implantation bonifié, intégrant les résultats obtenus dans le cadre de cette étude, sera développé. Pour assurer une bonne implantation, d’autres mesures seront toutefois nécessaires pour contourner les facteurs défavorables et maximiser ceux qui sont favorables. Par exemple, il sera important d’assurer une grande concordance entre la mission des organismes et l’APIC, d’allouer des ressources humaines et financières suffisantes pour mener à bien l’implantation ainsi que de choisir et de former adéquatement les coordonnateurs à l’APIC, une intervention à laquelle ils doivent croire. Les implantations futures devront aussi miser sur les partenariats avec la communauté. Enfin, il serait intéressant de poursuivre l’étude des effets de l’APIC auprès d’aînés en documentant plus explicitement la fidélité de l’implantation, soit le degré auquel l’intervention a été implantée en respectant le plan initial (Carroll et al., Reference Carroll, Patterson, Wood, Booth, Rick and Balain2007) ou les différences entre l’APIC tel que prévu et tel que réellement réalisé. D’autres études sont aussi requises pour obtenir la perspective des aînés sur la participation sociale de façon plus approfondie (p. ex., participer à des groupes de décision, proposer des activités de rencontre au parc pour soutenir d’autres aînés) et documenter la pérennité de l’implantation de l’APIC au sein des organismes communautaires.
Supplementary material
The supplementary material for this article can be found at http://doi.org/10.1017/S0714980823000132.
Remerciement
Cette étude a été possible grâce à l’appui financier d’une subvention Volet fondation des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC; 2016–22; #148466), de l’Université de Sherbrooke et du Centre de recherche sur le vieillissement du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Janie Gobeil détient une bourse de formation de maîtrise des Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS; 2019–21; #267895) et Mélanie Levasseur est nouvelle chercheuse des IRSC (2017–22; #360880) et chercheuse séniore FRQS (2021–2025; #298996). Merci à Catherine Maisonneuve et aux personnes qui ont donné de leur temps pour participer à l’étude.